La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La mesure de l'obligation d'information et de conseil de l'expert-comptable en matière d'obligation déclarative

Réf. : Cass. com., 6 février 2007, n° 06-10.109, M. Jean-Marc Vercruysse, F-P+B (N° Lexbase : A9582DT3)

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le 07 Octobre 2010

L'occasion a, à quelques reprises déjà, été donnée d'insister, dans le cadre de cette chronique, sur l'importance de l'émergence de l'obligation d'information et de conseil en matière contractuelle, dont on a déjà dit qu'elle constituait, parmi d'autres, l'un des traits les plus remarquables de l'évolution contemporaine du droit des contrats en ce qu'elle traduit, fondamentalement, une mutation profonde de la notion même de contrat et, en l'occurrence, le passage d'une conception subjective qui avait pu être celle des rédacteurs du Code civil à une conception plus objective prenant en compte l'inégalité naturelle qui peut exister entre les contractants. Et l'on n'ignore pas, précisément, qu'en admettant que le dol puisse être constitué par le silence gardé par l'un des contractants sur un élément déterminant du consentement de son partenaire qui, s'il l'avait connu, n'aurait pas contracté ou, à tous le moins, à des conditions différentes (1), la jurisprudence a ainsi favorisé l'émergence d'une obligation générale d'information -autrement dit en dehors des cas dans lesquels celle-ci serait expressément posée par un texte (2). De fait, prononcer la nullité d'un contrat en raison de la réticence dolosive de l'une des parties "revient à faire peser après coup sur celui qui s'en rend coupable une obligation d'information" (3) : c'est en ce sens que l'on peut dire que l'admission de la réticence dolosive porte en germe une telle obligation (4). La mise en oeuvre de cette obligation n'est pas, bien entendu, sans soulever un certain nombre d'interrogations. Celles-ci peuvent, d'abord, concerner son domaine d'application, et l'on s'est ainsi, notamment, demandé si l'acquéreur était ou non tenu d'une obligation d'information à l'égard du vendeur : le silence de l'acquéreur sur un élément déterminant du consentement du vendeur peut-il constituer une cause de nullité de l'engagement pour réticence dolosive ? A cette interrogation, la Cour de cassation paraît répondre négativement, comme en témoigne au demeurant un arrêt ici même récemment commenté de la troisième chambre civile en date du 17 janvier dernier (5), posant en principe, sous le visa de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9), que "l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis". A côté de cette question relative au domaine de l'obligation d'information, c'est la question relative à la mesure ou, si l'on préfère, à l'intensité de l'obligation qui retient l'attention et fait l'objet de nombreuses décisions, dont un arrêt de la Chambre commerciale du 6 février 2007, à paraître au Bulletin, constitue un nouvel exemple.

En l'espèce, l'apporteur à une société holding de titres qu'il détenait dans diverses sociétés, et qui avait reçu en contrepartie des actions de la holding, avait souhaité bénéficier du report de l'imposition de la plus-value réalisée, conformément aux dispositions du Code général des impôts. Aussi bien le notaire rédacteur de l'acte avait-il sollicité ce report auprès de l'administration fiscale, ce à quoi il avait été répondu qu'une loi nouvelle était intervenue subordonnant le report d'imposition à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value réalisée tant sur sa déclaration de revenus que sur une déclaration spéciale. Or, l'intéressé ayant déposé une déclaration de revenus quelques mois plus tard sans y mentionner ladite plus-value, l'administration fiscale lui a notifié un redressement. C'est dans ce contexte qu'il a décidé d'assigner son expert-comptable en réparation de son préjudice, au motif que celui-ci, chargé de la rédaction de sa déclaration de revenus, aurait commis une faute à l'origine du redressement qu'il avait subi en ne faisant pas figurer la plus-value litigieuse. Alors que les premiers juges avaient fait droit à cette demande, la cour d'appel d'Amiens ne l'a pas entendu ainsi et, pour infirmer le jugement, a fait valoir que l'expert-comptable n'avait commis aucune faute puisqu'il n'avait reçu qu'une mission ponctuelle de rédaction de déclarations fiscales n'incluant pas la déclaration de la plus-value sur cession de titres confiées à un tiers, sur les conseils duquel le contribuable avait estimé qu'il n'était pas assujetti aux nouvelles obligations déclaratives permettant de bénéficier du report d'imposition. En clair, selon la cour d'appel, s'il est exact que le rédacteur d'acte est tenu d'une obligation de conseil, cette obligation ne s'exercerait que dans les limites de la mission qui lui a été fixée. Toujours est-il que cette argumentation n'a pas convaincu la Cour de cassation qui casse l'arrêt de la cour d'appel, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), en énonçant qu'"en statuant ainsi, alors que l'expert-comptable qui accepte d'établir une déclaration fiscale pour le compte d'un client doit, compte tenu des informations qu'il détient sur la situation de celui-ci, s'assurer que cette déclaration est, en tout point, conforme aux exigences légales".

