La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'annulation des actes faits antérieurement à l'ouverture de la tutelle

Réf. : Cass. civ. 1, 24 mai 2007, n° 06-16.957, Association Pour l'accompagnement et la réadaption de l'individu (PARI), F-P+B (N° Lexbase : A4987DWM)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

le 07 Octobre 2010

La nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l'insanité d'esprit au moment où l'acte a été passé, mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait. Telle est la solution retenue par l'arrêt du 24 mai 2007 de la première chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, une personne est placée sous le régime de la tutelle par jugement du 23 mai 2002. Son tuteur demande alors l'annulation d'un acte de cautionnement conclu par elle, sept ans plus tôt, sur le fondement de l'article 503 du Code civil (N° Lexbase : L3072ABE). La cour d'appel rejette cette demande au motif que la preuve d'une altération des facultés mentales de la personne protégée au moment de la signature de l'acte contesté n'était pas rapportée. Sa décision est cassée par la Cour de cassation au visa de l'article 503 du Code civil. L'article 503 du Code civil prévoit que les actes antérieurs à l'ouverture de la tutelle pourront être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de cette mesure de protection "existait notoirement à l'époque où ils ont été faits". Cette disposition se distingue du principe posé par l'article 489 du Code civil (N° Lexbase : L3043ABC) selon lequel "pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. Mais c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte". L'article 503 soumet, en effet, l'action en nullité à des conditions moins strictes que celles prévues à l'article 489.

Ces conditions sont au nombre de trois.

En premier lieu, l'article 503 ne peut recevoir application lorsque, pour une raison quelconque, aucun jugement prononçant l'ouverture de la tutelle n'a été rendu (1). Il ne suffit pas, en effet, qu'une procédure de tutelle ait été diligentée (2). De même, il est admis que le texte ne vise pas les actes précédant l'ouverture d'une curatelle (3).

En deuxième lieu, l'article 503 exige la preuve de l'existence de la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle "à l'époque" où l'acte a été fait. C'est ici une différence pratique importante par rapport à la nullité pour insanité d'esprit de l'article 489 qui requiert la preuve de l'altération des facultés "au moment", c'est-à-dire à l'instant précis de l'acte. Preuve difficile à fournir dans la mesure où un grand nombre de maladies mentales laissent à la personne vulnérable des périodes de lucidité. Au contraire, selon l'article 503, il suffit de prouver l'altération des facultés à l'époque de l'acte (4), autrement dit d'apporter la preuve que la maladie existait au temps de l'acte, sans se demander si la personne concernée était alors dans une période de lucidité.

En dernier lieu, il faut encore établir que l'altération démontrée des facultés est notoire (5). Cette dernière condition s'entend d'une "notoriété générale" (6) ou encore, selon les cas, de la connaissance personnelle que le cocontractant avait, à l'époque de l'acte, de la situation de l'intéressé (7). Là encore, la condition de notoriété contribue à distinguer les articles 503 et 489 puisqu'il n'est pas nécessaire, lorsque l'insanité d'esprit au moment de l'acte est invoquée, d'apporter la preuve de son caractère notoire (8).

Une fois ces conditions réunies, l'article 503 prévoit que les actes antérieurs à la mesure de protection "pourront" être annulés. Il s'ensuit que la nullité n'est que facultative pour le juge, contrairement à la nullité visée à l'article 489 qui est obligatoire s'il est établi que l'altération des facultés mentales existait au moment précis de l'acte.

Le présent arrêt de la Cour de cassation revient sur ces conditions d'application de l'article 503 du Code civil. En l'espèce, le tuteur demandait l'annulation d'un acte de cautionnement conclu, en 1995, par une femme placée sous le régime de la tutelle par un jugement du 23 mai 2002. La cour d'appel rejeta cette requête au motif que la preuve d'une altération des facultés mentales "au moment" de la signature de l'acte contesté n'était pas rapportée. Cette motivation encourait nécessairement la cassation dans la mesure où les juges du fond ont appliqué les conditions posées par l'article 489 du Code civil (insanité d'esprit au moment de la conclusion de l'acte) et non celles prévues à l'article 503 (existence de la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle à l'époque de l'acte).

L'arrêt du 24 mai 2007 est, toutefois, contestable sur un point. La Cour de cassation retient, en effet, que "la nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection [...] est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait". La condition de notoriété, absente du dispositif, serait-elle délibérément abandonnée ? Une réponse positive paraît exclue au regard des nouvelles dispositions introduites par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH).

Le nouvel article 464 du Code civil (N° Lexbase : L8450HWU) maintient, en effet, la condition de notoriété de l'altération des facultés à l'époque de la conclusion de l'acte critiqué. Il introduit, en outre, un certain nombre de modifications qui entreront en vigueur le 1er janvier 2009.

Tout d'abord, les dispositions du texte sont étendues aux actes précédant l'ouverture d'une curatelle.

