La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférence

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, seront abordées la libre prestation de service en assurance et la défense de la nature consensuelle du contrat d'assurance. I - La libre prestation de service en assurance à l'épreuve de la réalité : Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 05-21.166, Société Generali Lloyd, FS-P+B (N° Lexbase : A7845DWH)

Les banques françaises sont-elles les seules à proposer des contrats d'assurance à leurs clients emprunteurs afin de garantir le prêt consenti ? L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 14 juin 2007 démontre que tel n'est pas le cas, bien au contraire. Le phénomène existe, notamment, en Allemagne, puisque telle fut la démarche adoptée par un couple résidant en France. Mais l'intérêt de cet arrêt dépasse largement ce seul constat connu depuis un moment. Outre qu'il met en oeuvre un cas de nullité du contrat d'assurance demandé par les assurés eux-mêmes, ce qui est rarissime, il rappelle les règles issues des Directives européennes ayant institué la libre prestation de service, ce qui n'est guère plus fréquent.

A l'occasion, l'arrêt du 14 juin 2007 atteste aussi -s'il était encore nécessaire- du réflexe quasi systématique de la part des assurés d'arguer de l'absence d'information sur tel ou tel aspect du contrat. Enfin, l'arrêt reprend aussi la définition du contrat d'assurance vie, énoncée dans les arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 23 novembre 2004 (Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK). Mais, pour ces deux derniers aspects, l'apport n'est pas nouveau, ni surprenant.

En l'espèce, en 1991, des époux résidant en France décident de signer une offre de prêt, par l'intermédiaire d'une société de courtage, auprès d'une banque allemande, la Commerz Credit Bank, devenue la Commerzbank Lloyd. Dans le même temps, ils souscrivent une assurance vie auprès de la société Deutscher Lloyd, aux droits de laquelle est venue la société Generali Lloyd, assureur. Dès 1994, ils cessent les remboursements et assignent la banque et l'assureur, devant le tribunal de grande instance, afin de voir prononcées la déchéance du droit aux intérêts et, subsidiairement, la nullité du contrat d'assurance, mettant en cause la responsabilité des trois protagonistes à l'opération pour manquement à leur obligation d'information et de conseil. Leurs requêtes, globalement accueillies par la cour d'appel, le sont aussi par la Cour de cassation mais pour un autre motif.

De prime abord, la demande de nullité d'un contrat d'assurance par les assurés eux-mêmes étant d'ordinaire exceptionnelle, l'affaire surprend, pour employer un euphémisme. Il est bien plus fréquent qu'une telle requête émane de l'assureur ayant constaté les manquements de la part des assurés à leurs obligations contractuelles fondamentales. Mais l'examen plus approfondi de cette affaire, comme le sens de la décision de la Cour de cassation, accrédite la démarche entreprise par les époux résidant en France et ayant contracté en Allemagne.

Le fond de l'affaire apparaît à la lecture des arguments du pourvoi qui permet de comprendre que ne furent pas respectées les exigences imposées par le législateur pour la mise en oeuvre de la libre prestation de service en assurance vie, notamment, celle supposant l'obtention d'un agrément pour exercer dans un pays étranger. En d'autres termes, dans le cas présent, l'assureur allemand n'avait pas sollicité d'agrément en assurance vie pour pratiquer cette activité d'assurance en France.

La libération des prestations de services en matière d'assurances vie résulte d'abord d'un arrêt fondamental de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 4 décembre 1986 (1).

Pour mémoire, l'expression "libre prestation de services" a pu être définie comme l'opération par laquelle une entreprise d'un Etat membre de l'espace économique européen couvre, ou prend à partir de son siège social ou d'une succursale située dans un Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen, un risque ou un engagement situé dans un autre de ces Etats, lui-même désigné comme Etat de libre prestation de services (2). La libre prestation de service a été créée par des Directives européennes afin de faciliter le commerce de l'assurance par delà les frontières des pays de l'Union européenne (3). Or, pour qu'une telle faculté soit accordée aux assureurs, encore convenait-il de prendre des précautions.

