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par Anne-Lise Lonné, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 07 Octobre 2010
1. Les garanties du contribuable au cours du dialogue précontentieux : un point d'équilibre ?
Les garanties du contribuable constituent la contrepartie des prérogatives dont dispose l'administration, au nom de l'intérêt général, pour asseoir, recouvrer et contrôler l'impôt. Les fondements des garanties sont très diversifiés. Beaucoup d'entre elles trouvent leur source dans la loi, mais d'autres procèdent également du rôle prétorien du juge, comme les droits de la défense, et l'administration elle-même, dans sa pratique, accorde des garanties aux contribuables.
L'objectif est de trouver un point d'équilibre entre les garanties du contribuable, d'un côté, et les prérogatives de l'administration, de l'autre, autrement dit, entre la justification d'un intérêt général et la protection des intérêts individuels.
La Commission "Aicardi", en son temps, avait formulé ses propositions dans le constat d'un déséquilibre qui apparaissait préjudiciable à une bonne application du principe démocratique du consentement à l'impôt. Un certain nombre de mesures a, alors, été adopté par le législateur, notamment, pour corriger des procédures qui paraissaient trop contraignantes.
Aussi, à la lumière de ces mesures et de l'expérience dont on dispose, qu'en est-il de ce point d'équilibre aujourd'hui ?
Avant tout, P. Suet précise qu'il n'est pas satisfaisant de parler d'équilibre, alors qu'il s'agit de rechercher une protection maximale du contribuable. Néanmoins, il faut admettre que la situation a très largement progressé et que l'on dispose, aujourd'hui, d'un ensemble de règles relativement équilibrées.
Il convient, toutefois, de distinguer deux situations, selon la taille des entreprises. Dans les grandes entreprises, le niveau de professionnalisme est tel qu'un certain nombre de procédures, qui peuvent paraître dramatiques dans une PME, sont dédramatisées, dans les grandes entités, par la compétence des intervenants. Subsistent, malgré tout, des lourdeurs et des situations d'incompréhension, notamment en matière de vérifications informatiques. Par ailleurs, dans les petites entreprises, il est assez difficile d'obtenir un climat de confiance. Même si la menace par les pénalités n'est pas aussi forte qu'avant, celle par l'abus de droit est bien présente.
De son côté, J. Turot soulève le fait qu'il existe une "forteresse de garanties" dans le domaine du contrôle fiscal, alors qu'elles sont inexistantes en matière de droit de communication. Or, le vérificateur établit son redressement par le droit de communication, avant même d'entamer le contrôle fiscal. Il se forge alors son opinion, sans établir le moindre dialogue avec le contribuable. Le contribuable ne bénéficie donc pas du contradictoire lors de cette étape.
Enfin, du point de vue de l'administration, J.-L. Gautier estime que l'équilibre, sans être parfait, est atteint, en insistant sur le fait qu'il s'agit d'un équilibre entre, d'un côté, les garanties du contribuable et, d'un autre, l'efficacité du contrôle, qui est tout aussi important.
Aussi, si le besoin de garanties du contribuable est illimité, l'efficacité du contrôle doit aussi être pris en compte. Or, certains déséquilibres en défaveur de ce dernier peuvent être relevés. Concernant la durée des contrôles, tout d'abord, celle-ci est de trois mois dans les PME. Ce délai peut s'avérer trop court dans certains cas, notamment pour les nécessités du contrôle informatique, pour une demande d'assistance, ou encore pour une expertise. Ensuite, s'agissant des comptabilités informatisées, on peut se demander, vingt ans après la loi instaurant le contrôle informatique, si le dispositif n'a pas un peu vieilli, et si les garanties qui y sont attachées ne sont pas trop contraignantes pour l'administration. Enfin, à propos des procédures elles-mêmes, il semble que le contexte soit favorable au développement de la fraude. A noter une innovation, l'année dernière, pour les "carrousel" TVA, avec un dispositif qui permet de sanctionner une personne qui savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait à un circuit frauduleux. La question se pose alors de savoir si, dans certaines situations de fraudes graves présumées, il ne faudrait pas dépasser nos procédures administratives et leurs garanties.
Mais, au-delà de ces questions, J.-L. Gautier rappelle que l'administration fiscale a le souci permanent d'améliorer ses relations avec le contribuable, ce en dehors de la loi, et de s'imposer des exigences de comportement et d'actions.
Après ce bilan général, il convient d'examiner quelques points particuliers relatifs au contrôle et à sa mise en oeuvre.
