Lecture: 20 min
N0163BDE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des assurances de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
La victime d'un dommage qu'elle croit imputable à l'administration d'un médicament, ou d'un autre produit de santé, dispose de deux recours possibles, l'un sur le fondement de la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (loi n° 98-389 N° Lexbase : L2448AXX), l'autre contre les médecins et établissements dans le cadre du droit de la responsabilité médicale. La question est, ici, extrêmement complexe, compte tenu de l'enchevêtrement des régimes applicables, de telle sorte qu'il convient impérativement d'opérer certaines distinctions.
L'article 101 (N° Lexbase : L5020A8G modifié par la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale N° Lexbase : L9375A8Q) de la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) n'applique, en effet, le nouveau régime d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux qu'aux actes réalisés à compter du 5 septembre 2001 ; avant cette date, il convient donc de faire application des solutions dégagées par la jurisprudence en matière civile et administrative.
La victime dispose classiquement d'une action contre le médecin ou l'établissement en invoquant le manquement à une obligation de sécurité de résultat qui concerne le matériel médical (1) et les médicaments (2). Cette responsabilité sans faute du fait des produits de santé, notamment des médicaments, entre, toutefois, en conflit avec la Directive du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (Directive 85/374 N° Lexbase : L9620AUT), dont les Etats doivent impérativement assurer l'application effective en transposant sur le plan législatif le régime issu de la Directive et/ou en interprétant leur droit national à la lumière du texte, qu'il soit d'ailleurs ou non transposé (3).
Pour déterminer l'étendue de la responsabilité des médecins et des établissements lorsqu'est en cause un "produit", au sens de la Directive, il convient donc de faire application des dispositions de la Directive dès lors que celle-ci est effectivement applicable ratione temporis.
L'obligation faite au juge national d'interpréter son droit national à la lumière de la Directive ne vaut que pour autant que la Directive s'impose aux Etats membres. Or, on sait que la Directive du 25 juillet 1985 ne concerne que les produits mis en circulation à l'issue du délai de trois ans laissé aux Etats pour la transposer. Pour les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988, le juge français est donc libre d'interpréter son droit national comme il l'entend (4).
Dans cette hypothèse, le juge national doit interpréter son droit national à la lumière de la Directive, même non transposée, et en tenant compte de son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes.
On sait que cette obligation a conduit la Cour de cassation, notamment, à modifier les conditions d'application de l'obligation de sécurité qui pèse sur les producteurs, mais également sur les médecins, en subordonnant leur mise en cause à la preuve d'un défaut affectant le produit, au sens où l'entend le texte communautaire (5).
On sait, par ailleurs, que l'option que la Directive laisse aux victimes entre le régime spécial et les règles issues du droit commun est extrêmement étroite et se trouve limitée aux régimes n'ayant pas le même fondement que la Directive (6), ce qui exclut très certainement l'obligation de sécurité. Dès lors que la Directive est applicable, les responsables désignés, à savoir les producteurs et fournisseurs de produit à titre professionnel, doivent voir leur responsabilité engagée selon les principes prévus par la Directive du 25 juillet 1985, et seulement par ceux-ci.
Cette obligation de rendre effective l'application de la Directive suppose, toutefois, que celle-ci impose clairement aux Etats certaines obligations, ce qui n'est pas le cas lorsque le texte introduit une option au stade de la transposition (7). Or, tel est le cas de la Directive communautaire du 25 juillet 1985 concernant le caractère exonératoire du risque de développement. Son article 7, e) permet certes au producteur de s'exonérer en prouvant "que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence du défaut", mais l'article 15, b) dispose que "par dérogation à l'article 7 point e), [les Etats peuvent] maintenir ou, sous réserve de la procédure définie au paragraphe 2 du présent article, prévoir dans sa législation que le producteur est responsable même s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui ne permettait pas de déceler l'existence du défaut". C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait clairement indiqué, dès 1996, que "le moyen, qui se réfère à des dispositions de la directive qui renvoient au droit interne, ne peut être accueilli" (8).
C'est pour avoir méconnu ces principes que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 23 septembre 2004 (9), dans une affaire mettant en cause le Pentasa, se trouve ici cassé, comme on pouvait s'y attendre : Cass. civ. 1, 15 mai 2007, n° 05-10.234, M. Christophe Mauduit, FS-P+B (N° Lexbase : A2438DW9).