Chacun sait que l'activité d'assurance est très réglementée sur le plan comptable et financier : l'ensemble de ces dispositions constitue ce que l'on appelle les règles prudentielles. En effet, il faut que les assurés, souffrant en principe déjà des conséquences dommageables de la survenance du risque, n'aient pas, de surcroît, à pâtir des difficultés ou insuffisances financières de l'assureur.

C'est ainsi que l'article L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS), issu de la loi n° 94-5 du 4 janvier 1994, modifiant le Code des assurances (N° Lexbase : L8227HXY), plante d'entrée le décor : "Le contrôle de l'Etat s'exerce dans l'intérêt des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats d'assurance et de capitalisation" (4). Des garanties bien supérieures à celles demandées à une entreprise ordinaire sont exigées pour les entreprises d'assurance, comme d'ailleurs les mutuelles, puisque l'article L. 510-1 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L9006HEB), né de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3556BLB), énonce la même règle, sous une autre formulation (5). Mais surtout, un agrément doit avoir été sollicité et obtenu, pour chaque branche d'assurance que l'entreprise veut développer, conformément à l'article L. 321-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L7554GYG) (6). En d'autres termes, une entreprise d'assurance doit solliciter autant d'agréments qu'elle veut exercer dans un domaine de l'assurance et, particulièrement un agrément pour chaque branche lorsqu'elle veut travailler dans un pays étranger. En effet, le Code des assurances français indique bien, dans l'article L. 310-2 (N° Lexbase : L3006HI8), que ces opérations peuvent être pratiquées par des entreprises étrangères, c'est-à-dire n'ayant pas leur siège social en France mais dans un Etat partie de la Communauté européenne, à la condition qu'elles aient été agréées pour pratiquer la branche d'assurance à laquelle se rattache le contrat concerné, en l'espèce la branche d'assurance vie.

Une approbation totale de cette décision ne peut donc qu'être émise et la solution était assez prévisible. Néanmoins, le pourvoi essayait de démontrer que le risque n'était pas situé à l'étranger par rapport à sa société, c'est-à-dire en France, mais en Allemagne, lieu de son siège social où, là, il avait obtenu un agrément pour exercer en assurance vie. L'argument n'était pas tout à fait astucieux ; en tous les cas, il ne pouvait pas résister à la réalité que rappelle la Cour de cassation. Dans une assurance vie, le risque ne peut que reposer sur une personne physique ; or, celle-ci résidait en France et non en Allemagne. Le risque était donc bien situé à l'étranger pour un assureur allemand.

L'hésitation peut, certes, se comprendre en raison du fait que les banquiers font de ces assurances vie une garantie du prêt consenti. Mais, ladite garantie ne doit pas être confondue avec une sûreté réelle. Le contrat d'assurance vie est encore moins une assurance caution, garantissant une créance. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation rappelle la définition du contrat d'assurance retenu désormais par les tribunaux, depuis les quatre arrêts en Chambres réunies du 23 novembre 2004. Pourtant, soit dit en passant, rarement des arrêts, surtout rendus en Chambre mixte, auront suscité autant de réserves, pour ne pas dire de désapprobation (7), car les arguments tentant à démontrer que cette définition est insuffisante sont légion (8). Il suffit ainsi de rappeler que c'est exactement cette définition qui a toujours été retenue pour définir le contrat de rente viagère, qui, s'il est un contrat aléatoire comme le contrat d'assurance, ne peut en aucun cas être assimilé à ce dernier. Mais peu importe, les enjeux financiers étaient tels que la Cour de cassation ne pouvait pas adopter une autre position. L'important, qui n'a pas changé avec les arrêts du 23 novembre 2004, est que le risque demeure -selon cette formule peu élaborée, mais claire- sur "la tête d'une personne". Celui-ci est donc situé là où habite, de manière régulière, cet individu. La solution était inévitable.

