La lettre juridique n°267 du 5 juillet 2007 : Social général

[Jurisprudence] La délicate distinction du contrat de gérance-mandat et du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.951, Mme Nadine Cugney, FS-D (N° Lexbase : A7820DWK)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Sauf à ce que le législateur institue une présomption irréfragable de non salariat, le contentieux relatif à la requalification de certaines relations contractuelles commerciales en contrat de travail n'est pas prêt de se tarir. Cela est d'autant plus vrai que ce même législateur s'ingénie à créer des statuts de travailleurs indépendants aux frontières du salariat. Le gérant-mandataire, à qui la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) a donné une existence juridique à part entière, appartient à cette catégorie de personnes dont on ne sait, parfois, si elles doivent être qualifiées de patron ou de salarié (1). Un arrêt rendu le 6 juin dernier invite à revenir sur ce lancinant problème.


Résumé

Dès lors que, d'une part, le requérant ne justifie pas, pour la gestion des hôtels confiée à sa société, qu'il avait été effectivement soumis aux ordres, aux directives et au contrôle des sociétés mandantes et que, d'autre part, les limites apportées à l'autonomie de gestion de la société mandataire étaient inhérentes à la convention de franchise qu'elle devait respecter, une cour d'appel peut en déduire que le gérant-mandataire n'était pas placé dans un état de subordination à l'égard des sociétés mandantes.

1. La gérance-mandat, un contrat aux frontières du salariat

Le propriétaire d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal peut souhaiter ne pas exploiter lui-même ce fonds. Dans cette hypothèse, plusieurs techniques juridiques s'offrent à lui (v., sur ces différentes techniques, N. Ferrier, Le statut du gérant-mandataire issu de la loi du 2 août 2005, Petites Affiches, n° 105 du 26 mai 2006, p. 4) (2). Outre la location-gérance, le propriétaire du fonds peut avoir recours à la gérance-salariée ou, encore, à la gérance-mandat. Ces deux dernières techniques, qui ont en commun de conduire à une exploitation du fonds au nom et pour le compte du propriétaire, se distinguent par le contrat auquel ce dernier à recours : contrat de travail dans le premier cas, contrat de mandat dans le second (3).

Le contrat de gérance-mandat n'a, pendant de nombreuses années, bénéficié d'aucun régime juridique propre, alors même qu'il était (et reste) relativement développé dans certains secteurs d'activité, notamment l'hôtellerie. Cette lacune a été réparée par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises (art. 19), qui a introduit dans le Code de commerce un véritable statut de gérant-mandataire. Ainsi que l'indique, désormais, l'article L. 146-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3990HBE), "les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires, sont qualifiées de 'gérants-mandataires' lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d'un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité".

L'un des objectifs poursuivis par le législateur au travers de la réforme précitée est de limiter le risque de requalification du contrat de gérance-mandat par le juge en contrat de travail salarié en cas de litige survenant avec le gérant-mandataire ou en cas de contrôle de l'administration (4). L'arrêt rapporté constitue, très précisément, une illustration de ce type de contentieux, en pratique relativement fréquent. Il convient de relever qu'en l'espèce, le contrat de gérance-mandat, qui avait été conclu entre la société constituée par Madame C. et la société FIH pour la gestion d'un hôtel, ne relevait pas des articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce, pour la bonne et simple raison qu'il avait été conclu avant l'adoption de la loi du 2 août 2005.

Par suite, et faute de régime juridique propre, ce contrat devait a priori être soumis au seul droit du mandat. La gérante de la société mandante a, cependant, agi en justice afin de demander la requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail.

2. La requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail

Si la gérante de la société mandataire avait bien, en l'espèce, demandé au juge de requalifier le contrat de gérance-mandat en contrat de travail, il est important de souligner que l'application du droit du travail à un gérant-mandataire peut être obtenue par une autre voie (5).

En effet, il convient de ne pas oublier que l'article L. 781-1, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L6860AC3) rend applicable le droit du travail aux "personnes dont la profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrées de toute nature, des titres, des volumes publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise".

Ce texte peut trouver à s'appliquer à un gérant-mandataire, sans qu'il soit nécessaire d'opérer une quelconque requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail. Plus précisément, ainsi que l'a affirmé avec force la Cour de cassation dans plusieurs arrêts rendus le 4 décembre 2001, "il résulte [de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail] que dès lors que les conditions sus-énoncées sont, en fait, réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du Code du travail sont applicables, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'un lien de subordination" (Cass. soc., 4 décembre 2001, n° 99-41.265, Société France acheminement c/ M. Michel Sierra, publié N° Lexbase : A5707AXN ; D. 2002, p. 1934, note H. Kenfack ; adde, A. Jeammaud, L'assimilation de franchisés aux salariés, Dr. soc. 2002, p. 158). En d'autres termes, le gérant de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail bénéficie de la législation du travail sans qu'il soit besoin de démontrer ni un lien de subordination, ni un contrat de travail. Ainsi que le note, à très juste titre, le Professeur Olivier (cf. note 2, réf. préc., p. 297), "le gérant de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail n'est pas un salarié, pas même un salarié par détermination de la loi. Il est simplement 'réputé bénéficiaire de la législation du travail' dès lors que les conditions du texte existent" (6).

