Réf. : Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
le 07 Octobre 2010
Les juges parisiens, pour limiter à 53 500 euros la condamnation solidaire des notaires en réparation du préjudice souffert par la banque, ont retenu que celle-ci, professionnelle du crédit et des sûretés, était elle-même fautive pour ne pas avoir vérifié que toutes les formalités, nécessaires à l'efficacité du nantissement qui lui avait été consenti, avaient été accomplies et que cette négligence, qui avait contribué à son dommage, justifiait qu'elle en conservât la moitié à sa charge.
La banque a donc formé un pourvoi en cassation. La Cour régulatrice statue, au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), en faveur de l'établissement de crédit : "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" . Dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, après avoir retenu que la faute du notaire avait privé la banque de la totalité de la valeur des parts données en nantissement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; son arrêt est cassé et annulé.
La Cour de cassation rappelle, tout d'abord, que la responsabilité du notaire peut être engagée lorsque celui-ci ne s'est pas assuré de l'efficacité de l'acte auquel il a prêté son concours. Si tous les professionnels du droit, rédacteurs d'actes, sont débiteurs de cette obligation, c'est à propos des notaires que la Cour de cassation en a, d'abord, affirmé le principe. Ainsi, dans un arrêt du 7 février 1989, la première chambre civile a-t-elle précisé que "le notaire, en tant que rédacteur de l'acte, est tenu de prendre toutes les dispositions utiles pour en assurer l'efficacité, notamment en ce qui concerne la protection des parties à l'acte" (Cass. civ. 1, 7 février 1989, n° 86-18.559, Syndicat des copropriétaires c/ M. X N° Lexbase : A4185AAA).
La jurisprudence, en rappelant constamment ce principe depuis, a dessiné les contours de l'obligation. Ainsi, dans l'arrêt du 7 février 1989, la Cour de cassation censure une cour d'appel qui n'a pas retenu la responsabilité du notaire, chargé par la venderesse de dresser les actes de vente immobilières, et tenu, aux termes de l'article L. 243-2, alinéa 2, du Code des assurances, dans sa rédaction applicable à l'espèce (N° Lexbase : L0305AAK), de faire mention dans le corps de l'acte ou en annexe de l'existence des assurances prévues aux articles L. 241-1 (N° Lexbase : L0300AAD) et suivants du même code, alors que celui-ci n'a pas vérifié l'exactitude des déclarations de la venderesse qui faisait état de la souscription effective des contrats ayant pour objet de garantir les acquéreurs contre les désordres pouvant affecter le bien acquis.
La première chambre civile de la Cour de cassation a, également, précisé que le notaire doit vérifier la qualité de propriétaire du vendeur à l'acte de vente qu'il établit et engage sa responsabilité en se bornant à reprendre, d'un acte antérieur, une origine de propriété qui se révèle erronée (Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.106, F-P N° Lexbase : A9928AXY). De même, le notaire engage sa responsabilité lorsqu'il ne vérifie pas les origines de propriété, la situation hypothécaire ainsi que les déclarations du vendeur, notamment, celles relatives à l'absence de servitudes (Cass. civ. 1, 23 novembre 1999, n° 97-12.595, M. X et autres c/ Caisse des dépôts et consignations, publié N° Lexbase : A7668CIT).
L'arrêt du 16 octobre 2008 apporte sa pierre à l'édifice jurisprudentiel, relatif à la responsabilité du notaire rédacteur d'acte, en précisant que le notaire doit veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution. Ce n'est, toutefois, pas la première fois que la Haute juridiction impose à cet officier ministériel l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue. Ainsi, dans un arrêt du 5 octobre 1999, la Cour de cassation a retenu que le notaire, qui établit un acte de garantie hypothécaire, fût-elle de deuxième rang, a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-14545, Mme Arnaudjouan c/ M. X, publié N° Lexbase : A2322CG4), solution qu'elle avait déjà eu l'occasion d'énoncer quelques années auparavant (Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737, Mme Biglia et autre c/ M. Gros et autre N° Lexbase : A1369AH8).