Au-delà de ces précisions, une dernière remarque peut être effectuée. En réunissant les deux premiers moyens, la Cour de cassation ne revient guère sur la critique tenant à l'absence d'information effectuée par l'organisme bancaire, c'est-à-dire le souscripteur d'une assurance de groupe. Mais, en retenant la nullité du contrat pour absence de respect de la loi en quelque sorte, elle dépasse la sanction habituellement attachée à ce manquement. Ce qui retient l'attention, c'est le caractère de plus en plus systématique, de la part des assurés, de l'appel à la notion de manquement à l'obligation d'information sous toutes ses formes, dans tous les aspects de la relation contractuelle, y compris lorsque la difficulté n'est pas réellement celle-là. La Cour de cassation a donc eu raison de statuer dans les termes qu'elle a retenus.

Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes

II - La défense de la nature consensuelle du contrat d'assurance : Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 06-15.955, Syndicat des copropriétaires du 40 rue de Bellechasse et du 1 rue Las Cases 75007 Paris, agissant par son syndic, la société anonyme VIP, exploitant sous l'enseigne Josiane Gaude, F-P+B (N° Lexbase : A7969DW3)

La formation graduelle du contrat d'assurance, faite d'échanges de multiples documents, visés dans le Code des assurances sous diverses appellations (9), engendre, ce qui ne surprendra guère, un vif contentieux qui affecte, par prolongement, la modification du contrat. Dans un déroulement ordinaire, la formation emprunte d'abord une phase "d'information préalable réciproque" (10), articulée autour d'une fiche d'information sur les prix et les garanties fournie par l'assureur et d'une proposition d'assurance émanant du "candidat à l'assurance" qui formule à l'assureur cette offre en répondant au questionnaire que ce dernier lui a préalablement remis. Vient, ensuite, la phase d'échange des consentements et, normalement, de signatures réciproques. Toutefois, l'assureur (ou l'intermédiaire le représentant) délivre souvent, avant tout envoi d'une police d'assurance, une note de couverture, document temporaire qui l'engage dès cet instant. L'envoi de cette police d'assurance, signée par l'assureur, aux fins de signature par le souscripteur, n'en demeure pas moins important, tant pour la constatation de l'existence du contrat d'assurance que pour en prouver le contenu (cf. conditions générales et particulières).

Lorsque, comme en l'espèce, l'assuré prétendu ne peut produire de police d'assurance signée par toutes les parties en bonne et due forme, doit-on en conclure, comme les juges d'appel dans l'affaire examinée, qu'"il n'est pas justifié que ce contrat ait jamais été effectivement conclu" et faire succomber l'assuré sur l'autel du droit de la preuve ? La censure indique, au contraire, que la Cour de cassation n'a pas souhaité se départir d'une ligne jurisprudentielle classique. Ce classicisme de l'arrêt examiné n'en diminue pas la portée car il est des tentatives pour, tantôt remettre en cause le caractère consensuel du contrat d'assurance, tantôt l'aménager.

Pour régler les hésitations sur le moment de formation du contrat et, en amont, sur sa formation même, la Cour de cassation a, sur le fondement des articles L. 112-2 et L. 112-3 du Code des assurances, dégagé une jurisprudence assise sur deux grands principes corrélatifs : celui du caractère consensuel du contrat d'assurance (11), duquel résulte celui qui tient l'exigence d'un écrit, expressément consignée à l'alinéa 1er de l'article précité, pour une simple exigence probatoire et non ad validitatem.

