La lettre juridique n°275 du 4 octobre 2007 : Délégation de service public

[Doctrine] Un cas de délégation unilatérale de service public

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 299207, Commune de Rosny-sous-Bois (N° Lexbase : A2903DXS)

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par Sophie Rimeu, Conseiller au tribunal administratif de Paris

le 07 Octobre 2010

Par sa décision "Commune de Rosny-sous-Bois" du 13 juillet 2007, le Conseil d'Etat, après avoir établi que l'attribution de l'exploitation du réseau de transport intercommunal sur le territoire de la commune de Rosny-sous-Bois relevait d'une décision unilatérale du syndicat des transports d'Ile-de-France, précise que la convention d'exploitation conclue ultérieurement par la commune avec l'exploitant autorisé à exploiter ce service public sur son territoire, pour définir les conditions d'exploitation de ce service, n'est pas détachable de la procédure unilatérale de désignation de cet exploitant par le syndicat des transports d'Ile-de-France. Il en résulte que cette convention d'exploitation n'est ni un marché, ni une délégation, ni un contrat au sens des dispositions de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6369G9R) et que le juge du référé précontractuel n'est, donc, pas compétent pour connaître de la procédure préalable par laquelle la commune propose au syndicat un exploitant. La délégation d'un service public par un acte unilatéral n'est pas courante. Cette possibilité doit être prévue par un texte.

Dans la décision du 13 juillet 2007, le syndicat des transports d'Ile-de-France, établissement public administratif chargé de l'organisation des transports publics de personnes dans la région, tire sa compétence de désignation unilatérale des exploitants de l'ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 modifiée, relative à l'organisation des transports de voyageurs en Ile-de-France (N° Lexbase : L9699HXI).

Les délégations unilatérales de service public ne sont pas soumises à la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite "loi Sapin", relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL). Ce point, désormais bien établi, a été fixé pour la première fois, s'agissant des transports en région Ile-de-France, par un avis de l'assemblée générale du Conseil d'Etat du 9 mars 1995 (CE n° 356931, EDEC 1995, n° 47, p. 399). Il a été confirmé, ensuite, pour d'autres délégations unilatérales de service public. Ainsi, les autorisations de transport de gaz, prévues par la loi du 15 février 1941, relative à l'organisation de la production, du transport et de la distribution de gaz (N° Lexbase : L5766HY9), ont fait l'objet d'un avis de l'assemblée générale du Conseil d'Etat du 28 septembre 1995 (CE n° 357262 et 357263, EDCE 1995, n° 47, p. 402) et la désignation des gestionnaires des marchés d'intérêt national, prévue par l'ordonnance du 22 septembre 1967, portant modification et codification des règles relatives aux marchés d'intérêt national, codifiée aux articles L. 730-1 (N° Lexbase : L3140DYX) et suivants du Code du commerce, a fait l'objet, s'agissant du marché national de Rungis, d'un avis de la section des finances du Conseil d'Etat du 28 juillet 1998 (CE n° 362417, EDCE 1999, n° 50, p. 209).

Au contentieux, cette exclusion des délégations unilatérales de service public du champ d'application de la loi "Sapin" a été posée par la décision du Conseil d'Etat du 3 mai 2004, "Fondation Assistance aux animaux" (CE 3° et 8° s-s-r., 3 mai 2004, n° 249832 N° Lexbase : A0650DC3, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon, p. 565 et 878), à propos de l'agrément ministériel des gestionnaires des fichiers nationaux d'identification des chiens, chats et carnivores domestiques, prévu par l'article 5 du décret n° 91-823 du 28 août 1991 (N° Lexbase : L5767HYA).

Cette décision a pu faire l'objet de réserves chez certains commentateurs, car le pouvoir de délégation unilatérale découle non pas d'un texte législatif, comme dans tous les autres cas précédemment évoqués, mais d'un texte réglementaire. Dans leur étude intitulée "Notion et régime juridique de la délégation unilatérale de service public", Antoine Tabouis et Aymeric Hourcabie se sont demandés si un texte réglementaire prévoyant implicitement une dérogation aux dispositions de la loi Sapin ne posait pas problème au regard du respect de la hiérarchie des normes et du principe de légalité (Contrats et Marchés publics, juin 2005, p. 5).

