La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Péages et TVA, nouvel épisode

Réf. : CE, 8° et 3° s-s., 22 novembre 2006, n° 290350, Société des Transports Hattet-Preaux c/ Sociétés concessionnaires (N° Lexbase : A5504DSN), et n° 286699, Cofiroute et autres c/ Louis Mazet (N° Lexbase : A5494DSB)

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le 07 Octobre 2010

Le feuilleton TVA-Péages continue ! En témoignent les arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 22 novembre 2006. Depuis une décision de la CJCE du 12 septembre 2000 (1), il est acquis que les péages autoroutiers relèvent de la TVA, avant, comme après 2001. Néanmoins, l'exigibilité et la déductibilité de la TVA pour la période antérieure à 2001 soulèvent encore beaucoup de difficultés. Les acteurs de cette relation triangulaire, Etat, concessionnaires privés d'autoroutes et usagers cherchent à ne pas supporter le coût définitif de la TVA exigible, laquelle serait d'un montant avoisinant les 900 millions d'euros. Tout commence par un recours en manquement de la Commission contre la France devant la CJCE. La Cour de Luxembourg suit la Commission le 12 septembre 2000 et condamne la France pour ne pas avoir soumis ses péages à la TVA. Elle considère que les concessionnaires accomplissent une activité économique, au sens de la sixième Directive, lorsqu'ils mettent à la disposition des usagers, moyennant contrepartie, une infrastructure routière. Pour se conformer à cette décision, la loi de finances rectificative en date du 30 décembre 2000 (2) a abrogé les textes contraires au droit communautaire (3). Ainsi, en France, depuis le 1er janvier 2001, les péages des infrastructures autoroutières sont officiellement soumis à TVA. S'agissant de la période antérieure à l'année 2001, la question demeure conflictuelle quoique l'assujettissement des péages à la TVA ne soit pas discutable.

Les transporteurs routiers ont tenté de récupérer la TVA supposée avoir grevé leurs frais de péages avant 2001. Pour empêcher ces derniers d'exercer leur droit à déduction, l'administration fiscale a publié une instruction et adressé des courriers aux protagonistes (4). Par un arrêt en date du 29 juin 2005 (5), le Conseil d'Etat a considéré qu'au titre de la période s'étendant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000, les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient tenues de délivrer aux transporteurs routiers qui leur en feraient la demande une facture mentionnant la TVA, dès lors que cette taxe était exigible au titre des péages acquittés par les usagers. Il appartenait ainsi aux usagers, dans le cadre de leurs relations avec les sociétés concessionnaires, de s'adresser à elles afin d'obtenir lesdites factures.

Pour contrecarrer les effets de cette décision, notamment sur le budget de l'Etat, l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 a subordonné la déduction à la "présentation d'une facture rectificative attestant que son montant a été payé en sus du prix figurant sur la facture initiale" (6). Le 29 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a censuré cet article pour inconstitutionnalité (7).

Cette décision n'a pas signé la fin du feuilleton. Il a connu un nouvel épisode avec la décision du Tribunal des conflits en date du 20 novembre 2006 (8). Les préfets, à la demande des concessionnaires ont, en effet, présenté des déclinatoires de compétence afin de saisir le Tribunal des conflits. Ce dernier ne rejette pas la compétence de la juridiction administrative. Il affirme en effet qu'"Une société concessionnaire de la construction et de l'exploitation d'une autoroute a pour activité l'exécution d'une mission de service public administratif, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les péages, qui ont le caractère de redevances pour service rendu, sont assujettis à la TVA ; que les usagers de l'autoroute, même abonnés, sont dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard du concessionnaire ; qu'il en résulte que les litiges pouvant naître entre ces usagers et le concessionnaire quant au principe et au montant du péage, y compris quant à la délivrance de factures afférentes à ce péage, relèvent de la compétence de la juridiction administrative". En conséquence, les juridictions judiciaires, dont les tribunaux de commerce, sont incompétentes pour connaître des actions introduites pour obtenir des sociétés concessionnaires la délivrance de factures rectificatives correspondant aux péages acquittés avant 2001.

