La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le sort des accords de prévoyance non agréés dans les établissements sociaux et médico-sociaux

Réf. : Cass. soc., 25 juin 2007, n° 06-40.601, Association Hospitalière Sainte-Marie, F-D (N° Lexbase : A9498DWP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Les institutions sociales ou médico-sociales sont soumises, depuis 1975, à un régime particulier qui impose l'agrément des accords collectifs conclus en leur sein (1). La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt inédit en date du 25 juin 2007, qu'à défaut d'agrément, cet accord ne vaut que comme engagement unilatéral de l'employeur, même lorsqu'il concerne un régime de retraite surcomplémentaire (2).



Résumé

Faute d'avoir été soumis à l'agrément du ministre compétent, les avenants ne pouvaient avoir l'effet d'accords collectifs et valaient, à l'égard des salariés, comme engagements unilatéraux de l'employeur. Ces engagements n'ayant pas été dénoncés dans des délais suffisants pour permettre des négociations, le régime de retraite "chapeau" doit se poursuivre aux conditions antérieures.

1. Le triple régime applicable aux accords de prévoyance dans les établissements sociaux et médico-sociaux

  • Sort des accords non agréés dans les institutions sociales et médico-sociales

L'article 16 modifié de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975, relative aux institutions sociales et médico-sociales (N° Lexbase : L6769AGS), dispose que "les conventions collectives de travail, conventions d'entreprise ou d'établissement et accords de retraite applicables aux salariés des établissements ou services à caractère social ou sanitaire à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, supportées, en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public, soit par des organismes de Sécurité sociale, ne prennent effet qu'après agrément donné par le ministre compétent après avis d'une commission où sont représentés des élus locaux et dans les conditions fixées par voie réglementaire. Ces conventions ou accords s'imposent aux autorités compétentes pour fixer la tarification".

Le texte ne prévoit pas de manière très explicite la sanction qui s'attache au défaut d'agrément de l'accord et se contente d'indiquer que celui-ci ne "prend effet" qu'après l'agrément. Cette formule interdit-elle de considérer que l'accord collectif puisse produire le moindre effet, sous quelque qualification que ce soit, ou qu'il ne puisse produire les effets d'un accord collectif, ou simplement que l'accord reste valable comme accord collectif mais qu'il n'est pas opposable aux pouvoirs publics ?

  • L'affaire

C'est à cette délicate question que répond la Cour de cassation dans cet arrêt inédit en date du 25 juin 2007.

Dans cette affaire, il ne s'agissait pas d'un accord ordinaire mais d'un accord relatif à un régime de protection sociale complémentaire d'entreprise, dont on sait qu'il se trouve soumis aux règles du Code du travail et aux dispositions spécifiques des articles L. 911-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP). Or, si l'accord mettant en place le régime des retraites surcomplémentaires "chapeau" avait bien été agréé, les avenants conclus postérieurement ne l'avaient pas été, singulièrement le dernier d'entre eux, censé mettre un terme au régime litigieux. L'employeur avait donc fait comme si ces accords se substituaient valablement les uns aux autres et avait ainsi mis un terme au régime de la retraite surcomplémentaire, au grand dam des salariés qui prétendaient en réclamer le bénéfice.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait considéré que les accords non agréés ne pouvaient recevoir la qualification d'accord collectif, à défaut d'agrément, et considéré qu'il convenait de les analyser comme des engagements unilatéraux de l'employeur, même s'ils avaient été conclus conformément aux règles de droit commun présentes dans le Code du travail. Dès lors, ces engagements unilatéraux de l'employeur ne pouvaient cesser de produire effet tant qu'une dénonciation, en bonne et due forme, n'avait pas été réalisée par l'employeur et qu'un délai de préavis suffisant n'avait pas été respecté afin de favoriser une nouvelle négociation. Constatant, enfin, que le dernier "accord" non agréé, qui supprimait le régime litigieux, n'avait pas été précédé de la dénonciation des "avenants" antérieurs, la cour avait considéré que la suppression du régime de retraite surcomplémentaire n'était pas valablement intervenue et que les salariés pouvaient en réclamer le bénéfice.

