La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 :

[Jurisprudence] Retour sur la notion "d'exception purement personnelle" en droit du cautionnement

Réf. : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, M. Christian Velluz c/ M. Antoine Magrino, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB)

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par Géraud Mégret, Moniteur-Allocataire à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

le 07 Octobre 2010

Alors que l'on croyait la notion "d'exceptions purement personnelles" définitivement "enterrée" au nom du caractère accessoire du cautionnement (1), la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, n'hésite pas à placer celle-ci au coeur d'une solution nouvelle qui suscitera, sans aucun doute, la controverse.
Elle affirme que "la caution ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur [...] ; que M. X [la caution] n'était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal". Dans l'espèce rapportée, une personne physique se porte caution solidaire du paiement du solde du prix de vente d'un fonds de commerce acquis par la société dont il est le dirigeant. La société débitrice est placée en liquidation judiciaire.
La caution prend l'initiative d'assigner le vendeur du fonds. Elle demande la nullité de la vente pour dol ainsi que la nullité de son engagement de caution afin d'échapper à son engagement.

Les juges du fond déclarent sa demande irrecevable. Le garant forme alors un pourvoi en cassation. Selon lui, "la caution est recevable à invoquer la nullité pour dol de l'obligation principale". La cour d'appel aurait ainsi violé les articles 2012 (N° Lexbase : L2247ABT) (2) et 2036 du Code civil (N° Lexbase : L2281AB4) (3).

La Cour de cassation rejette une telle analyse. Elle relève que "la caution ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal". Elle approuve ainsi les juges du fond d'avoir relevé que la caution n'était pas partie au contrat de vente et qu'elle n'était donc pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol, laquelle constituait une "exception purement personnelle".

Une telle solution, qui place la notion d'exception purement personnelle au coeur du raisonnement de la Cour régulatrice, constitue une limite au caractère accessoire du cautionnement (I) qui fragilise les droits des cautions (II).

I - La notion d'exception purement personnelle : une limite au caractère accessoire du cautionnement

La solution dégagée en l'espèce par une Chambre mixte de la Cour de cassation peut, de prime abord, surprendre. Sans viser l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN, ancien article 2036), la Cour de cassation y fait expressément référence puisqu'elle affirme que la caution "ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur". Or, ce texte, qui a longtemps suscité des difficultés d'interprétation, est, aujourd'hui, unanimement relégué au second plan par la doctrine.

Pour reprendre les mots d'une doctrine avisée (4), "il convient [...] de ne pas se laisser abuser par les termes de l'article 2036 [...] à partir du moment où le cautionnement est accessoire, toutes les exceptions affectant l'obligation principale sont potentiellement opposables par la caution. Autrement dit, la distinction faite par l'article 2036 n'a pas de valeur générale".

Ainsi, la jurisprudence (5), soutenue par la doctrine (6), admet-elle traditionnellement que la caution puisse prendre l'initiative d'invoquer la nullité du contrat principal. La solution n'était, jusqu'alors, pas remise en cause par le caractère relatif de la nullité (7). Si la théorie générale des nullités semblait s'opposer à une telle action de la caution (8), le caractère accessoire du cautionnement l'emportait aux yeux de la jurisprudence. L'argument tiré de l'article 2289 du Code civil était, lui aussi, balayé. On sait, en effet, que ce texte prévoit la possibilité de cautionner une obligation "encore qu'elle pût être annulée par une exception purement personnelle à l'obligé ; par exemple, dans le cas de minorité". La doctrine (9) ne s'est pas embarrassée de la lettre du texte et s'accorde pour limiter l'application du texte au seul cas d'incapacité du débiteur principal (10). La caution peut donc invoquer la nullité relative de l'obligation principale, sous la seule réserve de l'incapacité.

C'est, semble-t-il, avec cette tradition que veut rompre la Cour de cassation. En affirmant sans équivoque que la caution ne peut invoquer les "exceptions purement personnelles" au débiteur et qu'ainsi, elle n'est pas recevable à invoquer la nullité du contrat principal tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal, la Cour régulatrice met fin à une lecture restrictive des articles 2313 et 2289 du Code civil. Le doyen Simler (11) avait ainsi pu écrire : "si la caution ne pouvait opposer au créancier les exceptions personnelles au débiteur, son engagement ne pourrait pas, sans abus de langage, être qualifié d'accessoire". C'est donc une nouvelle limite au caractère accessoire du cautionnement (12) que pose aujourd'hui la Cour régulatrice. La notion d'exception purement personnelle qui avait, semble-t-il, été absorbée par le "dogme du caractère accessoire du cautionnement" (13), retrouve une place en droit positif.

Toute restriction du caractère accessoire du cautionnement conduit à un affaiblissement corrélatif des droits des cautions (II).

II - La notion d'exception purement personnelle : un affaiblissement des droits des cautions

Le caractère accessoire du cautionnement est traditionnellement considéré comme le "talon d'Achille" du cautionnement pour les créanciers. Il offre, en effet, à la caution des moyens de défense qui fragilisent considérablement les chances pour un créancier d'être payé (14). En cela, il renforce la protection des garants.

