La lettre juridique n°325 du 6 novembre 2008 : Aides d'Etat

[Jurisprudence] La prise en compte des spécificités nationales par le juge communautaire dans le droit des aides d'Etat

Réf. : CJCE, 11 septembre 2008, C-428/06, Unión General de Trabajadores de La Rioja c/ Juntas Generales del Territorio Histórico de Vizcaya et autres (N° Lexbase : A1166EAG) ; TPICE, 22 octobre 2008, T-309/04,TV2 Danmark A/S c/ Commission (N° Lexbase : A8199EAW)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Le droit communautaire, et spécialement la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, reposaient sur une vision top-down de la construction européenne, dans laquelle l'ordre juridique communautaire imposait des obligations qui devaient être strictement exécutées par les différentes composantes des systèmes juridiques nationaux. Le droit communautaire, comme le droit international, dans lequel il plonge ses racines, ne s'embarrassait guère des spécificités nationales. Il adopte une conception monolithique de l'Etat et ne se préoccupe pas de son organisation interne. Dès lors, classiquement, tout organe, fut-il constitutionnellement indépendant, engage la responsabilité de l'Etat membre (1). Cette solution, si elle est totalement logique dans le droit international classique, qui n'impose que des obligations de résultats aux ordres juridiques étatiques, n'est pas totalement convaincante en droit communautaire, car ce dernier leur impose, pour sa part, des obligations de comportement tout à fait précises. A travers ces obligations de comportement, il n'est donc pas indifférent à l'organisation interne de l'Etat. Dès lors, ces obligations de comportement devaient avoir une contrepartie permettant la prise en compte des spécificités nationales. Il y a là, assurément, un changement paradigmatique de la construction européenne qui n'est donc plus seulement top-down mais devient également bottom-up. Bien que ce mouvement témoigne d'un certain retour des Etats, il ne faut pas y voir une régression de la construction communautaire, mais, au contraire, l'élaboration d'un véritable statut de l'Etat membre de l'Union européenne. Le droit des aides d'Etat constitue un terrain tout à fait propice à l'observation de ce phénomène. Le Traité et la jurisprudence retiennent, en effet, une définition très extensive de la notion d'aide d'Etat. Selon l'article 87 du Traité CE , sont concernées "dans la mesure où elles affectent les échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent, ou qui menacent de fausser, la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Pour la Cour, quatre éléments doivent donc être pris en compte : "premièrement, il doit s'agir d'une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence" (2). On devine que dans l'interprétation et l'appréciation des premier et troisième critères, le juge communautaire est inéluctablement appelé à s'intéresser à l'organisation interne de l'Etat membre. En outre, si l'on ajoute que depuis la jurisprudence "Altmark" (3), ne constituent pas des aides d'Etat les compensations de service public, il y a là un autre point d'entrée pour le droit communautaire dans la sphère nationale. Cette idée est illustrée par deux arrêts récents de la Cour de justice et du Tribunal de première instance des Communautés européennes. Le premier concerne les mesures fiscales adoptées par une collectivité territoriale intra-étatique (I), et le second est relatif à l'organisation d'un service d'intérêt économique général (II).

I - Aides d'Etat et autonomie des collectivités territoriales intra-étatiques

Pour qu'il y aide d'Etat, l'entreprise bénéficiaire doit disposer d'un avantage qui a pour conséquence de la favoriser au détriment d'autres opérateurs économiques. La sélectivité est, ainsi, un élément constitutif de l'aide d'Etat (4). Dès lors, se pose la question de savoir si des mesures fiscales adoptées par des collectivités intra-étatiques revêtent, ou non, un caractère sélectif susceptible d'entraîner la qualification d'aides d'Etat. Tel est le problème que tente de résoudre la Cour de justice dans son arrêt du 11 septembre 2008 (C-428/06 à C-434/06). Il s'agissait d'un dispositif d'allégement de l'impôt sur les sociétés adopté par la Communauté du Pays-Basque et ses Territorios Históricos. La question de principe n'était pas totalement inédite puisque la Cour avait, d'ores et déjà, fourni certains éléments dans une affaire précédente dans laquelle était concernée une région ultrapériphérique l'île des Açores (5). Le cadre était, toutefois, assez différent car dans ce type de collectivités intra-étatiques, les mesures fiscales visent à surmonter les handicaps structurels affectant les entreprises de la région en raison du caractère insulaire de celle-ci. Tel n'était pas le cas s'agissant des mesures adoptées par le Pays-Basque.