Du principe du consensualisme, il résulte que le contrat est valablement formé dès l'échange des consentements. La question se déplace, ensuite, sur le terrain de la preuve, car il incombe à celui qui saisit le juge (souvent l'assuré comme en l'espèce) de rapporter la preuve du moment de cette rencontre des volontés (12). L'article L. 112-3 du Code des assurances dispose que le contrat d'assurance est rédigé par écrit (13). La jurisprudence impose ce principe d'une preuve littérale du contrat d'assurance, quel que soit le montant de la somme en jeu (contrairement au droit commun et l'actuel seuil de 1 500 euros fixé par le décret du 20 août 2004 [décret n° 2004-836 N° Lexbase : L0896GTD]), tant pour en prouver l'existence (14) que le contenu (15). Toutefois, l'article L. 112-3 n'exige nullement une signature de la police par chacune des parties, alors que l'alinéa 5 de ce même article formule expressément une telle exigence pour un avenant (16). Où l'on comprend que, pour la formation, l'assuré peut valablement produire un écrit même non signé par l'assureur, qu'on qualifie d'écrit "imparfait".

Tel était justement le cas en l'espèce, puisque le syndicat de copropriétaires, actionné par ses voisins et cherchant à obtenir garantie de son assureur, ne pouvait produire qu'une police (identifiée par un numéro 0286587) et une lettre de l'assureur "demandant à la société GTIM, qui était vraisemblablement le syndic de l'époque assurant la gestion de l'immeuble [...] de lui verser la somme de 5 495 francs, soit 837,71 euros et de retourner les exemplaires signés". Les juges du fond avaient considéré que, faute pour le demandeur de fournir davantage d'éléments, il n'apportait pas "la preuve d'une assurance garantissant l'immeuble au moment du sinistre". Ce faisant, les juges d'appel s'étaient fait plus exigeants que la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation avait, dès avant l'arrêt étudié, admis que la police d'assurance, signée par l'assureur mais non par l'assuré, répond aux exigences du code et suffit à prouver le consentement de l'assureur en réponse à la proposition émanant de l'assuré (17). Un raisonnement similaire a été conduit, en amont, s'agissant d'une note de couverture, document signé par le seul assureur, dans des hypothèses où ce document ne serait pas suivi d'une police(18). La Haute juridiction entend, toutefois, que les juges du fond recherchent si la note de couverture litigieuse constitue "un simple accord temporaire ou la constatation provisoire d'un engagement définitif" (19).

L'arrêt du 14 juin 2007 prend place dans une lignée de décisions assurant la défense du consensualisme du contrat d'assurance. A ainsi été justement remarqué, un arrêt du 9 mars 1999 (20) ayant eu à connaître d'une espèce où un courtier d'assurances, entré en relation avec un assureur duquel il avait reçu un document se proposant de couvrir les risques déclarés, avait "donné son accord par apposition d'une mention manuscrite sur le document contenant cette offre". Une attestation d'assurance fut ensuite établie par l'assureur, l'assuré ayant réglé la prime entre les mains du courtier mais "n'[ayant] ni retourné à l'assureur, ni signé la police que celui-ci avait adressée [...] pour signature".

Pour régler ce litige sur la formation du contrat dépourvu de police signée par l'assuré, les Hauts magistrats énoncent "que si le contrat d'assurance doit, dans un but probatoire, être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l'assureur et de l'assuré ; qu'ayant relevé que le [courtier] avait accepté l'offre de contracter, telle que formulée le 12 novembre 1992 par l'assureur, la cour d'appel en a justement déduit que le contrat avait été définitivement conclu peu important l'existence, dans la police envoyée ensuite pour signature par l'assureur, d'une clause stipulant que le contrat serait parfait dès qu'il serait signé par le souscripteur". La défense du consensualisme triomphait ici d'une clause cherchant à "essentialiser" la signature, comme cela peut se rencontrer en matière de promesses synallagmatiques de vente lorsque les parties décideraient d'"essentialiser" la signature de l'acte authentique en faisant de cette signature un élément de leur consentement et non la simple réitération d'un consentement exprimé dans l'avant-contrat.