Restait à déterminer si, bien que n'étant pas liée sur ce point par les termes de la Directive, la première chambre civile de la Cour de cassation allait être tentée de modifier sa jurisprudence constante. On sait, en effet, que celle-ci refuse de considérer le vice interne d'un produit de santé, même indécelable lors de la mise en circulation, comme une cause exonératoire pour le fabricant (10). Certaines évolutions récentes du droit de la responsabilité civile pouvaient, toutefois, laisser supposer qu'une évolution de cette jurisprudence était envisageable, qu'il s'agisse bien entendu de l'adoption de la loi du 19 mai 1998 qui, transposant la Directive du 25 juillet 1985, a retenu cette cause d'exonération (C. civ., art. 1386-11, 4° N° Lexbase : L1504ABC) sauf "lorsque le dommage a été causé par un élément du corps ou par les produits issus de celui-ci" (C. civ., art. 1386-12 N° Lexbase : L9248GU3), ou de la redéfinition récente des critères de la force majeure désormais définie en matière contractuelle comme l'événement présentant un "caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution", sans que le critère de l'extériorité de l'événement n'apparaisse plus (11).
Au grand soulagement des victimes, il n'en a rien été et la Cour de cassation maintient donc le cap dans son arrêt du 15 mai 2007 : dès lors que le dommage, en l'occurrence une néphrite interstitielle immuno-allergique, est "en relation directe et certaine avec l'administration du" produit, son fabricant manque "à son obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens c'est-à-dire un produit qui [offre] la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, sans faculté d'exonération pour risque de développement", et doit, par conséquent, être condamné (12). La Cour a donc choisi ici de ne pas suivre l'orientation prise par le Parlement en 1998, ni de traiter la question du risque de développement comme un cas de force majeure ordinaire.
L'obligation de garantir l'application effective de la Directive du 25 juillet 1985 va, toutefois, avoir sur les droits des patients des conséquences importantes. Au regard de la Directive, les médecins sont, en effet, considérés comme de simples "fournisseurs" de produits (article 3). Or ces fournisseurs ne sont que des responsables subsidiaires qui ne peuvent être mis en cause que si le producteur est inconnu. En d'autres termes, les médecins et les établissements ne sont pas responsables du fait d'un défaut d'un produit de santé dès lors que le producteur de ce produit est identifié.
C'est ce qui vient d'être jugé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt publié en date du 15 mai 2007, dans une affaire qui concernait non pas un médecin, mais un revendeur non-fabricant, de téléviseurs : Cass. civ. 1, 15 mai 2007, n° 05-17.947, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B (N° Lexbase : A2450DWN).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le juge national, dès lors que le produit a bien été mis en circulation après le délai de transposition de trois ans, doit bien interpréter son droit national à la lumière des dispositions de la Directive ; or celle-ci ne permet de retenir la responsabilité du simple fournisseur dès lors que le producteur est identifié.
Cette solution est, malheureusement, directement transposable à la situation des médecins et des établissements, qui sont bien de simples "fournisseurs" de produits de santé ; dès lors que le producteur est identifié, alors ils ne peuvent être inquiétés et l'obligation de sécurité de résultat, accessoire au contrat de soins, doit céder le pas devant l'application de la Directive du 25 juillet 1985.
Dans cette hypothèse, la victime qui agit contre le médecin et l'établissement doit se fonder sur les dispositions de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3) et ne peut plus invoquer le droit commun par application du principe specialia generalibus derogant (13).
Le I de ce texte, qui rappelle l'exigence d'une faute pour engager la responsabilité des médecins et des établissements, réserve, toutefois, le "cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé".
Une hésitation est permise quant à l'interprétation de cette formule : la loi du 4 mars 2002 a-t-elle, en effet, réservé l'application de la loi du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, le régime prétorien dégagé par la jurisprudence par référence à l'obligation de sécurité, ou consacre-t-elle un cas autonome de responsabilité médicale du fait des produits ?
