Réf. : Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, Société Blue Green Villennes c/ M. Vincent Loustaud, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2447DZN)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Il résulte de la combinaison des articles L. 212-15-3, III du Code du travail, en sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L3870DCC), et 5.7.2.3 de la convention collective nationale du golf , qu'un régime de forfait jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Dans ce cas, le cadre doit bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de son travail à l'intérieur du forfait jours. L'indemnité prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L7952AID) n'est due qu'au salarié susceptible d'être, par application des dispositions légales et conventionnelles, soumis à une convention de forfait jours. |
1. La validité du recours au forfait jours
Depuis la loi "Aubry II", les cadres ne constituent plus, au regard du droit de la durée du travail, une catégorie homogène. Il convient, en effet, de distinguer, depuis cette date, les cadres dirigeants, les cadres dits "intégrés" et les cadres qui ne relèvent pas de l'une ou l'autre de ces deux catégories (1). Ces derniers peuvent se voir appliquer des conventions de forfait jours réglementées par l'article L. 212-15-3, III du Code du travail. Pour aller à l'essentiel, il convient de souligner que les salariés soumis à une telle convention ne sont pas, par hypothèse, concernés par la durée légale de travail. De même, ne leur sont pas applicables la limitation de la durée quotidienne de travail et la durée maximale hebdomadaire de travail (2). En revanche, ils peuvent prétendre au repos quotidien de 11 heures (C. trav., art. L. 220-1 N° Lexbase : L4622DZ9) et au repos hebdomadaire de 35 heures (C. trav., art. L. 221-4 N° Lexbase : L4702DZ8).
Les conventions de forfait jours présentent, ainsi, un caractère dérogatoire très marqué, qui explique que leur mise en oeuvre soit soumise à des conditions très strictes. Ainsi qu'il a été précisé en préambule, ce dispositif exige la signature d'une convention ou d'un accord collectif de travail qui doit contenir un certain nombre de stipulations déterminées par l'article L. 212-15-3, III. Parmi celles-ci, figure la définition des catégories de cadres concernés (3). Jusqu'à la loi "Fillon II" du 17 janvier 2003 (loi n° 2003-47 N° Lexbase : L0300A9Y), le forfait jours ne pouvait être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Depuis cette réforme, la loi n'utilise plus qu'un seul critère pour définir les cadres qui peuvent relever du forfait jours. Il s'agit de "leur autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps".
Dans l'affaire qui nous intéresse, et ainsi que le précise la Cour de cassation, était applicable l'article L. 2125-15-3, III en sa rédaction issue de la loi "Aubry II". Le salarié à l'origine du litige n'avait, cependant, pas fondé son action sur cette disposition. Il revendiquait, en effet, le bénéfice de l'indemnisation prévue à l'article L. 212-15-4, alinéa 2, aux termes duquel "lorsque le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours en application des dispositions du III de l'article L. 212-15-3 ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, ce dernier peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le tribunal afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi eu égard notamment au niveau du salaire minimum conventionnel applicable ou, à défaut, de celui pratiquée dans l'entreprise et correspondant à sa qualification".
La Chambre sociale aurait pu se contenter de statuer sur l'octroi de l'indemnité de l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail. Telle n'est, toutefois, pas la démarche qu'elle a choisi d'adopter, sur l'invitation du Conseiller Gosselin (4). Soulevant un moyen d'office, elle affirme, en substance, que le juge doit, d'abord, s'assurer de la licéité de la convention de forfait jours avant de statuer sur l'indemnisation précitée. Bien plus, il ressort de la décision rapportée que le juge doit procéder à ce contrôle d'office, même si aucune partie ne le demande (5).
Cette solution nous paraît devoir être entièrement approuvée. En effet, ainsi que le précise l'article L. 212-15-4, alinéa 2, peuvent prétendre à l'indemnisation les salariés ayant conclu une convention de forfait jours "en application des dispositions du III de l'article L. 212-15-3". Il faut comprendre que l'indemnisation n'a lieu d'être octroyée que si la convention est, en amont, conforme à la loi, c'est-à-dire si elle est licite. On ajoutera que cette indemnité sanctionne le recours abusif à la convention de forfait jours. Or, et sans pour autant s'étendre sur une question éminemment complexe, il n'y a de place pour l'abus que si l'on reste dans les frontières du licite (6). En résumé, seul le recours licite au forfait jours peut dégénérer en abus et donner lieu à indemnisation. C'est ce que souligne la Cour de cassation, en affirmant que "l'indemnité prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, n'est due qu'au salarié susceptible d'être, par application des dispositions légales et conventionnelles, soumis à une convention de forfait en jours".
Partant, il appartient au juge de contrôler la légalité des accords collectifs prévoyant le recours au forfait jours et la conformité à l'accord collectif de ces conventions de forfait ; contrôle auquel la Chambre sociale se livre d'ores et déjà (7).
