La lettre juridique n°295 du 6 mars 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Retour sur quelques éléments de la procédure de licenciement

Réf. : Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.949, Société Aquipose, FP-P+B (N° Lexbase : A0558D7S)

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N3481BEN

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Par un arrêt rendu par la Chambre sociale le 20 février 2008, la Cour de cassation effectue quelques rappels relatifs à la procédure de licenciement devant être mise en oeuvre lorsque un salarié est déclaré inapte à la suite d'un accident du travail sans pouvoir être reclassé. L'employeur doit, tout d'abord, s'astreindre aux règles de droit commun de la procédure de licenciement et, particulièrement, respecter un délai de cinq jours ouvrables entre le moment de la convocation et celui de l'entretien préalable au licenciement. La Cour de cassation réitère la règle de principe en la matière, ceci en parfaite conformité avec les règles de droit commun de computation des délais (I). L'employeur doit, ensuite, respecter la procédure spéciale des articles L. 122-32-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1371G9N). Parmi ces règles, figure l'obligation de consulter la délégation du personnel au sujet de l'éventuel reclassement du salarié, obligation qui ne doit pas être influencée par la reconnaissance, au cours de la procédure judiciaire, d'une unité économique et sociale (II).
Résumé

Selon l'article 122-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74), l'entretien préalable au licenciement ne peut intervenir moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre de convocation. Il en résulte que le salarié doit disposer d'un délai de cinq jours pleins pour préparer sa défense, si bien que le jour de remise de la lettre ne compte pas dans le délai, ni même le dimanche, qui n'est pas un jour ouvrable.

La décision judiciaire reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date de la requête introductive d'instance, de sorte qu'elle ne peut produire d'effet à l'égard d'un licenciement produit antérieurement.

Commentaire

I. La computation du délai entre convocation et entretien préalable

  • Délai de cinq jours ouvrables

Selon l'article L. 122-14 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié a la faculté de se faire assister par un conseiller de son choix et l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre recommandée de convocation ou sa remise en main propre.

L'objectif d'une telle mesure, souvent rappelé par la Cour de cassation, est de permettre au salarié de préparer sa défense en vue de l'entretien (1). C'est, d'ailleurs, pour cette raison qu'il ne lui est pas permis de renoncer à ce délai (2).

L'article 2-I de l'ordonnance du 24 juin 2004 ayant harmonisé la durée de ce délai pour les entreprises dotées ou non d'institutions représentatives du personnel, cette règle s'applique, désormais, de manière générale (3).

  • Computation du délai

Les règles de computation des délais issues du Code de procédure civile sont, par principe, applicables en droit du travail. Il en va spécialement ainsi du délai de cinq jours ouvrables devant s'écouler entre la convocation et l'entretien préalable au licenciement, délai soumis aux dispositions des articles 641 (N° Lexbase : L2906ADY) et 642 (N° Lexbase : L2907ADZ) du Code de procédure civile (4).

Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide, de manière classique, que "le jour de la première présentation de la lettre de convocation qui fait courir le délai ne compte pas", mais, également, que "si ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant" (5).

La Cour réitère clairement cette méthode de computation.

  • En l'espèce : cinq jours ouvrables pleins

La Cour de cassation estime, dans cette affaire, que "le salarié doit disposer d'un délai de cinq jours pleins pour préparer sa défense" et que "le jour de remise de la lettre ne compte pas dans le délai, non plus que le dimanche, qui n'est pas un jour ouvrable".

La règle initiale est donc, simplement, confirmée. Le jour de la convocation n'est plus comptabilisé, dans aucun cas de figure, de manière parfaitement conforme à l'article 621 du Code de procédure civile. S'agissant de l'exclusion des dimanches du décompte, c'est encore une confirmation à l'identique de la règle précédemment posée par le juge.

Le souci de protection de la réflexion du salarié est patent. Le juge souhaite prémunir le salarié contre tout calcul d'un employeur peu scrupuleux qui aurait pu, sans l'application de cette règle, réduire, en pratique, le délai à trois jours, en y incluant un dimanche et en remettant la convocation en main propre à la fin d'une journée de travail.

Mais, cela traduit, également, un rapprochement latent entre procédure de licenciement et procédure judiciaire. Car, à l'application des règles judiciaires de computation des délais, s'ajoute la volonté de protéger la défense du salarié, comme si le juge souhaitait, dès le départ de la procédure de licenciement, assurer au salarié des droits proches de ceux que l'on dénomme les "droits de la défense" et qui sont plus souvent des attributs du procès que du licenciement. Cela ne doit, à vrai dire, guère étonner, tant le contentieux prud'homal est principalement axé autour de la rupture du contrat de travail.