Malgré ces nombreuses décisions et l'unanimité des ordres juridictionnels (communautaire, administratif, judiciaire), constitutionnel et même du Tribunal des conflits, des questions restent en suspens : comment les transporteurs vont-ils pouvoir contraindre les concessionnaires à leur délivrer des factures rectificatives ? Ces derniers vont-ils pouvoir gérer les flux de leurs demandes ? Qui va supporter le coût financier de cette TVA : les entreprises de transports routiers, les concessionnaires ou la collectivité nationale ?

Actuellement, de nombreux recours sont pendants devant les juges du fond. A cet égard, les arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 22 novembre 2006 sont essentiels. Des actions ont été introduites par les sociétés de transports routiers pour enjoindre aux concessionnaires d'autoroutes de leur délivrer des factures rectificatives. Le Conseil d'Etat rappelle que les prises de position (9) qui faisaient obstacle à la déduction de la TVA acquittée avant 2001 ont été retirées de l'ordonnancement juridique par la décision du 29 juin 2005 (10). En conséquence, aucune mesure d'exécution sous la forme d'astreinte n'apparaît nécessaire.

Quant aux concessionnaires, afin de ne pas supporter le coût définitif de la TVA, ils ont présenté devant le Conseil d'Etat un recours en tierce opposition à l'encontre de sa décision en date du 29 juin 2005. La Haute juridiction administrative n'y fait pas droit (11). L'annulation de la décision du 27 février 2001 du secrétaire d'Etat au Budget qui refuse "par principe aux entreprises de transport routier le droit de déduire la taxe sur la valeur ajourée afférent aux péages autoroutiers acquittés avant le 1er janvier 2001" n'a pas préjudicié aux droits des sociétés requérantes (12).

Le Conseil d'Etat répond pareillement à propos de l'annulation de la décision du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale selon laquelle les sociétés concessionnaires d'autoroutes n'étaient pas fondées à délivrer aux transporteurs des factures rectificatives comportant la mention de la TVA exigible au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001 (13). La Haute juridiction administrative écarte, tout d'abord, le principe de proportionnalité puis énonce que "les péages perçus par les sociétés concessionnaires d'autoroutes avant le 1er janvier 2001 devront être regardées comme ayant été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, l'assiette de la taxe est égale au prix des péages, diminuée de la taxe exigible".

Enfin, le Conseil d'Etat renvoie les concessionnaires à invoquer devant le juge de l'impôt le moyen selon lequel le droit communautaire, le principe de la confiance légitime et l'article 1 du Protocole additionnel feraient obstacle à ce que l'Etat réclame aux sociétés concessionnaires d'autoroutes la TVA figurant sur les factures rectificatives qui seraient émises. Ces arguments demeurent sans incidence sur la légalité de la décision du 15 janvier 2003, laquelle n'a trait qu'à l'interdiction faite aux concessionnaires de délivrer des factures rectificatives.

Ces deux arrêts clarifient l'exécution de la décision du Conseil d'Etat du 29 juin 2005 (14). En effet, ils confirment l'obligation pesant sur les concessionnaires de délivrer des factures rectificatives à la demande des usagers (I) et la nécessité pour les transporteurs routiers, usagers des autoroutes, d'obtenir des factures rectificatives pour exercer leur droit à déduction de la TVA, supposée collectée entre 1996 et 2000 (II).

1. L'obligation pesant sur les concessionnaires de délivrer des factures rectificatives à la demande des usagers-transporteurs routiers

1.1 Une obligation de facturation imposée par le droit communautaire et le CGI

Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 22 novembre 2006, affirme que sa décision en date du 29 juin 2005, "se borne à annuler des prises de position faisant obstacle, d'une part, à la déduction par les transporteurs routiers de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages acquittés avant le 1er janvier 2001, et, d'autre part, à la délivrance par les sociétés concessionnaires d'autoroutes aux transporteurs routiers des factures rectificatives comportant mention de la taxe sur la valeur ajoutée exigible au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001" (15).

