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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques
le 07 Octobre 2010
Nathalie Barbier : Pour commencer, je dois dire que je suis très satisfaite que cette commission, voulue par le Président de la République lui-même, soit présidée par un avocat, Maître Jean-Michel Darrois. Je suis d'autant plus satisfaite que celui-ci est tout à fait représentatif de notre profession, en ce qu'il regroupe ses deux aspects, le conseil et le contentieux : spécialisé en droit des affaires, il appréhende quotidiennement cette matière et, issu de la "Barre", il connaît, également, très bien la vie judiciaire et le prétoire.
Sur le thème même d'une grande profession du droit, j'y suis, bien entendu, très favorable compte tenu notamment du contexte de concurrence qui s'accroît au fur et à mesure que l'Europe s'ouvre. La profession a, en outre, vu son champ d'intervention "grignoté" par d'autres professions n'exerçant pas le droit à titre principal, bénéficiant d'une formation juridique moins solide et qui ne sont pas soumises à une réglementation et une déontologie fortes, les garanties pour le justiciable s'en trouvant, par conséquent, dangereusement amoindries.
LXB : Sur ce sujet d'actualité qu'est la compétitivité entre les différents professionnels du droit, pensez-vous que l'acte sous signature juridique peut être un moyen efficace de rétablir une "saine concurrence" ?
N. B. : Je pense, en effet, qu'outre cette grande profession du droit -si elle venait à être instaurée-, l'avocat dispose d'autres moyens efficaces pour se réapproprier et renforcer son rôle au sein de la société, dont l'acte sous signature juridique. Son introduction en droit positif français est opportune tant sur le terrain de la concurrence entre les professionnels du droit, que sur celui de l'intérêt général.
Il représente, selon moi, un nécessaire "trait d'union" entre l'acte sous seing privé et l'acte authentique. L'importance du premier ne peut être niée ou remise en cause, en ce que, ne nécessitant aucun formalisme, il répond aux impératifs de rapidité imposés, en particulier, par la vie économique. Pour autant, la protection qu'il offre aux justiciables est loin d'être satisfaisante en cas de contentieux. Il n'est pas, non plus, question de remettre en cause l'existence de l'acte authentique, tout comme il n'est pas question de l'étendre aux avocats. Les notaires sont, en effet, habilités à le dresser, parce qu'ils bénéficient d'une délégation de l'Etat pour ce faire, la contrepartie naturelle étant leur défaut d'indépendance vis-à-vis de celui-ci. C'est précisément cette indépendance que l'avocat doit à tout prix conserver.
Il existe toutefois entre ces deux formes d'actes un vide juridique dû, en grande partie, à l'évolution de la société depuis la rédaction du Code civil, et parallèlement, aux évolutions des professions de notaire et d'avocat, ce qui a très bien été démontré lors du colloque dédié à l'acte sous signature juridique, tenu le 11 septembre dernier à Lyon (1). A l'époque, la France, majoritairement rurale, justifiait les trois principaux thèmes abordés dans le Code civil : droit de la famille, des contrats et du patrimoine. Les notaires disposent encore de monopoles d'exercice sur ces matières. Aujourd'hui, ces thèmes ont subi de profondes mutations et les enjeux afférents aux biens et aux valeurs ne sont plus les mêmes, certains de ces monopoles ne se justifiant alors plus. Parallèlement, l'avocat n'est définitivement plus seulement l'"homme du prétoire", mais il est à même d'intervenir sur tous les terrains et à tous les stades. Prenons pour exemple celui des ventes immobilières. La vente d'immeubles ne s'effectue plus, aujourd'hui, comme elle s'effectuait en 1804 : dans la plupart des cas, l'immeuble sera cédé indirectement, comme résultante de la cession des parts de la société civile immobilière qui le détenait. La compétence et la technicité des avocats pour de telles cessions ne peuvent être niées. Il ne peut, non plus, être nié que le notaire, formé par la doctrine, applique le droit lorsque l'avocat, lui, se permet une approche plus pragmatique, en tant que créateur de la jurisprudence, ce qui représente une protection supplémentaire pour le justiciable.
L'acte sous signature juridique doit donc être introduit dans le Code civil pour répondre à ces impératifs de rapidité et de protection renforcée du justiciable. Les parties doivent pouvoir y recourir dans la plupart des domaines de la vie quotidienne et des affaires.
LXB : Lors du colloque dédié à l'acte sous signature juridique, les intervenants ont insisté sur la place que pourrait prendre le RPVA (réseau privé virtuel des avocats) dans le cadre de la conservation des actes. Rejoignez-vous le sentiment selon lequel cet outil est l'avenir de la profession ?
