La lettre juridique n°298 du 27 mars 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Le pacsé n'est pas un conjoint

Réf. : Cass. civ. 2, 5 mars 2008, 5 arrêts, n° 08-60.229, F-P+B (N° Lexbase : A3429D77), n° 08-60.231, F-D (N° Lexbase : A3431D79), n° 08-60.232, F-D (N° Lexbase : A3432D7A), n° 08-60.228, F-D (N° Lexbase : A3428D74) et n° 08-60.230, F-D (N° Lexbase : A3430D78)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Par une salve de cinq arrêts rendus le 5 mars 2008, la Cour de cassation confirme la radiation de cinq personnes des listes électorales d'une commune corse, au motif qu'elles ne peuvent prétendre à la qualité de conjoint d'un contribuable, étant seulement liées à ce dernier par un pacte civil de solidarité. La Cour affirme solennellement, par un attendu identique dans les différents arrêts, que "les conjoints étant, en l'état de la législation française, les personnes unies par les liens du mariage, les dispositions de l'article L. 11, 2° du Code électoral (N° Lexbase : L0552HWD) en faveur du conjoint ne s'étendent pas aux personnes vivant maritalement et ne peuvent être invoquées par le partenaire d'un pacte civil de solidarité". Enjeu de la définition du conjoint. La définition de la notion de conjoint donnée par la Cour de cassation dans ces cinq arrêts va bien au-delà de l'enjeu particulier du litige, initié par des électeurs. Elle s'applique évidemment au droit de la famille et plus généralement à toutes les hypothèses, nombreuses, dans lesquelles le conjoint bénéficie d'un avantage particulier. On peut, à titre d'exemple, citer évidemment le droit de la nationalité, le droit du travail ou de la Sécurité sociale. En droit de la famille, la question de savoir si la notion de conjoint pouvait être étendue à la personne liée par un pacte civil de solidarité s'est particulièrement posée en matière d'adoption. L'adoption de l'enfant du conjoint fait, en effet, l'objet de dispositions particulières permettant, notamment, d'éviter le transfert de l'exercice de l'autorité parentale du parent par le sang à l'adoptant. Les concubines homosexuelles, liées par un pacte civil de solidarité, ont tenté d'obtenir, par analogie, le bénéficie de ces dispositions spécifiques. Certains juges du fond ont abondé dans leur sens (1), n'hésitant pas considérer que le partenaire d'un pacte civil de solidarité devait être assimilé au conjoint pour ce qui est des effets de l'adoption de l'enfant de son partenaire, permettant ainsi un partage de l'autorité parentale entre le parent par le sang et l'adoptant.

Le contentieux électoral, qui relève de la compétence du juge judiciaire en vertu des dispositions du Code électoral, fournit à celle-ci l'occasion de définir le conjoint de manière restrictive (I), ce qui n'est pas sans susciter des interrogations quant à la possible discrimination que le statut privilégié de celui-ci est susceptible de provoquer (II).

I - Une définition stricte du conjoint

Un conjoint est un époux. La formule de la Cour de cassation ne laisse place à aucune ambigüité : "en l'état de la législation française", les conjoints sont obligatoirement des époux. La précision relative à l'état actuel de la législation française, constitue un rappel de la limite du rôle du juge qui ne saurait donner à une notion contenue dans des dispositions légales, une définition qui ne correspond ni à la lettre, ni à l'esprit des textes.

