La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Affaires "Pages jaunes" : nouvelle victoire de l'entreprise, et du bon sens !

Réf. : Cass. soc., 14 février 2007, n° 05-45.887, M. Jean-Michel Caillens, FS-P+B (N° Lexbase : A2203DU7)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Un an après la validation du plan de réorganisation commerciale de l'entreprise Pages Jaunes (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3522DME ; lire nos obs., Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3341AKX), la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant dans le cadre du même contentieux, donne de nouveau raison à la société Pages Jaunes et apporte deux précisions d'importance concernant la validité des plans de sauvegarde de l'emploi. La première est que le plan peut contenir une procédure d'actualisation des offres d'emploi qu'il prévoit (1) ; la seconde est que la dispense d'activité peut constituer une mesure favorisant utilement le reclassement des salariés (2).
Résumé

1. La pertinence du plan doit être appréciée en fonction de l'ensemble des mesures qu'il contient et en tenant compte de la procédure d'actualisation des offres d'emploi qu'il prévoit.

2. Constitue une mesure de reclassement licite la mise en situation de recherche de reclassement pendant une période déterminée avec dispense d'activité et maintien de la rémunération dès lors que, pendant cette période, l'employeur remplit son obligation de recherche de reclassement et que le plan prévoit les mesures nécessaires à cet effet.

Décision

Cass. soc., 14 février 2007, n° 05-45.887, M. Jean-Michel Caillens, FS-P+B (N° Lexbase : A2203DU7)

Cassation sans renvoi (CA Versailles, 17ème ch., 27 octobre 2005)

Textes visés : C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots-clefs : plan de sauvegarde de l'emploi ; pertinence des mesures ; procédure d'actualisation des offres d'emploi ; dispenses d'activité favorisant le reclassement.

Liens bases : ; ;

Faits

1. La société "Pages jaunes", membre du groupe France Télécom, a élaboré un plan d'évolution commerciale de la société portant, notamment, sur la modification des contrats de travail de 930 conseillers commerciaux. Le plan de sauvegarde de l'emploi a été présenté au comité d'entreprise le 31 octobre 2001, qui a émis son avis définitif le 8 février 2002.

MM. Caillens, Langlois et Weissenbacher ainsi que Mmes Cohen, Rolin et Seneschal, conseillers commerciaux, ont été licenciés pour motif économique par la société après avoir refusé la modification de leurs contrats de travail, proposée le 13 février 2002.

2. Contestant notamment le plan, ils ont saisi la juridiction prud'homale.

Pour déclarer non conforme aux exigences de l'article L. 321-4-1 du Code du travail le plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel retient, d'abord, que parmi la liste des 266 postes offerts au reclassement annexée au plan social présentée le 31 octobre 2001, seuls 67 constituaient des offres réelles et concrètes de reclassement susceptibles d'être proposées aux salariés après l'expiration du délai d'acceptation de la modification du contrat de travail, ce qui n'est pas proportionné à la taille de l'entreprise et du groupe auquel elle appartient ; que, d'autre part, la période de dispense partielle puis totale d'activité prévue dans le plan au titre des mesures de reclassement interne avait pour objet de permettre au salarié de consacrer l'essentiel de son activité à la recherche de ce reclassement, ce qui ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 321-4-1 du Code du travail, dès lors qu'elle transfère au salarié une obligation pesant sur l'employeur et, qu'au surplus, les salariés n'avaient ainsi plus accès au réseau intranet de l'entreprise sur lequel était diffusée la liste des emplois disponibles ; qu'enfin, ni les autres dispositions du plan sur le reclassement interne relatives à l'accompagnement par un relais conseil mobilité, ainsi que les mesures d'accompagnement de la mobilité, ni celles portant sur le reclassement externe ne sont suffisantes au regard des exigences de ce texte.

Solution

1. Vu les articles L. 321-4-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ;

"La pertinence du plan doit être appréciée en fonction de l'ensemble des mesures qu'il contient et en tenant compte de la procédure d'actualisation des offres d'emploi qu'il prévoit".

"Constitue une mesure de reclassement licite la mise en situation de recherche de reclassement pendant une période déterminée avec dispense d'activité et maintien de la rémunération dès lors que, pendant cette période, l'employeur remplit son obligation de recherche de reclassement et que le plan prévoit les mesures nécessaires à cet effet".

2. "En statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; par ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le pourvoi de M. Caillens : casse et annule, dans toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 27 octobre 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; vu l'article 627, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2884AD8) ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; confirme les jugements du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt rendus les 11 septembre et 16 octobre 2003 ; condamne la société Pages jaunes aux dépens de cassation et à ceux afférents aux instances suivies devant les juges du fond".

Commentaire

1. L'appréciation de la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi

  • L'affaire

Dans les arrêts "Pages Jaunes" rendus le 11 janvier 2006 (préc.), la Cour de cassation devait statuer sur la validité même du plan présenté par l'entreprise dans le cadre d'une stratégie de prévention de difficultés économiques à venir et de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

Cette fois-ci, l'affaire concernait non pas le motif économique des licenciements prononcés, mais la validité du volet reclassement du plan de sauvegarde de l'emploi.

La cour d'appel de Versailles, qui avait invalidé le plan, considérait que, parmi la liste des 266 postes offerts au reclassement, seuls 67 constituaient des offres réelles et concrètes de reclassement susceptibles d'être proposées aux salariés après l'expiration du délai d'acceptation de la modification du contrat de travail, ce qui n'est pas proportionné à la taille de l'entreprise et du groupe auquel elle appartient. L'entreprise se défendait en indiquant avoir mis en place une cellule chargée d'actualiser la liste des postes disponibles, en d'autres termes en arguant que le plan avait mis en place les moyens d'augmenter la liste des emplois disponibles pour le reclassement, sans en figer le nombre au jour de l'adoption du plan.