N. B. : Concernant tout d'abord l'acte sous signature juridique, le RPVA aurait indéniablement un rôle central notamment, en effet, en matière de conservation des actes. Sur ce point, pour une fois nous partirions sur un pied d'égalité avec les notaires, qui sont, de leur côté aussi, aux prémices de la technologie et n'ont pas encore exploré et exploité tout ce qu'elle peut offrir en terme de sécurité, rapidité, efficacité...
Plus généralement, ensuite, il me semble que cet outil révolutionnaire est indispensable au bon exercice de notre profession pour les raisons que je viens d'énoncer. Notre Ordre a toujours été très favorable à l'e-barreau et s'est toujours fortement impliqué dans ce projet. Nous avons en effet, dès le départ, constitué un comité de pilotage composé de représentants des magistrats et du Barreau, présidé par Monsieur Philippe Jeannin (Président du tribunal de grande instance de Bobigny) qui a abouti le 6 décembre 2007 à la signature d'une convention locale relative à la communication électronique entre le TGI et l'Ordre. D'abord opérationnel sur trois chambres immobilières, le RPVA se généralise progressivement sur tous les contentieux et, grâce à une communication massive sur le sujet, l'adhésion des cabinets augmente. En tant qu'utilisatrice de ce système, je ne peux que reconnaître sa pleine efficacité et je reste convaincue qu'une fois ancré dans la pratique, personne ne pourra s'en passer, à l'image du télécopieur qui est progressivement apparu et que l'on trouve aujourd'hui dans la quasi-totalité des cabinets.
LXB : Comment l'Ordre des avocats du Barreau de Seine-Saint-Denis aborde-t-il la problématique de la concurrence ?
N. B. : Il est essentiel de communiquer avec le public sur le rôle de l'avocat au sein de la société et, en particulier, sur ses champs d'intervention. Pour ce faire, l'Ordre dispose notamment d'un site internet performant (2) qui expose les différentes composantes de la profession et qui permet également une réelle transparence sur les activités du Barreau. Nous communiquons aussi par le biais de salons, dont celui de décembre 2007 sur le "droit du travail", qui a été un réel succès et dont l'opportunité et la qualité ont été unanimement reconnues par les professionnels. Nous préparons actuellement la deuxième édition de cet événement sur le thème "Avocats & Entreprises" (3) dédié aux compétences des avocats en droit des affaires et à l'accompagnement du chef d'entreprise qu'elles permettent. Il est primordial pour l'Ordre de prendre en compte l'importance de la vie économique de la Seine-Saint-Denis et de son essor, le département étant, en effet, en troisième position en Ile de France en matière de création d'entreprises et d'embauches. Ce salon a pour objectif de favoriser ce développement. L'Ordre a, également, souhaité accompagner les entrepreneurs en leur proposant des consultations gratuites au sein de la Chambre de commerce et d'industrie et de la Chambre des métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis.
L'avocat se doit d'intervenir sur tous les aspects de la vie économique mais également sur tous les aspects de la vie sociale, ceci, bien entendu, pour des raisons de concurrence mais surtout parce que sa mission est une mission d'intérêt général et qu'il est le plus à même de faire respecter les droits des citoyens. Ainsi, la fonction sociale de l'avocat doit également être avancée et développée autant que faire se peut. C'est ce qu'a fait l'Ordre en créant, dans un premier temps, le Collectif de défense des victimes de la catastrophe de Bondy, qui a mis à la disposition des victimes un numéro de téléphone unique et a organisé des consultations pour répondre à une demande immédiate de conseil et d'assistance. Devant la souffrance rencontrée lors de ces consultations, et face aux nombreuses demandes des résidants de Seine-Saint-Denis, le Barreau a décidé, dans un deuxième temps, de créer une Antenne d'Avocats pour l'Assistance et la Défense des Victimes. Cette antenne a pour objectif, via des consultations juridiques dispensées par des avocats gratuitement, de répondre à une demande croissante d'une défense de qualité des victimes et de leur garantir la prise en charge et l'expression de leurs droits, quelles que soient les ressources. Un guide explicatif des droits et réflexes que doivent avoir les victimes est, parallèlement, distribué dans tous les points stratégiques du département. L'Ordre développe et communique, également, sur le thème de la médiation et a, dans ce but, créé un centre de médiation, "Médiation barreau 93", pour un règlement amiable des conflits.
De façon plus générale, il me semble impératif, pour être au plus proche des citoyens et remplir au mieux ses missions, que l'avocat repense le mode d'exercice de sa profession. Toutefois, je suis tout à fait confiante car, à la différence d'autres professionnels du droit, les avocats ont su, depuis plusieurs années, se remettre totalement en question et accepter les nécessaires changements à apporter à leur profession.
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