Pour apprécier la sélectivité de l'aide, la Cour accepte de tenir compte de l'autonomie dont jouit la collectivité intra-étatique (A), mais elle pose des critères très précis pour apprécier cette autonomie (B).

A - La prise en compte de l'autonomie locale

La Cour rappelle d'abord sans ambiguïté que "le cadre de référence ne doit pas nécessairement être défini dans les limites du territoire de l'Etat membre concerné, en sorte qu'une mesure octroyant un avantage dans une partie seulement du territoire national n'est pas, de ce seul fait, sélective au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE" (point n° 47). Car, ajoute-t-elle, "il ne saurait être exclu qu'une entité infraétatique dispose d'un statut de droit et de fait la rendant suffisamment autonome par rapport au Gouvernement central d'un Etat membre pour que, par les mesures qu'elle adopte, ce soit cette entité, et non le gouvernement central, qui joue un rôle fondamental dans la définition de l'environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises" (point n° 48).

Il apparaît, ainsi, que la Cour, comme lui suggérait l'Avocat général Kokott dans ses conclusions (spéc. point n° 55), accepte, au moins implicitement, de concilier deux principes. L'on sait, d'une part, qu'un Etat membre ne saurait se fonder sur des dispositions, des pratiques ou des situations de son ordre juridique interne, y compris celles découlant de l'organisation constitutionnelle de cet Etat, pour justifier l'inobservation des obligations résultant du droit communautaire (6). Mais, d'autre part, l'article 6, paragraphe 3, CE affirme que "l'Union respecte l'identité nationale de ses Etats membres". Surtout, l'Avocat général citait expressément l'article 4, paragraphe 2, CE selon lequel "l'Union respecte l'égalité des Etats membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale".

Se posait, alors, dans la présente affaire, la question de savoir quelle entité intra-étatique devait être prise en compte puisqu'étaient en cause, à la fois le Pays-Basque et les Territorios Históricos qui composent ce même Pays-Basque. Pour la Cour de justice, dans la mesure où le Pays-Basque dispose d'une compétence en matière économique et les Territorios Históricos d'une compétence fiscale, ce sont à ces deux entités qu'il convient de se référer pour apprécier le cadre de référence.

Ensuite, la Cour devait déterminer si le contrôle juridictionnel national à l'égard des mesures prises par ces collectivités intra-étatiques avait un impact sur l'autonomie de ces collectivités. Sa réponse est dépourvue d'ambiguïté : "Le contrôle de légalité a pour fonction de faire respecter les limites préétablies des compétences de différents pouvoirs, organes ou entités de l'Etat, mais non de déterminer ces limites. Ainsi que l'a fait valoir le Gouvernement espagnol lors de l'audience, l'existence d'un contrôle juridictionnel est inhérente à l'existence d'un Etat de droit. Si la jurisprudence des juridictions d'un Etat membre est importante pour connaître les limites des compétences d'une entité infraétatique, c'est en tant que l'interprétation jurisprudentielle fait partie intégrante des normes définissant ces compétences. Toutefois, la décision juridictionnelle se borne à interpréter la norme établissant les limites des compétences d'une telle entité, mais elle ne porte pas atteinte, en principe, à l'exercice de ces compétences à l'intérieur de ces limites. Il s'ensuit que ce sont les normes applicables telles qu'interprétées par les juridictions nationales qui déterminent les limites des compétences d'une entité infraétatique, et doivent être prises en considération pour vérifier si cette dernière dispose d'une autonomie suffisante. En conséquence, il ne saurait être valablement conclu à l'absence d'autonomie d'une entité infraétatique, au seul motif qu'un contrôle juridictionnel est exercé sur les actes adoptés par cette dernière" (points n° 80 à 83).

La Cour devait donc, ensuite, examiner les critères de l'autonomie locale, afin d'apprécier si les mesures revêtaient ou non un caractère sélectif et constituaient donc une aide.

B - Les critères de l'autonomie locale

Pour déterminer si la collectivité intra-étatique est suffisamment autonome et "joue un rôle fondamental dans la définition de l'environnement politique et économique dans lequel opèrent les entreprises" (point n° 55), la Cour de justice retient trois critères : l'autonomie institutionnelle, l'autonomie procédurale et l'autonomie économique.