L'argument n'avait pas convaincu la cour d'appel de Versailles, mais il satisfait pleinement la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse, sans renvoi, l'arrêt et valide donc purement et simplement le plan, après avoir relevé que "la pertinence du plan doit être appréciée en fonction de l'ensemble des mesures qu'il contient et en tenant compte de la procédure d'actualisation des offres d'emploi qu'il prévoit".

  • Une solution parfaitement justifiée

La première partie de l'argumentation ne doit pas surprendre puisqu'elle reprend presque de manière identique une formule déjà présente dans l'un des arrêts rendus le 11 janvier 2006 ("la cour d'appel, après avoir constaté que les dispositions du plan social comportaient un ensemble de mesures de reclassement interne et externe, a pu en déduire qu'elles répondaient aux exigences légales et étaient proportionnées aux moyens de l'entreprise").

Mais c'est la première fois, à notre connaissance, que la Chambre sociale formule le principe selon lequel "la pertinence du plan doit être appréciée en fonction de l'ensemble des mesures qu'il contient", même si l'idée était déjà très présente dans la jurisprudence antérieure. La Cour avait certes affirmé, à partir d'un arrêt en date du 18 novembre 1998 (Cass. soc., 18 novembre 1998, n° 96-22.343, Union locale CGT de Saint-Priest et des environs c/ Société Tea Corbas et autre, publié N° Lexbase : A7553AXZ), que "la pertinence d'un plan social doit être appréciée en fonction des moyens dont dispose l'entreprise", mais jamais formellement "en fonction de l'ensemble des mesures qu'il contient".

Cette précision est utile car elle impose très justement une analyse in globo de la pertinence du plan, le juge ne devant pas se focaliser sur tel ou tel type de mesure, mais devant, au contraire, apprécier l'ensemble des efforts consentis par l'entreprise pour éviter ou limiter le nombre des licenciements, ou pour assurer le reclassement, en interne ou en externe, des salariés dont l'emploi aurait été supprimé.

Cet arrêt montre, également, la volonté de la Cour de cassation de contrôler l'activité des juridictions d'appel, et de casser les décisions qui condamnent avec une sévérité excessive les plans de reclassement.

2. La licéité de la dispense d'activité

  • Les mesures litigieuses

Le plan de sauvegarde de l'emploi, mis en place par la société Pages Jaunes, prévoyait, outre la mise à disposition d'un certain nombre d'emplois disponibles pour les salariés ayant refusé la modification de leur contrat de travail, des mesures de dispense d'activité, assorties d'un certain nombre d'aides de l'entreprise, pour favoriser des recherches d'emploi à l'extérieur de l'entreprise. Les salariés demandeurs contestaient que la mise en place de dispenses d'activité puisse caractériser des mesures de reclassement, au sens où l'entend l'article L. 321-4-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8926G7Q), "dès lors qu'elle transfère au salarié une obligation pesant sur l'employeur", et avaient convaincu, d'ailleurs, la cour d'appel de Versailles sur ce point.

  • Une interrogation inédite

C'était la première fois que la Cour de cassation avait à prendre parti sur la question. Certes, on savait déjà que le salarié bénéficiaire d'une dispense totale d'activité n'est maintenu dans l'effectif de l'entreprise que s'il continue à toucher son salaire. La Cour de cassation avait, également, considéré que la mise en disponibilité des salariés ne constituait pas une modification de leur contrat de travail, nécessitant, dans le cadre de la jurisprudence "Framatome" (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, Société Framatome connectors France et autre c/ Comité central d'entreprise de la société Framatome connectors, publié N° Lexbase : A2180AAY) et "Majorette" (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, Syndicat Symétal CFDT c/ Société nouvelle Majorette et autre, publié N° Lexbase : A2182AA3), la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Certaines cours d'appel, dans le cadre du litige concernant France Télécom, avaient, pour leur part, statué dans un sens contraire à la cour d'appel de Versailles, dans cette affaire, et considéré que la dispense d'activité rémunérée constitue une modalité de la recherche de reclassement interne.

  • Une solution justifiée

La Cour de cassation a décidé, ici, de contredire la cour d'appel de Versailles et de considérer qu'en l'espèce la dispense d'activité constituait une "mesure de reclassement licite", mais en entourant l'affirmation de garanties. Il est d'ailleurs intéressant de constater que la Cour ne parle pas de "dispense d'activité", pour ne pas créer de confusion dans l'esprit des justiciables sur la validité de toute mesure allant dans ce sens, mais de "mise en situation de recherche de reclassement", ce que l'on peut qualifier de "dispense dynamique d'activité".

Cette mise en disponibilité s'accompagnait dans cette affaire du maintien de la rémunération, était limitée dans le temps et impliquait fortement l'entreprise qui aidait le salarié dans ses démarches, au travers, notamment, d'une cellule de reclassement.

Cette solution nous paraît heureuse car elle encourage les entreprises à multiplier les initiatives en matière de reclassement et à faire confiance aux salariés pour chercher utilement un nouvel emploi.

L'examen de la jurisprudence en matière de plans de reclassement démontre, ici, que la Cour de cassation se montre extrêmement sensible aux efforts développés par les entreprises dans le cadre de leurs obligations de reclassement, bien loin de l'image d'Epinal d'un juge, sourd à toute considération économique.

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