1.1. La programmation du contrôle
Comme le souligne P. Dibout, on peut considérer que le caractère aléatoire du contrôle est garant de son efficacité, dès lors que l'ensemble des contribuables a vocation à être contrôlé. Mais, là encore, deux situations doivent être distinguées : celle des très grandes entreprises qui évoluent dans un système de contrôle permanent et celle des autres, qui restent soumises à un contrôle aléatoire.
Aussi, il regrette que cette distinction ne transparaisse davantage dans les dispositifs, d'autant que le contrôle permanent dans les grandes entreprises représente une garantie contre les éventuelles distorsions de concurrence.
Du point de vue de l'administration, J.-L. Gautier rappelle que le contrôle fiscal a trois finalités : une finalité répressive, afin de sanctionner le contribuable ; une finalité budgétaire, en vue de recouvrer les impôts qui n'ont pas été payés ; et une finalité dissuasive. Sachant qu'il existe à peu près trois millions d'entreprises et que 47 000 par an seulement sont contrôlées, l'administration fiscale doit, ainsi, être très sélective et choisir les "meilleurs" contrôles compte tenu des finalités du contrôle fiscal. Dans ce contexte, la programmation du contrôle fiscal, est extrêmement subtile et complexe, allant de l'analyse de risque à la recherche du renseignement, ou encore au choix événementiel ou aléatoire. Tout cela repose sur une organisation professionnelle hautement encadrée. Le contrôle fiscal, en général, et la programmation, en particulier, font donc eux-mêmes l'objet de contrôles internes, mais également de l'inspection générale des finances, de la Cour des comptes, ou encore du Parlement.
1.2. Le déroulement du contrôle, sur le terrain des garanties
Sur l'exigence du caractère contradictoire d'une procédure, l'équilibre est globalement satisfaisant, mais il convient d'examiner trois questions :
- la motivation des propositions de rectification et leur variabilité ;
- l'articulation du droit de contrôle et du droit de communication ;
- l'information du contribuable au terme du contrôle, et notamment "le rescrit de contrôle".
1.2.1. La motivation des redressements
Selon J. Turot, il convient d'évoquer, ici, le problème de l'évolution des motifs en cours de contrôle qui, parfois, vient annihiler le caractère contradictoire.
A cet égard, la jurisprudence retient que, lorsque l'administration change de motif dans le cadre de sa réponse aux observations du contribuable, elle doit renotifier pour rouvrir un débat contradictoire. Mais, interprétant la notion de changement de motif comme un véritable changement de fondement juridique, elle sanctionne que très rarement ce genre de modification.
Comme le relève J. Turot, le changement de motif est particulièrement choquant en cas de notification interruptive, et il estime que le fait, pour l'administration, de procéder à une notification interruptive de prescription avec un motif extrêmement vague est une pratique à laquelle le juge doit mettre un terme.
A ce sujet, P. Suet ajoute que la responsabilité du vérificateur est importante. En effet, la technique de la notification interruptive n'est pas un acte sans conséquence dans un contexte où le risque opérationnel de l'entreprise est omniprésent, dès lors que l'interruptif représente un risque potentiel assez fort.
J.-L. Gautier s'est montré sensible à cette difficulté, en admettant que dans les systèmes applicables aux Etats-Unis, ou au Canada, le contribuable peut demander à ce que la prescription ne lui soit pas opposable. Cette règle permettrait peut-être de résoudre la question. En tout état de cause, c'est un sujet de réflexion pour l'administration.
1.2.2. L'articulation du droit de contrôle et du droit de communication
Selon P. Dibout, le droit de communication, qui offre à l'administration fiscale le pouvoir de rechercher auprès de tiers les renseignements nécessaires à la poursuite de ses missions est un dispositif majeur. Mais, force est de constater que ce droit de communication n'est pas entouré de garanties aussi importantes et significatives que celles attachées au pouvoir de contrôle.
La jurisprudence a réalisé des avancées en la matière avant d'être suivie par le législateur. A titre d'exemple, on peut citer l'obligation pour l'administration d'informer le contribuable avant la mise en recouvrement de la teneur et des renseignements obtenus dans l'exercice du droit de communication (LPF, art. L. 76 B [LXB=L7606HEG ]). Le Conseil d'Etat est venu préciser la portée de cette garantie vis-à-vis du débat oral et contradictoire en retenant que celui-ci ne s'impose que lorsque la communication auprès des tiers porte sur les pièces comptables.
J. Turot considère qu'il s'agit d'une avancée importante, mais élémentaire. En effet, lorsque l'administration invoque formellement un document qu'elle a obtenu auprès d'un tiers dans l'exercice de son droit de communication à l'appui d'un redressement, il semble normal qu'elle doive communiquer ce document, étant précisé qu'elle n'y est tenue que si le contribuable le demande. Le dispositif reste donc très insuffisant, ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, l'administration invoque, dans le cadre de son redressement, des informations ou des documents qu'elle a obtenus auprès de tiers, mais non nécessairement toutes les informations ; elle peut avoir fondé implicitement son analyse de la situation sur des informations dont elle ne va pas faire état explicitement. Dans ce cas-là, le contribuable ne peut rien demander.
