La lettre juridique n°269 du 19 juillet 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La notion de sanction pécuniaire prohibée

Réf. : Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.158, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0949DXG)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Pour être solidement ancrée dans notre droit positif, l'interdiction des sanctions pécuniaires n'est pas toujours aisée à mettre en oeuvre. Cela tient, d'abord et avant tout, à l'absence de toute définition légale ou jurisprudentielle de ce type de sanctions. Cette carence fait naître des difficultés dans un certain nombre de cas et, notamment, lorsque la mesure qui affecte la rémunération du salarié trouve sa source dans une stipulation du contrat de travail. L'employeur aura alors tendance à soutenir que la mesure litigieuse n'a rien à voir avec son pouvoir disciplinaire et ne constitue que la mise en oeuvre d'une clause contractuelle. La Cour de cassation s'emploie, de longue date, à déjouer de telles stratégies, dont un arrêt rendu le 4 juillet dernier offre une intéressante illustration, en invitant, également, à revenir sur le caractère exact de la cause du licenciement invoquée par l'employeur.

Résumé

Après avoir relevé que la clause de malus, portée à l'article 3 du contrat de rémunération variable annexé au contrat de travail, prévoyait que "dans l'hypothèse où le taux d'annulation enregistrée sur le mois M est supérieur à 5 % des contrats signés sur le même mois, les commissions totales du mois M sont diminuées du même taux plafonné à 10 %", la cour d'appel, qui a fait ressortir que les déductions opérées en application de cette clause, en cas d'annulation des ventes, avaient pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur les contrats effectivement réalisés, a pu en déduire qu'elle constituait une sanction pécuniaire illicite.

1. L'interdiction des sanctions pécuniaires

  • L'absence de définition légale des sanctions pécuniaires

Si le législateur interdit formellement les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 122-42 N° Lexbase : L5580ACN), il ne donne aucune précision quant au fait de savoir ce qu'il convient d'entendre par "sanction pécuniaire". Cette regrettable carence légale suscite des difficultés dans deux types de situations (1).

Tout d'abord, il convient de distinguer selon que les sanctions infligées par l'employeur entraînent des conséquences pécuniaires directes ou indirectes pour le salarié. Ainsi que l'indiquent des auteurs autorisés, "si le salarié continue à fournir la même prestation de travail, la diminution de salaire décidée en réaction à sa faute est une conséquence directe de celle-ci et constitue une sanction pécuniaire [...]. Mais lorsque la faute est sanctionnée par une mesure qui affecte l'obligation de travailler ou modifie la nature du travail à effectuer, la perte pécuniaire ne résulte qu'indirectement de la faute commise par le salarié et il n'y a donc pas sanction pécuniaire" (2).

Ensuite, se pose la question de ce que l'on qualifie communément de sanctions pécuniaires "déguisées". Pour aller à l'essentiel, il s'agit là des situations dans lesquelles l'employeur arrête une mesure entraînant une diminution de la rémunération du salarié, mais en arguant que celui-ci n'ayant pas commis de faute, la mesure en cause ne peut être qualifiée de "sanction" et, a fortiori de "sanction pécuniaire".

  • Les sanctions pécuniaires déguisées

La notion de sanction pécuniaire déguisée constitue, dans nombre de cas, l'illustration de la difficulté à déterminer la place qu'il convient d'accorder au contractuel et au disciplinaire dans la relation de travail (3). Une telle problématique était, précisément, au coeur de l'arrêt rapporté.

En l'espèce, le contrat de rémunération variable annexé au contrat de travail du salarié renfermait une clause stipulant que "dans l'hypothèse où le taux d'annulation enregistrée sur le mois M est supérieur à 5 % des contrats signés sur le même mois, les commissions totales du mois M sont diminuées du même taux plafonné à 10 %". L'employeur reprochait à la cour d'appel, saisie du litige, d'avoir considéré que cette clause constituait une sanction pécuniaire illicite alors qu'elle n'était, en réalité, qu'une modalité de calcul de la rémunération variable du salarié. En d'autres termes, et de manière classique, l'employeur soutenait que les déductions sur salaire, opérées en application de la stipulation litigieuse, procédaient, non pas de l'exercice de son pouvoir disciplinaire, mais du respect des prévisions du contrat. Cette argumentation est, une nouvelle fois, écartée par la Cour de cassation qui approuve les juges d'appel d'avoir considéré que la clause en question constituait une sanction pécuniaire illicite, après avoir fait ressortir que les déductions opérées en application de cette clause, en cas d'annulation des ventes, avaient pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur des contrats effectivement réalisés (4).

Cette solution peut, de prime abord et d'un point de vue strictement juridique, prêter le flanc à la critique. En effet, qualifier la mesure prise par l'employeur de sanction disciplinaire revient à considérer qu'en amont, le salarié a commis une faute. A s'en tenir aux faits de l'espèce, il est difficile d'affirmer que le salarié avait eu un comportement fautif. Rappelons que les déductions opérées sur sa rémunération étaient la conséquence de l'annulation d'un certain nombre de contrats de vente par les clients de l'entreprise. Or, et a priori, ces annulations paraissaient étrangères à tout comportement fautif du salarié. Par suite, le salarié n'ayant pas commis de faute, il est difficile d'affirmer que la mesure prise par l'employeur est constitutive d'une sanction.