Selon une doctrine majoritaire, ce renvoi, inséré lors des débats parlementaires, vise à réserver l'application de la loi du 19 mai 1998 aux médecins et établissements (14). Les droits du malade, victime d'un produit de santé, à l'égard du médecin assimilé par la jurisprudence communautaire à un fournisseur de produits, doit donc se régler dans le cadre de l'application de l'article 3 de la Directive et/ou des articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) et suivants du Code civil. En d'autres termes, et comme la responsabilité du simple fournisseur n'est pas engagée en présence d'un produit défectueux si le producteur est identifié, les médecins et établissements ne sont plus responsables de plein droit, de ce fait, et ne peuvent voir leur responsabilité engagée, que s'ils ont commis une faute. En l'absence de faute, la victime n'aura donc d'autre choix que de se retourner contre le producteur, ce qui confirme une nouvelle fois que la loi du 4 mars 2002 a été voulue autant pour consacrer les droits des malades que pour mettre un frein aux évolutions de la jurisprudence, très favorable aux intérêts des victimes.
II - Contaminations transfusionnelles par le VHC
La loi du 4 mars 2002 a repris à son compte les évolutions de la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, qui avait reconnu, au bénéfice des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C, le bénéfice d'une présomption de contamination (15).
L'article 102 (N° Lexbase : L5021A8H) a, toutefois, renforcé la protection des victimes en facilitant le jeu de la présomption et en imposant le principe selon lequel "le doute profite au demandeur", ce qui est capital compte tenu de l'ancienneté de certaines contaminations et des difficultés à reconstituer l'origine exacte des produits sanguins transfusés.
La Cour de cassation se montre extrêmement vigilante et condamne systématiquement l'Etablissement français du sang, qui a repris les obligations incombant aux Centres de transfusion sanguine, dès lors que celui-ci ne parvient pas à démontrer l'innocuité de "tous les lots de sang transfusés" (16). C'est ce que confirme un nouvel arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 mai 2007 : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-19.019, Mme Michèle Mion, épouse Poubeau, F-D (N° Lexbase : A5176DWM).
Dans cette affaire, la victime avait subi une césarienne en 1988 et appris, en 1996, qu'elle était contaminée par le virus de l'hépatite C. La cour d'appel, saisie de ses demandes d'indemnisation dirigées contre l'EFS, l'avait déboutée après avoir retenu qu'une première enquête transfusionnelle avait été réalisée en mai 1999 et avait établi que la demanderesse "avait reçu, le 28 septembre 1988, deux concentrés globulaires n° 922 23 13 et 686 09 13 et que le premier concentré correspondait à un donneur contrôlé séronégatif en 1992 ; qu'une seconde enquête transfusionnelle réalisée en janvier 2000 a établi que le deuxième concentré correspondait également à un donneur contrôlé séronégatif mais que s'il n'avait été commandé que ces deux poches, en revanche sept autres poches auraient été distribuées par le GIP de transfusion sanguine des Alpes-Maritimes sous les numéros 421 04 77, 021 90 97, 021 57 58 (dont les donneurs ont été contrôlés séronégatifs), 121 56 33 (probable erreur de retranscription du numéro), 32 104 50, 920 49 27 et 121 51 34 (dont les donneurs n'ont pas pu être contrôlés) ; que l'expert n'a conclu à la probabilité de relation de cause à effet entre les transfusions sanguines dont a fait l'objet (la demanderesse) et l'hépatite virale C chronique dont elle est atteinte qu''en supposant que tous les culots globulaires commandés aient été transfusés' puisque, dans cette hypothèse, trois culots globulaires (321 04 50, 920 49 27 et 121 51 34) ont un statut sérologique incertain faute d'avoir pu en contrôler les donneurs ; que si, d'après l'enquête transfusionnelle complémentaire, neuf poches ont été livrées, il apparaît qu'il n'existe qu'un seul bon de commande pour les deux poches numérotées 922 23 13 et 686 09 13, qu'en outre si la clinique n'a pas pu produire la fiche transfusionnelle, le médecin anesthésiste [...] atteste le 7 juillet 1998, sans être contredite par aucun autre élément du dossier, 'que lors de son intervention du 28 septembre 1988 [la demanderesse] a reçu deux culots globulaires n° 686 09 13, n° 922 23 13' ; qu'en conséquence, il résulte de l'ensemble de ces éléments que seules les poches numéros 686 09 13 et 922 23 13 ont été transfusées à [la demanderesse], le 28 septembre 1988, et que les donneurs correspondants ont été contrôlés séronégatifs ; que dès lors que l'EFS rapporte la preuve de l'innocuité des produits sanguins transfusés".