Sur le critère de l'autonomie institutionnelle, la réponse de la Cour de justice est assez expéditive. Elle juge, en effet, qu' "il ressort de l'examen de la Constitution, du statut d'autonomie et de l'accord économique que des entités infraétatiques telles que les Territorios Históricos et la Communauté autonome du Pays-Basque, dès lors qu'elles sont dotées d'un statut politique et administratif distinct de celui du Gouvernement central, satisfont au critère de l'autonomie institutionnelle" (point n° 87). Appliqué aux collectivités territoriales françaises, l'appréciation de ce critère pourrait-il conclure à la reconnaissance de leur autonomie, dans la mesure où elles ne sont pas véritablement dotées d'un statut politique par la Constitution française ?

Sur le critère de l'autonomie procédurale, la Cour s'attarde, évidemment, plus longuement. Reprenant la jurisprudence "République portugaise c/ Commission des Communautés européennes" (7), elle rappelle que "le critère essentiel pour juger de l'existence d'une autonomie procédurale est non pas l'amplitude de la compétence reconnue à l'entité infraétatique, mais la possibilité pour cette entité, en vertu de cette compétence, d'adopter une décision de manière indépendante, c'est-à-dire sans que le Gouvernement central puisse intervenir directement sur son contenu" (point n° 107). En l'espèce, les collectivités intra-étatiques, en vertu d'un accord passé entre le Gouvernement central et le Pays-Basque, ont l'obligation de communiquer à l'administration centrale les projets de mesures fiscales qu'elles entendent adopter. Une commission de coordination peut-être réunie afin de prévenir les conflits, mais le Gouvernement central ne dispose d'aucun pouvoir coercitif lui permettant d'imposer ses décisions. Par ailleurs, le principe de l'harmonisation fiscale contenu dans l'accord selon lequel la pression fiscale doit être équivalente à celle existant sur l'ensemble du territoire espagnol ne prive pas les Territorios Históricos d'adopter des mesures fiscales distinctes de celles, par ailleurs, applicables en Espagne.

Le critère de l'autonomie économique et financière était le plus difficile à apprécier. Il signifie que la collectivité intra-étatique doit assumer les conséquences financières, économiques et politiques de sa décision. Dès lors, "les conséquences financières d'une réduction du taux d'imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région ne doivent pas être compensées par des concours ou subventions en provenance d'autres régions ou du Gouvernement central" (8). La complexité des relations financières entre le Royaume d'Espagne et le Pays-Basque rend particulièrement délicate l'appréciation de ce dernier critère. La Cour rappelle simplement qu'il "doit exister une compensation, c'est-à-dire un lien de cause à effet entre une mesure fiscale adoptée par les autorités forales et les montants mis à la charge de l'Etat espagnol" (point n° 129). Elle renvoie à la juridiction nationale la détermination de cette compensation, car la réponse dépend de l'interprétation du droit national qui appartient au seul juge national.

Jamais dans la jurisprudence de la Cour de justice n'avait été prise aussi précisément en compte l'organisation constitutionnelle d'un Etat membre pour interpréter le droit communautaire. Au sujet du service public, on retrouve une logique analogue dans l'arrêt du Tribunal de première instance du 22 octobre 2008.

II - Aides d'Etat et définition du service d'intérêt économique général

La Cour de justice estime que les subventions versées par une collectivité publique visant à compenser les pertes d'une entreprise chargée d'une mission de service public ne constituent pas des aides au sens de l'article 87 du Traité CE. Elle juge, en effet, que "de telles subventions sont à considérer comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public" (9).

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du Tribunal de première instance du 22 octobre 2008, la Commission reprochait au Royaume du Danemark différentes mesures qui avaient bénéficié à une chaîne de télévision publique danoise TV 2 et qui constitueraient donc des aides d'Etat prohibées par les articles 87 et suivants du Traité CE. Le Tribunal, conformément à la jurisprudence "Altmark", devait donc se prononcer sur l'existence ou non d'un service public (A) qui ici n'est pas un service public comme les autres, puisqu'il s'agit du service public de la radiodiffusion (B).

