Réf. : Cass. civ. 1, 4 juillet 2007, n° 05-16.023, M. Jean-Claude Bertacchi, FS-P+B (N° Lexbase : A0707DXH)
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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
le 07 Octobre 2010
S'agissant du premier cas, le principe posé par l'article 1036 est simple : "les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d'une manière expresse les précédents, n'annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles ou qui y seront contraires" (5). En pratique, toutefois, les juges rencontrent d'importantes difficultés pour déterminer si le second testament est inconciliable avec le premier. Un legs des meubles révoque-t-il partiellement le legs antérieur des meubles et immeubles ? Qu'en est-il en cas de legs universels successifs ? Les légataires universels se partagent-ils la succession ou le dernier institué en recueille-t-il la totalité ? Aucune solution unitaire ne peut être donnée. Il appartient, en effet, aux juges du fond d'interpréter la volonté du testateur. Encore faut-il que la manifestation de celle-ci ne soit pas nulle au motif que le testament postérieur qui la supporte soit nul en la forme (6). Lorsque le formalisme testamentaire n'a pas été respecté, le testament initial doit alors s'appliquer.
S'agissant du second cas de révocation tacite, l'article 1038 du Code civil prévoit que "toute aliénation, celle même par vente avec faculté de rachat ou par échange, que fera le testateur de tout ou partie de la chose léguée, emportera la révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné, encore que l'aliénation postérieure soit nulle, et que l'objet soit rentré dans la main du testateur". En effet, dès lors que le testateur a eu la volonté de se défaire de la chose léguée, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit, c'est qu'il n'a plus l'intention de la transmettre au légataire. L'effet révocatoire de l'aliénation s'explique par l'intention de révoquer qu'elle implique (7), et non par l'impossibilité d'exécuter qu'elle emporte (8).
A ces deux cas de révocation tacite limitativement énumérés par les articles 1036 et 1038 du Code civil, la jurisprudence n'a pas hésité à y ajouter un troisième : la destruction volontaire du testament, dès lors qu'elle est l'oeuvre du testateur ou, au moins, connue de lui. Outre la destruction totale, sont également admises les ratures, lorsqu'il est démontré qu'elles sont postérieures à la rédaction du testament (9).
Ces trois cas de révocation tacite sont-ils limitatifs ? Peut-on, en effet, admettre une révocation indirecte tacite du testament par l'accomplissement d'un acte autre que sa destruction ou que ceux visés aux articles 1036 et 1038 du Code civil ? L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2007 donne une réponse négative. Bien qu'ayant été allongée par le passé, la liste des cas demeure aujourd'hui fermée.
En l'espèce, le testament antérieur n'avait pas été détruit et aucune aliénation de la chose léguée n'avait été effectuée. De même, aucun testament postérieur n'était venu révoquer de manière expresse ou contredire le testament initial. Le testateur, décédé le 16 octobre 1990, laissait pour lui succéder son épouse séparée de biens et ses deux fils, bénéficiaires de libéralités en vertu de deux testaments du 15 octobre 1984. Par l'un de ces deux actes, il avait légué deux terrains et un appartement à l'un de ses fils. Or, à compter du mois de février 1990, le père avait entrepris des démarches pour que l'un de ces terrains soit découpé en deux lots, chargeant un géomètre et un notaire de procéder aux formalités nécessaires à la division, notamment, l'établissement de divers plans, d'un procès-verbal de délimitation, ainsi que la délivrance d'un certificat d'urbanisme faisant état de la division projetée. En outre, le 1er octobre 1990, il avait légué par acte notarié à son autre fils l'autre terrain non concerné par la division. A cette occasion, il avait "exprimé formellement" sa volonté de faire donation du premier terrain à ses deux fils et non plus à l'un d'eux seulement. Compte tenu de l'ensemble de ces démarches, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait considéré que le testateur avait exprimé une "volonté manifeste et définitivement arrêtée de rendre impossible l'exécution du legs portant sur le premier terrain et de le révoquer". La Cour censure cette interprétation et rappelle, sur le fondement des articles 1035, 1036 et 1038 du Code civil, que "la révocation tacite d'un testament ne peut résulter que de la rédaction d'un nouveau testament incompatible, de l'aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l'altération volontaire du testament".