Mais, l'arrêt du 16 octobre 2008 apporte une précision utile sur l'étendue de l'obligation du notaire en matière d'actes de garanties : il doit s'assurer de la réalisation des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui garantissent l'exécution de l'acte auquel il a prêté son concours. Ainsi, en s'abstenant de procéder aux formalités de publication du nantissement de parts sociales, le notaire a privé l'acte de nantissement d'efficacité.
La solution est de bon sens, les parties n'ont pas à vérifier que le notaire, dont on ne doit pas douter de la compétence, a correctement accompli sa mission.
Toutefois, l'intérêt de l'arrêt du 16 octobre 2008 ne s'arrête pas là. En effet, la Cour régulatrice nous renseigne sur la possibilité pour le notaire, d'une part, de se décharger, en amont, de sa responsabilité, et, d'autre part, de s'en exonérer partiellement, en aval, ou plutôt sur l'impossibilité de partager sa responsabilité eu égard à la qualité de son client.
Ainsi, la Cour de cassation précise-t-elle, tout d'abord, pour la première fois à notre connaissance, que les parties peuvent en convenir autrement et ont donc la possibilité de prévoir dans l'acte de dispenser le notaire de veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à l'efficacité des sûretés. Il s'agit donc, en définitive pour les parties, de consentir au notaire une décharge de sa responsabilité, laquelle, énonce la Haute juridiction doit, bien entendu, être expresse. La précision est importante en théorie, mais nous nous permettons de douter qu'en pratique les parties acceptent l'introduction dans des actes de constitution de sûretés de clauses par lesquelles elles renoncent à leur droit de poursuivre un notaire qui n'aurait pas pleinement rempli les obligations inhérentes à sa fonction.
La première chambre civile, et c'est là, nous semble-t-il, l'apport essentiel de l'arrêt, précise, ensuite, que le notaire doit veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé. Le notaire ne saurait donc exciper de la qualité de son client pour s'exonérer, au moins en partie de sa responsabilité. C'est, d'ailleurs sur ce point que l'arrêt de la cour d'appel est censuré, puisque les juges du second degré avaient considéré qu'il convenait de procéder à un partage de responsabilité compte tenu du fait que la victime de l'absence de publication du nantissement des parts sociales était un établissement de crédit, "professionnel du crédit et des sûretés". Les juges parisiens avaient, dès lors, estimé qu'en cette qualité, le client se devait de vérifier que toutes les formalités, nécessaires à l'efficacité du nantissement qui lui avait été consenti, avaient été accomplies et qu'en l'absence d'une telle vérification il avait commis une négligence, qui avait contribué à son dommage.
La censure est bienvenue. En effet, si dans certains cas (notamment en droit de la consommation) la qualification de client "averti" ou "profane" trouve toute sa justification pour déterminer les obligations de chacun, et parallèlement la responsabilité du professionnel, on ne saurait exiger du client d'un notaire qu'en fonction de ses compétences il fasse preuve de vigilance dans l'accomplissement par l'officier ministériel de la mission qui est la sienne et pour laquelle les parties lui ont fait confiance. Par conséquent, en l'espèce, le préjudice de la banque, né de l'absence de publication du nantissement, est dû à une faute du notaire qui doit donc en réparer l'intégralité.
D'ailleurs, dans le même sens, s'agissant de l'obligation de conseil du notaire, on relèvera que la Cour de cassation a indiqué, dans un arrêt du 3 avril 2007 (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, FS-P+B N° Lexbase : A9109DUW, lire D. Bakouche, Obligation d'information et étendue de la mission du notaire, Lexbase Hebdo n° 257 du 26 avril 2007 édition privée générale N° Lexbase : N8903BAY), que le notaire, professionnellement tenu d'informer et d'éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu'il établit, ne peut être déchargé de son devoir de conseil envers son client par les compétences personnelles de celui-ci. En l'espèce, la compétence des parties ne faisait aucun doute puisque les deux contractants étaient eux mêmes notaires et avaient demandé à l'un de leur confrère d'authentifier leurs accords définitivement conclus entre eux.
L'obligation pour le notaire de s'assurer de l'efficacité des actes auxquels il prête son concours a donc, à l'instar de son obligation de conseil, un caractère absolu.
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