La lettre juridique n°393 du 6 mai 2010 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Mai 2010

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N0638BPC

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, en matière d'assurance vie deux arrêts revenant sur le rôle du tuteur dans la gestion des contrats d'assurance vie du bénéficiaire de la tutelle. A noter également un arrêt du 14 avril 2010 qui énonce que l'accès aux tribunaux français par un apériteur d'une coassurance de droit étranger est soumis au respect de la règle "Nul ne plaide par Procureur" imposé par la lex fori. Enfin, on relèvera une décision rendue le 14 avril également qui revient sur l'interprétation judiciaire de la clause dite "d'activité déclarée".
  • L'absence de responsabilité de l'Etat en cas d'erreur commise par le tuteur gérant des contrats d'assurances vie (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 09-11.271, F-P+B N° Lexbase : A8168ETP)

Précédemment, une chronique nous avait fourni l'opportunité d'insister sur le rôle majeur des nouvelles formes d'assurances vie et plus précisément des assurances en cas de vie ou assurances mixtes, y compris lorsque l'assuré a acquis un certain âge. On ne cesse de le constater ces derniers temps : ces assurances ont évolué dans deux directions. La première est connue depuis plusieurs années et même plusieurs décennies : elle s'entend de la prééminence désormais de la fonction d'épargne par rapport à celle de prévoyance. La seconde apparaît davantage ces tous derniers mois, du moins en apparence : loin de constituer une technique de prévoyance à l'égard des proches de l'assuré, elles le sont devenues avant tout pour lui-même. Au lieu de contraindre la famille d'un assuré âgé à régler des sommes importantes pour lui permettre de vivre ses derniers jours au sein d'une agréable maison de retraite -à supposer qu'un tel concept ait toujours une réalité tangible-, nombres d'assurances vie constituent le moyen pour l'assuré d'épargner pour s'offrir lui-même ce mode de vie.

Cela dit, la fonction de prévoyance écartée un temps est ainsi réinstituée : c'est une double façon de préserver ses proches, en se sacrifiant, d'abord sur le plan financier, ensuite en leur évitant ainsi de devoir vous accueillir à leur domicile, quand bien même la vie inter-générationnelle a-t-elle été longtemps la règle dans notre société dite ancienne et pourtant aussi source de joies et d'apprentissages infinis pour les plus jeunes. Quoiqu'il en soit, là n'est pas le sujet, de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 mars 2010. En l'espèce, c'est dans cette perspective qu'un homme s'était inscrit en souscrivant plusieurs contrats d'assurance vie dans lesquels il avait désigné, en dernier lieu, ses deux nièces, en qualité de tiers bénéficiaires. Le problème n'est pas réellement né de son placement sous tutelle et de la désignation d'un gérant, car il n'y a là rien que de très banal de nos jours où la population vieillit.

La difficulté principale tient de l'acte réalisé par ce tuteur, de toute évidence sans perfidie aucune ni mauvaise intention de sa part, loin s'en faut. Le point de départ relève même d'une bonne gestion et de bonnes intentions. En effet, pour subvenir aux besoins de l'assuré, majeur protégé, résidant dans une maison de retraite au coût que l'on sait ne pas être dérisoire, le tuteur décide, deux mois après avoir été désigné, de procéder au rachat des contrats d'assurance comme le Code des assurances lui en donne la possibilité. Simplement au lieu d'un rachat partiel, il décide de procéder à un rachat total. Or, chacun se souvient qu'une telle opération met fin, de manière définitive, à cette convention.

Avec l'autorisation du juge des tutelles, rendue par ordonnance -et la remarque est fondamentale- le tuteur rachète donc l'intégralité des sommes figurant dans les contrats d'assurance -et même une bonne part des sommes figurant à l'actif du contrat aurait suffi- pour les placer sur un autre produit financier, lequel comporte aussi une clause bénéficiaire. Et il désigne les héritiers de l'assuré en cette qualité. Lorsque près de cinq ans plus tard, au décès de l'assuré, ses nièces découvrent la modification réalisée, elles décident certes d'assigner en responsabilité le tuteur, mais également l'assureur et l'agent judiciaire du Trésor, c'est-à-dire l'Etat, pour fonctionnement insatisfaisant de la tutelle. Le tribunal de grande instance refuse de faire droit à une telle prétention.

Or, contre toute attente, la cour d'appel n'est pas insensible à l'argument. Sur le fondement de l'article 473, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3717C33), qu'elle considère transposable à la tutelle des majeurs, elle justifie sa décision par le fait que le législateur aurait voulu instaurer un régime de responsabilité spécifique autorisant la victime à demander réparation à l'Etat en cas de faute commise dans le fonctionnement de la tutelle. Cependant, la Cour de cassation, elle, ne suit pas un tel raisonnement, encore qu'elle ne le condamne pas en tant que tel. Simplement, elle rappelle qu'une telle action est réservée à des titulaires précis que sont le majeur protégé lui-même, ses représentants légaux ou les ayants droit de ce dernier. Le texte est restrictif. Ne sont pas visés les héritiers et donc les nièces de l'assuré. Elle casse en conséquence l'arrêt d'appel.

L'arrêt est rendu sous l'empire de l'ancienne législation, celle du 15 juin 1965, selon laquelle "l'Etat est seul responsable à l'égard du pupille, sauf son recours s'il y a lieu, du dommage résultant d'une faute quelconque qui aurait été commise dans le fonctionnement de la tutelle, soit par le juge des tutelles ou son greffier, soit par l'administrateur public chargé d'une tutelle vacante en vertu de l'article 433 (N° Lexbase : L3761C3P)". La loi n° 95-125 du 8 février 1995 (N° Lexbase : L1139ATD, article 12), avait ajouté à ces deux personnes, le greffier du tribunal de grande instance pour tenir compte des réformes survenues entre temps et des pouvoirs dévolus, dans ce domaine, à ce dernier. Peu importe dans le cas présent. Et les changements intervenus lors de l'élaboration de la loi n° 2007-308 du 7 mars 2007 (N° Lexbase : L6046HUH) ne sont pas plus déterminants pour notre espèce.

