La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] L'action en réajustement du loyer : ce qu'il faut garder en... mémoire !

Réf. : Cass. civ. 3, 7 février 2007, n° 05-20.252, M. Alain Cayeux, FS-P+B (N° Lexbase : A9522DTT)

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N0773BAU

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

La contestation relative à la fixation du prix du bail renouvelé portée par un preneur devant le juge des loyers commerciaux étant distincte de la demande d'augmentation du loyer en raison de l'existence d'une sous-location, une telle demande ne peut être valablement formée par le bailleur qu'en notifiant un mémoire, puis en saisissant le juge des loyers dans les conditions prévues par la loi. Tel est l'enseignement de la Cour de cassation dans un arrêt sa troisième chambre civile du 7 février 2007 qui semble trancher, à notre connaissance, pour la première fois, la question de la compétence, et subséquemment celle de la procédure, relative à l'action en réajustement du loyer du bail principal en raison d'une sous-location. En l'espèce, par acte du 12 octobre 2000, le propriétaire de locaux à usage commercial avait donné congé au preneur pour le 15 avril 2001. Les parties ne s'étant pas accordées sur le prix du bail renouvelé, le juge des loyers commerciaux avait été saisi par le preneur. Les bailleurs avaient alors invoqué l'existence d'une sous-location pour demander une augmentation du loyer.

Le prix du nouveau bail avait été ainsi fixé à une certaine somme par les juges du fond au motif que le juge des loyers commerciaux avait été saisi par les preneurs eux-mêmes d'une action en fixation du loyer du bail commercial et que ce juge n'avait pas outrepassé ses pouvoirs en examinant le moyen tiré de l'existence d'une sous-location invoqué par le bailleur dans ses différents mémoires.

Le preneur s'est alors pourvu en cassation pour contester la possibilité pour le juge des loyers ainsi saisi par eux pour connaître de l'action en réajustement du loyer du bail principal.

La Cour de cassation a ainsi été amenée à se prononcer sur les règles régissant la procédure relative à cette action. Avant d'aborder ce point, il convient, au préalable, d'effectuer un rappel sur les conditions de l'action en réajustement.

I - L'action en réajustement du loyer principal en raison d'une sous-location

Aux termes de l'article L. 145-31, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L5759AI7), "lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d'exiger une augmentation correspondante du loyer de la location principale, augmentation qui, à défaut d'accord entre les parties, est déterminée selon une procédure fixée par décret en Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article L. 145-56 (N° Lexbase : L5784AI3)".

Cette faculté ouverte au bailleur a pour but de faire obstacle au caractère spéculatif de certaines sous-locations.

Ce texte, assez lapidaire, a appelé plusieurs précisions jurisprudentielles.

Tout d'abord, pour que l'action en réajustement soit possible, il faut, d'une part, être en présence d'une véritable sous-location. Le bailleur ne pourra, en effet, exiger une augmentation du prix du bail si la convention consentie par le preneur à un tiers est une convention accordant un droit de jouissance limité dans le temps et assortie de prestations (Cass. civ. 3, 13 février 2002, n° 00-17.994, FS-P+B+R N° Lexbase : A0011AY3) ou une sous-location de meublés, l'activité du bail principal étant celle de débit de boissons mais aussi de meublés pour des petites maisons (Cass. civ. 3, 22 octobre 2003, n° 02-15.975, Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille c/ M. Bendhamane Bennebri, FS-D N° Lexbase : A9446C9Q).