A côté de ces précisions, la Chambre sociale saisit l'occasion de cet arrêt pour réitérer une règle, elle aussi classique, s'agissant de la prise en compte de la reconnaissance d'une unité économique et sociale et de son influence sur la procédure de licenciement.

II. Les effets de la reconnaissance d'une UES sur la procédure de licenciement

  • Rôle des institutions représentatives dans la procédure de licenciement

Les institutions représentatives du personnel interviennent dans le cours de nombreuses procédures de licenciement. Ainsi en va-t-il, par exemple, de tous les licenciements pour motif économique, pour lesquels le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel doivent être consultés (6). C'est, également, le cas lors du licenciement d'un salarié protégé (7).

Les délégués du personnel doivent, en outre, être consultés avant le licenciement d'un salarié déclaré inapte à la suite d'un accident du travail, afin de se prononcer sur les éventuelles possibilités de son reclassement dans l'entreprise. Cette règle, posée par l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK) était spécialement en jeu dans l'affaire commentée, la cour d'appel ayant attribué au salarié l'indemnité spéciale prévue, en cas de manquement à cette obligation de consultation, à l'article L. 122-32-7 du même code (N° Lexbase : L5525ACM).

  • L'influence de la reconnaissance d'une unité économique et sociale

La cour d'appel avait reconnu, par sa décision, l'existence d'une unité économique et sociale entre l'employeur du salarié licencié et une autre société. La reconnaissance de cette entité emportait, notamment, le dépassement du seuil nécessaire à la mise en place d'élection visant à l'institution d'une délégation du personnel.

Cette reconnaissance judiciaire, intervenue après le licenciement, pouvait-elle permettre d'invalider la procédure pour non-respect de l'obligation de consultation des délégués du personnel ?

Si la cour d'appel de Bordeaux s'était bien engagée dans cette voie, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision en estimant que "la décision judiciaire reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date de la requête introductive d'instance", si bien que "sa décision de reconnaître une unité économique et sociale ne pouvait produire effet à l'époque du licenciement".

  • Caractère déclaratif de la reconnaissance de l'unité économique et sociale

La Cour de cassation estime, depuis longtemps, que la reconnaissance judiciaire d'une unité économique et sociale présente un caractère déclaratif permettant, par conséquent, de conférer à cette décision un caractère rétroactif (8). Mais la rétroactivité de cette décision devant être limitée à la requête introductive d'instance, elle ne peut emporter d'effet à l'égard d'un licenciement prononcé antérieurement à l'action. Cela paraît entièrement justifié.

En effet, si le déclenchement d'une action devant le juge judiciaire visant, notamment, à la reconnaissance d'une unité économique et sociale, peut éveiller, chez l'employeur, un soupçon quant à la future éventuelle reconnaissance d'une telle entité, il n'y a aucune raison de penser que l'auteur du licenciement pouvait prévoir une telle reconnaissance au moment de sa décision.

En outre, une solution contraire aurait impliqué, pour tout employeur qui envisage de prononcer le licenciement d'un salarié, dans le cadre d'une procédure exigeant la consultation d'institutions représentatives du personnel, de s'interroger sur l'éventuelle existence d'une unité économique et sociale et de mettre en place des élections de manière préventive... Même s'il est absolument indispensable que les salariés victimes d'accident du travail soient hautement protégés dans le cadre d'un licenciement, ne serait-ce que pour éviter toute mesure discriminatoire, cela ne justifie pas, pour autant, de telles mesures, pour le moins disproportionnées.

Il reste qu'une dernière question figurait en filigrane dans cet arrêt, celle du cumul des indemnités pour manquement à la procédure de droit commun et pour violation de la procédure spéciale relative aux accidentés du travail.

  • Cumul des indemnités : une occasion manquée ?

En estimant que l'indemnisation spéciale de l'article L. 122-32-7 du Code du travail ne pouvait être allouée au salarié, puisque l'employeur n'était pas tenu de mettre en place une délégation du personnel, la Cour de cassation se dispense de répondre à la question inopérante posée par les moyens relative au cumul des différentes indemnités.

Car, si l'on sait que la Cour refuse de cumuler l'indemnité pour licenciement irrégulier prévu à l'article L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et celle de l'article L. 122-32-7, il y a, pourtant, tout lieu de s'interroger sur la rationalité d'une telle solution (9).

