Réf. : Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44.934, F-D (N° Lexbase : A4283DZN) ; Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 05-45.698, F-D (N° Lexbase : A4158DZZ) ; Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-40.115, F-D (N° Lexbase : A4255DZM)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 06-44.934 : ne constitue pas une modification du contrat de travail mais un changement dans ses conditions de travail le fait de demander à un salarié d'exécuter la tâche supplémentaire de réception de nouveaux clients pour les réparations, compatible avec l'expérience et la formation du salarié, qui relève des mêmes fonctions et prérogatives et est en rapport avec sa qualification de magasinier. Pourvoi n° 05-45.698 : constitue un élément du contrat de travail le taux horaire du salaire contractualisé par l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis, qui ne peut, dès lors, être modifié indirectement par le nouvel employeur à l'occasion d'un changement du mode de rémunération. Pourvoi n° 06-40.115 : un élément de rémunération contractuel ne peut être supprimé ou modifié sans l'accord du salarié, ni remis en cause par une convention ou accord collectif qui prévoit un avantage ayant le même objet ou la même cause qui est plus favorable au salarié, et qui reçoit application de préférence aux stipulations du contrat de travail. |
1. La détermination des éléments du contrat de travail
L'examen des solutions dégagées ces dernières années par la jurisprudence montre que sept éléments du contrat de travail ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié : il s'agit de la rémunération, de la durée du travail, des fonctions exercées par le salarié, du lieu de travail, de la personne de son employeur, de l'organisation contractuelle du travail ainsi que des clauses du contrat de travail.
Même si le changement terminologique intervenu en 1996 et qui conduit désormais à distinguer, en principe selon une méthode d'analyse objective, les éléments du contrat de travail qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié des conditions de travail qui peuvent être modifiées par la seule volonté de l'employeur (1), de nombreuses difficultés d'interprétations sont apparues. Une conception trop large de la notion d'"éléments essentiels du contrat de travail" confèrerait, en effet, au salarié un pouvoir de blocage trop important et interdirait toute adaptation de la relation de travail aux besoins, par essence changeants, de l'entreprise.
C'est ainsi que la notion de lieu de travail doit s'entendre non pas d'un point précis, même identifié dans le contrat par les parties, mais d'un secteur géographique à l'intérieur duquel le salarié peut être amené à être affecté sans qu'il puisse prétendre s'y opposer (2).
La notion de "fonctions" confiées au salarié a connu le même et nécessaire assouplissement. Pour la Cour de cassation, il ne s'agit pas, en effet, de garantir au salarié le maintien des tâches pour lesquelles il aurait été précisément recruté, mais simplement de lui assurer que les nouvelles tâches que l'employeur pourrait être conduit à lui confier seront de même nature, qu'elles entreront dans sa "qualification" (3), qu'elles ne modifieront pas ses "responsabilités" (4) ou encore ses "attributions" (5) au sein de l'entreprise.
C'est ce que vient confirmer un nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 30 octobre 2007 (pourvoi n° 06-44.934).
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en qualité de magasiner par un garagiste avant de devenir chef d'équipe. Son employeur lui avait demandé d'accomplir des tâches de réception de la clientèle, ce que ce dernier avait refusé en se montrant particulièrement discourtois avec un client de l'entreprise. Il avait alors été mis à pied, puis licencié pour faute grave.
La cour d'appel avait considéré la faute grave comme établie, ce que contestait le salarié. Dans son pourvoi, ce dernier faisait valoir qu'il était, depuis près de 20 ans, responsable du seul magasin de pièces de rechange, et que le fait de lui demander de s'occuper également de l'accueil des clients constituait une modification de son contrat de travail, pareille modification concernant le niveau hiérarchique du salarié et correspondant à une qualification différente.
Le rejet du pourvoi, sur ce point, confirme cette analyse.
Pour la Cour de cassation, en effet, la cour d'appel avait d'abord observé "que la tâche supplémentaire de réception de nouveaux clients pour les réparations, compatible avec l'expérience et la formation [du salarié] relevait des mêmes fonctions et prérogatives et était en rapport avec sa qualification", et ensuite qu'elle "en a exactement déduit l'absence de modification du contrat de travail". On retrouve, dans cet arrêt, les indices classiques qui permettent au juge de déterminer s'il y eu, ou non, modification du contrat de travail, au travers de la prise en compte de l'expérience du salarié, qui doit être compatible avec ses nouvelles tâches (6), ou du maintien de sa qualification, ou, au contraire, d'en éventuel déclassement (7).
Cette solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où elle concilie harmonieusement l'intérêt du salarié, qui ne doit pas voir l'économie générale de son contrat de travail unilatéralement modifiée par son employeur, tout en permettant à ce dernier d'utiliser ses salariés de manière relativement souple en leur confiant les différentes tâches au sein de l'entreprise qu'ils sont susceptibles d'accomplir.