Cette question de la possibilité pour l'assureur d'insérer une telle clause est très débattue (21) et on a relevé que cet arrêt de 1999 a été démenti par un arrêt postérieur, en date du 4 février 2003 (22), ayant retenu que les juges du fond ne font qu'appliquer le contrat d'assurance en suivant la clause selon laquelle il était stipulé qu'à défaut de retourner la police dans un délai maximum de deux mois à compter de sa date d'émission, le contrat serait considéré comme n'ayant jamais existé, ce qui fut le cas, de sorte que le risque garanti réalisé avant l'expiration de la date limite contractuellement prévue ne devait pas être couvert par suite du caractère rétroactif de cette non régularisation. On partagera les critiques adressées contre cet arrêt et les doutes exprimés par un auteur à l'égard "de la validité d'une clause qui interdirait le jeu du consensualisme en affectant à la signature un rôle autre que probatoire" (23). Le rapprochement opéré avec les promesses synallagmatiques de vente ne tient guère car, alors que les règles du Code civil sont en cette matière supplétives, celles du Code des assurances, qui n'imposent pas une telle signature (cf. supra), sont, elles, d'ordre public ! En revanche, on ne confondra pas une telle clause subordonnant la formation du contrat à la signature de l'assuré avec celle "qui repousse la prise d'effet du contrat à cette signature, mécanisme prévu par l'article L. 112-4 du Code des assurances" (24).

De la jurisprudence antérieure, on extraira également une décision du 5 juillet 2006 (25) dans laquelle la Cour de cassation précise que "si le contrat d'assurance est un contrat consensuel parfait dès la rencontre de volonté des parties, il est nécessaire qu'un accord intervienne sur l'ensemble des éléments du contrat", pour constater, à l'examen des divers documents échangés entre l'assureur et un courtier, "que le contrat n'avait pu se former antérieurement au sinistre faute d'accord sur le moment à partir duquel le risque était garanti et la durée de cette garantie".

L'arrêt du 14 juin 2007, confortant cette défense du caractère consensuel du contrat d'assurance, maintient que la réception par l'assuré de la police imparfaite prouve l'échange des consentements, donc la formation du contrat. L'assureur peut-il utilement déployer quelque raisonnement pour résister à la nécessité de s'exécuter ? On constatera qu'en l'espèce le paiement de la prime (prime initiale comme on croit le deviner à la lecture de l'arrêt) n'était pas établie, les juges du fond ayant relevé que le demandeur, assuré prétendu, ne pouvait produire, au titre des pièces justificatives de sa demande, que la police (imparfaite) et la lettre invitant l'assuré à la retourner signée et à s'acquitter de la prime. Il importerait, ici, de savoir si dans le contrat litigieux l'assureur avait subordonné sa couverture au paiement de cette prime. Mais l'on retomberait sur cette même difficulté, liée à une volonté d'"essentialiser" un élément qui ne participe pas, par nature, aux conditions de formation du contrat (le paiement relevant de l'exécution du contrat). Encore qu'il est une autre façon, plus usuelle, d'analyser les choses, en considérant que le versement de la prime ne conditionne pas la formation du contrat d'assurance mais son effet, analyse conforme aux possibilités ouvertes par l'article L. 112-4 de déterminer "le moment à partir duquel le risque est garanti" et déjà validée en jurisprudence (26).

Rien de tel n'est cependant évoqué en l'espèce (le débat pourrait être soulevé devant la cour de renvoi !) où les juges du fond avaient, à l'examen tant des conditions générales que particulières, considéré que ces documents contractuels confus "n'apport(ai)ent aucun élément explicatif des termes hermétiques censés indiquer au lecteur la durée de vie de l'engagement contractuel" ; on reconnaîtra ici la lourde tendance à interpréter les documents peu clairs contre l'assureur. Mais il faut croire que les Hauts magistrats (peut-être parce qu'ils statuent de plus "haut" !) ont une vue plus perçante, pour déceler, avec netteté, un point de départ et un terme au contrat litigieux (27).

Sans prêter à l'arrêt du 14 juin 2007 une portée excessive [notamment quant à la question des clauses subordonnant la formation du contrat soit à la signature de la police soit au paiement de la prime initiale (comme condition de formation ou comme condition de prise d'effet) puisque ces questions ne lui ont pas été soumises], on retiendra que la défense du consensualisme du contrat d'assurance est de nature à marginaliser toute tentative de remise en cause ou d'aménagement dénaturant cette nature consensuelle.

Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-220/83, Commission c/ France (N° Lexbase : A8307AU9), Rec. CJCE, p. 3663 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-205/84, Commission c/ Allemagne (N° Lexbase : A4563AWW), Rec. CJCE, p. 3755 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-206/84, Commission c/ Irlande (N° Lexbase : A8321AUQ), Rec. CJCE p. 3817 ; CJCE, 4 décembre 1986, aff. C-252/83, Commission c/ Danemark (N° Lexbase : A8333AU8), Rec. CJCE, p. 3713.
(2) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 88, p. 17 ; Lamy assurances, éd. 2007, n° 2854, p. 1140. Parléani, V° Prestation de services, D. Rép. Communautaire.
(3) Directive (CE) 90/619 du 8 novembre 1990, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services (N° Lexbase : L7656AU4).
(4) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 26, p. 8.
(5) C. mut., art. L. 510-1: "Le contrôle de l'Etat sur les mutuelles, unions et fédérations régies par le présent code est exercé, dans l'intérêt de leurs membres et de leurs ayants droit, par la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance instituées à l'article L. 310-12 du Code des assurances".
(6) V. Nicolas, Société et mutuelles d'assurance, Rép. Sociétés Dalloz, janvier 2005, n° 110, p. 20 ; Traité de droit des assurances, Tome I, Entreprises et organismes d'assurance, sous la direction de J. Bigot, LGDJ, 2ème éd., 1996, n° 911 et s., p. 687.
(7) Cass. mixte, 23 novembre 2004, précité, ; Rép. Defr. 15 avril 2005, n° 7, art. 38142, p. 607-612, obs. J.-L. Aubert ; M. Grimaldi, RTDCiv., avril 2005, n° 2, chro. p. 434-439 ; L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr. 2005, n° 07/05, chro. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10 ; même si quelques auteurs furent plus positifs : J. Ghestin, JCP éd. G, 9 février 2005, n° 6, p. 253-267.
(8) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ 1996, préf. J. Héron ; V. Nicolas, La prévisibilité de la norme juridique en assurances de personnes, Risques 2001.
(9) "Fiche d'information sur le prix et les garanties" (C. assur., art. L. 112-2 N° Lexbase : L0963G9K) ; "projet de contrat et de ses pièces annexes" (C. assur., art. L. 112-2) ; "notice d'information sur le contrat, qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré" (C. assur., art. L. 112-2) ; "proposition d'assurance" (C. assur., art. L. 112-2) ; "note de couverture" (C. assur., art. L. 112-2, L. 112-3 N° Lexbase : L9858HET et L. 112-8 N° Lexbase : L0059AAG) ; "police" (C. assur., art. L. 112-2, L. 112-4 N° Lexbase : L0055AAB, L. 112-5 N° Lexbase : L0056AAC et L. 112-6 N° Lexbase : L0057AAD) ; "contrat d'assurance" (C. assur., art. L. 112-3 et L. 112-8) ; "formulaire de déclaration du risque" (C. assur., art. L. 112-3 et L. 113-2 N° Lexbase : L0061AAI). Là-dessus, cf. Lamy Assurances, 2007, n° 413 et s..
(10) Expression employée par Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Précis Dalloz, 12ème éd., 2005, n° 217.
(11) Cf. Cass. req., 1er juillet 1941, DC 1943, jur. p. 57, note Besson ; Grands arrêts du droit de l'assurance, p. 40, obs. Berr et Groutel.
(12) Pour une application de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) à la demande d'un assuré ou d'un tiers lésé, cf. Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), RGDA 1997, p. 841, note J. Kullmann.
(13) On notera, toutefois, que l'aveu judiciaire et le serment supplétoire sont également des modes de preuve recevables. Cf. Lamy Assurances, 2007, n° 460.
