La lettre juridique n°275 du 4 octobre 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Précisions quant à la recevabilité de l'action en contestation du protocole d'accord préélectoral

Réf. : Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 06-60.222, Syndicat national des cadres, employés, techniques, agents de maîtrise et assimilés des industries du BTP et des activités annexes et connexes c/ Société GTM bâtiment, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4377DYR)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Compte tenu de son objet, le protocole d'accord préélectoral constitue une pièce essentielle de l'organisation des élections professionnelles dans l'entreprise. L'importance capitale de cet acte juridique explique aussi, sans doute, pourquoi il est souvent au coeur du contentieux électoral. Soucieuse de limiter les actions en justice des organisations syndicales de salariés en la matière, la Chambre sociale a, très tôt, soumis celles-ci à des conditions que la loi ne prévoit pourtant pas expressément. L'arrêt rendu le 19 septembre 2007 par la Cour de cassation, qui figurera dans son rapport annuel, doit être rangé dans cette ligne jurisprudentielle tout en constituant, sinon un véritablement revirement, du moins une évolution notable de celle-ci.

Résumé

Sans être tenu de saisir le juge avant les élections, le syndicat qui n'a pas signé l'accord préélectoral n'est pas réputé y avoir adhéré et peut donc le contester. Il ne peut, toutefois, le faire que si, lors du dépôt de sa liste de candidats, il exprime des réserves.

1. Les syndicats admis à contester l'accord préélectoral

  • Les syndicats signataires

En affirmant, dans la présente espèce, qu'un syndicat qui n'a pas signé l'accord préélectoral peut le contester, la Cour de cassation paraît signifier, à rebours, que l'organisation syndicale qui a consenti à un tel acte juridique n'est pas recevable à en contester la validité. Il s'agit là, a priori, d'une confirmation de jurisprudence, la Cour de cassation ayant jugé, dans un arrêt rendu en 1997, que "la partie qui a signé un accord électoral n'est pas recevable à en contester l'application" (1). On notera, cependant, que la contestation de "l'application" d'un accord ne doit pas être assimilée à la contestation de sa "validité".

En effet, il ne saurait être discuté qu'une partie signataire d'un accord préélectoral, qui reste, d'abord et avant tout, un contrat, doit en respecter les stipulations et ne peut donc échapper à son application. Il en va, ici, du respect de la force obligatoire des contrats. En revanche, et à notre sens, un syndicat signataire d'un accord de ce genre doit être admis à en contester la validité, s'il peut faire état d'un vice du consentement. Sans doute, cette hypothèse apparaît-elle bien hypothétique. Il n'en demeure pas moins que la Cour de cassation a, par le passé, admis qu'un syndicat signataire d'un accord préélectoral peut invoquer sa nullité en cas d'erreur (2).

  • Les syndicats non signataires

Il semble se déduire des développements précédents qu'un syndicat non signataire d'un accord préélectoral peut, dans tous les cas, en contester la validité en saisissant le juge compétent.

Telle n'était pas, cependant, la position retenue par la Cour de cassation, à tout le moins jusqu'à l'arrêt commenté. En effet, antérieurement, celle-ci avait décidé, à plusieurs reprises, qu'un syndicat qui présente des candidats aux élections professionnelles dans l'entreprise, sans avoir contesté le protocole d'accord préélectoral, est réputé y avoir adhéré même s'il ne l'a pas signé (3). Il en résultait que le syndicat en cause ne pouvait ultérieurement remettre en cause le protocole d'accord et, par voie de conséquence, le résultat des élections. La Chambre sociale avait, cependant, apporté un tempérament à cette solution en considérant que le syndicat, qui a présenté des candidats aux élections professionnelles, n'est réputé adhérer au protocole qu'il n'a pas signé que dans la mesure où il n'a pas exprimé de réserve (4).