Ensuite, les actes accomplis par la personne concernée avant l'ouverture de la mesure de protection pourront être attaqués au moyen de deux actions : l'action en réduction et l'action en nullité qui sont subordonnées aux conditions suivantes :
- d'une part, ces actions ne pourront atteindre que des actes conclus par le majeur moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection. Actuellement, l'article 503 du Code civil ne limite pas dans le temps cette "période suspecte" durant laquelle l'annulation des actes faits par le majeur peut être prononcée. L'instauration d'un délai de deux ans aura, notamment, pour effet de renforcer la sécurité juridique des transactions (9). S'agissant, cependant, des actes faits antérieurement à cette période de deux ans, l'exercice de l'action en nullité pour insanité d'esprit prévue désormais par les nouveaux articles 414-1 (N° Lexbase : L8394HWS) et 414-2 (N° Lexbase : L8395HWT), restera possible (10) ;
- d'autre part, conformément au droit en vigueur, les actions en réduction et en annulation devront être introduites, par dérogation à l'article 2252 du Code civil (N° Lexbase : L2540ABP), dans les cinq ans à compter du jugement d'ouverture de la mesure de protection ;
- ces actions nécessiteront, en outre, la preuve de la notoriété de l'inaptitude de la personne à défendre ses intérêts ou de la connaissance que le cocontractant de l'acte litigieux avait de cette incapacité au moment de la conclusion de l'acte.

Enfin, spécifiquement à l'action en nullité, le tuteur ou le majeur avec l'assistance de son curateur ne pourra agir que s'il est justifié d'un préjudice pour la personne protégée.

Eu égard à ces conditions et au maintien exprès de la preuve de la notoriété dans le nouveau dispositif, il semblerait que le présent arrêt de la Cour de cassation ait finalement péché par omission.


(1) Cass. civ. 1, 12 février 1985, n° 83-14.717, Mme Gimenez c/ Emmanuelli (N° Lexbase : A0418AHX), D. 1985, p. 518, note J. Massip.
(2) J. Massip, Les incapacités, Etude théorique et pratique, Defrénois, 2002, p. 514, n° 624.
(3) Cass. civ. 1, 29 novembre 1983, n° 82-14982, Dame Uytterelst c/ Lefevre, publié (N° Lexbase : A5068CKW), Defrénois 1984, art. 33230, p. 293, obs. J. Massip. En revanche, dès lors qu'une mesure de tutelle est prononcée, il importe peu que cette mesure ait été précédée d'une curatelle, instaurée postérieurement aux actes critiqués : Cass. civ. 1, 24 février 1998, n° 95-21.473, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Centre Ouest c/ M. X et autre (N° Lexbase : A2042ACM), JCP éd. G, 1998, II 10118, note Th. Fossier.
(4) Cass. civ. 1, 25 février 1986, n° 84-11.256, Union départementale des associations familiales du département de Maine-et-Loire UDAF c/ Bodin, Mme Roy, Mme Erve, Ruspini, Mme Dumas, Epoux Mercier et autres (N° Lexbase : A2974AAE), G. P. 1986, II, p. 771, note J. Massip ; Cass. civ. 1, 28 janvier 2003, n° 00-17.712, Mme Véronique Bocus, épouse Petit c/ Mme Danielle Pinol, F-D (N° Lexbase : A8448A4N), RTD. civ. 2003, p. 478, obs. J. Hauser.
(5) Cass. civ. 1, 9 mars 1982, n° 81-10.354, Dame Fuss c/ Kunkel-Eber, Kohler, publié (N° Lexbase : A7406CGE), G. P. 1983, I, p. 169, note J. Massip ; Cass. civ. 1, 5 mai 1987, n° 85-13.837, Hervé c/ Mme Jan, inédit (N° Lexbase : A9425CMZ), JCP éd. G, 1988, II 21109, note Th. Fossier ; Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 02-13.827, M. Claude Saint-Romas c/ Mme Christine Pilon, F-D (N° Lexbase : A8898DCK), Defrénois 2005, p. 442, obs. J. Massip.
(6) J. Massip, Les incapacités, Etude théorique et pratique, préc., p. 517, n° 624 : "La notoriété à laquelle se réfère l'article 503 du Code civil est, en principe, une notoriété générale, et il a été précisé que la notoriété ne pouvait être considérée comme générale lorsqu'elle se limitait aux seuls familiers de l'incapable. Elle doit avoir débordé ce cercle étroit et être connue des voisins, des simples relations".
(7) J. Massip, op. cit. : "La preuve de la notoriété générale n'aura pas à être rapportée si l'on établit que le cocontractant avait lui-même connaissance de l'altération des facultés, situation que l'on rencontre fréquemment en cas de captation d'héritage, les personnes qui s'occupent d'une personne âgée dont les facultés sont affaiblies par l'âge, profitant de leur situation pour se faire consentir des avantages au détriment de la famille, soit sous forme de libéralités, soit sous forme d'actes à titre onéreux particulièrement avantageux".
(8) Cass. civ. 1, 10 juin 1981, n° 80-13421, Lecomte c/ Garreau, dame Manoury, publié (N° Lexbase : A3645CG4), Defrénois 1982, art. 32905, obs. J. Massip.
(9) Rapp. AN n° 3557, p. 180 : "Il est en effet apparu nécessaire d'enfermer dans un délai court cette possibilité de réduire ou d'annuler facilement les actes antérieurs à la mesure pour trois raisons :
- ce dispositif est étendu à la curatelle ;
- en dehors des cas où les règles de nullité pour insanité d'esprit sont applicables, la preuve de la connaissance ou du caractère notoire de l'altération est d'autant plus difficile que l'acte est ancien ;
- cette 'période suspecte' est source d'insécurité juridique pour les cocontractants et il est donc nécessaire de l'enfermer dans un délai précis
".
(10) Rapp. Sénat n° 212, 2006-2007, p. 172.

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