Exclusion du pacsé. Cette définition légaliste que l'on trouvait déjà dans un arrêt de la cour d'appel de Riom du 27 juin 2006 (2), rendu à propos de l'adoption de l'enfant de la concubine (cf. supra TGI de Clermont-Ferrand qu'elle infirme), a évidemment un effet exclusif : les personnes qui ne sont pas liées par les liens du mariage ne sont pas des conjoints. Il en va ainsi des simples concubins, mais également des personnes liées par un pacte civile de solidarité qui ne saurait être assimilé au mariage, même si la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (loi portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4) a largement rapproché ces deux modes de conjugalité. Il n'en reste pas moins que l'extension d'un effet du mariage aux autres formes de couples, concubins ou pacsés, nécessite une modification du texte qui le prévoit. Tel n'était pas le cas de l'article L. 11, 2° du Code électoral qui visait le seul conjoint. Il était, par conséquent, tout à fait illégal d'admettre que la personne liée par un pacte civil de solidarité à un contribuable de la commune puisse bénéficier, en qualité de conjoint, d'une inscription sur les listes électorales de ladite commune. Il en va différemment lorsque le texte vise non pas précisément le conjoint, mais plus largement les membres de la famille. La Cour de cassation a ainsi pu appliquer au partenaire d'un pacte civil de solidarité conclu avec un fonctionnaire, l'article L. 30 du Code électoral (N° Lexbase : L2668AA3) qui permet à ce dernier, et aux membres de sa famille domiciliés avec lui, d'être inscrits sur les listes électorales en dehors des périodes de révision de celles-ci en cas de départ à la retraite ou de mutation (3).

Les arrêts du 5 mars 2008 incitent à se demander si une telle différence de traitement entre conjoint et partenaire d'un pacte civil de solidarité peut être qualifiée de discrimination et par voie de conséquence contestée.

II - Une possible discrimination

Pouvoir du juge d'écarter la loi. Le constat d'une discrimination permettrait au juge -à condition qu'on le lui demande- d'écarter la loi qui la contient sur le fondement de dispositions supra-législatives et particulièrement de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQU) (4). Dans les arrêts du 5 mars 2008, la Cour de cassation aurait pu considérer que la différence de traitement entre le conjoint et le signataire d'un pacte civil de solidarité, était injustifiée et passer outre la lettre du texte (5). Encore aurait-il cependant fallu qu'elle admette que le conjoint et le partenaire étaient placés dans une situation identique ou analogue.

Absence de situation analogue. La discrimination se définit comme une différence de traitement entre personnes placées dans une situation analogue. Il s'agit donc de savoir si l'époux et le partenaire étaient dans la même situation au regard du Code électoral. Seule une réponse positive permettrait de conclure à une discrimination entre l'un et l'autre. Or, le mariage implique très clairement une obligation de communauté de vie (C. civ., art. 215 N° Lexbase : L2383ABU), qui parait plus discutable entre les partenaires d'un pacte civil de solidarité nonobstant la formule de l'article 515-1 du Code civil (N° Lexbase : L8514HWA), selon lequel le pacs est un contrat conclu entre deux personnes pour organiser leur vie commune. Il ne paraît donc pas tout à fait illogique qu'une disposition fondée sur la résidence commune des deux membres du couple soit réservé aux époux, même si on pourrait considérer que, dans la majeure partie des hypothèses les personnes liées par un pacte civil de solidarité vivent ensemble. Plus généralement, le Conseil d'Etat (6), comme la Cour de justice des Communautés européennes (7) ont admis que le législateur pouvait légitimement réserver aux époux certains avantages, justement accordés en raison du mariage et de ses spécificités.

Adoption de l'enfant du conjoint ou du concubin. Il n'en va, toutefois, pas de même dans toutes les hypothèses dans lesquelles le conjoint et le concubin sont traités de manières différentes. C'est sans doute le cas en matière d'adoption de l'enfant du conjoint ou du concubin. Lorsque ce dernier partage le quotidien de l'enfant concerné depuis plusieurs années, voire parfois depuis sa naissance et même avant -c'est le cas des concubines qui ont formé ensemble un projet commun d'enfant-, sa situation est équivalente à celle d'un époux. Il est difficile d'admettre que l'adoption de l'enfant par le concubin, qui plus est lié par un pacte civil de solidarité au parent de l'enfant, ait les mêmes effets que l'adoption de l'enfant par un étranger, alors que ces effets sont très différents lorsque l'adoptant est marié avec le parent de l'adopté. Dans l'arrêt "Emonet c/ Suisse" du 13 décembre 2007 (CEDH, 13 décembre 2007, Req. 39051/03 N° Lexbase : A0601D3N) (8), la Cour européenne des droits de l'Homme énonce clairement que la différence de régime entre l'adoption de l'enfant du conjoint et l'adoption de l'enfant du concubin "n'est plus forcément pertinente de nos jours et qu'il convient d'aller vers une adoption par le concubin du parent de l'enfant qui ne fasse pas perdre à ce dernier ses droits à l'égard de son enfant".

