La lettre juridique n°275 du 4 octobre 2007 : Social général

[Jurisprudence] Du cumul des indemnités de rupture : indemnité pour violation du statut protecteur d'un délégué syndical et indemnité due au salarié victime d'un accident du travail

Réf. : Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 06-41.227, M. Frédéric Cholat, FS-P+B (N° Lexbase : A4358DY3)

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N5843BCE

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Un salarié, délégué syndical, licencié alors qu'il se trouvait en période de suspension de son contrat de travail pour cause d'accident du travail, peut-il cumuler l'indemnité versée au titre de la violation du statut protecteur, singulièrement l'indemnité versée au salarié licencié sans autorisation administrative de licenciement, et l'indemnité due au salarié victime d'un accident du travail en application de l'article L. 122-32-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5519ACE) ? A cette question, la Cour de cassation vient répondre par l'affirmative. Elle considère, en effet, que "le salarié bénéficiaire à la fois de la protection accordée aux représentants du personnel et aux victimes d'accidents du travail ou d'une maladie professionnelle a droit à la réparation du préjudice subi résultant de l'inobservation des règles qui lui sont applicables à ce double titre". Cette solution doit être approuvée. Les règles en présence n'ayant ni la même cause, ni le même objet, il y a lieu de les cumuler.

Résumé

L'indemnité versée au salarié délégué syndical irrégulièrement licencié se cumule avec l'indemnité accordée au salarié licencié alors qu'il se trouve en période de suspension de son contrat de travail pour cause d'accident du travail.

1. Indemnisation du licenciement illicite d'un délégué syndical victime d'un accident du travail

  • Indemnisation du salarié au titre de la violation des règles protectrices du salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle

L'article L. 122-32-2 du Code du travail dispose qu'"au cours des périodes de suspension, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail à durée indéterminée que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité devant laquelle il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir ledit contrat. Il ne peut résilier le contrat que s'il justifie d'une faute grave ou d'un cas de force majeure. La résiliation du contrat de travail effectuée en méconnaissance de ces dispositions est nulle".

La nullité de la rupture n'est pas toujours encourue, singulièrement parce qu'elle n'est pas toujours demandée. Si le salarié ne désire pas être réintégré, il peut demander l'attribution d'une indemnité. Cette indemnité est destinée à réparer l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et est, au moins, égale à celle prévue à l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) (Cass. soc., 13 novembre 2001, n° 99-43.016, FS-P N° Lexbase : A0992AXZ ; Bull. civ. V, n° 341 ; Dr. soc. 2001, 115, obs. Couturier). Elle n'est pas exclusive des indemnités de rupture.

Le salarié victime d'un accident ou d'une maladie professionnelle n'est pas le seul salarié bénéficiaire d'un régime protecteur. Les salariés protégés disposent, également, d'une protection exorbitante du droit commun. Contrairement au salarié en période de suspension de contrat pour cause de maladie ou d'accident, le salarié représentant du personnel peut être licencié, mais, préalablement à toute rupture, l'employeur doit solliciter et obtenir une autorisation de l'inspecteur du travail.

  • Indemnisation du salarié protégé licencié sans autorisation administrative de licenciement

L'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT) interdit à l'employeur de poursuivre le licenciement d'un salarié délégué syndical sans avoir obtenu, au préalable, l'autorisation de l'inspecteur du travail. En l'absence d'une telle autorisation, le licenciement prononcé est nul.

Le salarié peut, alors, demander soit sa réintégration, soit une indemnité (Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-41.418, M. Azzeddine Ben Romdhane c/ Société Paris Banlieue intervention (PBI), F-D N° Lexbase : A6595C97 ; RJS 2003, 987, n° 1416). Cette indemnité, destinée à compenser la violation de la protection qui est reconnue au représentant du personnel, est égale aux salaires que le salarié aurait dû percevoir entre le licenciement et l'expiration de la période de protection (Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 01-45.902, F-P+B N° Lexbase : A6643DDE ; Bull. civ. V, n° 275 ; RJS 2005, 53, n° 58).

Quid du salarié, représentant du personnel, licencié alors que son contrat de travail est suspendu pour cause de maladie ou d'accident ? Peut-il cumuler ces deux indemnités ? C'est à cette question que vient répondre la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié, délégué syndical, victime d'un accident du travail, avait été convoqué à un entretien préalable au licenciement alors qu'il avait repris son travail 4 jours plus tôt en mi-temps thérapeutique, puis avait été licencié pour faute grave.

L'employeur avait saisi le tribunal d'instance, afin qu'il se prononce sur la régularité de la désignation du salarié en qualité de délégué syndical. Deux décisions irrévocables ont déclaré cette contestation irrecevable, de même que le recours de la société contre le premier jugement.

Contestant ce licenciement, le salarié avait, pour sa part, saisi la juridiction prud'homale d'une demande de nullité de la rupture pour violation des règles protectrices des salariés protégés. Devant la cour d'appel, le salarié avait formé une demande additionnelle d'indemnité pour licenciement prononcé en méconnaissance du statut protecteur des salariés victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. La cour d'appel avait fait partiellement droit aux demandes du salarié, refusant le cumul d'indemnités et ne lui accordant une indemnisation qu'au titre de la violation du statut protecteur en sa qualité de délégué syndical.