En effet, selon celle-ci "tous les organes de la tutelle sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction. Lorsque la faute à l'origine du dommage a été commise dans l'organisation et le fonctionnement de la tutelle par le juge des tutelles, le greffier en chef du tribunal de grande instance ou le greffier, l'action en responsabilité est dirigée contre l'Etat qui dispose d'une action récursoire". L'article 13 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 (N° Lexbase : L1612IEG) a repris ce texte mot à mot. Il est devenu l'article 412 du Code civil (N° Lexbase : L1715IEA). Quoiqu'il en soit, les personnes disposant du droit d'agir, en vertu de ce nouveau texte, n'ont pas vocation à être modifiées. Aucun ajout ne justifierait un changement, encore moins une réduction des titulaires d'une telle action qui sont déjà en nombre réduits, pour ne pas dire inexistant. Car lorsque le majeur protégé ne peut agir lui-même, ne reste que son représentant légal : la liste n'en est pas une.

Demeure l'essentiel de la décision : le refus d'agir aux nièces de l'assuré, sous prétexte qu'elles n'ont pas de droit à agir. Et l'on s'imprègnera avec utilité de la définition fournie par le dictionnaire juridique Cornu (1), selon lequel, sous cette expression, figure la définition suivante : titulaire d'un droit ; personne ayant par elle-même ou par son auteur vocation à exercer un droit (ayant droit à réparation ou à restitution). Et la définition de comprendre des exemples : victime, bénéficiaire, ...

La solution du législateur apparaît alors sévère en ce qu'il n'offre pas les mêmes possibilités aux ayants droit du majeur protégé qu'à ceux de son représentant légal. Sans doute, ces derniers ont-ils été prévus pour défendre les intérêts de leur auteur, lorsque ceux-ci sont atteints. Pour autant, une nécessité plus aigüe encore pourrait se faire sentir pour les ayants droit du majeur protégé.

Ce n'est donc pas tant la solution de la Cour de cassation qui appelle des réserves, mais la restriction légale qui surprend de prime abord. Sans doute le législateur a-t-il voulu limiter les contestations contre l'Etat. Puisque la plupart des erreurs ou fautes de gestion seront découvertes après le décès du majeur protégé, l'action ne risque donc pas de provenir de ce côté là. Et permettre au tuteur ou curateur et à leurs ayants droit d'agir n'est pas une prise de risque bien élevée. On peut le déplorer, eu égard à l'importance des décisions prises par les magistrats fut-ils -nul n'en doute et n'entend laisser planer le moindre doute- aguerris et avertis des nouvelles formes de prévoyance. Il demeure que le nombre de dossiers qu'ils doivent gérer et surtout qu'ils devront assumer à l'avenir ne permet pas de garantir une infaillibilité absolue.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Actes du tuteur effectués sans solliciter un mandataire ad hoc en assurances vie : pas de nullité de droit (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-15.658, FS-P+B N° Lexbase : A8038ETU)

Le présent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 mars 2010 n'est pas sans rappeler une autre affaire, qui n'est pas si ancienne, sans toutefois que cette dernière ait laissé, à l'époque, entrevoir l'actuelle solution (2). Une fois encore donc -puisque la première chambre civile de la Cour de cassation semble, depuis ces dernières années, vouloir éclaircir le régime des incapables ayant souscrit des contrats d'assurance vie, ce dont nul ne saurait se plaindre- les pouvoirs et l'autonomie des majeurs protégés sont au coeur d'une nouvelle interrogation juridique légitime relative aux conséquences déterminantes pour cette personne protégée elle-même, comme pour son représentant légal et même l'ensemble de son entourage familial ou relationnel.

Dans un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 mars 2007, notre Haute juridiction avait admis que le tuteur, représentant légal de l'assuré devenu majeur protégé après avoir souscrit un contrat d'assurance vie, pouvait modifier la clause bénéficiaire insérée dans celui-ci (Cass. civ. 2, 15 mars 2007, n° 05-21.830, FS-P+B N° Lexbase : A6911DUI). Pourtant, deux ans plus tard, cette même chambre apportait plus qu'un bémol : une modification majeure à sa propre jurisprudence. Rappelons, en quelques mots l'affaire ayant donné lieu à un arrêt du 8 juillet 2009 (3) : une femme avait été placée sous régime de protection des majeurs avec désignation de l'une de ses filles comme curatrice. Or, quelques jours après, cette dernière avait modifié, à son profit, la clause bénéficiaire des contrats d'assurance vie que sa mère avait souscrits plus de dix ans auparavant.

Lors du décès de la majeure sous curatelle, ses autres héritiers avaient assigné la fille curatrice en exigeant tant le rapport à succession des sommes versées sur les contrats d'assurance vie que des dommages-intérêts. La Cour de cassation, censurant l'analyse de la cour d'appel, et se fondant à la fois sur les articles 510 (N° Lexbase : L8508HWZ) et 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), avait jugé que, si la modification du bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie par un majeur en curatelle nécessite l'assistance du curateur, "la substitution du bénéficiaire au profit du curateur ne peut être faite qu'avec l'assistance d'un curateur ad hoc". Par conséquent, cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 mars 2010, ne constitue qu'une réitération de cette solution, lorsqu'il indique que "les actes de dispositions faits par le majeur en curatelle, seul, sans l'assistance d'un curateur ad hoc, sont susceptibles d'annulation sur le fondement de l'article 510-1 du Code civil (N° Lexbase : L3084ABT)". Par conséquent, a priori, cet arrêt n'est pas source d'étonnement.

Ce qui est plus intéressant, c'est ce que la Cour de cassation ajoute aussi : "que ce texte n'édicte pas une nullité de droit et laisse au juge la faculté d'apprécier s'il doit ou non prononcer la nullité eu égard aux circonstances de la cause". Notre Haute juridiction rappelle donc qu'elle effectue un simple contrôle, tout en laissant un large pouvoir d'appréciation aux juges du fond. Et en l'espèce, elle approuve ceux-ci d'avoir considéré que "M. Z. avait entendu manifester sa reconnaissance à son curateur pour son amitié de longue date et les soins dévoués dont celui-ci l'avait entouré, notamment dans ses dernières années", ajoutant que celui-ci avait "une volonté lucide". A priori, en ce domaine comme dans d'autres, il n'est pas choquant que les premiers juges, au plus près des faits et de la réalité pratique, puissent disposer d'une palette de solutions selon les circonstances.