L'employeur contestait, bien entendu, ces conclusions et considérait que les accords relatifs aux régimes de retraite surcomplémentaire, bien que non agréés, devaient recevoir la qualification d'accords collectifs de droit commun dès lors qu'ils avaient été conclus conformément aux prescriptions du Code du travail. L'objectif était ici, bien entendu, de considérer que l'accord mettant en place le régime de la retraite chapeau avait valablement été dénoncé par le dernier accord d'entreprise.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et donne raison à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

2. La qualification d'engagement unilatéral et ses conséquences pour l'employeur

  • Une solution fondée juridiquement

Sur un plan strictement juridique, la solution n'est guère contestable. Les accords relatifs à la protection sociale complémentaire sont des accords collectifs de type particulier. Pour être soumis aux dispositions propres au Code de la Sécurité sociale, ils doivent, par conséquent, valoir comme accords collectifs de droit commun. Il est donc logique de considérer qu'à défaut d'agrément, les avenants successifs conclus dans cette entreprise ne pouvaient recevoir la qualification d'accords collectifs "typiques" et qu'ils constituaient, par conséquent, des engagements unilatéraux de l'employeur. Or, la Cour de cassation a considéré que ces engagements unilatéraux, qui constituent des sources non conventionnelles autonomes, ne sont pas soumis aux dispositions de l'article 16 de la loi du 30 juin 1975 et qu'ils peuvent donc valablement être invoqués par les salariés en l'absence de tout agrément ministériel.

Cette solution est parfaitement justifiée au regard même de la lettre de l'article 16 de la loi du 30 juin 1975. Ce texte dispose, en effet, que "les conventions [...] ne prennent effet qu'après agrément". L'absence d'agrément les prive d'effet purement et simplement, sans que la loi ne précise d'ailleurs si cette privation vaut uniquement pour le ministère ou si elle concerne tous les tiers à l'accord. A défaut de distinction au sein du texte, il n'appartient pas au juge d'introduire dans l'application du texte une condition supplémentaire, et il convient donc de considérer que l'accord est également privé d'effet à l'égard des salariés de l'entreprise. Reste que la "transformation" de l'accord en engagement unilatéral apparaît comme un tour de passe-passe dans la mesure où elle aboutit à faire produire en partie effet à l'accord, les salariés ne pouvant toutefois pas être obligés en application de cet engagement.

  • Le refus d'"autonomiser" les accords relatifs à la protection sociale complémentaire d'entreprise

Le demandeur prétendait, en réalité, "autonomiser" les accords relatifs à la protection sociale complémentaire en les soumettant exclusivement aux dispositions du Code de la Sécurité sociale, à l'exception donc des dispositions propres aux institutions sociales et médico-sociales. Or, rien n'indique que les accords relatifs à la protection complémentaire devraient constituer une catégorie juridique d'accords collectifs à part, dérogeant au régime de l'agrément ministériel.

Ce régime d'agrément ministériel trouve d'ailleurs, ici, parfaitement sa raison d'être. Cette tutelle s'explique, en effet, par l'origine "publique" des fonds et la nécessité que l'autorité publique s'assure que l'entreprise ne s'expose pas à des charges, ou à des risques, trop importants. Or, les accords de prévoyance font peser sur les entreprises des passifs sociaux considérables que ces fonds publics devraient, le cas échéant, couvrir ; il est, par conséquent, parfaitement logique que l'agrément ministériel soit exigé, y compris pour ce type d'accords.

  • L'analyse de la succession d'engagements unilatéraux

Reste l'épineuse question de l'analyse de la situation résultant de la succession d'accords/engagements ayant le même objet.

On sait, s'agissant des accords collectifs, qu'un nouvel accord se substitue à un ancien soit lorsqu'il est révisé, dans les conditions de l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX), soit lorsqu'il est dénoncé, ou mis en cause, et qu'un accord de substitution est conclu dans les 12 mois suivant l'expiration du préavis de 3 mois, conformément aux dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN).