L'administrateur de la société, cette dernière ayant, entre temps, été mise en redressement judiciaire, faisait grief aux juges du second degré d'avoir inscrit au passif du redressement judiciaire de la société en liquidation des sommes au titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, d'indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement illicite et des salaires dus pendant la mise à pied conservatoire avec les congés payés y afférent.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du second degré sur ce premier point. Elle considère, en effet, que, dans la mesure où la désignation du salarié en qualité de délégué syndical avait été déclarée irrévocable par jugement définitif du tribunal d'instance, le salarié licencié bénéficiait, pendant la durée de son mandat, de la protection qui court à compter de la date à laquelle l'employeur a reçu la lettre de désignation.

Mais, elle infirme la décision des juges du second degré sur l'allocation au salarié de l'indemnité due en application de l'article L. 122-32-2 du Code du travail. Elle affirme que le salarié, bénéficiaire à la fois de la protection accordée aux représentants du personnel et aux victimes d'accident du travail ou d'une maladie professionnelle, a droit à la réparation du préjudice subi résultant de l'inobservation par l'employeur des règles protectrices qui lui sont applicables à ce double titre.

Cette solution ne peut que recevoir un accueil favorable.

2. Cumul d'indemnités en cas de licenciement illégal d'un délégué syndical victime d'un accident du travail

  • Différence d'objet des règles protectrices

Les règles protectrices du salarié dont il était question dans l'espèce commentée pouvaient se cumuler car elles portaient toutes deux sur une cause et un objet distinct.

L'article L. 412-18 du Code du travail prévoit un statut exorbitant du droit commun contre le licenciement des salariés délégués syndicaux, interdisant à l'employeur de poursuivre la rupture de leur contrat de travail sans l'autorisation de l'inspecteur du travail.

C'est le libre exercice par le délégué syndical de ses "prérogatives" que tend, ici, à garantir le législateur. Le but est d'éviter que l'employeur ne se débarrasse trop aisément et trop rapidement d'un salarié "gênant".

Ce que vient sanctionner le législateur par la réintégration, voire par l'indemnisation, c'est la violation par l'employeur de ces règles protectrices du salarié protégé.

L'objet de l'article L. 122-32-2 du Code du travail est différent. Cette disposition vient assurer une protection particulière au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, pour les périodes de suspension de son contrat de travail. Dans cette hypothèse, la nullité ou l'indemnité sanctionne la violation par l'employeur de l'interdiction de licencier un salarié malade.

Les règles de protection ne sont pas les mêmes, l'indemnité accordée est également différente.

Le salarié protégé, qui ne souhaite pas être réintégré, a droit à une indemnité allant du licenciement à l'expiration de la période de protection (Cass. soc., 27 octobre 2004, préc.).

L'indemnité versée au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle en compensation du préjudice résultant de la rupture survenue en période de suspension de son contrat de travail est, pour sa part, au moins égale à celle prévue à l'article L. 122-14-4 du Code du travail, soit 6 mois de salaire.

Si ces différences justifient le cumul, celui-ci trouve sa confirmation dans les principes directeurs du droit du travail.

  • Légitimité du cumul d'indemnités n'ayant ni la même cause ni le même objet

Dans la mesure où les règles en présence n'avaient ni la même cause, ni le même objet, ce qui aurait justifié qu'il soit fait appel au principe de faveur, principe de règlement des conflits de normes en droit du travail, elles pouvaient se cumuler (Ass. plén., 18 mars 1988, n° 84-40.083, Mme Chevallier N° Lexbase : A8500AA3 ; D. 1989, 221, note Chauchard). La jurisprudence considère, en effet, que, lorsque les dispositions n'ont pas la même cause ou n'ont pas le même objet, il n'y a pas lieu d'appliquer certaines dispositions de préférence aux autres, notamment en raison de leur caractère plus favorable au salarié. Dans ce cas, sauf disposition légale contraire, c'est-à-dire prévoyant le non-cumul des dispositions en présence, le cumul s'impose (Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 03-44.776, Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Sarrazyn, enseigne Max Plus c/ M. Mustapha Osmane, F-D N° Lexbase : A3377DMZ ; voir, également, C. trav., art. L. 122-3-13 N° Lexbase : L5469ACK).

S'agissant de l'indemnité accordée au salarié protégé licencié sans autorisation administrative et de celle accordée au salarié victime d'un accident du travail, le législateur n'a rien prévu.

Les juges ne pouvaient donc qu'accorder au salarié les deux indemnités ; les règles y afférent étant, faut-il le rappeler, d'ordre public (Cass. crim., 26 novembre 1996, n° 94-86.016, Duforet Jean-Claude et autres, publié N° Lexbase : A6503AHC ; Bull. crim., n° 428 ; RJS 1997, 204, n° 304).

Décision

Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 06-41.227, M. Frédéric Cholat, FS-P+B (N° Lexbase : A4358DY3)

Cassation (CA Grenoble, chambre sociale, 9 janvier 2006)

Texte visé : C. trav., art. L. 122-32-2 (N° Lexbase : L5519ACE)

Mots-clefs : délégué syndical ; accident du travail ; licenciement sans autorisation administrative ; cumul des indemnités dues au titre du statut protecteur et au titre de la suspension du contrat.

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