On l'aura donc compris, dès lors que les conditions d'application de l'article L. 781-1, 2° ne sont pas remplies (7), la soumission au droit du travail du gérant-mandataire exige la démonstration d'un lien de subordination. C'est précisément ce que s'était employée à faire, en l'espèce, la gérante de la société mandataire, sans grand succès toutefois. En effet, selon la Cour de cassation, "appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé, d'une part, que Mme C. ne justifiait pas que, pour la gestion des hôtels confiée à la société l'Espérance, elle avait été effectivement soumise aux ordres, aux directives et au contrôle des sociétés mandantes et d'autre part, que les limites apportées à l'autonomie de gestion de la société mandataire étaient inhérentes à la convention de franchise qu'elle devait respecter ; qu'elle a pu en déduire, dans dénaturation et sans modification des termes du litige, que l'intéressée n'était pas placée dans un état de subordination à l'égard des sociétés SCHE et FIH".

Cette solution nous paraît devoir retenir l'attention en ce qu'elle s'avère conforme à l'économie même du contrat de gérance-mandat. En effet, et ainsi que le relève le Professeur Ferrier (op. cit., § 14), "en recourant à cette technique particulière d'organisation de son entreprise, le mandant entend conserver sur l'exploitation du fonds un contrôle que permet précisément l'imposition de conditions de commercialisation. Par ailleurs, et dans le cadre d'un réseau de gérants-mandataires, le mandant peut imposer des normes d'exploitation identiques et favoriser ainsi l'unité du réseau". Ce constat nous paraît d'autant plus pertinent lorsque, comme en l'espèce, le contrat de gérance-mandat se double d'un contrat de franchise.

Pour le dire autrement, la gérance-mandat comporte, par nature, une part de sujétion et de contrainte qui vient nécessairement limiter l'autonomie de gestion du mandataire, sans pour autant déboucher sur un lien de subordination. Ainsi, et pour ne prendre qu'un seul exemple, il est parfaitement concevable que le mandant entende imposer des horaires et jours d'ouverture du local commercial ou, comme en l'espèce, de l'hôtel. Une telle contrainte, qui découle des relations contractuelles propres à la gérance-mandat, n'implique pas, pour autant, l'imposition des heures et jours de travail du gérant qui reste libre d'embaucher du personnel pour l'aider dans sa tâche.

En définitive, tout est ici question de degré dans l'autonomie ou, inversement, dans la sujétion. De ce point de vue, il paraît assez évident que la loi du 2 août 2005 n'écarte en rien les risques de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail (8). Il reste, cependant, difficile de reprocher au législateur ne n'avoir pas édicté les règles permettant de mesurer l'autonomie et la liberté du gérant-mandataire. Ce statut particulier démontre, au fond, toute la difficulté qu'il y a à admettre que l'on puisse être qualifié de travailleur indépendant en étant enserré dans un lien de dépendance économique.


(1) Pour reprendre un article du Monde Economie en date du mardi 26 juin 2007 (Patron ou salarié ? Les ambiguïtés de la gérance-mandat, p. VIII).
(2) V. aussi, J.-M. Olivier, Les 'commerçants salariés'. A propos des gérants, in Le Code de commerce, 1807-2007, Livre du Bicentenaire, Dalloz 2007, p. 289.
(3) Ainsi que l'indique N. Ferrier (Le statut du gérant-mandataire issu de la loi du 2 août 2005, Petites Affiches, n° 105 du 26 mai 2006, p. 4), "le choix de la technique juridique d'exploitation du fonds relève de la stratégie d'organisation de l'entreprise". Cet auteur n'en souligne pas moins que le choix de la gérance-mandat peut reposer sur une considération moins avouable : l'évitement du salariat.
(4) V., en ce sens, le rapport n° 333 de M. Gérard Cornu, fait au nom de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale déposé le 11 mai 2005.
(5) Rappelons que le droit du travail s'applique également aux gérants non salariés des succursales de maisons d'alimentation de détail (C. trav., art. L. 782-1 N° Lexbase : L6862AC7).
(6) V. aussi, pour un constat similaire, l'article d'A. Jeammaud, L'assimilation de franchisés aux salariés, Dr. soc. 2002, p. 158. Pour une confirmation jurisprudentielle de cette assertion, v. Cass. soc., 8 mars 2006, n° 04-17.059, Mme Gisèle Humbert, publié (N° Lexbase : A4991DN8).
(7) Sur ces conditions d'application, v. J.-M. Olivier, art. préc., pp. 297 à 300.
(8) Sans parler de l'application des dispositions de l'article L. 781-1, 2° du Code du travail à des gérants mandataires relevant a priori de l'article L. 146-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3990HBE). V., sur la question, l'article préc. de N. Ferrier, §§ 39 et s.
Décision

Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.951, Mme Nadine Cugney, FS-D (N° Lexbase : A7820DWK)

Rejet (CA Caen, 3ème chambre, section sociale 1, 24 mars 2006)

Textes concernés : C. trav., art. L. 781-1, 2° (N° Lexbase : L6860AC3) ; C. com., art. L. 146-1 et s. (N° Lexbase : L3990HBE)

Mots-clefs : gérant-mandataire ; franchise ; contrat de travail ; requalification ; lien de subordination juridique.

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