Ensuite, il faut tenir compte du fait que l'administration instruit à charge, et qu'elle ne révèle pas toutes les informations recueillies, notamment celles qui pourraient jouer en faveur du contribuable. Le contribuable n'ayant pas accès à cette même masse d'informations, il existe donc une inégalité réelle entre le vérificateur, qui dispose d'un certain nombre d'informations à charge et à décharge, et le contribuable qui n'en dispose d'aucune. A ce propos, J.-L. Gautier tient, toutefois, à rectifier cette idée en indiquant que l'administration n'instruit pas à charge et qu'elle retient les éléments allant dans les deux sens.
Pour P. Suet, l'un des risques liés à l'articulation des deux procédures réside dans le fait que rien n'empêche l'administration d'exercer son droit de communication dans une entreprise en prétextant la recherche d'éléments sur un tiers, puis d'utiliser, par la suite, les informations recueillies contre cette entreprise. Autrement dit, cette pratique permet d'initier une vérification sans en informer l'entreprise. Apparaît ici une difficulté liée à l'absence d'étanchéité entre les deux procédures.
Pour y remédier, J. Turot demande le retour de l'arrêt "Léonard", resté isolé en 1988 (CE Contentieux, 11 juillet 1988, n° 73302, Ministre du Budget c/ Léonard N° Lexbase : A6614APN). Il en ressortait que, dès lors que l'administration exerce son droit de communication auprès d'un tiers en centrant ses recherches sur un contribuable déterminé, elle doit procéder à une ouverture officielle du contrôle fiscal avant même d'aller exercer son droit de communication chez un tiers. L'idée était d'intégrer le droit de communication à l'intérieur de la procédure de contrôle, autrement dit dans un cadre contradictoire, lorsque le droit de communication est centré sur un contribuable déterminé, puisqu'il s'agit, en réalité, d'un début de contrôle. Mais cet arrêt n'a pas été suivi, ce qu'il regrette.
1.2.3. L'information formelle du contribuable au terme du contrôle
Il y a lieu, ici, de mentionner une instruction du 20 juillet 2005 (BOI 13 L-3-05 N° Lexbase : X2990AD4) qui prévoit que la mise en oeuvre de la garantie du contribuable contre les changements de doctrine de l'administration prévue par les articles L. 80 A (N° Lexbase : L8568AE3) et L. 80 B (N° Lexbase : L5529HWP) du LPF est étendue, sous certaines conditions, aux points examinés en cours de vérification de comptabilité et qui n'ont pas donné lieu à rectification.
Selon P. Suet, cette instruction ne fait que permettre au contribuable de demander le rescrit au vérificateur et non à l'inspecteur gestionnaire, et ne présente alors qu'un intérêt limité. En effet, il conviendrait de mettre en oeuvre une véritable réforme du rescrit en contrôle fiscal, qui prévoirait, à l'issue du contrôle, que le vérificateur fasse état de l'ensemble des diligences auxquelles il a procédé, et qu'il établisse une liste de ce qui est conforme. Cela constituerait une garantie lors de la vérification suivante, afin d'éviter des changements de doctrine, de vérification à vérification.
Toutefois, J.-L. Gautier estime que le dispositif actuel, tel que prévu par l'instruction précitée, n'est justement pas si éloigné du dispositif sollicité par P. Suet. En effet, l'instruction prévoit la possibilité pour l'entreprise vérifiée de demander au vérificateur que les éléments ayant été examinés et qui n'ont pas donné lieu à des redressements lui soient confirmés. Il admet que cela n'est pas un droit, mais une simple faculté.
Quant à J. Turot, il estime que la problématique se situe davantage dans le moment auquel le contribuable peut procéder à cette demande, c'est-à-dire avant la notification de redressement, alors qu'il se trouve encore dans l'incertitude de l'objet du redressement. Il conviendrait de l'étendre à la fin du contrôle, après la notification.
1.3. L'issue du contrôle
D'une manière générale, P. Suet constate que les dispositifs actuels ne permettent pas de modifier substantiellement les conclusions de la vérification. D'une part, s'agissant des commissions administratives, il n'est pas convaincu que l'organisation des commissions administratives paritaires permette d'évaluer de façon satisfaisante un litige compliqué de transfert, par exemple.