Cette dernière précision était sinon nécessaire, du moins la bienvenue. En effet, s'il est bien évident qu'un syndicat non signataire d'un accord préélectoral, et plus généralement d'un accord collectif (5), peut y adhérer, encore faut-il qu'il y ait de sa part manifestation de volonté en ce sens. Il n'est guère besoin de rappeler qu'en principe, "qui ne dit mot ne consent pas" et que, si l'acceptation tacite est exceptionnellement retenue en droit des contrats, c'est à de strictes conditions. Or, inférer du fait que le syndicat a présenté aux élections une acceptation tacite de l'accord préélectoral apparaît très contestable, alors même que celui-ci ne fait, à ce moment là, aucune réserve.

De ce point de vue, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté nous paraît plus conforme aux principes en cause. En effet, ainsi que l'indique cette dernière, "le syndicat qui n'a pas signé l'accord préélectoral n'est pas réputé y avoir adhéré et peut donc le contester ; [...]". En d'autres termes, et si l'on comprend bien la décision, un syndicat non signataire d'un accord préélectoral n'est pas réputé y avoir adhéré, alors même qu'il a déposé une liste de candidats aux élections professionnelles. N'étant donc pas partie à l'accord préélectoral, le syndicat peut en contester la validité, à condition, cependant, de respecter les autres conditions énoncées par la Cour de cassation.

2. Les modalités de la contestation

  • Limites

Ainsi que l'indique la Cour de cassation, le syndicat qui conteste la validité du protocole d'accord préélectoral n'est pas tenu de saisir le juge avant les élections. En d'autres termes, le syndicat peut parfaitement attendre la fin du processus électoral avant de saisir le juge d'une contestation du protocole préélectoral et, par voie de conséquence, d'une action en nullité des élections.

Toutefois, une telle action en justice n'est recevable que si, lors du dépôt de sa liste de candidats, le syndicat demandeur a exprimé des réserves. Il faut, ainsi, comprendre que, par le seul fait qu'il ait déposé une liste de candidats sans manifester de réserve, le syndicat perd ensuite son droit d'agir en contestation de la validité du protocole d'accord préélectoral. Si une telle solution peut se comprendre au regard de contraintes très pratiques, elle paraît plus discutable d'un point de vue juridique.

Ce faisant, on serait presque tenté de regretter la solution antérieure aux termes de laquelle, nous l'avons vu, la Cour de cassation considérait que le syndicat ayant présenté des candidats aux élections professionnelles, sans manifester de réserves, était réputé avoir adhéré à l'accord préélectoral. Pour être contestable, cette position offrait une explication à la perte du droit d'agir du syndicat en contestation de l'accord. La Chambre sociale ayant mis un terme à cette jurisprudence dans l'arrêt commenté, il convient de rechercher un autre fondement juridique. Celui-ci ne pouvant être, à notre sens, trouvé du côté de l'intérêt à agir (6), reste l'hypothèse de la confirmation de l'acte nul. On sait que celle-ci peut être tacite et résulter d'actes émanant du titulaire de l'action en nullité qui révèle son intention non équivoque de renoncer à celle-ci (7). Le dépôt d'une liste de candidats, sans qu'aucune réserve ne soit manifestée quant à la validité du protocole d'accord préélectoral, pourrait, ainsi, être assimilé à un acte confirmatif.

  • Portée

Au total, il paraît bien résulter de l'arrêt rendu le 19 septembre 2007, dont il faut souligner qu'il fera l'objet d'une mention dans le rapport annuel de la Cour de cassation, qu'il n'y a, désormais, plus de place pour une quelconque acceptation tacite du protocole préélectoral de la part d'un syndicat non signataire. Ce changement n'a, cependant, pas pour effet d'ouvrir complètement à ce dernier l'action en contestation de l'accord, lorsqu'il présente des candidats aux élections. Il lui appartient, pour conserver son droit d'agir en contestation, de faire état, dans le même temps, de réserves.