D'autre part, selon la formule presque tautologique de la Cour de cassation, l'article L. 145-31 du Code de commerce est sans application "lorsque la chose louée est autre que la chose louée" (Cass. civ. 3, 6 décembre 1972, n° 71-13.197, SA La réunion foncière c/ Société civile de l'immeuble 1-3-5 rue Lord Byron N° Lexbase : A6819AGN). Dans cette décision, la Haute cour a jugé l'action du bailleur en réajustement du loyer irrecevable dans la mesure où le bail, qui portait sur un terrain et des constructions, prévoyait la destruction de ces dernières et l'édification d'un nouvel immeuble par le preneur dont le bailleur deviendrait propriétaire en fin de bail. En conséquence, la sous-location portait, non pas sur la chose louée, le terrain nu, mais sur l'immeuble dont le preneur était propriétaire. Ce qui semble déterminant, sous cet angle, c'est le droit de propriété du preneur sur l'objet de la sous-location. Une solution analogue doit également trouver application en présence de modifications et d'améliorations (Cass. civ. 3, 2 décembre 1992, n° 91-11.252, Consorts Lavigne c/ Ets Boissay, N° Lexbase : A4940CLK).

Ensuite, le prix de la sous-location devra être supérieur au prix de la location principale. La comparaison entre les prix de ces deux baux ne présente pas, en principe, de difficultés lorsque la sous-location est totale.

En revanche, en présence d'une sous-location partielle, il sera nécessaire d'appliquer un coefficient de proportionnalité en prenant comme base de comparaison, par exemple, le prix du mètre carré de chacun des baux (Cass. civ. 3, 28 mai 1997, n° 95-18.894, Société Cannes La Bocca industries c/ Société Occidentale, financière et immobilière et autres N° Lexbase : A7982AGQ). Il a, notamment, été jugé que, lorsque le preneur principal percevait au titre de sous-locations partielles des loyers dont le total était sensiblement égal au loyer du bail principal, le prix de la sous-location, au sens de l'article L. 145-31 du Code de commerce, était supérieur à celui de la location principale (Cass. civ. 3, 2 mars 1988, n° 86-15.380, M. Biot c/ Consorts Nébout N° Lexbase : A7721AA9). En outre, le prix de la sous-location pourra être majoré du fait que le locataire principal n'assure à son sous-locataire aucune prestation (Cass. com., 19 décembre 1961, n° 60-10.897, Haik c/ Société Immobilière, 9 rue du Hanovre N° Lexbase : A9631AGS. En l'espèce, le sous-locataire était tenu de régler les impôts, de supporter toutes les réparations à l'exclusions de celles visées à l'article 606 du Code civil  N° Lexbase : L3193ABU, d'assurer l'entretien, le ménage et la garde de jour et de nuit des locaux).

Si les conditions de l'action en réajustement du loyer du bail principal sont remplies, l'augmentation, à défaut d'accord des parties, est déterminée selon la procédure fixée par décret en application des dispositions de l'article L. 145-56 du Code de commerce (C. com., art. L. 145-31, al. 3).

Il faudra bien sûr veiller à ne pas laisser se prescrire l'action en réajustement. En effet, dans la mesure où elle est fondée sur une disposition du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-31, al. 3), cette action est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID) qui court à compter de la date à laquelle le bailleur a eu connaissance du prix de la sous-location (Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 96-18.245, M. Beauvais c/ M. Guerineau N° Lexbase : A2808ACY).

II - La procédure de réajustement du prix de la location principale

L'article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4), auquel l'article L. 145-31 du même code renvoie, dispose que les règles de compétence et de procédure des contestations relatives au bail sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Dans leur rédaction préalable à leur codification à l'article L. 145-31 du Code de commerce, les dispositions de l'article 21 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 (N° Lexbase : L3433AHM) renvoyaient à celles des articles 29 à 30-1 du même décret qui sont toujours applicables tant que la codification de la partie réglementaire du Code de commerce ne sera pas intervenue.

A l'issue de ce renvoi, la question se pose de la juridiction compétente pour connaître de l'action en réajustement.

En effet, l'article 29 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1960 dispose que :

"Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal de grande instance qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent".

Si une conception restrictive de la notion du "prix du bail révisé" devait être retenue, à savoir ne concerner que la révision triennale (C. com., art. L. 145-37 N° Lexbase : L5765AID et suiv.), le président du tribunal de grande instance, ou "juges des loyers", ne devrait pas être compétent.