C'est que l'enjeu, dans le cas présent, n'était pas mineur : deux millions de francs, tout de même. En l'espèce, un homme de 87 ans, M. Z., avait souscrit un contrat d'assurance vie comportant une clause bénéficiaire dans laquelle il avait désigné sa nièce, veuve, et donc sans doute plus tout à fait trentenaire ou quarantenaire. Quelques mois après, il avait été mis sous curatelle renforcée par le juge des tutelles, lequel avait désigné, en qualité de curateur, un ami et ancien collègue de travail du majeur protégé, M. A.. Plus de deux années plus tard, le majeur protégé souscrit, seul, un second contrat d'assurance vie, d'un montant de plus d'un million et demi de francs et désigne son curateur comme tiers bénéficiaire. Et, cerise sur le gâteau, quelques jours après, il modifie la clause bénéficiaire du premier contrat et y substitue son ami et ancien collègue. Lors de son décès, sa nièce a agi en nullité du second contrat d'assurance, du paiement de la prime et du changement de bénéficiaire sur le premier contrat. Subsidiairement, notons même si l'intérêt principal de l'arrêt n'est pas là, qu'une demande de requalification des actes en donations indirectes avait été formulée.

Ce qui fera sans doute mieux accepter la décision de cet arrêt, c'est la précision, glissée par la Cour de cassation dans le second moyen du pourvoi, de manière incidente, et pouvant presque passer inaperçue, que le majeur protégé, au jour de la désignation d'un curateur, "était en pleine possession de ses moyens", entendez sur le plan intellectuel. C'est sans doute pour des raisons physiques, une difficulté à se mouvoir et, a fortiori, à se déplacer, que la curatelle avait été décidée. Et, d'ailleurs, ce n'était qu'une curatelle, et non justement une tutelle...

Pour toutes ces raisons, qu'il nous soit pardonné par avance de fournir une appréciation proche d'un jugement à la Salomon ou de bon normand. Car, en effet, si l'arrêt peut se comprendre, il suscite aussi quelques réticences. D'un certain point de vue, il est heureux que le statut de curateur ne prive pas de manière définitive et irrévocable toute personne ayant accepté cette mission. Car, en pratique, il est indéniable que bon nombre de curateurs sont des membres de la famille du majeur protégé ou des proches amis qui font preuve de dévouement voire d'esprit de sacerdoce en assumant une telle charge. A une époque où le nombre de majeurs sous tutelle ou curatelle est en augmentation et ne devrait cesser de l'être, bien au contraire, il convient de ne pas décourager les bonnes âmes, pleines de bonnes intentions. Or, si la qualité de tuteur ou curateur avait pour effet d'interdire à ce dernier d'espérer être gratifié, gageons que les volontaires seraient moins nombreux, pour ne pas dire inexistants. La nature humaine est ainsi faite qu'elle attend souvent une contrepartie à des actes ne relevant pourtant pas de contrats. A défaut de poursuivre un dessein empreint d'une cupidité certaine, la désignation bénéficiaire est considérée comme une forme de témoignage d'une reconnaissance escomptée par celle ou celui qui s'est dévoué.

Pour autant, le manque de personnel -ou de moyens à mettre à disposition de bénévoles notamment dans les structures associatives administrant ces majeurs incapables- ne doit pas donner lieu à un relâchement dans l'attention à porter par les magistrats à ces situations concrètes aux enjeux financiers, psychologiques et moraux plus cruciaux qu'il n'y paraît sur le papier, et ce même si le législateur a prévu, à l'article 14-II de la loi du 5 mars 2007 (loi n° 2007-308, portant réforme de la protection juridique des majeurs N° Lexbase : L6046HUH), une formation obligatoire -réalisée souvent au sein même des facultés de droit délivrant un diplôme d'université- pour les "mandataires judiciaires à la protection des majeurs et délégués aux prestations familiales". Car il n'est pas sain que des individus, peu scrupuleux, disposent de la possibilité de se faufiler dans une brèche entrouverte par la Cour de cassation elle-même. Certes, tout un chacun n'aura pas connaissance de la jurisprudence "Zielman" lui offrant, sur un plateau d'argent, un tel avantage...encore qu'en ce domaine, certaines informations circulent plus vite que d'autres.

Et c'est une formation quasi permanente qu'il conviendrait d'organiser. L'état mouvant du droit, notamment en assurances vie dont l'importance patrimoniale n'est plus à démontrer, justifierait pleinement une mise à niveau régulière, pour ces mandataires judiciaires dont l'article L. 471-4 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L9145HWM) prévoit notamment qu'ils doivent satisfaire à des conditions de moralité. Encore cette formation aura-t-elle eu lieu pour ces professionnels, ce qui n'est pas le cas de certains tuteurs et curateurs désignés parmi les proches de la personne protégée. Au-delà de cette remarque, il ne serait pas non plus raisonnable de laisser penser qu'il n'est pas fait confiance à ces mêmes tuteurs et curateurs. Pourtant, ils sont désormais investis d'un rôle plutôt plus vaste, étant donné la complexité du droit et les nouveaux moyens d'épargne aux règles disparates, qu'il y a encore une trentaine d'années, sauf exceptions.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • L'accès aux tribunaux français par un apériteur d'une coassurance de droit étranger soumis au respect de la règle "Nul ne plaide par Procureur" imposé par la lex fori (Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 08-70.229, FS-P+B+I N° Lexbase : A9198EU9)

Cet arrêt, qui porte sur les règles de droit international privé applicables au contrat d'assurance, autorise une réflexion, par prolongement, sur le fonctionnement, en droit français, de la coassurance.

L'apport de l'arrêt au droit international privé consiste à rappeler au représentant d'une coassurance de droit étranger, en l'espèce un "assekuradeur" de droit allemand agissant devant les tribunaux français, qu'il doit respecter les règles procédurales françaises, singulièrement la règle selon laquelle "Nul ne plaide par Procureur" et l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). En conséquence, il lui est demandé de justifier d'un mandat spécial pour agir, au nom de tous les coassureurs, contre une société française pour obtenir, par recours subrogatoire, le remboursement d'une somme versée par la coassurance à leur assurée victime.

Le mandat général que reconnaît le droit allemand à cet "assekuradeur" n'y suffit donc pas. Le respect de la règle française selon laquelle "Nul ne plaide par Procureur", applicable en raison de la compétence de la lex fori sur tous les aspects procéduraux d'un contentieux international (ici d'assurance) conduit devant les tribunaux français, impose la production par le demandeur étranger d'un mandat spécial.

Les spécialistes ne seront pas surpris de ce que la lex fori s'impose en tant que loi de procédure, car c'est là une solution traditionnelle.