Or cet arrêt, pourtant fortement motivé, est cassé, la Haute juridiction considérant "qu'en statuant ainsi, alors que le demandeur avait apporté des éléments permettant de présumer l'origine transfusionnelle de cette contamination, et qu'en l'absence de fiche transfusionnelle identifiant avec certitude les produits transfusés [...], et compte tenu du doute concernant l'innocuité de trois des poches de sang susceptibles d'avoir été utilisées, ce dont il ne pouvait être déduit que l'EFS prouvait que cette transfusion ou cette injection n'était pas à l'origine de la contamination, la cour d'appel a méconnu les règles de preuve instaurées par l'article 102".
Un autre arrêt rendu le 14 juin 2007 aboutit, pour des motifs identiques, à la cassation d'un arrêt d'appel qui avait débouté une victime : Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-12.948, Robert Fourcade, F-P+B (N° Lexbase : A7908DWS).
Dans cette affaire, les juges du fond avaient, pour débouter la victime, relevé que "l'enquête transfusionnelle réalisée à partir de la liste des produits sanguins transfusés fournie par la clinique, avait montré que [le patient] avait été transfusé le 16 septembre 1988 avec du sang d'un donneur positif en anticorps VHC et virémique hépatite C par PCR ; qu'une comparaison phylogénétique des deux souches donneur et receveur a mis en évidence une grande similitude entre les deux ; qu'il convient toutefois d'observer que l'expert précise qu'il n'est pas possible d'affirmer avec certitude que les deux souches sont identiques, en raison de l'éloignement des prélèvements chez les deux personnes et de la grande variabilité génétique du virus ; qu'il ressort des investigations expertales que [le patient] a subi des séances d'acupuncture en 1983, et des soins dentaires en 1986 pour la pose de prothèse, soins qui peuvent être contaminants ; qu'il a subi en 1994 une intervention sur la thyroïde qui n'a pas donné lieu à des recherches particulières, mais dont il n'est pas formellement exclu qu'elle ait pu être à l'origine de la contamination ; que la gastroscopie du 28 juin 1996 a été exclue par l'expert, dans la mesure où n'était pas rapportée la preuve du défaut de stérilité dans les procédures de désinfection utilisées, et en raison de l'absence de virémie potentiellement contaminante chez les personnes ayant précédé [le patient] lors de cet acte ; que l'expert attribue à l'origine transfusionnelle un pourcentage de probabilité de deux tiers environ, à la gastroscopie de 1996 une très faible probabilité, et à d'autres causes indéterminées environ un tiers de probabilité".
Cet arrêt est également cassé, la Haute juridiction considérant qu'"en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que l'origine transfusionnelle de la contamination pouvait être présumée, et que l'intéressé pouvait se prévaloir d'un doute au sens de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, la cour d'appel a violé ce texte".
III - Responsabilité des médecins salariés
Depuis l'arrêt "Costedoat" rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000, on sait que "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant" (17). Alors que, dans un premier temps, le Tribunal de conflits (18), puis la Cour de cassation avaient refusé de faire application de cette solution aux médecins (19), prétexte pris de l'indépendance dont ils bénéficient dans l'exercice de leur art (20), la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé de leur reconnaître également le bénéfice de l'irresponsabilité de principe dans les rapports avec les victimes en 2004 (21).
Restait à déterminer la nature de cette protection : les médecins sont-ils irresponsables ou bénéficient-ils seulement d'une immunité procédurale interdisant aux tiers d'agir directement contre eux ? Un arrêt rendu le 12 juillet 2007 vient de trancher en faveur de la thèse de la seule immunité procédurale qui ne bénéficie pas à l'assureur de responsabilité du médecin : Cass. civ. 1, 12 juillet 2007, n° 06-12.624, M. Marc Gourrion, F-P+B (N° Lexbase : A2981DXP).
Dans cette affaire, un patient avait été victime d'un accident d'irradiation qui l'avait rendu aveugle. La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait infirmé le jugement ayant condamné le médecin salarié, mais avait, en revanche, condamné la Croix Rouge Française qui l'employait et admis le recours intégral contre l'assureur de ce médecin salarié. L'assureur avait, alors, formé un pourvoi contre cet arrêt et prétendait que le médecin salarié devant être considéré comme irresponsable dès lors qu'il agissait dans le cadre de ses fonctions, aucune dette de responsabilité ne devait être garantie par son assureur de responsabilité.
