Réf. : CJCE, 21 février 2008, aff. C-498/06, Maira María Robledillo Núñez c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A0008D7G)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé La Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (art. 3, al. 1er), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E), doit être interprétée en ce sens qu'un Etat membre a la faculté d'exclure des indemnités accordées pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par l'institution de garantie, lorsque celles-ci ont été reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire et qu'une telle exclusion, objectivement justifiée, constitue une mesure nécessaire en vue d'éviter des abus au sens de l'article 10, sous a), de cette même Directive. |
I - Premier principe : égalité de traitement entre les différentes créances, quelle que soit leur nature
A - Application du droit communautaire
Aux termes de l'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987 (1), les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail, y compris lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.
La CJCE relève (point 29) qu'en l'espèce, la législation espagnole entre dans le champ d'application de la Directive 80/987, dès lors qu'elle fait relever le paiement des dédommagements pour cessation de la relation de travail de la protection accordée par l'institution de garantie compétente, et ce, alors même qu'elle ne serait nullement tenue de le faire, en vertu de l'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987.
La solution est conforme à la jurisprudence dégagée par la CJCE, selon laquelle, alors même que la Directive 80/987 (art. 3, al. 1er) n'oblige pas un Etat membre à prévoir dans sa législation nationale transposant la Directive 2002/74 que le paiement des dédommagements pour cessation de la relation de travail est assuré, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où la législation espagnole comporte une disposition faisant relever de tels dédommagements de la protection accordée par l'institution de garantie compétente, cette disposition nationale entre, depuis le 8 octobre 2002 (date de l'entrée en vigueur de la Directive 2002/74), dans le champ d'application de la Directive 80/987 modifiée (CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-81/05, Anacleto Cordero Alonso c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A9492DQM (2), Rec. p. I-7569, point 31 ; CJCE, 17 janvier 2008, aff. C-246/06, Josefa Velasco Navarro c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A6708D3T, point 32, non encore publié au Recueil).
B - Principe de non-discrimination
La faculté reconnue au droit national, par la Directive 80/987, de préciser les prestations à la charge de l'institution de garantie, est soumise aux exigences découlant du principe général d'égalité et de non-discrimination.
En 2002, la CJCE s'est, en effet, clairement prononcée en ce sens (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-442/00, Ángel Rodríguez Caballero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A0414A7H (3), points 29 à 33 (4). Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la CJCE assure le respect. Les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire lient, également, les Etats membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires. Ceux-ci sont tenus d'appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas ces exigences (CJCE, 24 mars 1994, aff. C-2/92, The Queen c/ Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Dennis Clifford Bostock N° Lexbase : A9930AUC, point 37, Rec. p. I-2737).
Dès lors qu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la CJCE doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (CJCE, 18 juin 1991, aff. C-260/89, Elliniki Radiophonia Tiléorassi AE et Panellinia Omospondia Syllogon Prossopikou c/ Dimotiki Etairia Pliroforissis et Sotirios Kouvelas et Nicolaos Avdellas et autres N° Lexbase : A1657AWB, point 42, Rec. p. I-2925 ; CJCE, 19 novembre 1998, aff. C-85/97, Société financière d'investissements SPRL (SFI) c/ Etat belge N° Lexbase : A0470AWC, point 29, Rec. p. I-7447). Au nombre des droits fondamentaux figure, notamment, le principe général d'égalité et de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée (CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-189/01, H. Jippes et autres c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A8091AYC, Rec. p. I-5689 ; CJCE, 23 novembre 1999, aff. C-149/96, République portugaise c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A1962AWL, point 91, Rec. p. I-8395).
Cette jurisprudence a, depuis lors, été confirmée (CJCE, 16 décembre 2004, aff. C-520/03, José Vicente Olaso Valero c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) N° Lexbase : A3780DEQ (5), points 34 et 35 (6)).
En l'espèce, la CJCE relève que les travailleurs licenciés irrégulièrement se trouvent dans une situation comparable pour autant qu'ils ont droit à une indemnité en cas de non-réintégration (CJCE, aff. C-442/00, préc., point 33, et aff. C-520/03, préc., point 35). Aussi, logiquement, la CJCE en tire la conséquence que les indemnités de licenciement reconnues dans le cadre d'une procédure de conciliation extrajudiciaire ne sauraient être traitées différemment des autres indemnités dues, en les excluant des indemnités relevant de l'article 33, § 2, du statut des travailleurs espagnols, à moins que cette différence de traitement ne soit objectivement justifiée (CJCE, ordonnance, aff. C-177/05, 13 décembre 2005, Guerrero Pecino, Rec. p. I-10887, points 26 et 28 ; CJCE, aff. C-520/03, préc., points 34 et 36).