On notera toutefois que, s'agissant d'une action subrogatoire, le demandeur au pourvoi avait tenté, en vain, de convaincre que l'intérêt à agir de la partie qui se prévaut de la subrogation devait s'apprécier au regard de la loi de l'institution (ici loi allemande) plutôt que de la loi du for.

On sait que les problèmes de conflit de lois relèvent souvent de ce qu'il convient de combiner harmonieusement les lois applicables par conjugaison de règles de conflit de lois.

C'est bien ainsi que procède ici la Cour de cassation quand elle écrit:

"Mais attendu que faisant application du droit allemand régissant le contrat d'assurance en cause pour déterminer la qualité à agir de la société Gustav F. Hübener GmbH, l'arrêt relève d'abord, que cette société est une 'agence' intervenant 'au nom des coassureurs', qu'en la qualité d''assekuradeur' dont elle se prévaut, elle n'est pas l'assureur couvrant le risque, mais titulaire d'un mandat général pour agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandantes ; qu'il constate, ensuite, que la société Gustav F. Hübener GmbH indique agir en France en son nom et pour le compte de l'ensemble des coassureurs en produisant aux débats des pouvoirs rédigés en termes généraux ; que la cour d'appel en a justement déduit que ces mandats généraux ne satisfont pas aux principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises, lesquels s'appliquent à toutes instances introduites en France, quelle que soit la loi gouvernant le fond du litige ou la loi en vertu de laquelle le demandeur indique agir pour le compte d'autrui, de sorte que la cour d'appel a décidé, à bon droit, que, faute de justifier d'un mandat spécial de chacun de ses mandants, la société Gustav F. Hübener GmbH était irrecevable à agir en France contre la société Tnt express en application de l'article 31 du Code de procédure civile".

L'attendu est pédagogique, qui déploie un raisonnement en deux temps :

- d'une part, une prise en considération de la loi étrangère ;

- d'autre part, le maintien des exigences procédurales de notre lex fori.

Au chapitre de la première étape du raisonnement, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir d'abord examiné la qualité à agir de la demanderesse à l'aune de la loi applicable au fond (ici loi allemande).

La cour d'appel a ainsi fait application du droit allemand et, s'agissant d'un contrat (d'assurance), a, logiquement, exploité les stipulations du contrat de coassurance litigieux soumis au droit allemand.

La lecture du pourvoi annexé, qui rapporte plus amplement les motifs de l'arrêt entrepris, montre que, s'appuyant sur la police d'assurance litigieuse, les juges du fond ont relevé que si la demanderesse y est "désignée en tant que compagnie d'assurance, [...] il s'infère des contrats intitulés 'Agenturvertrag' conclus avec chacun des coassureurs de la police susvisée que la société Gustav F. Hübener GmbH est une 'agence' au sens du droit allemand, qui intervient en tant qu'entreprise indépendante, conforme au code de commerce allemand, et qui est autorisée, 'au nom de ces coassureurs', à souscrire des contrats d'assurance, à encaisser à ce titre des primes d'assurance, à traiter des sinistres et à procéder aux recours ; que la société Gustav F. Hübener GmbH se prévaut de ces divers éléments pour conclure qu'elle a la qualité de 'Assekuradeur', lequel, en droit allemand, a mandat pour exercer en son nom propre et pour le compte des assureurs couvrant financièrement le risque, les risques judiciaires à l'encontre du tiers responsable ; qu'à cet égard, en droit allemand, l'Assekuradeur qui n'est pas l'assureur couvrant le risque (lequel est financièrement supporté par la compagnie d'assurances ) exerce néanmoins toutes les autres activités liées au contrat d'assurance, en ce compris l'exercice et l'encaissement des recours ; qu'au demeurant, la société Gustav F. Hübener GmbH justifie être titulaire de la part de chacun des coassureurs d'un mandat général l'autorisant à agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandataires".

En jurisprudence, cette technique de la "prise en considération de la loi étrangère" avait été utilisée d'une façon remarquée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 mars 2005 (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 11 mars 2005, n° 03/16917 N° Lexbase : A7688DH9), dans une espèce dont le problème était voisin de celui de notre arrêt du 14 avril 2010, à ceci près qu'il s'agissait alors d'examiner si un trustee de droit anglais (et non un représentant d'une coassurance de droit allemand) a qualité à agir par lui-même devant les tribunaux français ou et s'il devait, pour ne pas se heurter à la règle selon laquelle "nul ne plaide par Procureur", justifier d'un mandant spécial de la part de son constituant.

La cour d'appel de Paris avait alors jugé "que la règle nul en France ne plaide par Procureur prohibe la présence au procès d'une personne physique ou morale agissant pour défendre, non ses droits, mais ceux d'une autre personne, dont elle refuserait de révéler l'identité, privant ainsi son contradicteur de la possibilité de contester en toute connaissance de cause les droits de cette véritable partie, absente du procès". Après analyse des droits du trustee selon le droit anglais, les magistrats en avaient déduit que "même si ces biens ne font pas partie du patrimoine personnel du trustee, ce dernier, lorsqu'il agit en justice, comme le droit anglais lui en reconnaît la possibilité, le fait, non en qualité de représentant des bénéficiaires, mais en vertu de la propriété juridique dont il est lui-même titulaire ; que dès lors, la situation juridique du trustee, analysée en considération du droit anglais, commande de le qualifier, au regard du droit processuel français, de véritable partie et non de représentant des bénéficiaires ; qu'il s'en suit que le trustee est recevable à agir devant les juridictions françaises en son seul nom, sans avoir à révéler le nom des bénéficiaires et que c'est à tort que l'appelante entend lui opposer la règle nul en France ne plaide par Procureur".

C'est ici que la figure de l'"assekuradeur" de droit allemand et l'institution anglo-saxonne du trustee se séparent : le premier n'agit pas en son nom mais bien au nom et pour le compte des coassureurs qu'il représente, là où le second jouit d'un droit, donc d'une action, propre.

C'est au terme de cette analyse de la loi au fond que les juges doivent, dans une deuxième étape du raisonnement, vérifier si la qualité du demandeur, identifiée dans le respect des spécificités du droit substantiel étranger, répond aux exigences procédurales de notre droit du for.