2. L'intangibilité du contrat de travail
L'un des apports de l'arrêt "Raquin", rendu en 1987, est d'avoir affirmé le principe de l'intangibilité du contrat de travail et d'avoir consacré le droit du salarié de refuser toute modification non désirée du contrat de travail (8). Ce principe, qui trouve sa source dans l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (9), peut toutefois être écarté par d'autres textes spéciaux.
L'un des textes qui prévoient des hypothèses légales de modification automatique du contrat de travail, sans que le salarié ne puisse s'y opposer, est l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), qui impose au salarié un changement d'employeur en cas de cession d'entreprise.
Un autre texte du Code du travail a, également, pour effet de modifier le contenu du contrat de travail. Il s'agit de l'article L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN) qui régit la période postérieure à la dénonciation ou à la mise en cause d'un accord collectif après la cession de l'entreprise. Ce texte, à compter de la dénonciation ou de la cession de l'entreprise, impose le respect d'un préavis de 3 mois, puis organise une période de 12 mois maximum pendant laquelle les partenaires sociaux peuvent négocier un accord de remplacement qui se substituera, alors, au texte dénoncé ou mis en cause. A défaut de conclusion d'un accord dans ce délai, l'article L. 132-8 prévoit le maintien des avantages individuels acquis.
Même si la loi ne le prévoit pas expressément, ce principe a pour effet de contractualiser les avantages individuels dont le salarié avait effectivement bénéficié, par application de l'accord dénoncé ou mis en cause. Ces derniers intègrent alors le contrat de travail, qui se trouve, par ailleurs, cédé au nouvel employeur, dans l'hypothèse d'une cession de l'entreprise, par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Ces avantages sont, par conséquent, soumis au régime issu de la jurisprudence "Raquin" et ne pourront donc pas être unilatéralement modifiés par le nouvel employeur sans l'accord du salarié (10).
Ces avantages demeurent, également, définitivement acquis au salarié et ne pourront pas être remis en cause par l'adoption d'un nouvel accord collectif.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'un accord collectif ne saurait avoir pour effet de modifier le contrat de travail, comme le rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 7 novembre 2007 (pourvoi n° 06-40.115). L'accord collectif et le contrat sont, en effet, deux sources distinctes de la relation de travail qui s'appliquent concurremment. Certes, l'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN) dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables". Mais ce texte ne prévoit que le principe de l'application de la convention collective, par préférence au contrat de travail et sous réserve de son caractère plus favorable, et non celui de la révision du contrat. Les dispositions du contrat de travail écartées par l'application de l'accord collectif ne sont pas supprimées du contrat, mais simplement privées d'effet en attendant le moment où elles pourront de nouveau s'appliquer si les dispositions concurrentes de l'accord collectif venaient à être supprimées, ou réviser à la baisse.
Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt (pourvoi n° 05-45.698) du 7 novembre 2007, une salariée bénéficiait, dans son contrat de travail, d'une prime par ailleurs prévue par l'accord collectif à l'époque applicable. A l'occasion de la révision de celui-ci, la prime conventionnelle avait été supprimée pour être intégrée dans la rémunération de base des salariés. La salariée, se fondant sur la clause de son contrat de travail, avait réclamé la poursuite du paiement de cette prime, et ce, en dépit du fait qu'elle bénéficiait indirectement du paiement de sommes équivalentes compte tenu de l'intégration de son équivalent conventionnel dans la rémunération de base. Considérant que la convention collective nouvelle, qui avait pu valablement se substituer à l'ancienne à l'occasion de sa révision, n'avait pu avoir pour effet de modifier le contenu du contrat de travail de la salariée, la Cour de cassation considère, ici, très logiquement, que la salariée devait continuer de percevoir la prime contractuelle à laquelle elle n'avait pas renoncé.
Voilà qui devrait conduire les employeurs à la plus grande prudence lors de la rédaction des contrats de travail, et à ne jamais commettre l'erreur de reprendre dans le contrat de travail les dispositions du statut collectif, sauf à vouloir rendre ces éléments intangibles, en dépit de la révision du statut collectif.
Un autre arrêt, également rendu le 7 novembre 2007, reprend ce principe d'intangibilité du contrat de travail, mais dans le cadre plus complexe de la mise en cause d'un accord collectif postérieurement à la fusion de l'entreprise dans lequel cet accord s'appliquait (pourvoi n° 06-40.115).
Dans cette affaire, une société, assujettie à la convention collective du négoce de matériaux, en avait absorbé une autre qui relevait de la convention collective du bâtiment. N'ayant pu négocier un accord d'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, l'entreprise absorbante avait proposé aux salariés issus de la société absorbée une modification de la structure de leur rémunération afin d'harmoniser leurs conditions d'emploi avec celles des autres salariés. Ces salariés s'y étaient opposés mais leur nouvel employeur leur avait unilatéralement fait application du changement de structure salariale, ce qui avait conduit les salariés à saisir la juridiction prud'homale de demandes en paiement des avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord mis en cause par la fusion.