Par sa décision du 29 juin 2005 (16), la Haute juridiction administrative a constaté que les usagers assujettis ayant acquitté des péages entre 1996 et 2000 pouvaient déduire la TVA dès lors que les concessionnaires leur adresseraient des factures rectificatives faisant apparaître la taxe. Confrontés aux refus des concessionnaires de leur délivrer lesdites factures, les usagers assujettis ont à nouveau saisi le Conseil d'Etat pour les obliger à répondre positivement à leurs demandes, au besoin sous astreinte. La Haute juridiction administrative n'y fait pas droit au motif que la décision du 29 juin 2005 (17) ne fait qu'annuler les prises de position qui apparaissaient illicites. Ce constat d'annulation a pour effet d'imposer aux concessionnaires de délivrer des factures rectificatives.

Aux termes de l'article 22 § 3 de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), devenu article 220 de la Directive 2006/112/CE (N° Lexbase : L7664HTZ), transposé sous l'article 289-I-1 du CGI (N° Lexbase : L5593HLQ), tout assujetti doit facturer les biens livrés et les services rendus à un autre assujetti ou à une personne morale non assujettie. Cependant, comment concilier cette obligation avec les règles fiscales tendant à exclure les péages du champ d'application de la TVA entre 1996 et 2001 (18) ? Les concessionnaires doivent-ils prendre en charge la réparation d'une erreur d'interprétation du champ d'application de la TVA commise par l'Etat ? A juste titre, Monsieur Yohann Benard souligne que la délivrance de factures rectificatives soulève la question de savoir si les concessionnaires seront tenus à terme d'acquitter la TVA mentionnée sur les factures rectificatives, conformément à l'article 283-3 du CGI (N° Lexbase : L2534HN8) (19).

Afin d'éviter le reversement de la TVA supposée collectée entre 1996 et 2000, les concessionnaires ont avancé un argument intéressant : le principe communautaire de confiance légitime. Ce principe, d'origine allemande, procède du principe constitutionnel de sécurité juridique. En effet, selon le Professeur Simon, d'une part, "la confiance légitime est le versant subjectif du principe objectif de sécurité juridique', son sous-ensemble tendant à la protection des situations légitimement acquises par les particuliers en cas de mutation de la règle ; il est la sécurité juridique vue sous l'angle du particulier', un aspect de celle-ci, un peu comme la garantie des droits de la défense est un aspect du principe du contradictoire. D'autre part, il peut arriver que le rejeton contredise l'aïeul, puisque la protection de la confiance légitime, en tant que limitation du pouvoir d'agir dans l'intérêt général au nom de la défense d'intérêts particuliers, peut aboutir à l'annulation d'actes par ailleurs légaux et induire ainsi un risque d'insécurité juridique" (20).

Corollaire de la sécurité juridique, le prince de confiance légitime doit contribuer à la stabilité des règles juridiques. Il s'oppose à tout changement brutal et imprévisible du droit. Or, s'il s'avérait que les concessionnaires soient obligés de reverser une TVA non effectivement facturée lors de l'exécution des prestations en cause, conformément à la loi française alors en vigueur, il y aurait peut-être manquement au principe de confiance légitime. Soulignons que la CJCE vient d'affirmer que "dans le cadre du système de taxe sur la valeur ajoutée, les autorités fiscales nationales sont tenues de respecter le principe de la protection de la confiance légitime" (21). Selon une jurisprudence communautaire constante, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique font partie de l'ordre juridique communautaire et partant, du système juridique de chaque Etat membre.

Le 14 septembre 2006 (22), la CJCE a précisé les conditions d'application du principe de confiance légitime, notamment en matière de TVA : "en ce qui concerne le principe de la confiance légitime du bénéficiaire de l'acte favorable, il convient dans un premier temps de déterminer si les actes des autorités administratives ont créé, dans l'esprit de l'opérateur économique prudent et avisé une confiance raisonnable. Si la réponse à cette question s'avère positive, il y a lieu, dans un second temps, d'établir le caractère légitime de cette confiance".

