Réf. : Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission. |
1. Une distinction confuse
Le 25 juin 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les conditions dans lesquelles un salarié peut prendre l'initiative de quitter l'entreprise et obtenir du juge prud'homal des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (1). Selon ces arrêts, "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission".
Lorsque le salarié prend clairement acte de la rupture du contrat de travail, c'est-à-dire lorsqu'il manifeste, par écrit (2) ou même simplement verbalement, son désir de "prendre acte", l'office du juge est relativement simple puisqu'il ne sera pas tenté d'appliquer la jurisprudence classique relative à la volonté claire et non équivoque de démissionner.
Lorsque le salarié démissionne formellement, puis se rétracte pour prendre acte, ou saisit directement la juridiction prud'homale d'une demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut hésiter : doit-il statuer en premier lieu sur la validité de la démission, en déterminant si celle-ci repose sur une volonté claire et non équivoque du salarié, puis, si cela n'est pas le cas, examiner les griefs formulés contre l'employeur pour déterminer si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou ignorer purement et simplement la démission et se situer directement dans le cadre du régime de la prise d'acte, tel que défini depuis 2003 ?
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur la question et d'affirmer que "la démission d'un salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur s'analyse en une prise d'acte qui produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission" (3). En d'autres termes, dès lors que la démission du salarié semble avoir été déterminée par le comportement de l'employeur, il convient de faire application des règles dégagées en 2003 et de traiter cette démission comme une prise d'acte.
Nous avions tenté, pour notre part, d'apporter des éléments de réponse supplémentaires en distinguant, d'une part, l'hypothèse où un salarié a été conduit à démissionner sans aucune intervention extérieure de son employeur (exemple du salarié dépressif pour des motifs étrangers à l'exécution du contrat de travail), et où il convient de s'interroger sur le caractère clair et non équivoque de la démission et, d'autre part, l'hypothèse où la rupture du contrat, voulue par le salarié (et quelle que soit la qualification initiale retenue) est imputée par le salarié à des fautes de l'employeur, et où le juge doit vérifier la pertinence de ses griefs afin de déterminer si la rupture du contrat produit les effets d'un licenciement ou d'une démission (4).
La difficulté que nous éprouvions à dessiner le périmètre exact de la jurisprudence relative à la prise d'acte ayant été également celle des juridictions du fond, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de clarifier sa position dans ces quatre arrêts en date du 9 mai 2007, et ce, d'ailleurs, comme on pouvait s'y attendre.
2. La volonté de clarifier les situations
Pour bien comprendre le type de situations visées par la Cour, il convient de se reporter au communiqué de presse qui accompagne ces arrêts : "En particulier, lorsqu'un salarié démissionne sans réserve ou 'pour convenances personnelles' avant de se rétracter en raison de manquements qu'il impute à son employeur sans invoquer aucun vice de son consentement, quel doit être l'office du juge ? Faut-il considérer que l'absence de réserve ou, mieux, l'énoncé de 'raisons personnelles' traduit une volonté sans équivoque de démissionner, peu important l'existence d'éventuels manquements, fondés ou non, de l'employeur ? Faut-il au contraire, et dans l'affirmative à quelles conditions, analyser une telle démission en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués sont justifiés ?"
Voici désormais les nouvelles consignes de la Cour de cassation : "lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission".
La formule mérite quelques précisions.
La Cour de cassation considère, en premier lieu, qu'existent bien des hypothèses dans lesquelles le juge peut être conduit à statuer dans le cadre de la seule appréciation du caractère clair et non équivoque de la volonté du salarié, sans qu'il soit utile de s'interroger sur le comportement de l'employeur. Selon la formule utilisée par la Cour, il s'agit de l'hypothèse où le salarié invoque un "vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission".
Cette formule est malheureuse car elle nous semble trop large. La référence aux vices du consentement renvoie, en effet, aux dispositions des articles 1109 (N° Lexbase : L1197ABX) à 1118 (N° Lexbase : L1206ABB) du Code civil, c'est-à-dire à l'erreur, au dol et à la violence. Or, l'hypothèse d'un dol, c'est-à-dire de manoeuvre de l'employeur, ou d'une violence exercée dans le but de le faire démissionner, renvoit non pas à l'hypothèse d'une démission annulée mais à celle d'une démission devant produire les effets d'une prise d'acte aux torts de l'employeur. Seule subsiste donc l'hypothèse d'une erreur commise par le salarié, ou d'une contrainte psychologique étrangère à l'employeur, renvoyant à des solutions traditionnelles de salariés démissionnant sous le coup de la colère (5) ou d'une violente émotion (6).
