La lettre juridique n°260 du 17 mai 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Action en exécution d'une convention collective par un syndicat non signataire sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail : la boucle est désormais bouclée !

Réf. : Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-12.340, Société de fabrication et commercialisation Sofaco, FS-P+B (N° Lexbase : A0563DWR)

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le 07 Octobre 2010


Il y a quelques années de cela, la Cour de cassation avait admis qu'un syndicat non signataire d'une convention ou d'un accord collectif de travail puisse exercer en justice une action tendant à l'exécution de cette norme, sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS). Cette solution, justifiée par le caractère essentiellement normatif de la convention collective de travail, était toutefois soumise à la condition que l'acte juridique en cause ait préalablement fait l'objet d'un arrêté d'extension. De nombreuses voix s'étaient alors élevées en doctrine pour demander la suppression de cette exigence, que l'on pouvait, il est vrai, considérer comme injustifiée. Par un arrêt rendu le 3 mai dernier, la Chambre sociale vient se ranger à cette opinion, ce qui suffit à en souligner l'importance. La Cour de cassation vient, en outre, donner quelques précisions sur les effets d'une action en justice en exécution d'une convention collective sur le fondement de l'article L. 411-11.

Résumé

Indépendamment de l'action réservée par l'article L. 135-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5718ACR) aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail, les syndicats professionnels sont recevables à demander, sur le fondement de l'article L. 411-11 de ce code, l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail, même non étendu, son inapplication causant nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession.

1. L'action en justice des syndicats en exécution des conventions collectives

  • Pluralité des fondements

Pendant de très nombreuses années, seuls deux textes ont pu servir de fondement à l'action en justice d'un syndicat en exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail (1).

Il s'agit, tout d'abord, de l'article L. 135-4, alinéa 1er (N° Lexbase : L5717ACQ), organisant une action dite de "substitution" par laquelle les syndicats dont les membres sont liés par une convention ou un accord collectif de travail peuvent exercer toutes les actions en justice qui naissent de ce chef en faveur de leurs membres, sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé, pourvu que celui-ci ait été averti et n'ait pas déclaré s'y opposer (v., sur ce type d'action, F. Petit, L'action de substitution, un cadeau promis à un avenir meilleur, Dr. soc. 2004, p. 262).

Est, ensuite, concerné l'article L. 135-5, permettant aux organisations ou groupements liés par une convention ou un accord collectif, d'intenter contre les autres organisations ou groupements, leurs propres membres ou toute personne liée par la convention ou l'accord, toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts. Cette action, qualifiée de "contractuelle", reste réservée aux signataires de la convention ou de l'accord collectif (Cass. soc., 14 février 2001, n° 98-46.149, Société Moulinex c/ Mme Delalande et autres, publié N° Lexbase : A3485ARI ; Dr. soc. 2001, p. 572, obs. M. Miné).

Les syndicats qui ne pouvaient ni agir au profit de salariés sur le fondement de l'article L. 135-4, alinéa 1er, ni invoquer l'article L. 135-5 pour obtenir l'exécution des dispositions conventionnelles, faute d'être signataires de l'acte juridique en cause, ont alors tenté de solliciter l'article L. 411-11 du Code du travail relatif, faut-il le rappeler, à l'action en justice pour la défense des intérêts collectifs de la profession. Après avoir été longtemps hostile à une telle tentative, la Cour de cassation a fini par l'accepter, dans un retentissant arrêt rendu le 12 juin 2001, en affirmant qu'"indépendamment des actions réservées aux syndicats par les articles L. 135-4 et L. 135-5 du Code du travail, en cas d'extension d'une convention ou d'un accord collectif qui a pour effet de rendre les dispositions étendues applicables à tous les salariés et employeurs compris dans leur champ d'application, les syndicats professionnels sont recevables à en demander l'exécution sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail, leur non-respect étant de nature à causer nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de l'ensemble de la profession" (Cass. soc., 12 juin 2001, n° 00-14.435, Société Euro Disney SCA et autres c/ Fédération nationale des syndicats du spectacle de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT, publié N° Lexbase : A5948ATH ; D. 2002, p. 361, obs. H. Nasom-Tissandier et P. Rémy ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 3ème éd., 2004, n° 34).

Approuvée par la majorité de la doctrine (v., notamment, en ce sens les auteurs préc.) (2), cette solution trouvait à s'expliquer par le caractère essentiellement normatif de la convention ou de l'accord collectif de travail (pour plus de détails, v. les commentaires préc.). Ces mêmes auteurs n'en trouvaient pas moins critiquable et injustifiée la condition relative à l'extension de la convention collective et appelaient de leurs voeux l'application de la solution en cause à toutes les conventions collectives de travail, qu'elles aient ou non été étendues. L'arrêt sous examen vient exaucer ces souhaits.

  • Extension de l'action fondée sur l'article L. 411-11 du Code du travail

En affirmant qu'"indépendamment de l'action réservée par l'article L. 135-5 du Code du travail aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail, les syndicats professionnels sont recevables à demander l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail, même non étendu [...]" (3), la Cour de cassation signifie l'abandon de la condition qu'elle avait elle-même posée en 2001, relativement à l'admission de l'action en exécution d'une convention collective sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail.