A ce stade, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir relevé que si la fonction d'"assekuradeur" investit ce dernier "d'un mandat général pour agir en justice devant les juridictions allemandes pour le compte de ses mandantes", dès lors que celui-ci ne produit, dans l'instance engagée en France, qu'un mandat général, il ne satisfait pas "aux principes régissant l'action en justice devant les juridictions françaises, lesquels s'appliquent à toutes instances introduites en France, quelle que soit la loi gouvernant le fond du litige ou la loi en vertu de laquelle le demandeur indique agir pour le compte d'autrui", laquelle exige production d'un mandat spécial émanant de chacun des coassureurs représentés.

On notera que cette décision est conforme à la jurisprudence antérieure soucieuse de faire respecter, en droit international privé, ce principe selon lequel "Nul ne plaide par Procureur" en imposant les exigences de notre loi du for.

C'est ainsi qu'un arrêt de la première chambre civile du 9 mai 1996 (4) a appliqué cette règle, en retenant, à propos de l'action intentée par une société d'assurance marocaine couvrant une société marocaine contre une société française, devant nos tribunaux, en retenant que : "si, aux termes des stipulations de l'article 14 du contrat d'assurance souscrit [l'assureur] pouvait exercer les droits de son assurée 'à sa place et en son nom', [...] ce mandat conventionnel ne lui donnait pas qualité pour agir en son nom personnel et, donc, sans indication du nom de son mandant".

De manière encore plus claire, dans une espèce voisine du cas examiné dans l'arrêt du 14 avril 2010, la Cour de cassation a, en 1997 (5), jugé que :

"l'agent général d'assurances, qui n'a payé l'indemnité due à l'assuré qu'au nom et pour le compte de la compagnie qui l'a nommé, ne peut se prétendre personnellement subrogé dans les droits de l'assuré et n'a, en conséquence, qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité au nom de la compagnie subrogée que s'il en a reçu le mandat spécial ;

Attendu que, pour déclarer recevable l'action récursoire en réparation du dommage subi par M. X... exercée par la société Boistel, l'arrêt retient que celle-ci était l'agent des compagnies d'assurance, qu'elle était donc mandatée par elles 'afin de gérer les sinistres et de les indemniser', qu'elle a versé à M. X l'indemnité prévue pour la perte totale de son navire et 'qu'en sa qualité de mandataire, elle a engagé sa compagnie' ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs d'ordre général, sans rechercher, au vu de son traité de nomination ou d'actes postérieurs, si la société Boistel avait reçu des assureurs subrogés, qui avaient seuls qualité pour exercer l'action récursoire en responsabilité, le pouvoir de les représenter en justice dans l'exercice même de celle-ci, lequel pouvoir n'était pas impliqué par la simple mission de gérer et indemniser le sinistre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision "

L'assekuradeur n'est-il, toutefois, qu'un simple "agent d'assurance" agissant pour le compte de coassureurs ? N'y a-t-il pas dénaturation de l'institution étrangère à le reléguer à un tel rang?

On notera, en outre, qu'il n'est pas sûr que la jurisprudence antérieure rendue à propos d'un litige international concernant un contrat de coassurance ait toujours été respectueuse de cette nécessité de justifier d'un mandat spécial.

La cour d'appel de Versailles, dans un arrêt en date du 13 février 2003 (n° 2000-5199), avait eu à statuer sur le cas d'un contrat d'assurance souscrit par "la Société de droit allemand Volkswagen AG [...] auprès de la compagnie d'assurances de droit allemand F., [...] conclu sous le régime de la c-assurance, F., apéritrice, étant désignée chef de file avec une quote-part de 20 %, le reliquat de 80 % constituant les participations des autres compagnies d'assurances de la Société VAG".

Pour rejeter la prétendue atteinte à la règle "Nul ne plaide par Procureur", la cour d'appel avait alors relevé que : "Considérant qu'en effet, il résulte de l'article 22.4.1. du contrat de co-assurance que : 'l'apériteur est habilité à assigner de manière valable pour les co-assureurs' ; considérant que, dès lors qu'en vertu de cette clause, l'apériteur avait reçu mandat de représenter la coassurance en justice, l'assignation délivrée début juillet 1995 à l'initiative de la seule Société F., en sa qualité d'apéritrice, a eu pour effet d'interrompre la prescription biennale en faveur de l'ensemble de ses coassureurs".

Bien que l'arrêt ne précise pas la loi applicable à ce contrat souscrit par le groupe automobile allemand auprès d'une coassurance dirigée par un assureur allemand, cette désignation était hautement vraisemblable.

C'est donc par la seule analyse du contrat que les juges en ont déduit la conformité de ce contrat étranger aux exigences françaises en termes de capacité à agir de l'apériteur allemand, dûment autorisé à agir en justice au nom et pour le compte de la coassurance.

Mais l'arrêt de la cour d'appel de Versailles ne se livrait pas comme la décision étudiée du 14 avril 2010 à un distinguo entre mandat d'agir devant les juridictions allemandes et mandat d'agir devant les juridictions françaises...

Les juges versaillais semblent ici avoir privilégié une analyse pratiquée en droit interne, visant à cerner le mandat d'apérition, dans une perspective plus large visant à vérifier si les coassureurs sont engagés avec ou sans solidarité.

Souvent les coassureurs s'engagent sans solidarité. Le contraire pourrait naturellement être stipulé. Le droit belge, de son côté, précise en son article 27 de la loi du 25 juin 1992, que "sauf convention contraire, la coassurance n'implique pas la solidarité" et détaille, en son article 28, les règles de fonctionnement de la coassurance. Cet article dispose que l'apériteur, devant être désigné dans le contrat, "est réputé mandataire des autres assureurs pour recevoir les déclarations prévues par le contrat et faire les diligences requises en vue du règlement des sinistres, en ce compris la détermination du montant de l'indemnité" (art. 28, al. 1er). "En conséquence, l'assuré peut lui adresser toutes les significations et notifications sauf celles relatives à une action en justice contre les autres coassureurs" (art. 28, al. 2).

En son dernier état, la jurisprudence de la Cour de cassation semble s'être fixée autour de la nécessité de respecter une interprétation des termes du contrat de coassurance, avant d'en dégager une éventuelle solidarité, passive ou active. Une cour d'appel a ainsi été censurée pour n'avoir pas caractérisé, "sur le fondement des énonciations de la police, [...] l'existence d'un mandat en vertu duquel [l'apériteur] aurait été investi du pouvoir de représenter les autres assureurs tant activement que passivement" (6). En conséquence, à défaut de solidarité, l'action de l'assuré contre l'apériteur n'interrompt pas la prescription biennale à l'égard des autres coassureurs (7).