Ainsi, les concessionnaires pourraient, à bon escient, utiliser cette jurisprudence pour justifier leur absence d'obligation de reverser une TVA non facturée sur ordre de la loi applicable au moment des faits. L'exclusion des péages du champ d'application de la TVA par le CGI leur laissait légitimement penser que les péages n'étaient pas soumis à la TVA. Il ne fait aucun doute que dans l'esprit du concessionnaire "prudent et avisé", aucune taxe sur la valeur ajoutée ne devait être facturée. Ils apprécient déjà certainement que le Conseil d'Etat refuse de faire droit à la demande des transporteurs routiers d'enjoindre aux concessionnaires, sous astreinte, de délivrer des factures rectificatives.

1.2 Le refus du Conseil d'Etat d'assortir l'obligation de facturation d'une astreinte

Par sa décision en date du 29 juin 2005 (23), la Haute juridiction administrative a autorisé les usagers assujettis à récupérer la TVA supposée acquittée sur les péages entre 1996 et 2000, dès lors que les concessionnaires leur adresseraient des factures rectificatives faisant apparaître la taxe. Les usagers assujettis ont, alors, saisi une nouvelle fois le Conseil d'Etat afin que celui-ci oblige, sous astreinte, les concessionnaires à leur délivrer lesdites factures rectificatives.

L'article L. 911-5 du Code de la justice administrative (N° Lexbase : L3333ALZ) énonce qu'"en cas d'inexécution d'une décision rendue par une juridiction administrative, le Conseil d'Etat peut, même d'office, prononcer une astreinte contre les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public pour assurer l'exécution de cette décision". Cependant, dans sa décision du 29 juin 2005, le Conseil d'Etat a simplement annulé les prises de position qui apparaissaient illicites. En aucun cas, il n'a ordonné aux concessionnaires de délivrer des factures rectificatives.

Cette décision apparaît justifiée. En effet, l'arrêt en date du 29 juin 2005 ne concernait que les usagers des autoroutes (transports routiers) et l'Etat. Les concessionnaires n'étaient ni parties à l'instance, ni appelés à la cause. L'arrêt du Conseil d'Etat précité leur est simplement opposable et ne crée pas d'obligation à leur égard.

A ce sujet, le Tribunal des conflits précise la compétence juridictionnelle (24). Comme on a pu le constater en 2005, plus d'un millier d'affaires relatives à la TVA autoroutière étaient, et le sont toujours, pendantes devant les juges du fond. Une majorité de juridictions du fond avait admis la compétence du juge judiciaire à propos des demandes de factures rectificatives. Par cet arrêt, le Tribunal des conflits rappelle qu'"une société concessionnaire de la construction et de l'exploitation d'une autoroute a pour activité l'exécution d'une mission de service public administratif, sans qu'il y fasse obstacle la circonstance que les péages, qui ont le caractère de redevances pour service rendu, sont assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, les usagers de l'autoroute, même abonnés sont dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard du concessionnaire ; par conséquent, les litiges pouvant naître entre ces usagers et le concessionnaire quant au principe et au montant du péage, y compris quant à la délivrance de factures afférentes à ce péages, relèvent de la compétence de la juridiction administrative".

Même si les concessionnaires peuvent agir sous la forme de sociétés commerciales, il est néanmoins indéniable que l'utilisation et l'aménagement des autoroutes est un service public. Les trois éléments caractéristiques du service public sont présents : une mission d'intérêt général, assurée soit par une personne publique ou privée (25) et soumise à un régime de droit public particulier.

S'il apparaît que les concessionnaires sont obligés de délivrer des factures rectificatives à la demande des transporteurs routiers, reste à se demander si elles sont réellement indispensables.