Dans la décision du 13 juillet 2007 était en cause la procédure lancée par la commune de Rosny-sous-Bois pour sélectionner l'entreprise qu'elle proposerait en vue de sa désignation par le syndicat des transports d'Ile-de-France comme exploitant et pour déterminer les conditions d'exploitation du réseau de transport de voyageurs sur son territoire. Outre la désignation unilatérale de l'exploitant par le syndicat des transports d'Ile-de-France, une convention devait, donc, bien être passée dans un deuxième temps entre la commune et l'exploitant pour définir les modalités d'exploitation du service. Le Conseil d'Etat a jugé que cette convention n'était pas détachable de la décision unilatérale de désignation de l'exploitant et ne pouvait, donc, pas être qualifiée de marché public, comme l'avait fait le juge du référé précontractuel du tribunal de Cergy-Pontoise en appliquant les critères de distinction entre marché et délégation de service public. De ce caractère non détachable de la décision unilatérale de désignation, le Conseil d'Etat en a déduit que ladite convention n'était ni un marché, ni une délégation de service public, ni un contrat au sens des dispositions de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative et qu'il n'appartenait, donc, pas au juge du référé précontractuel de connaître de la procédure lancée par la commune de Rosny-sous-Bois.

La distinction entre délégation unilatérale et délégation contractuelle de service public peut être délicate et la qualification qui en est donnée par les parties en présence peut toujours faire l'objet d'une requalification par le juge (voir, sur ce point, l'étude d'Antoine Tabouis et Aymeris Hourcabie précitée et les conclusions d'Emmanuel Glaser sur CE, 3 mai 2004, n° 249832, Fondation assistance aux animaux, BJDCP, n° 37, novembre 2004, p. 464). En outre, ce n'est pas la première fois que des conventions conclues pour préciser des actes unilatéraux sont considérées comme des accessoires de ces décisions et comme tels, soumises au même régime (voir, notamment, CE Contentieux, 8 avril 1998, n° 161411, Société Serc Fun radio N° Lexbase : A7233ASP ou "Fondation assistance aux animaux" précité).

Pour autant, si la distinction entre les deux régimes juridiques, acte unilatéral/contrat, emporte d'importantes conséquences en droit interne, le droit communautaire tend à rapprocher toutes les dévolutions de service public. Ainsi, l'exclusion des délégations unilatérales de service public du champ d'application de la loi "Sapin" ne signifie pas qu'elles échappent à toute obligation de publicité et de mise en concurrence. En effet, si aucun texte de droit national n'impose le respect d'un principe de transparence pour ces délégations unilatérales, il n'en va pas de même du droit communautaire. Pour la Cour de justice des Communautés européennes, la nature juridique de l'acte de délégation du service public est sans influence sur la nécessité de respecter le principe de transparence, qui découle des Traités communautaires (voir, notamment, CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen N° Lexbase : A7748DK8, Rec. I-8612). Dans l'affaire "Commune de Rosny-sous-Bois", il ressort des conclusions du commissaire du Gouvernement, Nicolas Boulouis, que la question de l'application de ce principe ne se posait pas, et ce, notamment, parce que la commune avait appliqué la procédure de publicité et de mise en concurrence élaborée par le Syndicat des transports d'Ile-de-France et qu'il n'était pas soutenu que cette procédure aurait été insuffisante au regard des mesures de publicité adéquate imposées par le droit communautaire.

La question d'un principe général du droit de mise en concurrence en droit français a été posée par Emmanuel Glaser dans ses conclusions sous l'arrêt précité "Fondation assistance aux animaux". Un tel principe n'a pas, alors, été retenu, mais il serait sans doute souhaitable que, dans l'avenir, les délégations unilatérales de service public soient soumises à une obligation de transparence découlant du droit français.

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