A - L'autonomie de l'Etat dans la définition du service d'intérêt économique général

Dans la jurisprudence de la Cour de justice, l'existence d'un service d'intérêt économique général (SIEG) repose sur trois critères : une entreprise, une activité économique, une activité d'intérêt général et l'habilitation par une autorité publique (10). Le critère le plus délicat est, évidemment, celui tiré du caractère d'intérêt général de l'activité en cause. L'activité, bien qu'économique, doit ainsi avoir "un intérêt économique général qui présente des caractéristiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique" (11). Il en va ainsi d'une entreprise investie de l'exploitation de lignes aériennes non rentables (12), d'un office public pour l'emploi (13), du téléphone (14), de la poste (15), de la fourniture d'électricité (16), et même de la gestion de déchets (17). Ne constituent pas, en revanche, des activités d'intérêt général, les activités de transaction bancaire (18) ou la vente de terminaux téléphoniques (19).

Avant même d'examiner ces critères, le Tribunal rappelle ici que "les Etats membres disposent d'un large pouvoir d'appréciation quant à la définition de ce qu'ils considèrent comme des SIEG. Partant, la définition de ces services par un Etat membre ne peut être remise en question par la Commission qu'en cas d'erreur manifeste" (point n° 101). On ne saurait mieux affirmer l'autonomie de l'Etat membre dans la définition du service d'intérêt économique général. Surtout, le Tribunal se réfère pour la première fois dans la jurisprudence communautaire (20) à l'article 16 du Traité CE , selon lequel "sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union, ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent Traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions". On ne saurait, en outre, négliger que selon l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), "l'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union".

L'autonomie des Etats dans la détermination des services d'intérêt économique général est d'autant plus forte pour la radiodiffusion qu'il s'agit d'un secteur sensible.

B - L'autonomie de l'Etat dans le fonctionnement du service public de la radiodiffusion

La Cour de justice avait assez tôt considéré qu'une entreprise audiovisuelle investie d'une mission de service public constituait une activité d'intérêt général (21). Depuis, à l'occasion du Traité d'Amsterdam a été ajouté un protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les Etats membres, selon lequel "la radiodiffusion de service public dans les Etats membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ainsi qu'à la nécessité de préserver le pluralisme dans les médias. [...] Les dispositions du Traité instituant la Communauté européenne sont sans préjudice de la compétence des Etats membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion, dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l'accomplissement de la mission de service public telle qu'elle a été conférée, définie et organisée par chaque Etat membre, et dans la mesure où ce financement n'altère pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt commun, étant entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en compte".

Le Tribunal fait explicitement référence à ce protocole ainsi qu'à la résolution du Conseil et des représentants des Gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil du 25 janvier 1999 concernant le service public de radiodiffusion (22). On retrouve, ici, également de manière latente, le principe selon lequel l'Union respecte l'identité nationale des Etats membres dans la mesure où la radiodiffusion participe de cette identité. Elle est, également, un instrument de la diversité culturelle qui est affirmée à l'article 151 du Traité CE  et surtout à l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux et à l'article 3 du TUE , dans sa version issue du Traité de Lisbonne.

Le Tribunal en déduit donc que "la possibilité, pour un Etat membre, de définir le SIEG de la radiodiffusion en termes larges, comportant la diffusion d'une programmation généraliste, ne saurait être remise en cause du fait que le radiodiffuseur de service public exerce, par ailleurs, des activités commerciales, notamment la vente d'espaces publicitaires" (point n° 107). On appréciera cette affirmation à l'heure où la France s'apprête à supprimer la ressource publicitaire pour les chaînes du service public.

Il apparaît, ainsi, que les modalités de financement ne constituent pas un élément de la définition du service d'intérêt économique général. Il y a là une différence avec le droit administratif français pour qui cet élément soit pris en compte pour la distinction entre le service public administratif et le service public à caractère industriel ou commercial (23).

Le Tribunal laisse finalement une grande marge de manoeuvre aux Etats dans la définition du service public de radiodiffusion. Il rejette l'argument selon lequel TV2 n'est pas une chaîne de service public parce que sa programmation ne se distinguerait pas de celle des chaînes commerciales : car "accueillir cet argument, et faire donc dépendre, au moyen d'une analyse comparative des programmations, la définition du SIEG de la radiodiffusion du périmètre de la programmation des radiodiffuseurs commerciaux, aurait pour effet de priver les Etats membres de leur compétence pour définir le service public. En effet, la définition du SIEG dépendrait, en définitive, des opérateurs commerciaux et de leurs décisions de diffuser ou pas certains programmes. Comme le relève à juste titre TV2 A/S, les États membres, lorsqu'ils définissent la mission du service public de radiodiffusion, ne sauraient être limités par les activités des chaînes de télévision commerciale" (point n° 123).

