La lettre juridique n°298 du 27 mars 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] L'impossibilité pour le transporteur tenu d'une obligation de sécurité de résultat de s'exonérer partiellement de sa responsabilité

Réf. : Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-12.551, Mme Nouria Ibouroi, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3908D7U)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

La mise en oeuvre de la responsabilité civile du transporteur a suscité de nombreuses interrogations, portant pour l'essentiel sur le domaine et la nature, contractuelle ou délictuelle, de la responsabilité. La jurisprudence, après avoir, selon la formule consacrée, "découvert" dans le contrat de transport une obligation de sécurité à la charge du transporteur (1), a précisé que cette obligation contractuelle de sécurité n'existe que pendant l'exécution du contrat de transport, c'est-à-dire à partir du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jusqu'au moment où il achève d'en descendre (2). Et elle a finalement décidé, après quelques hésitations, que, en dehors de l'exécution du contrat, la responsabilité du transporteur à l'égard du voyageur est soumise aux règles de la responsabilité délictuelle (3). Tout cela est suffisamment connu pour ne pas avoir à y insister davantage. Des incertitudes demeuraient cependant sur le point de savoir à quelles conditions le débiteur pouvait s'exonérer de sa responsabilité et, plus précisément, quelle était l'incidence de la faute de la victime ? Sans doute le fait de la victime exonère-t-il totalement le débiteur lorsqu'il présente les caractères de la force majeure ; mais qu'en est-il dans l'hypothèse dans laquelle le fait de la victime ne constitue pas un cas de force majeure : le débiteur est-il partiellement exonéré ? Ou bien n'est-il pas du tout exonéré ? Nul n'ignore que ces questions se sont posées en matière délictuelle à propos, notamment, de la mise en oeuvre de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS). Et l'on sait que la jurisprudence, en dehors de ce que l'on pourrait familièrement appeler "l'épisode Desmares", décide que la faute de la victime qui ne présente pas les caractères de la force majeure exonère partiellement le gardien (4). La solution a paru moins évidente sur le terrain contractuel. L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 mars dernier, à paraître au Bulletin et en ligne sur le site de la Cour, apporte en tout cas une réponse très nette à cette question.

En l'espèce, le passager d'un train était descendu sur le quai d'une des gares desservies pendant le parcours et, tombé sous le convoi en tentant de remonter précipitamment dans le wagon tandis qu'il commençait à s'ébranler, avait eu la jambe sectionnée au-dessus du genou. Il avait, dans ces circonstances, assigné la SNCF en réparation de son préjudice. Les juges du fond, pour décider d'un partage de responsabilité et, donc, ne condamner le transporteur qu'à réparer à hauteur de la moitié le préjudice subi, avaient fait valoir, d'une part, que la victime avait commis une faute en tentant de remonter dans le train qui était alors en marche et, d'autre part, que, de son côté, la SNCF n'avait pas mis en place les moyens suffisants destinés à éviter ce type d'accident (absence de système interdisant l'ouverture des portes pendant la marche, absence de système permettant de visualiser et surveiller l'ensemble du quai et du train, absence d'avertissement sonore préalable de départ, absence d'un nombre suffisant d'agents sur le quai, etc.). En somme, les juges, qui, certes, avaient considéré que la victime avait bien commis une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage, s'étaient efforcés de démontrer, en caractérisant un certain nombre de manquements imputables au transporteur, que la faute de la victime ne présentait pas les caractères de la force majeure et n'était pas la cause exclusive de l'accident. On sait en effet que, selon la jurisprudence, le transporteur ne peut s'exonérer de son obligation de sécurité qu'en démontrant que l'accident est dû à la faute exclusive de la victime présentant le caractère de la force majeure (5).

Mais, ici, la question n'était pas de savoir si la faute de la victime, qui en tant que telle n'était d'ailleurs pas discutée, présentait ou non les caractères de la force majeure totalement exonératoire pour le transporteur. En tout état de cause, on peut raisonnablement penser que la faute de la victime ne présentait pas de tels caractères et n'était donc pas susceptible de produire un effet totalement exonératoire pour le débiteur. La rigueur de la jurisprudence à l'égard de la SNCF ne fait d'ailleurs sans doute que conforter cette appréciation (6). En réalité, la question était de savoir quel pouvait être, à l'égard du débiteur, l'effet de la faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure. Et les juges du fond avaient considéré que la faute de la victime, dans l'hypothèse dans laquelle elle ne constituerait pas un cas de force majeure, exonère partiellement le débiteur de sa responsabilité. Leur décision est cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1276ABU) : la Haute juridiction affirme en effet, dans un attendu de principe, "qu'en statuant ainsi, quand le transporteur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers un voyageur ne peut s'en exonérer partiellement et que la faute de la victime, à condition de présenter le caractère de la force majeure, ne peut jamais emporter qu'une exonération totale, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