La solution est désormais claire : un syndicat peut exiger en justice l'application d'une convention ou d'un accord collectif de travail sur le fondement de l'article L. 411-11, alors même qu'il n'a pas signé l'acte juridique en cause et quand bien même celui-ci n'a pas fait l'objet d'un arrêté d'extension. Dès lors que l'on considère que la Cour de cassation a entendu tirer toutes les conséquences du caractère normatif des dispositions conventionnelles, cette solution ne peut qu'être approuvée. En effet, un tel caractère ne dépend en aucune façon de l'extension de la norme conventionnelle et une convention ou un accord collectif ordinaire comporte tout autant que les autres un tel caractère, alors même qu'il ne concerne qu'un nombre plus restreint de salariés. Cela ne saurait, toutefois, conduire à penser que le non-respect par un employeur d'une convention ou d'un accord ordinaire ne cause pas un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession au sens de l'article L. 411-11. En effet, "l'intérêt collectif de la profession" peut être l'intérêt d'une collectivité de travail particulière (v., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 585).

Cette solution, dont on persiste à penser qu'elle fait bon ménage de la nature contractuelle de la convention collective, pose la question de la place désormais dévolue à l'action fondée sur l'article L. 135-5 du Code du travail. Si cette disposition ne devrait pas désormais être lettre morte, elle n'en conservera pas moins une place toute résiduelle (v., sur la question, les obs. préc. de H. Nasom-Tissandier et P. Rémy).

2. Les effets de l'action en exécution d'un accord collectif fondée sur l'article L. 411-11 du Code du travail

  • Une action collective

A l'appui de son pourvoi, l'employeur arguait que le syndicat qui agit pour la défense des intérêts collectifs des salariés sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-11 du Code du travail est irrecevable à défendre en son nom propre les intérêts individuels des salariés. En conséquence, en condamnant, à la demande du syndicat, la société employeur à payer des sommes au titre de la participation pour trois années consécutives et à répartir ces sommes entre les salariés de l'entreprise, la cour d'appel aurait violé l'article L. 411-11 du Code du travail.

L'action de l'article L. 411-11 du Code du travail constituant, si l'on peut dire, le prototype de l'action collective, elle ne saurait, pas plus d'ailleurs que l'action de l'article L. 135-5, produire d'effets au bénéfice individuel de chacun des salariés. Admettre le contraire reviendrait, en outre, à exclure la compétence du conseil de prud'hommes, seul à même, on le sait, de trancher les litiges individuels nés à l'occasion du contrat de travail. Il convient, à ce propos, de rappeler que les actions en exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail doivent être soumises au juge de droit commun, dès lors qu'elles sont fondées sur les articles L. 135-5 et L. 411-11 du Code du travail.

  • La faculté d'obtenir l'exécution des dispositions conventionnelles au profit des salariés

Afin d'écarter l'argumentation de l'employeur, la Cour de cassation vient préciser que "la cour d'appel qui a relevé que l'action du syndicat de la métallurgie de la Loire CFDT tendait à la condamnation de l'employeur à constituer une réserve spéciale de participation d'un certain montant pour chacun des exercices litigieux ainsi qu'à sa répartition entre les salariés de l'entreprise et non à la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés, en a exactement déduit que le syndicat ne défendait pas en son nom propre les intérêts individuels des salariés".

On approuvera sans réserve cette solution qui donne à l'action du syndicat en exécution d'une convention collective une pleine portée, sans lui enlever pour autant son caractère collectif. On doit noter que la Cour de cassation s'était déjà prononcée en ce sens dans un arrêt en date du 22 février 2006. Répondant à une argumentation fort proche de celle avancée dans l'arrêt commenté par l'employeur, la Cour de cassation était venue affirmer que "la cour d'appel, qui a constaté que le syndicat demandait la condamnation de la société à procéder aux augmentations prévues par l'accord du 18 janvier 2002 au bénéfice d'une catégorie de cadres, a décidé à bon droit que cette demande, qui ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes déterminées était recevable, avait pour objet l'application de l'accord" (Cass. soc., 22 février 2006, n° 04-14.771, Société Sigma Kalon grand public c/ Fédération nationale des industries chimiques (FNIC-CGT), inédit N° Lexbase : A1766DNQ).

Pour n'être pas publié, cet arrêt n'en a pas moins attiré l'attention d'une certaine doctrine, soulignant qu'"ainsi le juge de droit commun se voit désormais reconnaître le pouvoir de désigner la catégorie des bénéficiaires, et restant dans la limite de sa compétence, d'assurer l'application de l'accord collectif au profit d'un ensemble défini de bénéficiaires non identifiés mais suffisamment identifiables en ordonnant l'exécution des dispositions conventionnelles sans nommer les salariés ni chiffrer leurs droits, ce qui, seul, relèverait de la compétence prud'homale" (M. Henry, art. préc., p. 118).

L'arrêt sous examen, qui aura quant à lui les honneurs du bulletin, vient donc ancrer dans notre droit positif une solution équilibrée préservant le caractère collectif de l'action en exécution d'une convention collective fondée sur l'article L. 411-11 du Code du travail.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Pour plus de détails sur cette question, on se reportera utilement à l'article de Michel Henry, L'action syndicale en exécution des conventions collectives, Dr. ouvrier 2007, p. 112.
(2) V. aussi, J.-M. Verdier, Accords collectifs et action syndicale en justice : le rôle fondateur de l'article L. 411-11 du Code du travail, D. 2002, chron., p. 503. Pour une attitude plus mesurée à l'égard de cette solution, v. notre article Exécution des conventions collectives et action en justice des syndicats, Lexbase Hebdo n° 85 du 11 septembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8656AAT).
(3) Souligné par nous.
Décision

Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-12.340, Société de fabrication et commercialisation Sofaco, FS-P+B (N° Lexbase : A0563DWR)

Rejet (cour d'appel de Lyon, 4 février 2005, chambre sociale)

Textes concernés : C. trav., art. L. 135-5 (N° Lexbase : L5718ACR) ; C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS).

Mots-clés : syndicat ; action en justice ; convention collective ; action en exécution ; intérêt collectif de la profession.

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