II - Second principe : lutte contre la fraude et les abus liées à des créances douteuses
Par sa question, la juridiction de renvoi a demandé à la CJCE si l'exclusion des indemnités pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par les institutions de garantie est objectivement justifiée, en tant que mesure nécessaire en vue d'éviter des abus prise au titre de la Directive 80/987 (art. 10-a), lorsque ces indemnités sont reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire.
A - Droit interne
La jurisprudence mise en place par la Cour de cassation décide que l'AGS n'est recevable à contester un accord transactionnel conclu au cours d'une procédure de médiation et homologué par le juge prud'homal qu'à la condition d'établir que cet accord procède d'une fraude (Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-45.444, FS-P+B+R N° Lexbase : A5501DMP) (7).
Comme l'a relevé la doctrine (8), dans le cadre d'une transaction, l'employeur peut être amené à consentir au salarié le paiement d'indemnités d'un montant parfois plus élevé que ce à quoi il aurait pu prétendre en application du Code du travail. Ces indemnités ne changent pas de nature lorsqu'elles sont comprises dans une transaction. Elles doivent donc, normalement, être garanties par l'AGS (9). La transaction possède un effet déclaratif et n'est pas censée créer de nouveaux droits au profit de ses parties, mais, seulement, reconnaître l'existence de créances préexistantes. Rompant avec une solution jusque-là bien établie, la Cour de cassation avait limité ce droit à l'hypothèse de l'inexistence du contrat ou d'une fraude des parties (10). Enfin, il faut relever que la Cour de cassation a admis, en 2007, que les créances résultant d'une transaction conclue postérieurement à la rupture du contrat de travail sont des créances salariales et ne sont, en conséquence, pas soumises à déclaration dans le cadre d'une procédure collective (Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.304, FS-D N° Lexbase : A2198DY3) (11).
B - Droit communautaire
Le droit communautaire a consacré cette volonté de lutter contre les fraudes de salariés-employeurs mettant en oeuvre des manoeuvres destinées à exploiter les possibilités d'une faillite. L'article 10 de la Directive 80/987 dispose, à cet effet, que les Etats membres peuvent prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus ou de réduire l'obligation de paiement d'une créance salariale (art. 3) ou l'obligation de garantie (art. 7), s'il apparaît que l'exécution de l'obligation ne se justifie pas en raison de l'existence de liens particuliers entre le travailleur salarié et l'employeur et d'intérêts communs concrétisés par une collusion entre ceux-ci.
Se référant à l'ordonnance de la CJCE du 13 décembre 2005 (préc.), relative à une indemnité fixée lors d'une procédure de conciliation judiciaire, la juridiction de renvoi avait précisé la différence entre la conciliation extrajudiciaire et la conciliation judiciaire, en ce sens que cette dernière est réalisée devant un tribunal, alors que la conciliation extrajudiciaire a lieu devant un organe chargé spécifiquement de cette fonction, qui n'est doté d'aucune possibilité de contrôle du contenu de l'accord ni d'aucune compétence pour approuver, ou désapprouver, ledit accord. Cette différenciation légale entre ces deux modalités de conciliation viserait à mettre un frein à de possibles conduites frauduleuses. Toutefois, selon la même juridiction, le "Fogasa" pourrait tout à fait refuser le paiement de l'indemnité de licenciement, fixée selon la procédure de conciliation extrajudiciaire, en se fondant sur la fraude constatée dans le cadre de la procédure à suivre pour obtenir des prestations de cet organisme en cas d'insolvabilité de l'employeur.
La Directive 80/987 (art. 10-a) confère aux Etats membres la faculté d'adopter les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus (CJCE, aff. C-442/00, préc., point 36). A cette fin, le droit espagnol prévoit que les indemnités de licenciement accordées à la suite d'une procédure de conciliation extrajudiciaire sont exclues du bénéfice de la prise en charge par le Fogasa.
La CJCE, en l'espèce, admet qu'une telle exclusion ne saurait être considérée comme nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par l'article 10-a de la Directive 80/987, lorsque l'institution de garantie dispose d'éléments suffisants pour être en mesure d'éviter des abus. Tel est, notamment, le cas lorsque la conciliation est surveillée par un organe juridictionnel (CJCE, aff. C-442/00, préc., points 36 et 37 ; CJCE, aff. C-520/03, préc., point 37).