On notera que la Cour de cassation sait également, au besoin, user de la théorie du mandat apparent pour considérer l'action contre les autres coassureurs recevable bien que l'assuré n'ait assigné que la société apéritrice et alors que celle-ci ne disposait pas d'un mandat de représentation en justice des autres compagnies (8).

La formule retenue par la première chambre civile selon laquelle, s'agissant d'une police collective à quittance unique, "il en résultait qu'en principe la société apéritrice était investie d'un mandat général de représentation de ses coassureurs" (9), demeure exacte, mais les juges du fond ne doivent pas dénaturer les termes du mandat et en déterminer l'étendue par une analyse circonstanciée avant d'en tirer les conséquences juridiques, qu'il s'agisse de la solidarité ou de la représentation en justice.

En dernier lieu, en 2009, la Cour de cassation a jugé que : "la société apéritrice est présumée être investie d'un mandat général de représentation dès lors qu'aucun des coassureurs ne le conteste ; [...] Que de ces circonstances tirées de l'exécution du contrat d'assurance, la cour d'appel a pu déduire que les assureurs, représentés par la société apéritrice, ont confié un mandat de gestion à la société Chegaray Paris, laquelle a payé, dans les limites du contrat, et que ce paiement peut être retenu comme constituant preuve suffisante, qui peut être rapportée par tous moyens en matière commerciale, de l'accord convenu entre coassureurs, du mandat donné à l'apériteur de les représenter activement et passivement dans toutes les obligations résultant de ces contrats, notamment dans celles de régler les sinistres et de représenter la coassurance dans tous les litiges, soit en demande, soit en défense" (10).

Le mandat d'apérition, incluant le mandat d'agir ou de défendre en justice, peut donc résulter des "circonstances de l'exécution du contrat d'assurance", spécialement de ce que le mandataire a réglé un sinistre et agit, par suite, pour récupérer auprès du responsable les sommes versées à l'assuré. Mais n'est-ce pas exactement la situation de l'assekuradeur allemand qui avait, au nom de des coassureurs, réglé son assuré et assigné le responsable prétendu en se prévalant d'une subrogation dans les droits de l'assuré ?

Le rapprochement confine au hiatus et conduit à faire un choix. A tout prendre, nous préférons l'exigence, même sévère, relayée par la décision rapportée du 14 avril 2010, au "flou" qui entoure ce précédent de 2009.

Le principe selon lequel "nul ne plaide par Procureur" n'est pas qu'un "bâton [dressé] dans les roues" d'un apériteur, singulièrement étranger. C'est une règle prudente exigeant que ce mandataire justifie du pouvoir spécial dont il est investi. L'accès aux tribunaux français par un assureur étranger ne peut se faire sans précaution.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • De l'interprétation judiciaire d'une clause essentielle des contrats d'assurance de responsabilité civile professionnelle : la clause dite "d'activité déclarée" (Cass. civ. 3, 14 avril 2010, n° 09-11.975, FS-P+B N° Lexbase : A0597EWZ)

Cet arrêt, rendu en matière d'assurance "RC" décennale, vaut, plus largement, pour toute assurance de responsabilité couvrant un risque professionnel. Il porte sur l'interprétation, par le juge, de la clause dite "d'activité déclarée", laquelle figure généralement aux conditions particulières des contrats concernés.

Son objet est simple : déterminer le périmètre au sein duquel la garantie va se déployer. Et l'on comprend que de la clarté de cette clause et du soin qui y aura été apporté par le rédacteur du contrat dépendra une alternative "shakespearienne": être ou ne pas être assuré.

Mais derrière la "paille des mots" il incombe souvent au juge de révéler le "grain du contrat", de percer ce que les parties au contrat d'assurance ont eu à l'esprit.

Dans une configuration toute classique, l'assuré prétendra que le sinistre relève bien de l'activité déclarée là où l'assureur, de son côté, cherchera à échapper à sa garantie, en soutenant que l'assuré s'est livrée à une activité étrangère à celle déclarée, de sorte qu'il peut lui opposer une non-assurance.

Dans cette alternative, soit le risque ressortit au contrat, soit il est exclu du "champ d'application" du contrat.

C'est bien ainsi que se présentait l'espèce ici tranchée par la troisième chambre civile dans son arrêt du 14 avril 2010 : le constructeur d'une maison individuelle affecté de désordres apparus 9 ans après réception, a mandaté une société tierce (SFTS) pour procéder à des travaux de reprise. Après apparition de nouveaux désordres sur les parties d'ouvrage réparées, les acquéreurs ont assigné la société SFTS et son assureur en réparation.

L'assureur a contesté devoir couvrir les travaux de reprise des malfaçons, motifs pris de ce que, selon elle, ces travaux ne rentraient pas dans le cadre de l'activité déclarée par son assuré au titre des conditions particulières de son assurance "RC décennale", définie comme suit : "activités de constructeur de maison individuelle et d'amélioration de l'habitat".

L'interprétation de la clause posait donc la question de savoir si les travaux litigieux relevaient bien de cette activité déclarée ou, au contraire, étaient étrangères.

La Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir "exactement retenu que cette activité intégrait nécessairement la réalisation de fondations" pour en déduire "que la reprise éventuelle de ces fondations, ne constituant pas un secteur particulier du bâtiment devant faire l'objet d'une garantie spécifique, était également intégrée dans l'activité de constructeur de maisons individuelles".

La solution est heureuse. A partir du moment où l'activité litigieuse constitue, objectivement, une partie de l'activité déclarée, la solution s'impose.

Dans les activités de bâtiments, la jurisprudence se sert souvent des nomenclatures professionnelles. C'est bien ainsi que raisonne ici la Cour de cassation qui évoque l'absence de "secteur particulier du bâtiment".

La solution inverse peut, évidemment, se rencontrer, comme en atteste une autre décision de la Cour de cassation rendue le lendemain, le 15 avril 2010, par la deuxième chambre civile (11), qui, pour des faits très proches de ceux de notre arrêt, censure la cour d'appel qui avait considéré que les travaux confiés à l'assurée relevaient de l'activité garantie, aux motifs que : "en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les travaux effectués par la société relevaient de l'activité de charpentier et non pas de celle de couvreur qui seule entrait dans le champ de la garantie de l'assurance telle que définie par l'attestation du 24 mars 2004, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, a violé" l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

L'activité de charpentier ne se confond donc pas avec celle de couvreur, tandis que l'activité de réalisations de fondations d'une maison relève de l'activité d'un constructeur.