L'argument n'a pas convaincu la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Après avoir confirmé le principe acquis depuis l'arrêt "Costedoat" selon lequel "le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient", la Cour affirme "que l'immunité édictée par l'article L. 121-12, alinéa 3, du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI) ne bénéficie qu'aux personnes visées au texte et ne fait pas obstacle à l'exercice, par l'assureur qui a indemnisé la victime, de son recours subrogatoire contre l'assureur de responsabilité de l'une de ces personnes ; que cette immunité n'emportant pas l'irresponsabilité de son bénéficiaire, la cour d'appel saisie du recours subrogatoire de l'assureur du commettant, déclaré responsable du fait de son préposé, a exactement énoncé que l'immunité bénéficiant à M. Y..., ne faisait pas obstacle à l'exercice, par la société Generali assurances IARD, de son recours subrogatoire à l'encontre de la société Le Sou médical, tenue, en sa qualité d'assureur de responsabilité de M. Y..., à prendre en charge les conséquences dommageables des fautes commises par son assuré".
En d'autres termes, le principe dégagé par l'arrêt "Costedoat" confère seulement au médecin une immunité procédurale contre les actions engagées par les victimes, mais n'efface pas totalement la responsabilité des préposés qui doit être garantie par leur assureur.
Cette solution se rattache à l'évidence à la jurisprudence conférant aux proches de la victime, lorsqu'ils sont responsables des dommages qui lui ont été causés, une immunité qui s'oppose au recours de l'assureur de la victime, mais qui ne fait pas obstacle au recours contre leur propre assureur de responsabilité (22).
Elle est, en revanche, assez discutable sur le plan des principes. De nombreux arguments militent, en effet, en faveur de la thèse d'une véritable irresponsabilité du préposé qui agit dans le cadre de ses fonctions, qu'il s'agisse de considérer la contrainte qu'exerce sur lui l'existence du contrat de travail ou le transfert des risques de son activité réalisé lors de la conclusion du contrat de travail. Or, on ne voit pas ce qui justifierait cette immunité d'action, qui semble directement contraire à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ).
Quoi qu'il en soit, cette solution ne devrait pas faire long feu, compte tenu de l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. L'article L. 1142-2, alinéa 4, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4437DLW), dispose, en effet, que "l'assurance des établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d'une indépendance dans l'exercice de l'art médical". Cette disposition interdit donc tout recours de l'assureur puisque les salariés sont désignés comme les bénéficiaires directs de l'assurance souscrite par leur employeur (23).
(1) Cass. civ. 1, 9 novembre 1999, n° 98-10.010, Mme Morisot c/ M. X et autres (N° Lexbase : A8162AGE), D. 2000, p. 117, note P. Jourdain ; JCP éd. G, 2000, II, 10251, note P. Brun ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 61.
(2) Cass. civ. 1, 17 novembre 2000, n° 99-12.255, Assurances générales de France (AGF) et autre c/ Mme Y et autres (N° Lexbase : A7794AH7), D. 2001, somm. p. 2236, obs. D. Mazeaud.
(3) CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann c/ Land Nordrhein-Westfalen (N° Lexbase : A8698AUP), Rec. p. 1891.
(4) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-20.178, Institut Pasteur, fondation privée reconnue d'utilité publique c/ Mme Raymonde X..., épouse divorcée Y..., FS-P+B (N° Lexbase : A6044DMS), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 89, et les obs..
(5) Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 96-12.078, Société Les Laboratoires Léo c/ Monsieur Scovazzo et autre (N° Lexbase : A2206ACP), JCP éd. G, 1998, II, 10049, rapp. P. Sargos ; D. 1999, p. 36, note P. Brun et G. Pignarre.
(6) CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A8094AYG), D. 2002, p. 2462, note C. Larroumet, chron. p. 2458, J. Calais-Aulois ; RTD civ. 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; JCP éd. G, 2002, I, 177, G. Viney ; RDC 2003, p. 107, obs. P. Brun.
(7) CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83, précité.
