Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 06-10.930, M. Jean-Luc Sallard, F-P+B (N° Lexbase : A5789DY3)
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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
le 02 Juin 2012
Le patrimoine originaire comprend, ainsi, tous les biens appartenant à l'époux lors du mariage, ceux acquis par succession ou libéralité, ainsi que ceux qui, dans le régime de la communauté légale, forment des propres par nature, sans donner lieu à récompense (C. civ., art. 1570 N° Lexbase : L1656ABX). En vertu de l'article 1571 du Code civil (N° Lexbase : L1657ABY), ces biens originaires sont estimés d'après leur état au jour du mariage ou de l'acquisition et d'après leur valeur au jour où le régime matrimonial est liquidé.
Le patrimoine final comprend, quant à lui, tous les biens qui appartiennent à l'époux au jour de la dissolution du régime, y compris, le cas échéant, ceux dont il aurait disposé à cause de mort et sans en exclure les sommes dont il peut être créancier envers son conjoint (C. civ., art. 1572 N° Lexbase : L1658ABZ). Antérieurement à la loi du 23 décembre 1985 (loi n° 85-1372, relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs N° Lexbase : L9080HS4), ces biens étaient évalués d'après leur état et leur valeur au jour où le régime matrimonial était dissous. Aujourd'hui, l'évaluation des biens existants se fait d'après leur état au moment de la dissolution du régime et d'après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci (C. civ., art. 1574).
Cette phase d'évaluation des biens originaires et existants, relativement complexe, connaît parfois l'intervention du juge auquel le législateur donne un pouvoir exceptionnel. Aux termes de l'article 1579 du Code civil, "si l'application des règles d'évaluation prévues par les articles 1571 et 1574 [...] devait conduire à un résultat manifestement contraire à l'équité, le tribunal pourrait y déroger à la demande de l'un des époux". Cette faculté nécessite donc une solution manifestement inéquitable démontrée par l'un des époux résultant de l'application des règles légales d'évaluation. Toutefois, pour que ce correctif judiciaire puisse jouer, encore convient-il de s'assurer qu'un tel dispositif est applicable.
En l'espèce, des époux mariés le 29 septembre 1979, sous le régime de la participation aux acquêts, avaient inséré dans leur contrat de mariage la stipulation suivante : "Patrimoine final : [...] - Estimation : Les biens qui existeront en nature au jour de la dissolution du régime seront estimés d'après leur valeur au jour de la liquidation (et non au jour de la dissolution comme le prévoit le Code civil) mais en tenant compte de leur état au jour de la liquidation". Les époux ayant divorcé le 19 décembre 1998, leur régime matrimonial dût être liquidé.
Pour ce faire, les juges du fond dérogèrent à la convention matrimoniale selon le raisonnement suivant : l'article 1579 permet de déroger aux règles légales d'évaluation lorsque l'application de ces dernières conduit à un résultat contraire à l'équité. Or, la stipulation, en prévoyant l'estimation des biens d'après leur valeur au jour de la liquidation, reprend le même procédé d'évaluation que celui retenu par l'actuel article 1574 du Code civil.
L'application de la convention aboutissant à un résultat similaire à celui auquel conduit l'application de l'article 1574, il est possible d'y déroger en application de l'article 1579.
Sous le visa de ce dernier article, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 26 septembre 2007, rejette ce raisonnement. Pour que le correctif judiciaire de l'article 1579 puisse jouer, l'article 1574, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1985, doit être applicable. Or, selon la Cour, il aurait fallu, ainsi que le prévoit l'article 62 de la loi du 23 décembre 1985, que la convention matrimoniale renvoie à l'ancienne rédaction de l'article 1574 ou en soit la reproduction. Tel n'était pas le cas en l'espèce puisque les époux avaient, au contraire, convenu d'une règle d'évaluation distincte de celle alors retenue par le Code civil.
L'article 1574, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1985, n'était, en conséquence, pas applicable en l'espèce. De ce fait, l'article 1579 ne pouvait pas l'être non plus.
En dehors de cette illustration jurisprudentielle des règles d'évaluation des créances de participation, l'article 1579 du Code civil est, de manière générale, fortement critiqué. Pour certains, il s'agit d'une "méthode détestable, car elle ruine la sécurité que doit apporter la règle de droit, et place le juge dans le plus grand embarras" (2). Le maintien de l'article 1579 se justifie d'autant moins que la loi du 23 décembre 1985 a, nous l'avons vu, modifié les règles d'évaluation prévues, notamment, à l'article 1574 (3).
(1) S. Piedelièvre, J.-Cl. Code civil, art. 1569 à 1581, fasc. Participation aux acquêts, n° 23.
(2) H., L., et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Régimes matrimoniaux, t. IV., 1er vol., 5ème éd., 1982, par M. de Juglart, n° 574.
(3) S. Piedelièvre, J.-Cl. Code civil, art. 1569 à 1581, préc., n° 23.
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