Parfois, l'ambiguïté rédactionnelle rendra l'interprétation judiciaire nécessaire.

Ainsi d'un arrêt de la cour d'appel de Toulouse (12) qui, ayant à statuer sur l'action intentée par des clients contre un artisan ayant installé une chaudière à bois dans un château, laquelle sera à l'origine d'un incendie, a été conduite à statuer sur les appels en garantie effectués par cet artisan auprès de deux assureurs, son assureur "RC décennale" et son assureur "RC professionnelle". Les juges toulousains ont exclu la garantie du premier et condamné le second à couvrir le sinistre en posant que :

- la police litigieuse "avait été souscrite pour l'exercice d'activités de zinguerie, plomberie, sanitaire, électricité ; les travaux de pose d'une chaudière à bois et de gainage d'une cheminée ne ressortent d'aucun de ces secteurs d'activité professionnelle déclarés" ;

- en revanche, les conditions particulières de la police d'assurance des risques professionnels des artisans du bâtiment précisent que "les activités exercées sont l'électricité, installation d'alarmes, pose d'enseignes lumineuses, plomberie- sanitaire, chauffage (sauf chauffage électrique intégré)" ; les juges en ont déduit que cette police ne faisant "aucune référence à des nomenclatures ou classifications préétablies et déterminées pour la sélection des activités à déclarer par l'assuré ou pour l'identification du champ de chaque activité exercée et de ses limites, mais seulement des désignations purement génériques assorties de l'expression de restrictions explicites, [l'assureur] ne trouve aucun fondement pour prétendre utilement que l'activité chauffage n'aurait pas compris les travaux exécutés ; qu'ainsi, elle n'est pas fondée à prétendre que l'activité déclarée devrait s'entendre de chauffage électrique, ce que rien n'implique ni directement ni indirectement ; que le fait que la restriction exprimée sur l'activité chauffage concerne un type de chauffage électrique, le chauffage électrique intégré, n'induit pas non plus nécessairement que la seule activité de chauffage assurée serait celle de chauffage électrique, ce qui n' est pas exprimé".

Le message est clair : les assureurs doivent bannir ici les "formules génériques", ce qui est conforme à la règle selon laquelle les clauses d'exclusion doivent être limitées (cf. C. ass., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0060AAH) et à la jurisprudence selon laquelle "une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée" (13).

L'analyse s'inscrit dans cette logique contemporaine selon laquelle il incombe à l'assureur de parfaitement rédiger le contrat, toute ambiguïté se retournant contre lui.

Cette sévérité se retrouve au stade de la rédaction de questionnaires d'évaluation du risque par les assureurs. Faute de précision, l'assureur ne pourrait se prévaloir d'une quelconque mauvaise foi de la part de l'assuré (cf. C. ass., art. L. 113-8 N° Lexbase : L0064AAM) dans la déclaration du risque, ici dans l'indication de son activité professionnelle. En effet, si l'assuré doit, aux termes de l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI), "répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge", la jurisprudence récente atteste de ce que, en amont de cette obligation de l'assuré de déclarer de bonne foi le risque, pèse sur l'assureur une obligation de se renseigner par des questions claires et précises.

On aura gardé en mémoire l'arrêt du 15 février 2007, signalé dans cette chronique sous la plume de Véronique Nicolas (14), qui a très clairement jugé qu'un assuré, courtier en placement financier, ayant omis de déclarer à son assureur de responsabilité civile qu'il faisait l'objet d'une procédure de contrôle en cours de la part des autorités financières (Commission des opérations de Bourse (COB) à l'époque), n'a pas violé les articles L. 113-2, 2° et L. 113-8 du Code des assurances. Alors que les juges du fond avaient considéré que l'assuré s'était abstenu "d'une manière qui n'a pu qu'être délibérée et destinée à tromper la société d'assurance" et que cette réticence avait été "de nature à modifier l'opinion qu'elle se faisait du risque à assurer", la Cour de cassation censure nettement : "Qu'en statuant ainsi, sans constater que l'assureur avait posé une question qui aurait dû conduire l'assurée à lui déclarer la procédure de contrôle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés "

Cette exigence sur le caractère précis et complet du questionnaire nous semble valoir pour l'activité déclarée. L'assureur pourrait donc devoir, pour manquement à son devoir de mise en garde, répondre des conséquences de la responsabilité de son assuré dont la non-assurance ne serait que la conséquence de la faute de l'assureur qui n'aurait pas su lui proposer une assurance adaptée à sa situation, dans la droite ligne du développement de ce devoir de mise en garde (15).

Une telle rigueur en amont (dans l'élaboration du questionnaire et dans la rédaction de la police) éviterait bien des déconvenues et des contentieux, car il est patent que les litiges posés par la clause d'activité déclarée est vif.

Par-delà les particularités des espèces, on peut chercher à en percer la ligne directrice.

Il nous semble que la jurisprudence se fait exigeante envers les assureurs et, souvent, n'entend pas les suivre dans leurs stratégies de "défausse". Un arrêt du 10 juillet 2008 (Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-12.506, Société Assurances générales de France (AGF), venant aux droits de la société Allianz, F-D N° Lexbase : A6243D94) en atteste, qui, ayant à statuer sur une assurance "RC produits livrés" a été saisie d'un pourvoi formé par l'assureur soutenant que "l'activité de 'montage de machines' seule déclarée lors de la souscription du contrat, n'impliquait toute la réalisation des machines, depuis leur conception jusqu'à leur installation". L'assureur plaidait ainsi la dissociation des activités de conception/réalisation/montage d'une machine.

La Cour de cassation a rejeté son pourvoi aux motifs que l'activité déclarée de "montage" implique la couverture de la réalisation entière des machines, car les termes employés dans le contrat litigieux précisaient couvrir les dommages se produisant après livraison des produits et résultant "notamment d'une erreur dans la conception, la préparation ou la fabrication ; qu'il s'ensuit que c'est sans dénaturation, que la cour d'appel a décidé que l'activité de montage déclarée impliquait la réalisation entière des machines".

La lettre du contrat peut donc faire "pencher l'interprétation" d'un côté ou de l'autre. L'arrêt précité du 10 juillet 2008 illustre l'hypothèse où cette "lettre" conduit à inclure le sinistre dans l'activité déclarée. A l'inverse, un arrêt du 4 juillet 2000 (Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.977, Compagnie Les Assurances générales de France (AGF), société anonyme c/ Etablissements Labeyrie et autres N° Lexbase : A5421AWP) illustre le cas où l'assureur a parfaitement su se faire précis dans la délimitation du risque, par voie d'exclusion, soit directe soit indirecte.

