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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Or, un effet dévolutif et un effet suspensif : voilà ce que l'on apprenait sur les bancs universitaires au sujet de la voie de recours qu'est l'appel. Et, l'un ne va pas, philosophiquement et originellement, sans l'autre. Permettre à une cour d'appel de rejuger un litige, sans suspendre les effets d'un premier jugement, n'est-ce pas amputer quelque peu l'appel de sa force de réformation et, ainsi, les droits de la défense ? N'est-ce pas, même si l'exécution provisoire reste théoriquement de principe, et que la suspension peut toujours être ordonnée par le Premier président, un bouleversement fondamental de la nature même de l'appel qui s'opère progressivement sous l'empire du décret du 28 décembre 2005, réformant les procédures civiles ?
Poussons l'analyse un peu plus loin et remarquons qu'avec cette réforme, c'est non seulement un alignement de la procédure civile sur les canons de la procédure administrative, au regard des articles R. 811-14 à R. 811-19 du CJA, qui rejette, en principe, tout effet suspensif à l'appel des décisions des juridictions administratives, mais, plus encore, la réaffirmation que l'appel est, avant tout, une voie de réformation et non une voie d'achèvement.
L'appel voie de réformation, et le juge va pouvoir rejuger l'affaire au fond, sur les points où il y a eu appel, et changer le jugement rendu en première instance. L'appel voie d'achèvement, et le juge va pouvoir "tenir compte de ce que la matière a pu évoluer depuis la décision du premier juge, de ce que les parties ont pu changer de conseil, et, par conséquent de stratégie, de ce que, de toute façon, du fait de la décision même qui a été rendue au premier degré, la matière s'est décantée, les vraies difficultés apparaissent plus clairement" (Rapport "Magendie" au ministre de la Justice, 15 juin 2004, p. 63). Conception restrictive contre conception extensive de l'appel ?
Et M. Cedras, Avocat général près la Cour de cassation, d'ajouter : "Il n'y a pas d'équilibre réalisable, à proprement parler, entre ces deux aspirations. L'une des deux doit forcément être reconnue comme prépondérante, mais elle ne doit pas écraser l'autre. Il doit y avoir une coexistence, une conciliation, sous la forme d'un principe et d'une exception".
C'est la voie d'achèvement tempérée qui semble donc gouverner la nature de l'appel juridictionnel. Or, déboulonner progressivement l'effet suspensif de l'appel, tout en luttant certainement contre l'appel abusif, n'est-il pas un signe fort de la prééminence de la décision de première instance sur l'effet dévolutif de l'appel ? Autrement dit, en complexifiant, au regard des contrariétés d'appréciation des "conséquences manifestement excessives" qui peuvent naître entre le Premier président ou le juge de la radiation, la suspension de l'exécution d'un premier jugement, la réforme de 2005 rompt-elle l'équilibre entre les voies de réformation et d'achèvement, au bénéfice de la première ? Car entendons-nous bien, comment promouvoir une conception extensive de l'appel en faveur d'une dévolution entière du litige, si d'ores et déjà, on admet que la décision de première instance emporte une satisfaction telle, au regard de la Justice, qu'elle peut se prémunir d'une exécution de droit ou ad nutum ?
"L'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de l'article 6 [autrement dit les droits de la défense]" peut-on lire aux termes de l'arrêt "Delcourt" rendu par la Cour européenne, le 17 janvier 1970. Mais comme "le principe du double degré de juridiction n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2004-491 DC, Loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française du 12 février 2004), l'affaiblissement de l'appel semblerait ne pouvoir être conscrit que par l'attention que les magistrats, eux-mêmes, pourront porter à chaque litige.
"La justice est gratuite. Heureusement, elle n'est pas obligatoire" ironisait Jules Renard. "Le moyen d'acquérir la justice parfaite, c'est de s'en faire une telle habitude qu'on l'observe dans les plus petites choses, et qu'on y plie jusqu'à sa manière de penser" ajoutait Montesquieu, dans [S]es pensées.
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