Le Gouvernement espagnol estimait que la conciliation extrajudiciaire n'est pas comparable à la conciliation judiciaire en raison du fait qu'elle ne comporte pas suffisamment de garanties permettant d'éviter des abus. Au contraire, la Commission considère que la différence de traitement mise en évidence par la décision de renvoi est dénuée de toute justification objective. Le "Fogasa" serait doté de moyens adéquats et suffisants pour détecter et empêcher les fraudes dans des cas concrets.
En premier lieu, un accord portant sur des indemnités de licenciement conclu lors d'une procédure de conciliation extrajudiciaire intervient en l'absence de tout organe judiciaire. En particulier, l'élaboration d'un tel accord n'est pas surveillée par un juge. Ainsi qu'il ressort, notamment, de l'article 10 du décret royal 2756/1979, le conciliateur n'est pas investi de pouvoirs lui permettant d'influer sur la procédure de conciliation. Dans ce contexte, la CJCE (point 36) souligne que le droit espagnol, alors en vigueur, ne prévoyait pas l'intervention du "Fogasa" lors de la procédure de conciliation extrajudiciaire. A la différence de la procédure de conciliation judiciaire, l'institution de garantie n'est pas autorisée à participer à une procédure de conciliation extrajudiciaire. En conséquence, le "Fogasa" n'est pas en mesure, en pratique, de prendre connaissance de circonstances qui seraient constitutives d'abus ou de fraude. De même, la participation du "Fogasa" à la procédure de déclaration d'insolvabilité de l'employeur concerné ne permet pas non plus à cet organisme de s'opposer à une créance afférente à des indemnités de licenciement qu'il soupçonne d'avoir été abusivement établie.
En deuxième lieu, en droit espagnol, l'acte de conciliation extrajudiciaire aboutissant à un accord sur les indemnités de licenciement se déroule devant les organes du Centre de médiation, d'arbitrage et de conciliation. L'accord, ainsi, conclu n'est pas soumis à l'approbation d'un organe judiciaire, le conciliateur n'étant pas habilité à contrôler le contenu de l'accord comme peut le faire l'organe juridictionnel.
Enfin, en troisième lieu, de la possibilité de l'institution de garantie de refuser, par décision motivée, le paiement de l'indemnité de licenciement mise à sa charge (CJCE, aff. C-442/00, point 36), il ressort de l'article 28, paragraphe 3, du décret royal 505/1985 qu'une telle institution est seulement habilitée à rejeter effectivement la demande de paiement si elle est en mesure, par exemple dans une éventuelle procédure judiciaire ultérieure, d'apporter la preuve de circonstances permettant de conclure à l'existence d'un cas d'abus au sens de cette disposition. Or, en pratique, il est difficile de concevoir la manière dont l'institution de garantie concernée pourra établir et prouver de telles circonstances, dès lors que cette dernière n'est pas admise à participer à la procédure de conciliation extrajudiciaire.
Ainsi, selon la CJCE (arrêt rapporté, point 40), les indemnités de licenciement reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire n'offrent pas de garanties suffisantes en vue d'éviter des abus, contrairement à celles qui sont fixées lors d'une procédure de conciliation effectuée en présence d'un organe juridictionnel et à laquelle l'institution de garantie a le droit d'intervenir.
L'article 3, alinéa 1er, de la Directive 80/987 doit être interprété en ce sens qu'un Etat membre a la faculté d'exclure des indemnités accordées pour licenciement irrégulier de la garantie de paiement assurée par l'institution de garantie en vertu de cette disposition, lorsque celles-ci ont été reconnues par un acte de conciliation extrajudiciaire et qu'une telle exclusion, objectivement justifiée, constitue une mesure nécessaire en vue d'éviter des abus, au sens de l'article 10- a) de la même Directive.
Décision CJCE, 21 février 2008, aff. C-498/06, Maira María Robledillo Núñez c/ Fondo de Garantía Salarial (Fogasa) (N° Lexbase : A0008D7G) Textes visés : Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (art. 3, al. 1er) (N° Lexbase : L9435AUY), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E) Mots-clefs : Politique sociale ; protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur ; indemnité pour licenciement irrégulier convenue lors d'une procédure de conciliation extrajudiciaire ; paiement assuré par l'institution de garantie ; paiement subordonné à l'adoption d'une décision judiciaire ; principes d'égalité et de non-discrimination. Liens bases : |
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