La solution est importante. On enseignait, en effet, traditionnellement que "si le fait [non fautif] du créancier n'est pris en considération que s'il présente les caractères de la cause étrangère et, en conséquence, entraîne exonération totale du débiteur, le fait non imprévisible ni inévitable du créancier peut constituer une cause d'exonération partielle, s'il présente un caractère fautif" (7). Dans l'hypothèse des rapports transporteurs/voyageurs, ces solutions sont remises en cause par l'arrêt commenté qui exclut catégoriquement toute exonération partielle du débiteur d'une obligation contractuelle de sécurité de résultat. Autrement dit, l'exonération du débiteur obéit dans ce cas de figure, pour reprendre la formule évocatrice qui avait été utilisée par monsieur le Professeur G. Durry à la suite de l'arrêt "Desmares", au système du "tout ou rien" : ou bien exonération totale si la faute de la victime constitue une cause étrangère ; pas d'exonération du tout si cette faute ne constitue pas une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure. Les solutions ne sont donc pas les mêmes, à présent, sur le terrain contractuel -lorsque l'obligation est de sécurité de résultat- et sur le terrain délictuel.

Il ne faut sans doute pas s'en étonner outre mesure. Tout un courant de pensée fait en effet valoir, depuis quelques années déjà, qu'il y a une certaine injustice "à sanctionner des victimes, déjà affligées par le dommage souffert et souvent lourdement frappées dans leur chair, alors que le responsable assuré ne supportera pas les conséquences de ses fautes" (8). Aussi bien a-t-on proposé de ne reconnaître d'effet exonératoire partiel qu'à la faute grave ou même inexcusable (9). Il faut relever que ces considérations ont emporté l'adhésion des rédacteurs de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription. Ils ont, en effet, décidé que, "en cas d'atteinte à l'intégrité physique, seule une faute grave peut entraîner une exonération partielle" (projet art. 1351 nouv. C. civ.). L'arrêt commenté du 13 mars dernier s'inscrit bien  dans cette tendance.


(1) Cass. civ., 21 novembre 1911, Compagnie Générale Transatlantique c/ Zbidi Hamida ben Mahmoud (N° Lexbase : A8928C88), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, n° 262.
(2) Cass. civ. 1, 1er juillet 1969, n° 67-10.230, SNCF c/ Caramello (N° Lexbase : A2255AZK), Bull. civ. I, n° 260 ; Cass. civ. 1, 15 juillet 1999, n° 97-10.268, Compagnie British Airways c/ M A Mohamed et autres (N° Lexbase : A5131AWX), Bull. civ. I, n° 242.
(3) Cass. civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-11.493, M. Valverde c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et autres (N° Lexbase : A8872AAT), Bull. civ. I, n° 118, D., 1991, p. 1, note Ph. Malaurie.
(4) Cass. civ. 2, 6 avril 1987, n° 85-12833, Mme Chauvet c/ Consorts Lutgen (N° Lexbase : A3033CGG), Bull. civ. II, n° 86, JCP éd. G, 1988, II, 20828, note F. Chabas ; Cass. civ. 2, 8 mars 1995, n° 93-14.059, M. Manovelli c/ Epoux Quilichini et autres (N° Lexbase : A7711AB9), Bull. civ. II, n° 82.
(5) Cass. civ. 1, 26 juin 1990, n° 88-12.937, SNCF c/ Mme Rouches et autre (N° Lexbase : A4868AAK), Bull. civ. I, n° 181.
(6) Voir, not., Cass. civ. 1, 2 avril 1996, n° 93-17.181, Mme Bekkrar c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et autre (N° Lexbase : A9378ABX), Bull. civ. I, n° 170 ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n° 98-20.635, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Peyronnaud (N° Lexbase : A3741AU4), Bull. civ. I, n° 323 ; Cass. civ. 1, 3 juillet 2002, n° 99-20.217, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ Joseph Tassito, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0623AZ4), Bull. civ. I, n° 183 ; Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-10.783, Société nationale des chemins de fer français (SNCF), P+B (N° Lexbase : A5231DSK), et nos obs., La subsistance d'ambiguïtés dans l'appréciation de la force majeure exonératoire de responsabilité en matière contractuelle, Lexbase Hebdo n° 239 du 7 décembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N2815A97).
(7) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 584, p. 575 ; comp. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., n° 958, p. 516, selon lesquels "lorsqu'il existe à la fois faute du créancier et faute du débiteur, il n'y a exonération partielle du débiteur que si le fait de la victime constitue, quelle que soit la nature de l'obligation contractuelle, une faute relativement grave".
(8) G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 3ème éd., n° 426, p. 328.
(9) Voir not., en ce sens, les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) en matière d'accidents de la circulation, spéc. art. 3.

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