Congés pour évènements familiaux. Le cantonnement de certains privilèges au conjoint en matière de congés familiaux a également été qualifié de discrimination par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Selon la HALDE, "les dispositions de la convention collective qui réservent le bénéfice de congés pour événements familiaux aux seuls salariés mariés et qui instituent une prime liée au mariage doivent être considérées comme constituant une discrimination en raison de la situation de famille des salariés" (9).

Harmonisation ponctuelle. Le législateur procède, pas à pas, matière par matière à une extension des dispositions relatives au conjoint au signataire d'un pacte civil de solidarité. La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999, relative au pacte civil de solidarité, avait, dès l'origine, prévu cette extension en matière de bail, de congés familiaux, de prestations sociales, ou encore de rapprochement de fonctionnaires (10). Des lois subséquentes ont poursuivi cette harmonisation, notamment, en matière de droit de mutation à titre gratuit (11) ou d'imposition sur le revenu (12). Il reste, cependant, encore des domaines dans lesquels le statut du conjoint n'est pas applicable au partenaire pacsé, particulièrement en droit de la nationalité et des étrangers.

Les arrêts de la Cour de cassation du 5 mars 2008 pourraient être interprétés comme une incitation du législateur à gommer toute différence de traitement en matière électorale...


(1) TGI de Clermont-Ferrand, 24 mars 2006, AJ, Famille, 2006, p. 2456, obs. F. Chénédé.
(2) Dr. fam., 2006, comm. n° 204, obs. P. Murat ; Gaz-pal., 15-16 septembre 2006, p. 6, note C. Mécary.
(3) Cass. civ. 2, 25 mars 2004, n° 04-60.134, M. François Nestor André Raucq, FS-P+B (N° Lexbase : A6267DBQ), RTDCiv., 2004, p. 489, obs. J. Hauser.
(4) Voir, par exemple, l'extension de l'action en retranchement de l'article de l'article 1527 du Code civil (N° Lexbase : L1026ABM) à l'enfant naturel : Cass. civ. 1, 29 janvier 2002, n° 99-21.134, Mlle Virginie Rolland c/ Mme Micheline Fourtier, FS-P (N° Lexbase : A8624AXP), Dr. fam., 2002, comm. n° 45, obs. B. Beignier.
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 8 juillet 2005, n° 267636, M. Gilland (N° Lexbase : A0054DK9), qui déclarait illégal un arrêté n'ayant pas tiré les conséquences de la loi du 15 novembre 1999 (loi n° 99-944, relative au pacte civil de solidarité N° Lexbase : L7500AIM) et accordé au partenaire les mêmes avantages qu'au conjoint, D., 2006, p. 1422, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTDCiv., 2005 p. 760, obs. J. Hauser.
(6) CE 28 juin 2002, n° 220361, M. Villemain (N° Lexbase : A0211AZT), AJDA, 2002, p. 586 ; JCP éd. G, 2003, I, 101, obs. H. Bosse-Platière.
(7) CJCE, 31mai 2001, aff. C-122/99, D. et Royaume de Suède c/ Conseil de l'Union européenne (N° Lexbase : A5932AYD), AJDA, 2001, p. 941 ; D., 2001 p. 3380, note C. Nourrissat et A. Devers.
(8) JCP éd. G, 2008, I, 110, obs. F. Sudre ; AJ, Famille, 2008, p. 76, obs. F. Chénédé.
(9) Délibération n° 2007-366 du 11 février 2008 (N° Lexbase : X0539AEP).
(10) JO n° 265 du 16 novembre 1999, p. 16959.
(11) Loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (N° Lexbase : L2417HY8).
(12) Loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005 (N° Lexbase : L5203GUA).

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