La solution retenue par la Cour de cassation risque d'affaiblir considérablement une telle protection. Sans doute, le principe posé en l'espèce est-il plus en adéquation avec les règles gouvernant la théorie générale des nullités. Il n'en demeure pas moins que la caution est exposée au paiement d'une dette dont le débiteur principal a la possibilité de demander la nullité. Le sort de la caution est entre les mains du débiteur de l'obligation principale qui, seul, peut décider de faire annuler l'obligation principale et, ainsi, libérer la caution.

L'affaiblissement des droits des cautions est d'autant plus grand que la solution paraît avoir un vaste champ d'application. Si la voie de l'action en nullité est rejetée, en l'espèce, par la Cour régulatrice, l'exception de nullité est également à exclure, ce que confirme la motivation de l'arrêt : "la caution ne peut opposer les exceptions purement personnelles au débiteur principal". La caution perd donc l'initiative de l'action en nullité mais également un moyen de défense tiré de la nullité relative du contrat principal.

Par ailleurs, on peut légitiment s'interroger sur la notion même d'exception purement personnelle. En dehors du cas de la nullité relative expressément visé par la Chambre mixte de la Cour de cassation, quel est exactement le contenu de la notion ? Il est difficile d'y répondre, mais les créanciers ne manqueront pas de s'engouffrer dans la brèche... Le recours à la notion d'exception purement personnelle pour justifier la solution risque fort d'accroître un peu plus le contentieux et donc de déstabiliser le droit du cautionnement.

On peut, au surplus, légitimement s'interroger sur l'opportunité du recours à la notion d'exception purement personnelle en droit du cautionnement. Elle conduit à admettre que la caution peut être tenue d'une obligation entachée d'un vice et donc susceptible de nullité. La caution ne pourra ainsi échapper à son engagement, faute de pouvoir invoquer une nullité réservée au débiteur de l'obligation. Elle supportera donc l'aléa d'un recours après paiement. La finalité du cautionnement est, semble-t-il, détournée, la caution s'engageant, en principe, à garantir l'insolvabilité du débiteur de l'obligation et non les vices qui l'affectent (15).

Une telle évolution jurisprudentielle est d'autant plus surprenante que le Code civil connaît, désormais, d'autres formes de garanties non accessoires permettant d'assurer un paiement systématique du créancier en dépit des vices pouvant affecter l'obligation garantie (16). En introduisant "une dose d'inopposabilité des exceptions" en droit du cautionnement, la Cour de cassation entretient une certaine confusion ne favorisant pas le développement de ces nouvelles sûretés personnelles (17).


(1) En ce sens, notamment : L. Aynès, P. Crocq, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 2ème éd., n° 126 p. 29 J. François, Les sûretés personnelles, Economica, 1ère éd., n° 305 et s. p. 254 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés, La publicité foncière, Précis Dalloz, 4ème éd., n° 48 p. 39.
(2) Devenu l'article 2289 du Code civil depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1118HIA).
(3) Devenu l'article 2313 du Code civil depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1372HIN).
(4) J. François, Les sûretés personnelles, Economica, 1ère éd., n° 305 et s. p. 254.
(5) V. récemment : Cass. civ. 3, 11 mai 2005, n° 03-17.682, M. Yves Philippe c/ Coopérative du Gouessant, FS-P+B (N° Lexbase : A2263DIN) ; RTD Civ. 2005, p. 590 obs. J. Mestre.
(6) L. Aynès, P. Crocq, op. cit., loc. cit. ; J. François, op. cit., loc. cit. ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., loc. cit..
(7) Cass. civ. 3, 11 mai 2005, préc..
(8) On sait, en effet, que la nullité relative ne peut, en principe, être invoquée que par la personne protégée par la règle violée ; sur cette question, v. notamment. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 1ère éd., n° 702 p. 316.
(9) J. François, op. cit., n° 183 et s. p. 162 et s.
(10) Sur cette question, v. notamment les critiques de D. Grimaud, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM 2001, préf. D. Legeais. n° 83 et s. p. 95 et s.
(11) Ph. Simler, Cautionnement et garantie autonome, Litec, 3ème éd.
(12) Il y a peu, la Cour régulatrice affirmait que la caution ne peut se prévaloir de la renonciation par le créancier à son droit d'agir contre le débiteur principal : Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.196, Société Mars Occidentale, FS-P+B (N° Lexbase : A4900DWE) et nos obs., La caution ne peut se prévaloir de la renonciation par le créancier à son droit d'agir contre le débiteur principal, Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3990BBE).
(13) Expression empruntée à D. Grimaud, op. cit..
(14) Cette faiblesse du cautionnement aurait conduit la pratique à s'orienter vers d'autres formes de garanties et, notamment, la garantie autonome.
(15) Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit, n° 39 p. 31 : "Le contrat de cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution, s'engage à l'égard d'un créancier à payer la dette d'un débiteur [...] au cas où celui-ci est défaillant" (souligné par nos soins).
(16) On pense, naturellement, à la garantie autonome mais aussi au porte-fort d'exécution.
(17) La doctrine se montre relativement pessimiste sur l'avenir de la garantie autonome en droit interne, v. par ex., F. Jacob, L'avenir des garanties autonomes en droit interne, 15 ans après, in Etudes offertes au doyen Philippe Simler, p. 341 et s..

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