(8) Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 93-19.159, M. Louis Nadal et autres c/ Compagnie d'assurance Groupe des assurances nationales, GAN incendie accidents et autres (N° Lexbase : A8857AHI), Bull. civ. I, n° 304 : D. 1996, p. 610, note Y. Lambert-Faivre.
(9) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 23 septembre 2004, n° 02/16713, Société Ferring (N° Lexbase : A7025DDK), Resp civ. et assur. 2005, comm. 293, et les obs..
(10) Cass. civ. 1, 12 avril 1995, n° 92-20.747, Consorts X c/ Centre régional de transfusion sanguine de l'hôpital Purpan (N° Lexbase : A4877ACM), JCP éd. G 1995, II, 22467, note P. Jourdain. Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, préc..
(11) Cass. ass. plén., 14 avril 2006, n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P (N° Lexbase : A2092DP8), Resp. civ. et assur. 2006, chron. 8, L. Bloch ; D. 2006, p. 1577, note P. Jourdain, p. 1566, chron. D. Noguéro ; JCP éd. G, 2006, II, 10087, note P. Grosser.
(12) Resp. civ. et assur. 2007, comm. 219, et les obs..
(13) En ce sens, F. Dreifuss-Netter, Feue la responsabilité civile contractuelle du médecin ?, Resp. civ. et assur. 2002, chron. 17.
(14) En ce sens P. Jourdain, Le nouveau droit des malades, Carré droit, 2002, n° 112.
(15) CE, 15 janvier 2001, n° 208958, AP-HP (N° Lexbase : A8879AQW), D. 2001, Jur. p. 2924, note D. Dendoncker ; Resp. civ. et assur. 2002, comm. 1, obs. C. Guettier. Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 99-18.161, Centre régional de transfusion sanguine de Champagne-Ardennes c/ M. Foucher (N° Lexbase : A3943AT9), D. 2001, jur. p. 2149, rapp. P. Sargos.
(16) Dernièrement Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-16.000, Mme Brigitte Senft, FS- D (N° Lexbase : A6969DTB), et nos obs. Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8).
(17) Cass. ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4), JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; JCP éd. G, 2000, I, 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000, p. 673, note P. Brun ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, H. Groutel, chron. 22, Ch. Radé ; RTD civ. 2000, p. 582, n° 5, obs. P. Jourdain.
(18) TC, 14 février 2000, n° 2929 (N° Lexbase : A9661AGW).
(19) Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 99-16.093, Clinique de la Roseraie c/ M. Mourad El Goulli (N° Lexbase : A3948ARN) : "Mais attendu que s'il est exact qu'en vertu de l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art, un médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l'assistent lors d'un acte médical d'investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l'établissement de santé où il exerce". Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 00-21014, M. X c/ Mme Y et autres (N° Lexbase : A7558CGZ), Resp. civ. et assur. 2002, comm. 234, chron. 13, Ch. Radé. Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 00-22.432, Association hospitalière Nord Artois cliniques c/ Mme Clotilde Ruffin, FS-P+B (N° Lexbase : A7145A3Z), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 50, par H. Groutel.
(20) P. Sargos, concl. sous Cass. civ. 1, 26 mai 1999, n° 97-15.608, Société Clinique Victor-Pauchet-de-Butler c/ M. X et autres (N° Lexbase : A7412AHY), JCP éd. G, 1999, II, 10112, n° 14.
(21) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, 2 arrêts, n° 01-17.908, Société Le Sou médical c/ Caisse régionale d'assurance maladie des professions libérales d'Ile-de-France, FS-P+B (N° Lexbase : A8403DDL) et n° 01-17.168, Mme Patricia Sambugaro c/ M. Bernard De Mattia, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A8400DDH), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 364, Repère 12, H. Groutel ; Resp. civ. et assur. 2005, chron. 6, M. Asselain ; D. 2005, p. 253, note F. Chabas ; JCP éd. G, 2005, II, 10020, rapp. D. Duval-Arnould, note S. Porchy-Simon. Dernièrement, C. Riot, L'exercice "subordonné" de l'art médical, D. 2006, chron. p. 111.
(22) Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 90-18.148, Mutuelle générale d'assurances c/ Société Italia Assicurazioni (N° Lexbase : A5168ABZ), D. 1994, p. 235, note B. Beignier.
(23) B. Beignier, Droit du contrat d'assurance, Puf, 1999, n° 212.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:300163