2. L'obligation pesant sur les usagers-transporteurs routiers de présenter des factures rectificatives justifiant leur droit à déduction

2.1 La naissance du droit à déduction

Selon l'article 17 § 1 de la 6ème Directive-TVA, devenu article 167 de la Directive 2006/112/CE, transposé sous l'article 271-I-2 du CGI (N° Lexbase : L1812HNG), le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. La naissance du droit à déduction n'est pas suspendue à la présentation d'une facture. Cela explique que le Conseil d'Etat ait annulé, le 29 juin 2005, les deux prises de position de l'administration fiscale destinée à paralyser le droit à déduction des transporteurs routiers et reconnu à ces derniers le droit de déduire, au titre de la période s'étendant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2000, la TVA supposée acquittée sur les péages.

Pour la même raison, le législateur avait anticipé les restitutions éventuelles de TVA. La loi de finances rectificative pour 2005 avait complété l'article 272, alinéa 3, du CGI (N° Lexbase : L5383HLX) selon lequel "La TVA qui aurait dû grever le prix d'une opération non soumise à la taxe en application de dispositions jugées incompatibles avec les règles communautaires ne peut être déduite que sur présentation d'une facture rectificative attestant que son montant a été payé en sus du prix figurant sur la facture initiale". Le Conseil d'Etat réitère son refus d'admettre une telle manipulation.

Il considère, en effet "qu'aux termes de l'article 266 du Code général des impôts [N° Lexbase : L0809HPN] : 1. La base d'imposition est constituée : / a) Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations [...] ; qu'aux termes de l'article 267 du même code [N° Lexbase : L5338HLB] : I. Sont à comprendre dans la base d'imposition : / 1° Les impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même [...] ; qu'il résulte de ces dispositions, qui ne sont en rien incompatibles avec celles du A de l'article 11 de la sixième Directive du 17 mai 1977, dont elles assurent la transposition, que, les péages perçus par les sociétés concessionnaires d'autoroutes avant le 1er janvier 2001 devant être regardés comme ayant été soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, l'assiette de la taxe est égale au prix des péages, diminué de la taxe exigible ; que, par suite, le moyen tiré par la Compagnie financière et industrielle des autoroutes Cofiroute et autres de ce que le principe selon lequel la taxe sur la valeur ajoutée est incluse dans le prix stipulé chaque fois qu'elle n'a pas été expressément facturée est contraire au droit interne et à la sixième Directive ne peut qu'être rejeté".

Ainsi, lorsque la TVA n'a pas été, à tort, facturée lors de l'exécution des prestations imposables, son montant doit être calculé "en dedans". Cette méthode de calcul avait déjà été préconisée par le Conseil d'Etat le 14 décembre 1979 (26) : "lorsqu'un assujetti réalise une affaire moyennant un prix convenu qui ne mentionne aucune taxe sur la valeur ajoutée dans des conditions qui ne font pas apparaître que les parties seraient convenues d'ajouter au prix stipulé un supplément de prix égal à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'opération, la taxe due au titre de cette affaire doit être assise sur une somme égale au prix stipulé, diminué notamment du montant de ladite taxe".

Cette méthode de calcul de la TVA exigible respecte la liberté contractuelle et le droit commun. Le prix dû par les usagers des autoroutes, mesure de l'assiette de la TVA demeure celui stipulé, conformément à une jurisprudence communautaire constante (27). Néanmoins, comment exercer un droit à déduction de la TVA sans facture mentionnant le montant exigible ?

2.2 L'exercice du droit à déduction

Les transporteurs routiers souhaitent légitimement récupérer la TVA exigible sur les péages acquittés au titre des années 1996 à 2000. L'exercice de ce droit se heurte à l'absence de factures mentionnant la TVA en cause et à la prescription.

