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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Si selon Keynes, "éviter de payer des impôts est la seule recherche intellectuelle gratifiante", force est de constater qu'il y a, là aussi, inégalité entre les contribuables. On verra le prodige de "l'habilité fiscale", chère à Maurice Cozian, encensé par la doctrine et gratifié par des honoraires conséquents. On verra le contribuable, moins alerte, tomber dans l'abus de la loi fiscale et sous les fourches caudines du Comité consultatif pour la répression de l'abus de droit, faute d'un conseil avisé. On verra, enfin, le Béotien de l'obligation fiscale, ou tout simplement d'hermétique à l'impôt, condamné au titre de la fraude, sur le terrain pénal donc. D'aucun disait en son temps, "j'aime payer des impôts. Lorsque je paie des impôts, j'achète la civilisation" : contrevenir à l'impôt, ce serait un peu comme porter atteinte au bon développement de la société. Mais, lorsque Benjamin Constant écrit dans Principes de politique, que "l'excès des impôts conduit à la subversion de la justice, à la détérioration de la morale, à la destruction de la liberté individuelle", on comprend rapidement que la frontière entre le devoir fiscal et le devoir intellectuel est ténue.
Toujours lancinante est la question du consentement à l'impôt, principe inscrit à l'article 14 de la DDHC : "Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée". Pilier du droit fiscal, cette disposition légitime les lois de finances successives adoptées au terme du processus parlementaire. Mais qui porte attention au vocable employé ? On parle, ici, de "contribution publique ", l'expression paraît, dès lors, accompagnée d'une symbolique bien différente de celle de "l'impôt". Dans les actes de l'Assemblée Nationale de 1789, on pouvait lire : "Un peuple libre n'acquitte que des contributions, un peuple esclave paie des impôts". Il s'agissait de marquer le caractère collectif du recouvrement dont le produit était affecté au bien public pour la construction d'une société moderne. Et dernièrement, la question est revenue sur le devant de la scène avec la quasi-suppression des droits de succession sur fond de consentement populaire (cf. notre article Droits de succession : anatomie d'une mort annoncée, publié voici deux semaines). Benoîtement, si un "impôt sur les morts" est envisageable, une "contribution ", principe actif, semble plus difficile à concevoir, sauf à penser que les contribuables décédés doivent un dernier sacrifice pour le bien social que la société leur a prodigué : la fiscalité serait-elle morale ?
On comprend, dès lors, que le terrain de la fraude fiscale est miné. D'une part, il s'agit d'un champ pénal, et par conséquent, l'affaire n'est plus une simple histoire pécuniaire, elle relève de la liberté individuelle ; c'est pourquoi l'administration suivie par le Parquet ne conduiront que des procédures à l'incrimination quasi-certaine . D'autre part, il s'agit d'un champ politique (la vie de la cité), faisant apparaître une dichotomie déconcertante entre une justice rendue au nom du Peuple français et un Peuple plus enclin à la tolérance envers le contribuable qui a tenté de se soustraire à la pression fiscale (du moins jugée comme telle), plutôt qu'à le voir condamné à une peine sévère.
Mais finalement, "les nations ne peuvent pas avoir de tranquillité sans une armée ; pas d'armée, sans une solde ; pas de solde sans des impôts", écrivait Tacite. La réponse aux questions de la fraude et du consentement réside, peut-être, dans cette formule classique : condamner la fraude fiscale, c'est garantir, aujourd'hui, la paix sociale, marquer l'atteinte ainsi portée à l'intégrité du corps social de la Nation avide de services publics.
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