Un tel raisonnement s'avère, cependant, par trop simpliste. Ainsi que le souligne à très juste titre un auteur, "ce n'est pas parce que l'employeur n'invoque pas expressément une faute du salarié ou parce que le salarié n'a effectivement commis aucune faute que l'employeur ne traite pas le comportement du salarié comme une faute" (J. Pélissier, La définition des sanctions disciplinaires, Dr. soc. 1983, p. 550). Cette affirmation s'avère, en outre, conforme aux prescriptions de l'article L. 122-40 du Code du travail (N° Lexbase : L5578ACL) qui dispose que "constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif [...]" (5). Cela étant, et à supposer que l'on puisse considérer que le comportement du salarié avait été considéré comme fautif par l'employeur, il aurait été souhaitable que la question soit abordée par les juges.

Si la motivation adoptée laisse quelque peu à désirer, le résultat auquel on parvient est, quant à lui, à approuver pleinement. Peut-être une autre voie aurait-elle, cependant, pu être empruntée pour y parvenir. En effet, la clause litigieuse revenait peu ou prou à faire peser sur le salarié les risques de l'entreprise, ce qui conférait à son objet un caractère illicite impliquant sa nullité (6).

2. La cause exacte du licenciement

  • Principe

Pour être valable au fond, tout licenciement doit être justifié, faut-il le rappeler, par une cause réelle et sérieuse. S'agissant du caractère réel de la cause, qui seul nous intéressera ici, il renvoie à trois caractéristiques : la cause doit être objective, existante et exacte (7).

En l'espèce, pour contester la validité de son licenciement, le salarié s'était fondé sur l'absence de ce dernier caractère. En effet, alors que la lettre de notification indiquait que la rupture trouvait sa cause dans les perturbations résultant pour l'entreprise de ses absences répétées pour maladie et de l'obligation de pourvoir à son remplacement définitif, le salarié soutenait que la véritable cause de son licenciement était économique.

Pour accueillir cette argumentation, les juges d'appel avaient retenu que le licenciement, prononcé rapidement après le refus par certains salariés de l'entreprise d'une proposition de modification de leur contrat de travail, était intervenu dans un contexte de difficultés économiques persistantes ayant conduit l'employeur, qui reconnaissait lui-même que les arrêts maladies répétés des "VAD" avaient pesé lourdement dans les résultats de l'entreprise, à la mise en place d'une nouvelle politique économique.

  • Solution

Visant les articles L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) et L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K) du Code du travail, la Cour de cassation censure la décision des juges, soulignant "qu'en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'une cause de licenciement autre que celle visée dans la lettre de licenciement, alors qu'il résultait de ses constatations que les absences répétées pour maladie du salarié, invoquée par l'employeur, étaient avérées, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cette solution, parfaitement équilibrée, doit être approuvée. Dans ce type de contentieux, le point de départ du raisonnement judiciaire est nécessairement la lettre de notification, dont on sait qu'elle fixe les limites du litige. En l'espèce, celle-ci faisait référence aux absences répétées du salarié perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise et exigeant le remplacement définitif du salarié. Les juges auraient, dès lors, dû vérifier, dans un premier temps, la véracité de ce motif (8), pour ensuite se demander, dans un second temps, s'il ne dissimulait pas une autre cause de licenciement. Cela aurait parfaitement pu les conduire à constater que les absences répétées étaient avérées, mais ne constituaient pas la cause exacte du licenciement. Il aurait, toutefois, été nécessaire pour cela d'adopter une toute autre motivation que celle que la Cour de cassation vient en l'espèce censurer à très juste titre (9).


(1) Pour plus de précisions sur cette question, v. J. Pélissier, La définition des sanctions disciplinaires, Dr. soc. 1983, p. 545.
(2) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 896.
(3) V. en ce sens, A. Mazeaud, obs. ss. Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.760, M. Portanguen c/ Société Cecorev, publié (N° Lexbase : A1160AIS) ; Dr. soc. 2001, p. 196.
(4) V., pour une situation similaire, Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 95-44.309, Société Ciapem c/ M. Metral et autres, publié (N° Lexbase : A2144ACE) ; Dr. soc. 1998, p. 196, obs. C. Marraud.
(5) Souligné par nous.
(6) Au-delà, l'employeur aurait, sans doute, pu éviter tout désagrément en rédigeant plus soigneusement la clause et en stipulant, par exemple, que les primes ne seraient versées qu'à partir du moment où les commandes passées par les clients ne seraient plus susceptibles d'être annulées.
(7) V. sur ces notions, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, 23ème éd., 2006, §§ 429 et s..
(8) Démarche logique eu égard au fait que si ce motif n'existe pas ou n'est pas objectif, le licenciement est, de ce seul fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
(9) Cet arrêt témoigne ainsi, à notre sens, de toute la difficulté à faire sanctionner un licenciement sur le fondement de l'inexactitude de la cause dès lors que celle qui est alléguée est, par définition, avérée.
Décision

Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.158, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0949DXG)

Cassation partielle (CA Paris, 2ème ch., sect. C, 10 novembre 2005, n° 04/33069, SA UPC France c/ M. Leng Ly N° Lexbase : A2833DMU)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ; C. trav., art. L. 321-1 (N° Lexbase : L8921G7K).

Mots-clefs : sanction pécuniaire ; définition ; licenciement ; cause réelle et sérieuse ; cause exacte.

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