L'article 18 § 1 de la 6ème Directive-TVA, alors applicable, devenu l'article 178 de la Directive 2006/112/CE et transposé sous l'article 271 II a du CGI suspend l'exercice du droit à déduction à la détention d'une facture comportant les mentions obligatoires. Ces dernières concernent, notamment, aux termes de l'article 22 b de la 6ème Directive-TVA, maintenant article 226 de la Directive 2006/112/CE et transposé sous l'article 242 nonies A de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L1041HNU) le prix hors taxe, le taux de la TVA et le prix TTC. A supposer que les transporteurs routiers obtiennent les factures rectificatives nécessaires, doivent-ils compter avec la prescription ?

Aux termes de l'article 224-1, alinéa 2, de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0878HNT), le droit à déduction doit être exercé avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. Reste à déterminer la date de départ du délai de prescription. Le droit à déduction de la TVA naissant avec son exigibilité, il faut rechercher la date exacte de la livraison de biens concernée ou celle de l'encaissement ou de la facturation de la prestation de services. S'agissant des péages supportés entre 1996 et 2000, le délai est manifestement dépassé.

Cependant, en cas de réclamation, l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX) prévoit que "les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle [...] de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation". Cet événement peut être "une décision de justice révélant la non-conformité de la règle de droit dont il est fait application à une règle de droit supérieure constitue un événement motivant la réclamation" (28). Ainsi, l'arrêt de la CJCE, en date du 19 septembre 2000, peut être considéré comme un événement permettant de rouvrir le délai. Cette réouverture ne résout pas le problème des transporteurs routiers car leur droit de déduire la TVA sur les péages autoroutiers acquittés avant 2001 aurait dû être réclamé avant le 31 décembre 2003.

Toutefois, le 23 juin 1976, le Conseil d'Etat a considéré que "la facture rectificative que reçoit une société immobilière après cessation de son activité et après l'expiration du délai normal de réclamation, et qui porte mention d'une taxe sur la valeur ajoutée non facturée initialement, constitue pour cette société un événement lui ouvrant un nouveau délai de réclamation pour obtenir la restitution du trop versé de taxe apparaissant en conséquence" (29). Afin d'exercer leur droit à déduction, à la prescription, les transporteurs routiers pourraient opposer à l'administration fiscale leurs factures rectificatives. Il leur faudra néanmoins surmonter les difficultés de délivrance. A cet égard, soulignons que l'autofacturation n'est d'aucun secours car elle suppose l'accord du cocontractant, en l'espèce, évidemment exclu.

Il convient de préciser que cette ouverture d'un nouveau délai de réclamation, au titre de l'article L. 170 du LPF (N° Lexbase : L8523AEE) interprété a contrario reste sans incidence sur la date d'exigibilité (30). Ainsi, les concessionnaires pourront opposer à l'administration fiscale la prescription.

Un dernier point mérite d'être soulevé. La multiplication des obstacles d'origine étatique à la récupération de la TVA sur les péages par les transporteurs routiers pour la période antérieure à 2001 ne constitue-t-elle pas un cas de responsabilité de l'Etat français l'obligeant à réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui lui sont imputables ?

Par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA et Sabrina Lenormand, doctorante, CDA


