Réf. : Ass. plén., 9 mai 2008, deux arrêts, n° 05-87.379, M. Jacques Fortin c/ Mme Ana Ratinho, P+B+R+I (N° Lexbase : A4495D8Y) et n° 06-85.751, Mme Angèle Aliotti c/ M. Jean-René Bertoncini, P+B+R+I (N° Lexbase : A4496D8Z)
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par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la faculté de droit de Douai, Centre éthique et procédures
le 07 Octobre 2010
Dans le second, elle approuve, au contraire, les juges du fond d'avoir déclaré la citation directe irrecevable, au motif que "sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l'action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l'infraction. L'action publique n'ayant été mise en mouvement ni par la victime, ni par le ministère public, seule la voie civile était ouverte à la demanderesse pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d'héritière".
Ces deux affaires permettent à la Haute juridiction de trancher une question sur laquelle elle n'avait pas encore eu vraiment l'occasion de se prononcer et de préciser les conditions dans lesquelles les héritiers de la victime d'une infraction sont recevables à former une action civile devant la juridiction répressive en réparation du dommage subi par leur auteur décédé. Il ressort des arrêts susvisés que, si l'héritier peut former une action civile devant le juge répressif pour obtenir réparation du préjudice subi par le défunt du fait de l'infraction, c'est à la condition que l'action publique ait été mise en mouvement préalablement par celui-ci de son vivant ou encore par le ministère public. Si tel n'est pas le cas, l'héritier se voit dénier le droit de mettre lui-même en mouvement l'action publique, la voie civile lui restant seule ouverte.
Les arrêts d'Assemblée plénière constituent une avancée certaine dans la construction jurisprudentielle relative aux conditions de mise en oeuvre de l'action civile des héritiers. La solution retenue n'est pas sans incidence sur la nature de l'action civile, dont la nature vindicative ressort un peu plus encore à la suite de ces deux arrêts.
I - Les héritiers de la victime d'une infraction possèdent deux actions différentes susceptibles d'être portées devant la juridiction pénale : ils peuvent exercer l'action civile en tant que proches de la victime immédiate de l'infraction. Ils forment, alors, leur action en tant que victime indirecte, ou par ricochet, pour obtenir réparation du préjudice dont ils ont personnellement et directement souffert du fait de l'infraction (Cass. crim., 9 février 1989, n° 87-81.359, Société Ford France et autre N° Lexbase : A9201AAZ, Bull. crim. n° 63 ; Cass. crim., 4 février 1998, n° 97-80.305 N° Lexbase : A2994ACU, D., 1999, jur. p. 445, note Bourgault-Coudevylle, pour une enfant née à la suite du viol incestueux commis sur sa mère et qui demandait réparation du préjudice personnel qu'elle subissait du fait de l'infraction). Mais ils peuvent également exercer l'action civile au titre de l'action successorale. Ce droit d'action, né de la dette de réparation découlant de l'infraction, est transmis aux héritiers avec le patrimoine du défunt. Il s'agit alors pour l'héritier de demander réparation non pas du préjudice qu'il subit personnellement du fait de l'infraction mais du préjudice personnel subi par le défunt. C'est de cette dernière action dont il était question dans les arrêts commentés.