(14) Cf. Cass. civ. 1, 10 juillet 2002, n° 99-15.430, Compagnie La Médicale de France c/ Mme Aline Larios, FS-P (N° Lexbase : A0806AZU), RGDA 2002, p. 951, note L. Mayaux.
(15) Cf. Cass. civ. 1, 18 mai 2004, n° 02-30.711, Mme Kamen Koidrun, veuve Lalie, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure Aurélia Lalie c/ Compagnie d'assurances Generali France assurances, F-D (N° Lexbase : A1993DCS), RCA 2004, comm. 277.
(16) "Toute addition ou modification au contrat d'assurance primitif doit être constaté par un avenant signé des parties" (souligné par nos soins). On notera, toutefois, que la modification du contrat demeure bien, comme la formation, soumise au principe du consensualisme. L'avenant n'est donc requis qu'à titre probatoire (cf. Cass. civ. 1, 4 juillet 1978, n° 77-10772, Fonds de Garantie Automobile c/ Compagnie La Prévoyance, Benayoun, publié N° Lexbase : A0594CG4, RGAT 1979, p. 171, note Besson).
(17) Cf. déjà, Cass. civ. 1, 23 juin 1965, n° 64-10.928 (N° Lexbase : A9866DWC), Bull. civ. I, n° 420.
(18) Cf. Cass. civ., 25 octobre 1994, n° 92-18.447, SA Score international. Société Cigna France c/ Société Comptoir européen de la fourrure et autres, inédit (N° Lexbase : A2650C3K), JCP éd. G, 1995, II 22452, note P. Sargos.
(19) Cf. Cass. civ. 1, 30 avril 1970, n° 69-10237, Caisse Régionale d'Assurances Agricoles Mutuelles Cantal c/ Clauzet, publié (N° Lexbase : A5404CKD), Bull. civ. I, n° 141 ; RGAT 1971, p. 65.
(20) Cass. civ. 1, 9 mars 1999, n° 96-20.190, Société Div''Air c/ compagnie La Concorde et autre (N° Lexbase : A3239AUI), RGDA 1999, p. 567, note J. Kullmann.
(21) Sur l'ensemble de la question, cf. Lamy Assurances, 2007, n° 447.
(22) Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 99-17.993, Mme Denise Chevassu, épouse Bussioz c/ Compagnie Gan assurances, F-D (N° Lexbase : A8981A4E), RGDA 2003, p. 439, note J. Kullmann.
(23) Lamy Assurances, 2007, n° précité, qui motive son analyse comme suit : "les termes de l'article L. 112-3 du Code des assurances [étant] assez clairs pour en déduire que la police délivrée par l'assureur traduit, en tout état de cause, l'engagement de l'assureur. Or, l'article L. 112-4 dudit code ne cite pas la signature au titre des mentions obligatoires de ce document. Imposer une mention non prévue par la loi constituerait, de la part de l'assureur, une exigence de nature à nuire à l'assuré ou à ses ayants droit (en cas de décès avant signature) et s'accorderait fort mal avec les dispositions impératives de la loi. Au demeurant, et en toute logique, si la clause ayant un tel objet figure dans la police, son effectivité suppose que le contrat soit tenu pour existant. Comment faire jouer la clause d'un contrat dont l'assureur prétend qu'il n'est pas formé ?".
(24) J. Kullmann, obs. préc. sous Cass. civ. 1, 9 mars 1999, préc..
(25) Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-14.566, Société Imprimerie de l'Ouest, F-D (N° Lexbase : A3772DQR), RCA 2006, comm. 357.
(26) Cf. Cass. civ. 1, 24 mai 1971, RGAT 1972, p. 254.
(27) "En statuant ainsi alors qu'elle constatait que l'assureur avait envoyé au syndicat des copropriétaires la police d'assurance souscrite sous le n° 286.587 pour signature, avec les conditions particulières mentionnant que le contrat prenait effet au 1er avril 1999 pour un terme fixé au 1er avril 2000, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

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