En l'espèce, et compte tenu de la date des faits, le régime de forfait jours ne pouvait être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne pouvait pas être prédéterminée et qui disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Selon la Cour de cassation, "dans ce cas, le cadre doit bénéficier d'une grande liberté dans l'organisation de son travail à l'intérieur du forfait en jours". Ainsi que le relève cette dernière, il ressort à la fois des pièces produites, des propres écritures de la société et des constatations de la cour d'appel que "l'emploi du temps du salarié était déterminé par la direction et le supérieur hiérarchique de l'intéressé, lesquels définissaient le planning de ses interventions auprès des clients [et] que le salarié ne disposait pas du libre choix de ses repos hebdomadaires". Il s'en déduit que l'intéressé, qui ne disposait d'aucune liberté dans l'organisation de son travail, n'était pas susceptible de relever du régime du forfait jours qui lui avait été appliqué.
Si la solution à laquelle parvient la Cour de cassation doit être approuvée, il n'est guère facile d'en mesurer la portée (8). En effet, il convient de rappeler que celle-ci a été rendue sous l'empire de la loi "Aubry II". Or, nous l'avons vu, l'article L. 212-15-3, III ne fait plus, désormais, référence à l'impossibilité de prédéterminer la durée du travail et s'en tient, seulement, à l'autonomie dans l'organisation de l'emploi du temps. Est-ce à dire, pour autant, que le contrôle du juge sur la licéité du recours au forfait jours va s'en trouver changé ?
Il faut, tout d'abord, souligner que la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) a étendu le champ du forfait jours aux salariés non-cadres "dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées". Il ne fait aucun doute que le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté doit valoir pour ces salariés dont la définition est très proche de celle retenue par la loi "Aubry II" pour les cadres autonomes (9). Cela étant, et s'agissant de ces derniers, on s'accordera avec un auteur pour considérer que "c'est bien un degré d'autonomie très élevé qui est déterminant aujourd'hui comme hier" (10). Par suite, il conviendra de veiller à ce que le salarié dispose bien d'une réelle maîtrise sur ses horaires et la durée du travail (11).
2. Le recours abusif au forfait jours
Il s'infère nécessairement de la décision commentée que, dès lors que les conditions permettant le recours au forfait jours ne sont pas réunies, il convient de faire application du droit commun et, en conséquence, de revenir au décompte du temps de travail effectif. Mais, et on l'aura compris, ce n'est pas parce que le recours au forfait jours est licite qu'il est exclusif de toute indemnisation pour le salarié. Bien au contraire, le législateur a souhaité sanctionner le recours abusif à ce dispositif en prévoyant expressément la possibilité d'une indemnisation pour le salarié (12).
Ainsi que nous l'avons déjà évoqué, cette indemnisation est prévue par l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail. Calculée en fonction du préjudice subi, eu égard, notamment, au niveau de salaire minimum conventionnel, elle est due au salarié soumis à une convention de forfait jours "qui ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée de travail ou perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec des sujétions qui lui sont imposées". Le raisonnement suivi par la Cour de cassation, dans l'arrêt sous examen, ne lui a, malheureusement, pas permis de se prononcer sur les conditions d'ouverture de cette indemnité qui, on peut raisonnablement le supposer, ne manqueront pas de poser difficultés.
La difficulté réside, ici, dans la caractérisation de l'abus dans le recours au forfait jours. Selon le texte, celle-ci peut découler du constat que le salarié ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée du travail. L'appréciation de cette situation apparaît, de prime abord, difficile, compte tenu du fait que le recours au forfait jours exclut, par nature, la prise en compte des heures réellement effectuées par le salarié. En réalité, c'est la charge de travail pesant sur le salarié qui doit être examinée (13). Dès lors que celle-ci apparaît sans rapport avec le nombre de jours prévu au forfait, on peut penser que le salarié ne bénéficie pas d'une réduction effective de sa durée du travail. Mais, et il convient d'en avoir conscience, tout est ici affaire d'appréciation, ce qui ne peut manquer de poser des difficultés.
Il en va de même de l'appréciation d'une rémunération "manifestement sans rapport avec les sujétions imposées". Là encore, et c'est peu de le dire, on est dans le domaine du subjectif. Que faut-il entendre par "sujétions" ? Sans doute est-il possible de se référer, à nouveau, à la charge de travail imposée au salarié. Mais, le fait que le salarié dispose d'une large autonomie dans la détermination de son emploi du temps ne constitue-t-il pas une contrepartie à ces sujétions ? On le constate, l'article L. 212-15-4, alinéa 2, du Code du travail ne manquera pas de poser de difficiles problèmes d'application que la Cour de cassation sera, sans aucun doute, appelée à régler. Affaire à suivre, donc.
Décision
Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.876, Société Blue Green Villennes c/ M. Vincent Loustaud, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2447DZN) Cassation partielle (CA Versailles, chambre sociale, 25 avril 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 212-15-3, III en sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L3870DCC) ; article 5.7.2.3 de la convention collective nationale du golf ; C. trav., art. L. 212-15-4, al. 2 (N° Lexbase : L7952AID). Mots-clefs : cadres ; forfait en jours ; licéité ; recours abusif ; indemnisation ; office du juge. Lien bases : |
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