La cour d'appel d'Orléans les avait déboutés, au motif qu'ils ne justifiaient d'aucune perte de rémunération depuis que leur employeur leur avait imposé un nouveau mode de rémunération, et ce dès lors qu'ils ne peuvent cumuler le salaire, comprenant une prime d'ancienneté, que leur versait leur ancien employeur, ni avec la prime d'ancienneté résultant des dispositions conventionnelles nouvellement applicables ni avec le treizième mois versé par le nouvel employeur.
Cet arrêt est cassé pour manque de base légale, la cour d'appel se voyant reprocher de n'avoir pas recherché "si le changement de mode de rémunération imposé par le nouvel employeur n'avait pas eu pour conséquence de modifier le taux horaire du salaire qui avait un caractère contractuel au plus tard, en qualité d'avantage individuel acquis, à la fin de la période de survie provisoire de la convention collective [...] dont l'application avait été mise en cause du fait de la fusion-absorption".
Cette décision est particulièrement intéressante car elle illustre la complexité de la situation des salariés bénéficiaires d'avantages individuels acquis confrontés à une logique d'harmonisation des statuts avec les autres salariés de leur nouvelle entreprise. Certes, la situation qui résulte de la fusion des entreprises et de l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail est de nature à justifier une différence de traitement avec les autres salariés de l'entreprise, comme cela a été confirmé en juillet dernier par la Cour de cassation (11). Nous avions eu l'occasion de souligner que pareilles différences de traitement, si elles peuvent semblées justifiées sur un plan strictement juridique, ne sont pas nécessairement opportunes car elles sont de nature à provoquer le mécontentement des salariés de la nouvelle entreprise qui ne comprennent pas toujours que leurs "nouveaux" collègues, qui exercent un travail égal, ou de valeur égale, perçoivent une rémunération plus importante.
C'est certainement pour cette raison que l'employeur avait ici décidé, après l'échec de la négociation de l'accord d'adaptation et le refus des salariés de voir leurs contrats modifiés, d'imposer l'harmonisation des modes de rémunération.
La cour d'appel avait refusé de faire droit aux demandes présentées par ces salariés sous prétexte que la modification apportée dans leur mode de rémunération n'avait eu pour eux aucune conséquence salariale particulière, puisqu'ils n'auraient en toute hypothèse pas pu cumuler le bénéfice des nouvelles primes, dont il leur avait été fait une application forcée, et les anciennes qui avaient le même objet (ancienneté et treizième mois).
La difficulté provenait, ici, du fait que les salariés ne pouvaient prétendre au maintien de leur ancien mode conventionnel de rémunération qui ne présente pas le caractère d'un avantage individuel susceptible d'être acquis par le salarié (12), seul le niveau de rémunération étant susceptible de recevoir cette qualification (13).
Dès lors, la cour d'appel ne pouvait se contenter de considérer que les salariés ne pouvaient revendiquer aucun droit au maintien de la structure antérieure de leur rémunération, mais devait vérifier quel était leur niveau de rémunération, sur la base de l'ancienne convention, puisque seul ce niveau est susceptible de constituer un avantage individuel acquis intégré au contrat de travail, en l'absence d'accord d'adaptation. C'est ici la référence au "taux horaire du salaire" qui permet alors de vérifier ce que l'employeur n'était pas en droit de modifier unilatéralement, lui imposant, par conséquent, d'en assurer le maintien en l'état, sans qu'il ne puisse, sous couvert de modifier la structure de la rémunération, en modifier indirectement le montant.
On reconnaît, ici, l'attention toute particulière que la Cour de cassation porte à l'intangibilité de la rémunération contractuelle qui est absolue, l'employeur ne pouvant le modifier ni en le réduisant, ni même en le majorant (14), sans l'accord du salarié.
Décisions
Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44.934, M. Alain Roux, F-D (N° Lexbase : A4283DZN) Cassation partielle (CA Grenoble, chambre sociale, 6 février 2006) Mots-clefs : contrat de travail ; modification ; changement des conditions de travail. Lien bases : Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 05-45.698, Société Record portes automatiques Centre-Ouest, F-D (N° Lexbase : A4158DZZ) Rejet et cassation partielle (CA Orléans, chambre sociale, 17 novembre 2005) Textes concernés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC). Mots-clefs : contrat de travail ; maintien des avantages individuels acquis ; modification du contrat de travail. Lien bases : Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-40.115, Société Clinique du Château de Perreuse, F-D (N° Lexbase : A4255DZM) Rejet (CA Paris, 18e chambre D, 8 novembre 2005) Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clefs : rémunération contractuelle ; remise en cause ; convention ou accord collectif. Lien bases : |
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