Réf. : Cass. soc., 20 juin 2007, n° 03-47.587, Société TDLC, F-D (N° Lexbase : A8649DWA)
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par Aurélie Serrano, SGR - Droit social
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le versement d'une prime de rendement au kilomètre constitue une incitation au dépassement de la durée de travail. |
Traditionnellement, les employeurs mettent en place des primes attribuées selon le rendement individuel des salariés afin de les inciter à travailler plus efficacement. Toutefois, ces primes "d'efficacité" peuvent présenter des risques pour la sécurité des salariés en les poussant à violer les règles relatives à la durée maximale du travail et au temps de repos. Cela est particulièrement vrai dans le secteur des transports routiers où la violation de ces règles peut provoquer un risque d'accident de la circulation. C'est la raison pour laquelle un avenant, conclu en 1992, a modifié la convention nationale du 21 décembre 1950 pour interdire les primes indexées sur le kilométrage parcouru dès lors qu'elles constitueraient une incitation au dépassement des durées légales. Désormais, aux termes de l'article 14 de l'annexe I, relative aux dispositions particulières aux ouvriers, de la convention collective nationale des transports routiers, "dans un but de sécurité, les contrats de travail ne peuvent contenir de clause de rémunération de nature à compromettre la sécurité, notamment par l'incitation directe ou indirecte au dépassement de la durée du travail ou des temps de conduite autorisés, tel que l'octroi de primes ou de majorations de salaire en fonction des distances parcourues et/ou du volume des marchandises transportées". C'est ce principe qu'est venue appliquer la Cour de cassation dans son arrêt du 20 juin 2007.
En l'espèce, un salarié a été employé par la société TDLC, à compter du 10 janvier 1994, en qualité de coursier, avec une rémunération mensuelle composée d'un salaire de base et d'une prime, dite d'efficacité, calculée en fonction du nombre de "bons" réalisés. Estimant que ce système de "prime au bon" portait atteinte à la sécurité des coursiers et était illégal comme contraire à l'article 14 de l'annexe I, relative aux dispositions particulières aux ouvriers, de la convention collective nationale des transports routiers, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire calculé par intégration de sa rémunération complémentaire "au bon" dans le salaire de base. La cour d'appel condamne l'employeur à payer au salarié un rappel de salaire et de congés payés afférents et à l'union locale de syndicats CGT de Paris des dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 13 octobre 2005, n° 03/38508, SA TDLC c/ M. Stéphane Lutz N° Lexbase : A3110DLR).
L'employeur se pourvoit en cassation. Il fait valoir que le paiement, par une entreprise de transports routiers de marchandises de proximité, d'une prime calculée en fonction du nombre de bons payés par les clients n'est pas prohibé lorsque ce nombre est indépendant de la durée du travail fourni ainsi que du temps de conduite. Dès lors, selon l'employeur, en décidant que la prime dite "d'efficacité" était contraire aux prescriptions de l'article 14 de l'annexe I de la convention collective nationale des transports routiers, sans rechercher si le nombre des bons, duquel dépendait le quantum de la prime, avait un lien avec la durée du travail ou les temps de conduite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées.
En vain, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur. La cour d'appel a relevé que la prime d'efficacité conduisait à une majoration du salaire en fonction des distances parcourues et des délais de livraison, ce qui incitait les salariés à dépasser la durée normale de travail et les temps de conduite autorisés. Ayant ainsi fait ressortir que la vitesse jouait nécessairement un rôle dans le nombre de courses, la cour d'appel a, à bon droit, déduit qu'un tel mode de rémunération de nature à compromettre la sécurité du salarié était prohibé par l'article 14 de l'annexe 1 de la convention collective nationale des transports routiers.
La Cour de cassation ne laisse pas de place au doute s'agissant de la portée de l'article 14 de la convention collective du transport routier de marchandise. Rejetant l'argumentaire de l'employeur, elle ne tente pas d'opérer une distinction entre les "bonnes" clauses de rendement, qui comporteraient suffisamment de garanties, et les "mauvaises" qui inciteraient, manifestement, les salariés à dépasser la durée du travail. Ce faisant, elle s'inscrit dans la droite ligne de sa décision rendue le 13 novembre 2003 (Cass. soc., 13 novembre 2003, n° 01-46.075, préc.). On avait, alors, pu se demander si le principe de la rémunération au rendement n'était pas menacée (lire Ch. Radé, A propos de la prohibition des primes de rendement dans le secteur routier : faut-il craindre la contagion ?, préc.) et si la prohibition ne débordait pas le secteur des transports routiers. En effet, le raisonnement retenu par la Cour suprême est aisément exportable dans d'autres secteurs d'activité que celui des transports et ce en l'absence même de disposition conventionnelle fondant l'illicéité de la clause de rendement. On peut estimer que, d'une manière générale, une prime de rendement constitue une incitation à violer les règles relatives à la durée maximale du travail, au repos, aux pauses et aux heures supplémentaires. Pourtant, aujourd'hui, à notre connaissance, aucune décision n'est venue étendre l'interdiction des primes de rendement à d'autres secteurs que le transport routier...
Dans sa décision du 20 juin 2007, la Cour de cassation précise les conséquences financières de l'illicéité des primes de rendement. Elle décide, en effet, que ces primes doivent être réintégrées dans le salaire de base. Mais elle va plus loin en précisant que ces primes doivent être retenues à leur niveau le plus élevé. Pas question, donc, pour la Cour de cassation de tergiverser : les primes doivent être réintroduites dans le salaire de la façon la plus simple et la plus avantageuse pour les salariés. On peut, toutefois, s'interroger sur le caractère réellement avantageux d'une telle réintégration. On sait, en effet, que la jurisprudence refuse traditionnellement de réintégrer dans le salaire mensuel de base, sans l'accord du salarié, une prime de nature conventionnelle (Cass. soc., 23 octobre 2001, n° 99-43.153, FS-P N° Lexbase : A8055AWA ; Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 04-45.704, F-D N° Lexbase : A5998DKD). Le salarié peut, ainsi, s'opposer à une réintégration des primes qui pourrait avoir pour conséquence de gonfler son salaire au mépris d'une augmentation véritable. En outre, ainsi que le souligne le Professeur Christophe Radé, admettre que l'employeur pourrait modifier unilatéralement le contrat de travail, sous prétexte que cette modification serait faite dans un sens plus favorable aux salariés, relève, en effet, d'une "logique paternaliste totalement déplacée" (Ch. Radé, Droit social n° 1, janvier 2002).
Enfin, la Cour précise utilement que ces primes ne peuvent pas être modifiées sans l'accord des salariés concernés. Ainsi, la Cour confirme une jurisprudence constante selon laquelle la rémunération du salarié ne peut être modifiée sans son accord (Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-43.274, M. Herzberg c/ Société Bata-Hellocourt, publié N° Lexbase : A2544AC9). Ce faisant, elle dresse un dernier rempart contre les employeurs qui souhaiteraient se débarrasser de clauses devenues encombrantes et, ainsi, éviter de voir les primes de rendement réintégrées dans le salaire des intéressés.
Décision
Cass. soc., 20 juin 2007, n° 03-47.587, Société TDLC, F-D (N° Lexbase : A8649DWA) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 4 novembre 2003) Textes concernés : article 14 de l'annexe 1 de la convention collective nationale des transports routiers Mots-clefs : primes ; transport routier. Liens bases : ; . |
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