Toutefois, il est également renvoyé, notamment, aux articles 29-1 (N° Lexbase : L3452AHC) et 29-2 (N° Lexbase : L3453AHD) du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 relatifs à la procédure sur mémoire qui est propre à la procédure de fixation du prix du bail devant le juge des loyers.

La question du juge compétent a ainsi divisé tant la jurisprudence que la doctrine.

Certains juges du fond ont, ainsi, opté pour la compétence du tribunal de grande instance (CA Paris, 9 mai 1973, Rev. Loyers 1973, p. 391), tandis que d'autres ont opté pour celle du juge des loyers (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 21 novembre 1986, Loyers et copr. 1987, comm. n° 92). La doctrine est également partagée (en faveur de la compétence du président du tribunal de grande instance : J.-P. Blatter, Droit des baux commerciaux, Le Moniteur, 4ème édition, n° 91. En faveur de la compétence du tribunal de grande instance : J.-Cl. Civil, art. 1708 à 1762, Fasc. 1300, n° 22 et les références citées).

L'arrêt rapporté semble trancher le débat. En effet, en l'espèce, le juge des loyers avait été saisi par le preneur afin qu'il fixe le montant du loyer du bail renouvelé. C'est au cours de cette instance en fixation du loyer en renouvellement, initiée par le preneur, que le bailleur avait demandé, dans ses mémoires, la majoration du prix du bail principal en raison d'une sous-location.

C'est pour avoir accueilli cette demande que les juges du fond ont été censurés au motif que la demande d'augmentation du loyer en raison de l'existence d'une sous-location "ne pouvait être valablement formée qu'en notifiant un mémoire puis en saisissant le juge des loyers dans les conditions prévues par la loi".

Certes, la question posée n'était pas directement celle de la compétence du juge des loyers pour connaître de l'action en réajustement, mais celle de la régularité de sa saisine au regard des règles spécifiques de procédure applicables devant ce juge.

Selon l'arrêt commenté, en effet, la demande d'augmentation de loyer doit être formée par mémoire et le juge des loyers ne pourra être saisi qu'à l'expiration du délai de un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi, conformément à l'article 29-2 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 au visa duquel, notamment, la décision a été rendue. En l'espèce, le bailleur n'ayant pas saisi le juge des loyers en notifiant préalablement un mémoire, sa demande de réajustement n'avait pas été régulièrement formée.

Il pourrait être soutenu que la Cour de cassation n'avait pas été saisie d'une contestation relative au principe même de la compétence du juge des loyers, incompétence qu'elle n'aurait d'ailleurs pu soulever d'office (NCPC, art. 92 N° Lexbase : L3234AD7).

Cependant, au soutien de la solution énoncée, la Haute cour vise, notamment, l'article 29, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 qui prévoit la compétence du juge des loyers en matière de prix du bail révisé ou renouvelé. Ce visa ne peut, en l'espèce et rapproché de l'exigence énoncée de la nécessité d'un mémoire préalable, s'expliquer autrement que par la reconnaissance de la compétence de ce juge pour les actions en réajustement.

Elle consacre, ainsi, une acception large de la notion de "prix du bail révisé", en y incluant la majoration du prix du bail en raison d'une sous-location.

En outre, et pour la même raison, l'alinéa 2 de l'article 29 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, qui dispose que le tribunal de grande instance peut se prononcer accessoirement sur les demandes mentionnées à "l'alinéa précédent", devrait également s'appliquer. Il en sera ainsi, par exemple, s'il existe une contestation sur l'existence d'une sous-location ou sur la prescription de l'action en réajustement du loyer.

Si, en l'espèce, c'est le bailleur qui avait saisi le juge des loyers d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé, son action en réajustement concomitante aurait peut-être été recevable, à la condition, néanmoins, qu'elle ait été formée dans son mémoire préalable.

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