Dans ce premier cas de figure d'une démission donnée et contestée ensuite en raison d'un vice du consentement non imputable à l'employeur, la sanction sera bien l'annulation de la démission et, partant, la poursuite des relations contractuelles avec l'employeur, et non la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A côté de cette première hypothèse, se rencontre une seconde, en pratique beaucoup plus fréquente, d'une démission donnée puis contestée en raison de faits imputables à l'employeur et qui ont déterminé le salarié à démissionner. Dans cette hypothèse, la nouvelle formulation adoptée par la Cour de cassation invite les juges du fond à procéder en deux temps : ils devront, en effet, commencer par établir le caractère équivoque de la démission du salarié, c'est-à-dire montrer que la volonté a été déterminée par les faits imputés à l'employeur, puis, selon que ces faits étaient ou non de nature à justifier la rupture du contrat, faire produire à cette rupture les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou d'une démission.
Dans cette hypothèse, le caractère équivoque de la volonté du salarié ne conduit pas à l'annulation de la démission, ni même, semble-t-il, à sa requalification, mais à sa "remise en cause", c'est-à-dire à la remise en cause de ses effets. Dans la mesure où cette démission aura été provoquée par des fautes imputables à l'employeur, alors elle produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; à défaut, cette démission produira les effets... d'une démission.
L'un des intérêts de ces quatre arrêts est d'avoir donné aux juges du fond des exemples "de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission" permettant d'établir "qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque".
Ainsi, le fait que le salarié conteste sa démission plus de 17 mois après celle-ci n'est pas une circonstance permettant de retenir l'équivoque de la démission à la date où elle a été donnée. Dans cette affaire, de surcroît, "la lettre de démission ne comportait aucune réserve" et "le salarié [...] ne justifiait d'aucun litige antérieur ou contemporain de celle-ci avec son employeur" (7).
En revanche, la volonté claire et non équivoque de démissionner n'est pas caractérisée dès lors que "la société n'avait pas rempli les salariés de leurs droits s'agissant du temps de travail, des congés payés, du repos compensateur et pour l'un d'eux de l'indemnisation des arrêts de travail", et que "cette situation avait été signalée à l'inspection du travail", qui avait adressé un courrier de rappel à la société (8). La démission sera également équivoque si le salarié conteste, dans la lettre de démission elle-même, le paiement de ses heures supplémentaires (9), ou encore s'il se rétracte rapidement (en une semaine) et s'il proteste, dans la lettre de "démission", "contre la modification unilatérale de sa rémunération consistant en une suppression [...] d'une partie de ses commissions" (10).
Le moins que l'on puisse dire est que cette clarification n'est pas des plus claires. Si l'hypothèse d'une démission annulée pour vice du consentement ne fait pas difficulté, dans la mesure où l'on sait depuis longtemps que les dispositions du Code civil relatives à la validité des obligations conventionnelles s'appliquent également aux actes unilatéraux, telle la démission (11), celle d'une démission devant "s'analyser" en une prise d'acte, laquelle devrait à son tour "produire les effets" d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission, n'est pas des plus simples.
On se demande d'ailleurs pourquoi la Cour n'a pas simplifié l'analyse en affirmant que la démission provoquée par des fautes de l'employeur doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ce refus de consacrer une hypothèse de requalification, alors que cette opération juridique est familière en droit du travail, pourrait alors révéler la volonté de ne pas introduire de fiction dans l'analyse du déroulement de la rupture et de ne pas sanctionner l'employeur pour le non-respect de la procédure de licenciement. Il convient, en effet, d'admettre qu'en l'absence de requalification, il ne saurait être reproché à l'employeur de ne pas avoir respecté la procédure du licenciement, puisque le salarié a démissionné. Certes, l'indemnité sanctionnant le non-respect de la procédure de licenciement se confond légalement avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12) ; mais cette absence de cumul ne vaut pas lorsqu'est en cause le paiement d'indemnités conventionnelles, et n'interdit pas au juge d'accorder, dans le cadre du chiffrage des dommages et intérêts dus au salarié, des indemnités supplémentaires en considération du préjudice que lui a également causé le non-respect des règles de procédure.
En d'autres termes, le refus de passer par la figure de la requalification de la rupture, s'il s'agit bien de cela, n'aurait d'intérêt que s'il se traduisait par le refus d'octroyer au salarié des indemnités sanctionnant le non-respect de la procédure de licenciement ; si tel ne devait pas être le cas, alors on ne voit pas bien l'intérêt d'avoir introduit cet élément de complexité supplémentaire dans l'analyse d'une situation déjà bien peu claire.
Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Décisions
Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-40.315, Société Lacour, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0908DWK)
Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-41.324, Société Janier, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0910DWM)
Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-42.301, Société Kent, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8)
Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-40.518, Société Citernord, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0909DWL) Textes visés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9). Mots-clefs : prise d'acte ; démission. Lien bases : . |
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