(1) CJCE, 12 sept. 2000, aff. C-276/97, Commission c/ République française (N° Lexbase : A7082AHR) : Dr. fisc. 2000, n° 45-46, comm. 862, spéc. § 32 ; RJF 12/00, n° 1536 ; RTD com. 2001, p. 277, obs. F. Deboissy.
(2) Loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 (N° Lexbase : L1397AXZ) : Dr. fisc. 2001, n° 4, comm. 35.
(3) CGI, art. 266-1-h (N° Lexbase : L5325HLS) et 273 ter (N° Lexbase : L5390HL9) anciens.
(4) Par une instruction du 27 février 2001 (BOI n° 3 A-4-01, 16 mars 2001 N° Lexbase : X7554AAZ : Dr. fisc. 2001, n° 15, 12611), le secrétaire d'Etat au Budget a précisé les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions applicables aux exploitants d'ouvrages de circulation routière à péage, ainsi que les conditions dans lesquelles les usagers peuvent déduire la taxe supportée. Par un courrier adressé le 27 février 2001 au délégué général de la fédération nationale des transports routiers, le secrétaire d'Etat au Budget a précisé que les entreprises de transport routier sont autorisées à déduire dans les conditions de droit commun la taxe qu'elles supportent depuis le 1er janvier 2001, mais ne peuvent se voir rembourser la taxe à laquelle les services qu'elles ont utilisés n'ont pas été soumis. Par un courrier du 15 janvier 2003, adressé au nom du ministre au président du comité des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, le directeur de la législation fiscale a indiqué qu'à l'exception de celles qui ont sollicité et obtenu une restitution de taxe conformément aux dispositions du VII de l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2000, les sociétés concessionnaires ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives faisant apparaître la taxe sur la valeur ajoutée au titre des péages acquittés avant le 1er janvier 2001.
(5) CE, 3° et 8° s-s-r., 29 juin 2005, n° 268681, SA Etablissements Louis Maze et autres (N° Lexbase : A0231DKR), lire S. Dubost, TVA : déductibilité de la taxe sur les péages autoroutiers payés avant 2001, Lexbase Hebdo n° 183 du 29 septembre 2005 (N° Lexbase : N8817AIE).
(6) Loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 (N° Lexbase : L6430HEU).
(7) Cons. const., décision n° 2005-531 DC (N° Lexbase : A1205DML) : RJF 3/06, n° 291 ; Yohann Benard, Highway to Hell ou quand l'Etat passe au péage, RJF 4/06, p. 267.
(8) T. confl., 20 novembre 2006, SA Transports Gautier et SAS Transports Merret, n° 3599 (N° Lexbase : A5439DSA).
(9) Courrier du 27 février 2001 préc.
(10) Arrêt préc.
(11) CE, n° 286699, Cofiroute et autres c/ Louis Mazet, préc.
(12) Courrier du 27 février 2001 préc.
(13) Courrier du 15 janvier 2003 préc.
(14) Préc.
(15) CE, n° 290350 préc.
(16) Arrêt préc.
(17) Arrêt préc.
(18) Instruction du 27 février 2001 préc.
(19) Décision préc.
(20) M. Puissochet (J-P) et Legal (H.), Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11, Le principe de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.
(21) CJCE, 14 septembre 2006, aff. jointes C-181/04 à C-183/04, Elmeka NE c/ Ypourgos Oikonomikon (N° Lexbase : A9705DQI).
(22) Arrêt préc.
(23) Arrêt préc.
(24) T. confl., 20 novembre 2006, préc.
(25) En cas de concession.
(26) CE, sect., 14 décembre 1979 n° 11798, Comité de Propagande de la banane (N° Lexbase : A2871AKK) : RJF 2/80 n° 99, chr. J-F Verny p. 42 ; CE 7° et 8° s-s-r., 30 novembre 1990 n° 73449, S.A. "Groupe Immobilier Lenchener" (G.I.L.) (N° Lexbase : A4821AQM) : RJF 1/91 n° 44 ; CE sect., 28 juillet 1993 n° 62865, SA Mitsukoshi (N° Lexbase : A9274B8Y).
(27) Y. Sérandour, Le contrat, outil d'interprétation de la sixième directive TVA, Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006.
(28) CE, 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 202967, SA Champagne Beaumet (N° Lexbase : A8870AQL) : RJF 5/01, n° 671 (suites de l'arrêt "Alitalia" n° 74052 du 3 février 1989 N° Lexbase : A0651AQ8, par lequel le Conseil d'Etat avait prononcé l'illégalité des dispositions de l'article 236 de l'annexe II au CGI N° Lexbase : L0912HN4 issues du décret du 29 décembre 1979).
(29) CE, 9° et 7° s-s-r., 23 juin 1976, n° 97388 et n° 97389 (N° Lexbase : A6064B84) : RJF 9/76 et doc. adm. 13-0-2122 n° 9 du 30 avril 1996.
(30) J. Benard, chron. préc.

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