Mais, il faut alors en déduire que, dès lors que le syndicat aura pris soin de manifester des réserves sérieuses, il pourra contester en toute circonstance l'accord préélectoral, y compris après les élections. Par suite, un syndicat ayant, par exemple, manifesté son désaccord sur les modalités et le déroulement des opérations électorales, sans saisir le juge avant le vote, pourra cependant contester la validité de l'accord a posteriori. Cette conséquence apparaît cependant troublante dans la mesure où la loi précise que les modalités d'organisation et de déroulement des opérations électorales, sur lesquelles aucun accord n'a pu intervenir, peuvent être fixées par le juge d'instance (C. trav., art. L. 423-13, al. 3 N° Lexbase : L9603GQQ et L. 433-9, al. 3 N° Lexbase : L9605GQS). La Cour de cassation en déduit que l'absence d'unanimité ne rend pas, à elle seule, le protocole d'accord préélectoral irrégulier, mais a pour seul effet de permettre à la partie qui peut y avoir intérêt de saisir le juge d'instance d'une demande de fixation des modalités sur lesquelles l'accord unanime n'a pu intervenir (8). Si personne n'a saisi le juge, l'employeur fixe lui-même les modalités du vote.

Il résultait de cela que, même si un syndicat avait manifesté son désaccord sur une des modalités du vote, sans cependant saisir le juge avant le vote, l'employeur pouvait organiser les élections. Sans doute, cette solution n'est-elle pas remise en cause par l'arrêt commenté. Mais, désormais, le syndicat en cause conserve le droit de contester l'accord préélectoral, ce qui fait évidemment courir le risque que les élections soient, en fin de compte, annulées. Afin d'éviter un tel désagrément, l'employeur aura tout intérêt, à défaut d'accord unanime (9), à prendre lui-même l'initiative de saisir le juge.


(1) V. antérieurement, Cass. soc., 10 juin 1997, n° 96-60.118, Société nationale des chemins de fer français(SNCF) c/ Syndicat CGT des cheminots de Vesoul, publié (N° Lexbase : A2305ACD) ; Bull. civ. V, n° 215.
(2) Cass. soc., 13 mars 1985, n° 84-60.731, Société Matra Manurhin Défense c/ USTM CGT du Haut-Rhin, publié (N° Lexbase : A3305AAN) ; Cass. soc., 3 mai 1995, n° 94-60.335, Société anonyme banque Tarneaud c/ Union départementale CFDT Haute-Vienne, inédit (N° Lexbase : A8083CLX).
(3) Cass. soc., 22 juin 1993, n° 91-60.263, Union départementale des syndicats FO de l'Orne c/ Kunkel, inédit (N° Lexbase : A8502AGY) ; Cass. soc., 15 novembre 1995, n° 95-60.047, M. Jean-Pascal Baez, délégué syndical CGT à l'entreprise ATE-DPS c/ Unité économique Est sociale ATE-DPS-EDS et autres, inédit (N° Lexbase : A2925AGG).
(4) Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 00-60.270, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne c/ Syndicat CGT de la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, publié (N° Lexbase : A7675AXK).
(5) C. trav., art. L. 132-9 (N° Lexbase : L5689ACP).
(6) On ne voit pas en quoi le fait de déposer une liste de candidats sans manifester de réserves ferait perdre au syndicat son intérêt à agir en contestation du protocole d'accord préélectoral.
(7) V. sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 406.
(8) Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 96-60.272, M. Quenouiller et a. c/ Société Dercam technologie (N° Lexbase : A6390AGR).
(9) Ou, à défaut, d'accord tout court.
Décision

Cass. soc., 19 septembre 2007, n° 06-60.222, Syndicat national des cadres, employés, techniques, agents de maîtrise et assimilés des industries du BTP et des activités annexes et connexes c/ Société GTM bâtiment, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4377DYR)

Rejet (TI de Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 15 septembre 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 423-3 (N° Lexbase : L9172HD3), L. 423-13 (N° Lexbase : L9603GQQ), L. 433-2 (N° Lexbase : L9121HD8) et L. 433-9 (N° Lexbase : L9605GQS).

Mots-clefs : élections professionnelles ; protocole d'accord préélectoral ; syndicat non signataire ; contentieux électoral.

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