On trouve, certes, une explication dans le fait que les deux indemnités sanctionnent des irrégularités de forme, si bien qu'il ne devrait y avoir lieu à procurer deux indemnités différentes pour un préjudice identique. Pourtant, cette analyse se trouve fortement contrariée par une décision du Conseil d'Etat, estimant que le manquement à l'obligation de consultation des délégués du personnel dans le cadre du licenciement d'un salarié accidenté du travail constitue une "formalité substantielle" (10). Cette solution pourrait laisser penser que le licenciement comporterait, alors, un vice tel qu'il ne serait pas seulement irrégulier sur la forme, mais serait, encore, dépourvu de cause réelle et sérieuse, à l'image du licenciement du salarié prononcé à défaut de lettre de licenciement dûment motivée.

Dans ces conditions, le cumul entre l'indemnité pour irrégularité de forme et l'indemnité spéciale, faisant figure d'indemnisation pour un manquement au fond, ne serait plus, alors, injustifié. La Cour n'a pas eu à répondre ici à cette question... mais, comme l'affaire et les moyens le laissaient penser, il fait peu de doute qu'elle se représentera.


(1) V., par exemple, Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 04-45.698, M. E. Nicolas c/ Société V. Fraas Paris, F-P (N° Lexbase : A0245DRI) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La télécopie, nouvel exclu de la convocation à l'entretien préalable, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3205ALB) ; JCP éd. E, 2006, 1058, obs. D. Corrignan-Carsin.
(2) V., Cass. soc., 28 juin 2005, n° 02-47.128, Mme Nadia Dumazeau c/ Mme Laurence Jeanson-Leclercq, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8385DIE) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Le caractère d'ordre public social du délai de convocation à l'entretien préalable, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6495AIE) ; D., 2005, 2662, note Gaba ; RJS, 2005. 691, n° 967.
(3) Ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004, relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (N° Lexbase : L5050DZ3).
(4) Ces règles sont, néanmoins, parfois aménagées comme, par exemple, en matière de computation de la durée de la période d'essai du contrat de travail, durée qui se décompte en jours calendaires et pour laquelle les règles du Code de procédure civile ne sont donc pas applicables. V. Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-44.544, Mme Corinne Gachet-Ponnaz c/ Société Hôtel Europe Saint-Séverin, F-P+B (N° Lexbase : A6132DNG) ; JCP éd. E, 2006, 1681 ; RJS, 2006, n° 516.
(5) Cass. soc., 9 juin 1999, n° 97-41.349, Mlle Clément c/ Société Centre de protection du feu (N° Lexbase : A4742AGQ) ; RJS, 1999, 557, n° 905.
(6) Sur cette question, v. Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, Société Oce business service Est (OBS EST), FS-P+B (N° Lexbase : A7768D34) et nos obs., Procédure de licenciement économique et UES : le statu quo maintenu, Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8536BDI).
(7) V., par ex., pour le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, règles figurant respectivement aux articles L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD) et L. 436-1 (N° Lexbase : L0044HDY) du Code du travail.
(8) Cass. soc., 27 juin 1990, n° 89-60.033, Société Serpo et autres c/ Comité d'entreprise de Serpo et autres (N° Lexbase : A4712ACI) ; Dr. ouvrier, 1991, p. 17, note M. Cohen ; RJS, 1990, 580, n° 872 ; Cass. soc., 21 janvier 1997, n° 95-60.992, Syndicat CGT Michelin et autres c/ Manufacture française des pneumatiques Michelin et Cie et autres, publié (N° Lexbase : A2155ACS) ; Dr. soc., 1997, 347, note J. Savatier ; RJS, 1997, 201, n° 300 (1ère esp.) ; Dr. ouvrier, 1997. 170, note M. Cohen (2ème esp.).
(9) Sur le refus d'un tel cumul, v. Cass. soc., 15 octobre 1987, n° 85-40.427, M. Pluchard c/ Société anonyme Entreprise Gustin (N° Lexbase : A1446AHZ) ; Cass. soc., 29 mai 1991, n° 88-43.114, Société Grivetto c/ M. Fenniche (N° Lexbase : A4467AB3).
(10) V. CE 3° et 8° s-s-r., 22 mai 2002, n° 221600, Société civile d'Arbonne (N° Lexbase : A8199AYC) ; RJS, 2002, p. 764, n° 1000.

Décision

Cass. soc., 20 février 2008, n° 06-40.949, Société Aquipose, FP-P+B (N° Lexbase : A0558D7S)

Cassation partielle sans renvoi, CA Bordeaux, 15 décembre 2005, n° 04/04383, M. Jean-Claude Boyrie c/ SARL Aquipose (N° Lexbase : A1502DSG)

Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 122-32-7 (N° Lexbase : L5525ACM), L. 122-14 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 431-1 (N° Lexbase : L6389ACM)

Mots-clés : Licenciement ; convocation à l'entretien préalable ; délais ; computation ; salarié accidenté du travail ; consultation des délégués du personnel ; unité économique et sociale.

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