L'assurée était, dans cette espèce, un établissement ayant souscrit avec des agriculteurs des contrats de production en plein champ de cultures à façon, en vue d'obtenir la fourniture de pommes de terre. L'activité déclarée au titre de son "assurance RC" était rédigée de la sorte : "négociant en produits du sol, engrais, grains, pailles, fourrages, légumes secs avec chargement et déchargement des camions de livraison".

Un agriculteur ayant subi un dommage a assigné la société contractante, que l'assureur a refusé de garantir.

La cour d'appel avait considéré que "sauf à dénaturer toute activité commerciale en la 'tronçonnant' en activités autonomes, le contrat de production à l'occasion de l'exécution duquel le fait dommageable était survenu, entrait dans le champ des activités garanties par le contrat d'assurances souscrit par" l'assuré.

La Cour de cassation a considéré que les juges du fond avaient "dénaturé les termes clairs et précis exclusifs de toute garantie d'une participation à une activité de production".

En effet, l'activité de négociant couverte comportait cette précision selon laquelle elle commençait à compter du chargement du camion et cessait de s'appliquer après le déchargement ; dans ces conditions, doit être logiquement exclue toute activité de production chronologiquement antérieure au chargement du produit dans le camion !

C'est donc parce que ce contrat d'assurance avait délimité par voie d'exclusion indirecte la production que celle-ci n'entrait pas dans l'activité couverte.

A notre sens, ce type de contrat d'assurance, clair et précis, doit être gardé en modèle, car il nous semble que, faute d'une telle précision, l'analyse des juges d'appel selon laquelle l'interprétation du contrat d'assurance ne doit pas "dénaturer toute activité commerciale en la 'tronçonnant' en activités autonomes" devrait demeurer parfaitement pertinente!

En outre, on ajoutera que, pour protéger les assurés, les juges savent se détacher de la lettre du contrat et, afin d'en percer "l'esprit", ne consacrer l'hypothèse de non-garantie que lorsque l'activité est nettement étrangère à l'activité déclarée.

Tel n'est pas le cas d'une activité accessoire à celle expressément visée. Cette "notion d'accessoire permet au juge d'interpréter extensivement et souvent logiquement le risque garanti : le maçon, assuré pour le risque de construction, l'est aussi pour le risque de démolition, non prévu par le contrat, quand celle-ci est occasionnelle et accessoire à l'activité déclarée ; la boîte aux lettres située dans l'entrée de l'immeuble est entendue comme l'accessoire du local assuré " (17).

Un arrêt du 4 janvier 2006 (18) applique cette logique, s'agissant d'une activité déclarée de "commerce de bijouterie-joaillerie", retenant que "l'activité d'expertise et d'évaluation de bijoux précieux n'était pas étrangère à l'activité de bijoutier-joaillier".

On ne saurait donc trop inciter les assureurs à l'extrême vigilance quant au soin à apporter à la rédaction de cette clause d'activité déclarée.

De leur côté, les assurés qui ne souhaitent pas subir la déconvenue de découvrir, a posteriori d'un sinistre, qu'ils n'étaient pas couverts, ont tout intérêt à interroger leur assureur pour que, le cas échéant, soit modifiée la rédaction de cette clause d'activité déclarée.

Quant aux clients de l'assuré, ils pourraient avoir l'idée d'agir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à l'encontre des assureurs dont les contrats seraient défectueux...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, Puf.
(2) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-16.153, Mme Josiane Idelon, épouse Jud, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7360EIG) et nos obs., in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Octobre 2009, Lexbase Hebdo n° 366 du 10 octobre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9403BLT).
(3) Note préc..
(4) Cass. civ. 1, 9 mai 1996, n° 93-14.373, Société marocaine d'assurance à l'exportation SMAEX c/ Société New Park, société à responsabilité limitée, inédit au bulletin (N° Lexbase : A2802CQT).
(5) Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-10.186, Capitaine commandant la drague "Johanna Hendrika" et autres c/ M. Gruel et autres (N° Lexbase : A1693ACP).
(6) Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 00-16.850, Compagnie d'Assurances Navigation et Transports c/ Société Joaillerie Bosman, F-D (N° Lexbase : A4703DAG), RGDA 2004, p. 54, note J. Bigot ; Cass. civ. 2, 18 janvier 2006, n° 04-15.907, Société Assurances générales de France (AGF) c/ M. Christophe Geffroy, F-D (N° Lexbase : A4013DML).
(7) En ce sens, Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-17.457, Compagnie d'assurances et de réassurances Groupe d'assurances européennes c/ Compagnie Navigations et transports, FS-P (N° Lexbase : A5582AXZ), Resp. civ. et assur., 2002, chron. 1 ; RGDA, 2002, p. 72, note J. Bigot.
(8) En ce sens, Cass. com., 24 avril 2007, n° 05-21.857, SA Groupama Transports c/ Société Guyapêche d'armement et de pêche, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9532DUL).
(9) Cass. civ. 1, 24 novembre 1987, n° 85-12.560, Compagnie d'assurances "La France" c/ Société anonyme Etablissements Courtin et Bevière (N° Lexbase : A1145AHU), Bull. civ. I, n° 303.
(10) Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-12.315, Société Helvetia assurances, F-P+B (N° Lexbase : A3812EHN).
(11) Cass. civ. 2, 15 avril 2010, n° 09-14.039, Société MAAF assurances, F-D (N° Lexbase : A0638EWK).
(12) CA Toulouse, 4 février 2008, n° RG : 07/00807.
(13) Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, M. X c/ Société Assurances du crédit mutuel (N° Lexbase : A5004ATI), Bull. civ. I, n° 140.
(14) Cf. V. Nicolas, Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis, note sous Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, M. Gérald Attia, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 251 du 4 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2992BA3).
(15) Cf. Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), dont la portée mérite d'être élargie au-delà des obligations du banquier souscripteur d'une assurance-groupe.
(17) J. Kullmann, Lamy Assurances, 2009, n° 477.
(18) Cass. civ. 2, 4 janvier 2006, n° 04-20.401, Société Gan assurances IARD c/ Mme Anne-Marie Nanot, F-P+B (N° Lexbase : A1767DME).

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