D'autre part, s'agissant de la médiation, pour rendre le système plus efficient, il souhaiterait que l'interlocuteur ne soit pas situé dans la ligne hiérarchique de celui qui décide et contrôle les objectifs. J. Turot s'accorde à dire qu'il faudrait envisager une sortie du cadre hiérarchique, laquelle pourrait consister en une délocalisation afin de prendre un recul géographique.
Concernant les commissions, ce dernier estime, également, qu'une réforme doit être menée. En effet, le niveau départemental ne semble pas adapté, et devrait être supprimé au profit d'un niveau régional, voire inter-régional. Il faudrait, en outre, envisager la création de commissions spécialisées au niveau national, compétentes sur des questions techniques (par exemple, sur les problèmes de prix de transfert, sur les problèmes d'évaluation d'incorporels...).
A cet égard, J.-L. Gautier rappelle que le principe des commissions spécialisées sur les questions complexes avait été évoqué en 2004, mais écarté par crainte de créer un système à deux vitesses, selon la taille des entreprises. Toutefois, il admet qu'il est légitime de réenvisager la question, dans la mesure où les problèmes des grandes entreprises diffèrent de ceux des petites et moyennes entreprises. Ne pas apporter de réponse adaptée à une telle situation peut être source d'inefficacité au détriment des grandes entreprises, la notion de "grandes entreprises" étant assez connexe de celle de questions complexes. Aussi, l'administration fiscale est ouverte à la réflexion, celle-ci pouvant emprunter plusieurs voies, comme la création de séances spéciales dans les commissions actuelles, ou la création de commissions nationales par thèmes, comme le préconise J. Turot.
Quant au problème de l'interlocution, après avoir précisé que les directeurs n'ont pas d'objectifs financiers en terme de contrôle fiscal, mais celui de ne pas créer de contentieux inutile, J.-L. Gautier souligne qu'une interlocution consiste précisément en un recours hiérarchique, et qu'il ne s'agit pas de médiation externe.
2. Les rescrits fiscaux : comment les rendre plus attractifs ?
Procédant à un état des lieux, J.-L. Gautier indique que le système de rescrit constitue l'axe fort de l'action de l'administration en faveur du droit à la sécurité juridique, s'inscrivant dans l'amélioration des relations avec les contribuables. Depuis 2005, à la suite des trente mesures visant à améliorer les relations entre l'administration et les contribuables, l'administration a professionnalisé le montage et le suivi du rescrit pour en assurer mieux l'efficacité. Ainsi, les contribuables disposent d'un site internet qui fournit tous les éléments utiles et, notamment, le mode d'emploi de la demande de rescrit. Par ailleurs, l'administration mène une politique active d'information par la presse, les organismes professionnels, dans les colloques, et publie, chaque année, de plus en plus de décisions de rescrits anonymisées pour qu'elles profitent à tous. En 2006, a été enregistrée une augmentation de 40 % par rapport à l'année précédente. Le bilan est, donc, plutôt satisfaisant, étant précisé que le système peut encore être amélioré.
En vue d'une amélioration, P. Suet soulève la question de l'anonymat, dès lors que l'on se trouve en présence d'opérations complexes. Dans ce même type d'opérations, qui comportent une phase préparatoire au montage, il conviendrait également d'enfermer l'administration dans un délai tacite, assez court, de l'ordre de trois mois. En effet, les opérations plus sophistiquées appellent des protections plus importantes, en vue d'éviter la crainte d'un contrôle.
Pour J. Turot, la procédure du rescrit, qui est globalement satisfaisante, appelle deux remarques. D'abord, il regrette l'absence d'une publication systématique de tous les rescrits. Ensuite, concernant l'anonymat, le problème ne se situe pas, selon lui, dans la crainte de la répression, d'une vérification systématique, mais surtout dans l'enjeu que cela comporte en cas de refus. La demande de rescrit implique pour le contribuable qu'il se soumette par avance à la réponse de l'administration. L'anonymat, en cela, présenterait un grand intérêt.
En réponse à ces remarques, J.-L. Gautier précise, à propos de l'anonymisation que, du point de vue de l'administration, qui cherche toujours à gagner en transparence, "cela laisse une drôle d'impression". S'agissant d'une réduction des délais, il souligne que cela peut entraîner des effets corrélatifs négatifs, dans la mesure où le réflexe naturel de l'administration, si elle ne dispose pas d'un temps suffisant, est de répondre par la négative. Il conclut en s'interrogeant sur le fait que, finalement, l'un des freins au rescrit pourrait résider dans le choix d'une préférence du contribuable pour une part du risque, au détriment d'une sécurité juridique totale. En ce cas, au-delà de tous les efforts qui peuvent être réalisés par l'administration, peut-être touche-t-on une limite.
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