Le principe de la transmissibilité à l'héritier du droit à réparation pour les différents préjudices, tant matériel que physique ou moral subis par le défunt, est depuis longtemps acquis en jurisprudence lorsque le de cujus a engagé l'action de son vivant (Cass. crim., 30 octobre 1957, Bull. crim., n° 681 ; Cass. crim., 4 décembre 1963, n° 63-90.310 N° Lexbase : A1053CG4, Bull. crim., n° 348 ; Cass. crim., 30 janvier 1964, n° 63-91.758 N° Lexbase : A5144CKQ, Bull. crim., n° 39). La Cour de cassation fonde sa solution sur la nature du droit à réparation, lequel "est un droit patrimonial, né dans le patrimoine de la victime à la date du dommage et transmis à l'ayant cause universel, héritier ou légataire, qui continue la personne de son auteur". En revanche, la question de la transmission par voie successorale de l'action en réparation d'un préjudice moral, lorsque la victime n'a pas agi de son vivant a suscité plus de difficultés. Contrairement aux chambres civiles, la Chambre criminelle a refusé, dans un premier temps, de l'admettre en se fondant sur son caractère personnel lequel faisait obstacle, selon elle, à sa transmission lorsque la victime directe de l'infraction n'avait pas pris l'initiative d'agir de son vivant. La question fut finalement résolue en Chambre mixte. Par deux arrêts rendus le 30 avril 1976, la Cour de cassation posait le principe de la transmission aux héritiers de l'action en réparation du préjudice moral ou d'affection subi par la victime du fait de l'infraction, que cette dernière ait ou non engagé l'action de son vivant (Cass. mixte, 30 avril 1976, deux arrêts, n° 73-93.014, Consorts Goubeau c/ Alizan N° Lexbase : A5436CKK et n° 74-90.280, Epoux Wattelet c/ Le Petitcorps N° Lexbase : A5437CKL, D., 1977, jur. p. 185, note Contamine-Raynaud ; solution identique pour le Conseil d'Etat : CE contentieux, 29 mars 2000, n° 195662, Assistance publique - Hôpitaux de Paris N° Lexbase : A9680B8Z). La Chambre criminelle se conforme depuis à cette jurisprudence. En admettant, dans la première affaire, la recevabilité de l'action civile des héritiers alors même "que le défunt, informé des faits, n'avait jamais déposé plainte de son vivant ni même manifesté l'intention de le faire", la Haute juridiction ne fait que réaffirmer une solution antérieurement dégagée. De ce point de vue, les arrêts d'Assemblée plénière du 9 mai 2008 n'apportent rien de bien nouveau.
L'apport des arrêts d'Assemblée plénière se situe à un autre niveau. Dans les différentes espèces ayant donné lieu aux arrêts de Chambre mixte et dans les arrêts ultérieurs, l'action des héritiers était toujours intervenue alors qu'une procédure avait déjà été préalablement engagée par le ministère public. Si bien que jamais véritablement avant les arrêts de mai 2008, la Cour de cassation n'avait eu l'occasion de se prononcer expressément sur la recevabilité de l'héritier à déclencher l'action publique par voie de constitution de partie civile ou de citation directe pour la réparation des préjudices matériels et moraux subis par son auteur.
En d'autres termes, si l'héritier recueille avec la succession du défunt le droit de pouvoir engager une action en réparation du préjudice personnel subi par le de cujus lorsque les poursuites sont déjà engagées, doit-on considérer qu'il dispose également du droit de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile ou par voie de citation directe devant une juridiction de jugement ?
Certes, un arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 27 avril 2004 (Cass. crim., 27 avril 2004, n° 03-87.065, F-P+F N° Lexbase : A1730DC3, Bull. crim., n° 96), préfigurait déjà la solution adoptée par l'Assemblée plénière. Mais celui-ci, en raison de la particularité des faits de l'affaire (violences pratiquées par une fille sur sa mère âgée, ayant abouti à des hématomes et une incapacité de travail de 6 jours, action du frère après décès de la mère), laissait encore quelques hésitations sur la portée de la solution énoncée. Celle-ci ne fait plus aucun doute aujourd'hui. Ainsi, dans le second arrêt, l'Assemblée plénière énonce très clairement que "le droit de la partie civile de mettre en mouvement l'action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l'infraction" et que, lorsque "l'action publique n'a été mise en mouvement ni par la victime, ni par le ministère public", comme c'était le cas en l'espèce, "seule la voie civile est encore ouverte à l'ayant droit' pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d'héritière".