Dans cette affaire, le demandeur prétendait faire application de ce principe de substitution aux engagements unilatéraux de l'employeur en utilisant un argument analogique. Dès lors, l'employeur pourrait valablement prendre un nouvel engagement qui se substituerait de plein droit à l'ancien, sans être contraint de passer par la procédure de la dénonciation, comme le nouvel accord révisé de substitue à l'accord qu'il révise dans les conditions de l'article L. 132-7 du Code du travail.

Or, l'analogie entre le régime des accords d'entreprise et les engagements unilatéraux de l'employeur est trompeuse. La Cour de cassation a, d'ailleurs, eu l'occasion, dernièrement, de considérer qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, les engagements unilatéraux et les usages n'étaient pas mis en cause, contrairement aux accords d'entreprise, par le transfert, mais qu'ils continuaient d'être opposables, par les salariés transférés, au nouvel employeur, tant que ce dernier ne les a pas valablement dénoncés.

Cette fois-ci, c'est donc l'analogie avec la procédure de révision de l'article L. 132-7 du Code du travail qui se trouve bannie, puisque la Cour de cassation confirme, suivant en cela l'analyse de la cour d'appel, que le dernier accord/engagement ne s'était pas substitué aux précédents. Bref, l'employeur qui souhaite prendre un nouvel engagement doit, tout d'abord, dénoncer le précédent, chercher à négocier un nouvel accord et, une fois le précédent engagement dénoncé, en prendre un nouveau.

Cette analyse est judicieuse dans la mesure où les engagements unilatéraux de l'employeur ne sont qu'une source subsidiaire. Considérer qu'un nouvel engagement pourrait ipso jure se substituer au précédent priverait les salariés de tout préavis, et de toute information, ce qui n'est guère souhaitable.


(1) En ce sens, Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 98-41.100, Association Union des oeuvres réunionnaises c/ Mme Delphine et autres, publié (N° Lexbase : A5564AWY) ; Bull. civ. V, n° 5 : "si, à défaut d'agrément, le protocole d'accord du 28 mai 1974 est inopposable, en application de l'article 16 de la loi n° 75-735 du 30 juin 1975, aux personnes morales de droit public et aux organismes de Sécurité sociale qui assurent le financement de l'établissement, les salariés peuvent en réclamer le bénéfice à leur employeur en tant qu'engagement unilatéral" ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-45.781, Association hospitalière Sainte-Marie c/ M. Jean-Michel Nelva, FP-D (N° Lexbase : A1493DLU) : "faute d'avoir été soumis à l'agrément du ministre compétent, les avenants en litige ne pouvaient prendre effet comme accords collectifs de travail" ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.855, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7893DRR). Dans un premier temps, la Cour de cassation avait considéré que l'application constante de l'accord créait au bénéfice des salariés un usage : Cass. soc., 25 janvier 1994, n° 90-42.571, M. Christophe Roux et autres c/ Association 'La Source', inédit (N° Lexbase : A8849CZR).
(2) Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-42.642, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale c/ Mme Chantal Cretois, F-D (N° Lexbase : A2194DPX) ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-43.362, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et social (ACAIS) c/ Mme Sylvie Grillat, F-D (N° Lexbase : A2202DPA) ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.855, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7893DRR) ; Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 05-44.880, Association cherbourgeoise d'action institutionnelle sanitaire et sociale (ACAIS), F-D (N° Lexbase : A7894DRS).
(3) Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD) ; lire nos obs., L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1904AKQ).
Décision

Cass. soc., 25 juin 2007, n° 06-40.601, Association Hospitalière Sainte-Marie, F-D (N° Lexbase : A9498DWP)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 17ème chambre, 28 novembre 2005)

Textes concernés : article 16 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales (N° Lexbase : L6769AGS)

Mots-clefs : institutions sociales ou médico-sociales ; accord de prévoyance ; défaut d'agrément ; engagement unilatéral ; substitution ; dénonciation.

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