Cette formulation stricte condamne la tendance de quelques arrêts à admettre la révocation tacite du testament chaque fois qu'elle résulte d'un acte quelconque accompli par le testateur. La recherche, en dehors des hypothèses unanimement admises, de l'intention révocatoire du testateur a, en effet, conduit certains juges à donner effet à des attitudes manifestant un changement de volonté (10). Il a, ainsi, été jugé, s'agissant de dispositions testamentaires relatives aux funérailles, que le fait pour un mourant, conscient de ses actes, de demander un prêtre constituait une manifestation certaine et non équivoque de sa volonté d'obtenir les secours de la religion et que les dispositions testamentaires antérieures par lesquelles il déclarait vouloir être enterré civilement devaient être considérées comme nulles et de nul effet (11). De même, s'agissant de dispositions testamentaires relatives aux biens, la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 mai 1959, jugé "libéral" (12), formulait la règle suivante : "la révocation d'un testament ne peut résulter que d'un acte exprès ou d'une situation de fait créée par le testateur lui-même dans le dessein de rendre impossible l'exécution des legs antérieurement consentis par lui" (13). L'attendu paraissait admettre implicitement qu'il peut y avoir révocation tacite en dehors des trois cas précédemment énumérés, en raison, notamment, "d'une situation de fait créée". L'affirmation était, cependant, trop ambiguë pour fixer la jurisprudence.
En définitive, le présent arrêt du 4 juillet 2007 ne fait que reprendre l'opinion générale de la jurisprudence et de la doctrine selon laquelle la preuve de l'intention de révoquer un testament ne peut pas se faire par présomptions en dehors des cas prévus par les articles 1036 et 1038 ou de la destruction du testament (14). La révocation d'un legs répond tant au volontarisme qu'au formalisme : déterminée par référence à la volonté du testateur, elle ne peut se manifester et trouver effet que par la rédaction d'un nouveau testament incompatible, par l'aliénation du bien légué ou encore la destruction ou la lacération du testament.
(1) En la forme, le testament révocatoire peut être authentique, olographe, mystique ou international, quelle que soit la forme du testament à révoquer.
(2) Le testament révocatoire doit être reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins. En revanche, il n'a pas à être dicté par son auteur.
(3) M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d'ascendants, Litec, 2000, p. 382, n° 1491.
(4) Cass. req., 19 novembre 1867, D.P. 1868, I., p. 216.
(5) Au testament, la jurisprudence assimile l'institution contractuelle entre époux : Cass. civ. 1, 30 mai 1960 (N° Lexbase : A5682DY4), Bull. civ. I., n° 298.
(6) Cass. civ. 1re, 9 janvier 1979, n° 77-10405, Consorts Rolland c/ Consorts Chevillard (N° Lexbase : A7103CG8), Bull. civ. I., n° 16.
(7) En revanche, la simple intention d'aliéner ne suffit pas. Il est nécessaire que l'acte ait été conclu : Cass. req. 31 mai 1907, D. 1909, I., p. 377.
(8) M. Grimaldi, préc., p. 389, n° 1499.
(9) Elles sont, cependant, soumises aux formes du testament : elles doivent être de la main du testateur, datées et signées par lui : Cass. req. 4 décembre 1922, S. 1923, I., p. 97.
(10) V. à ce sujet : A. Colomer, La révocation tacite d'un testament olographe, Defrénois 1985, art. 33507, p. 545.
(11) Cass. req., 23 avril 1912, D. P. 1913, I, p. 41, note H. Capitant, cité par F. Lucet et R. Le Guidec, in J-Cl. Code civil, art. 1035 à 1038, n° 28.
(12) H., L., et J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, t. IV., 2ème vol., Successions-Libéralités, 5ème éd., par L. et S. Leveneur, Montchrestien, 1999, p. 363, n° 1043.
(13) Cass. civ. 1, 25 mai 1959, JCP. G. 1959, II, 11188, note R. Savatier.
(14) H., L., et J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, t. IV., 2ème vol., Successions-Libéralités, op. cit..
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