II - La solution énoncée s'explique sans aucun doute par la nature de l'action civile, dont le double visage a souvent été souligné. Au-delà de sa fonction réparatrice, l'action civile reconnue à la victime pénale possède indéniablement une fonction vindicative. C'est cette double nature qui en fait toute la spécificité si on la compare à l'action civile ouverte devant la juridiction civile. A cette double nature correspond une dualité d'objet : un objet pénal, d'une part, contenu dans l'acte de constitution de partie civile. Il s'agit pour la victime de contribuer à l'accusation, d'unir ses efforts à ceux du ministère public pour obtenir la punition de l'auteur de l'infraction et l'application d'une peine. Un objet civil, d'autre part, constitué par la demande en réparation et qui tend à devenir presque accessoire tant le caractère vindicatif de l'action civile est désormais accusé. Au point qu'il est admis que la recevabilité de l'action civile n'est pas subordonnée à ce que la victime ait formulé une demande de dommages et intérêts, laquelle est seulement facultative, conformément à l'article 418, alinéa 2, du Code procédure pénale (N° Lexbase : L3825AZP). La Cour de cassation reconnaît que l'intervention de la partie civile dans le procès pénal puisse n'être motivée que par le seul souci de corroborer l'action publique et d'obtenir que soit établie la culpabilité du prévenu. Et c'est pourquoi, il importe peu que la réparation du dommage causé par l'infraction échappe à la compétence de la juridiction répressive (Cass. crim., 8 juin 1971, n° 69-92311, Panas, Fabet c/ Epoux Boussard N° Lexbase : A6092CGQ, Bull. crim., n° 182 -exemples : accidents du travail, fonctionnaires-). Loin de s'atténuer, cette tendance n'a fait que s'accentuer dans la période récente (cf. les différentes lois, depuis 2000, ayant favorisé le passage de victime à celui de partie civile comp. avec la loi du 5 mars 2007 [loi n° 2007-291, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale [LXB= L5930HU8]] qui a cantonné la recevabilité de la constitution de partie civile en matière délictuelle ; cf. aussi l'article 132-24 du Code pénal N° Lexbase : L8957HZR qui, parmi les finalités de la peine, range la sauvegarde des droits de la victime). Au point que plus personne n'oserait prétendre que les droits de la victime ne sont pas devenus un objet essentiel du procès pénal. La dernière loi, votée au Parlement le 1er juillet 2008 (loi n° 2008-644, créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines N° Lexbase : L5399H74), destinée à faciliter l'indemnisation des victimes, en est une nouvelle preuve après la création à l'automne dernier d'un juge délégué aux victimes (JUDEVI). Eu égard à la place sans cesse grandissante des victimes au procès pénal, on peut comprendre que l'Assemblée plénière, dans ses arrêts du 9 mai 2008, ait souhaité limiter le nombre des personnes susceptibles de poursuivre l'accusation, en réservant cette faculté aux seules victimes directes ayant personnellement souffert de l'infraction. La solution retenue s'inscrit d'ailleurs parfaitement dans la ligne de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui rappelle de manière constante que "l'exercice de l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être enfermé dans les limites strictes posées par le Code de procédure pénale, et en particulier dans celles que fixe l'article 2 du Code de procédure pénale" (Cass. crim., 8 juillet 1958).
Le fondement retenu par l'Assemblée plénière pour dénier aux héritiers le droit de déclencher l'action publique est particulièrement intéressant. Selon elle, l'objet pénal de l'action civile contenu dans l'acte de constitution de partie civile doit s'analyser en un droit personnel attaché à la seule qualité de victime pénale, entendue dans un sens strict, et qui donc ne serait pas transmissible par voie successorale. Seul l'objet civil, né de la dette de réparation, droit patrimonial, serait transmissible. Ce qui revient à analyser le droit d'action civile de la victime comme un droit de la personnalité, qui serait inhérent à la qualité de victime pénale, entendue au sens de l'article 2 du Code de procédure pénale, et comme tel intransmissible. Au même titre qu'existe, pour le prévenu ou l'accusé, le droit à la présomption d'innocence, qui comme chacun sait est désormais protégé à l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) au titre des droits de la personnalité.
La difficulté sera, sans doute, de justifier cette étrangeté qui consistera pour l'héritier, dans certains cas, en la possibilité de contourner l'obstacle en se constituant partie civile par voie d'action en tant que proche de la victime immédiate de l'infraction décédée, pour demander réparation de son préjudice personnel (mais encore faut il qu'il en est un !). Puisqu'alors, le droit de poursuivre l'accusation lui est reconnu. Puis une fois l'action publique déclenchée, de se constituer partie civile par voie d'intervention au titre de l'action successorale pour demander réparation du préjudice souffert par le défunt.
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