Cette consécration de l'autonomie de l'Etat dans le droit des aides d'Etat devrait, assurément, gagner d'autres secteurs. Elle témoigne, une nouvelle fois, du fait que l'Union européenne se construit, non pas contre ses Etats membres, mais par ses Etats membres. Elle a certainement pour contrepartie que les Gouvernements de ces mêmes Etats membres ne pourront pas, avec autant d'aisance, faire passer leur volonté politique pour des obligations en provenance de l'Union européenne (24).


(1) CJCE, 5 mai 1970, aff. C-77/69, Commission des communautés européennes c/ Royaume de Belgique (N° Lexbase : A6625AUW), Rec., p. 237.
(2) CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH, en présence de Oberbundesanwalt beim Bundesverwaltungsgericht (N° Lexbase : A2343C9N), Rec., p. I-7747, spéc. n° 75.
(3) Préc..
(4) CJCE, 15 décembre 2005, aff. C-66/02, République italienne c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A9549DLA), Rec., p. I-10901.
(5) CJCE, 6 septembre 2006, aff. C-88/03, République portugaise c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A9475DQY), Rec., p. I-7115.
(6) CJCE, 5 mai 1970, Commission des communautés européennes c/ Royaume de Belgique, préc..
(7) Préc..
(8) CJCE, 6 septembre 2006, République portugaise c/ Commission des Communautés européennes, préc., point n° 67.
(9) CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg, préc., Rec., p. I-7747, spéc. point n° 95.
(10) L. Dubouis et C. Blumann, Droit matériel de l'Union européenne, Paris, Montchrestien, quatrième édition, 2006, n° 944.
(11) CJCE, 10 décembre 1991, aff. C-179/90, Merci convenzionali porto di Genova SpA c/ Siderurgica Gabrielli SpA (N° Lexbase : A9946AUW), Rec. p. I-5889, spéc. point n° 27.
(12) CJCE, 11 avril 1989, aff. C-66/86, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro GmbH c/ Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs e.V. (N° Lexbase : A4536AWW), Rec. p. 803.
(13) CJCE, 23 avril 1991, aff. C-41/90, Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH (N° Lexbase : A0092AWC), Rec. p. I-1979.
(14) CJCE, 13 décembre 1991, aff. C-18/88, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA (N° Lexbase : A8575AU7), Rec. p. I-5941.
(15) CJCE, 19 mai 1993, aff. C-320/91, Procédure pénale c/ Corbeau (N° Lexbase : A9609AUG), Rec. p. I-2533.
(16) CJCE, 27 avril 1994, aff. C-393/92, Commune d'Almelo et autres c/ NV Energiebedrijf Ijsselmij (N° Lexbase : A1667AWN), Rec., p. I-1477.
(17) CJCE, 23 mai 2000, aff. C-209/98, Entreprenorforeningens Affalds/Miljosektion (FFAD) c/ Kobenhavns Kommune (N° Lexbase : A5918AYT), Rec. p. I-3743.
(18) CJCE, 14 juillet 1971, aff. C-10-71, Ministère public luxembourgeois c/ Madeleine Muller, Veuve J.-P. Hein et autres (N° Lexbase : A6698AUM), Rec. p. 723.
(19) CJCE, 13 décembre 1991, Régie des télégraphes et des téléphones c/ GB-Inno-BM SA, préc..
(20) Fait seulement exception, ord. TPICE, 28 mai 2001, Aff. T-53/01, Poste Italiane SpA c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2897AW9), Rec., p. II-1479.
(21) CJCE, 30 avril 1974, aff. C-155/73, Giuseppe Sacchi (N° Lexbase : A6883AUH), Rec. p. 409.
(22) JOUE du 5 février 1999, n° C-30, p. 1.
(23) J.-F. Lachaume, C. Boiteau et H. Pauliat, Droit des services publics, Paris, A. Colin, 3ème édition 2004, p. 64 et s.
(24) M. Lombard, L'Etat schizo, Paris, JC Lattès, 2007.

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