La Cour confirme, ainsi, la rigueur dont fait preuve la jurisprudence à l'égard des professionnels lorsqu'il s'agit d'apprécier l'intensité de l'obligation d'information et de conseil qui pèse sur eux. Et les experts-comptables, effectivement tenus d'une telle obligation (6), ne dérogent pas à cette tendance. Comme le relève la Cour, l'obligation d'information n'est pas limitée à la seule mission confiée : rejetant une appréciation restrictive et même, disons le, étriquée, de l'obligation d'information, la Haute juridiction en privilégie une approche extensive qui permet de la faire déborder du cadre de la mission stricto sensu dans lequel l'expert-comptable est amené à intervenir. C'est que, en effet, le client de l'expert-comptable est sans doute en droit d'attendre que l'intervention du professionnel garantisse la conformité de la déclaration aux exigences légales, et même, précise justement l'arrêt, la conformité "en tout point", de la déclaration à ces exigences. Cette rigueur s'accorde du reste assez bien avec la solution consistant à poser en principe que le débiteur de l'obligation d'information n'est pas déchargé par les compétences professionnelles du créancier, pas plus qu'il ne l'est par le fait que ce dernier se soit fait assister par une personne compétente, solution assez fréquemment rappelée par la Cour de cassation (7).

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 3, 15 janvier 1971, n° 69-12.180, Société l'Union pour la construction immobilière UCIM c/ Société M. et S. Bezanger (N° Lexbase : A5733AWA), RTDCiv. 1971, p. 839, obs. Y. Loussouarn.
(2) Voir not., dans les rapports entre professionnels et consommateurs, les articles L. 111-1 à L. 111-3 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6518ABZ), ou, même, dans les rapports entre professionnels, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, dite loi "Doubin" (N° Lexbase : L8129AIW).
(3) Ch. Larroumet, Droit civil, Les obligations, Le contrat, Economica, 1998, n° 362.
(4) Voir not., sur cette question, J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, 3ème éd., 1993, n° 565.
(5) Cass. civ. 3, 17 janvier 2007, n° 06-10.442, M. Didier, André, Edouard Theuillon, FS-P+B (N° Lexbase : A6928DTR), et nos obs., Pas d'obligation d'information à la charge de l'acquéreur sur la valeur du bien acquis, Lexbase Hebdo n° 247 du 8 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N9992A9X).
(6) Voir not., pour des applications, Cass. com., 29 janvier 1991, n° 89-16.511, Cabinet Jean Vitte et associés c/ Société Mattéi sports et autre (N° Lexbase : A4644AHH), Bull. civ. IV, n° 46 ; Cass. com., 25 mars 2003, n° 99-16.669, Société Domaine Brusset c/ Société rhodanienne d'expertise comptable (SREC), FS-P (N° Lexbase : A5799A7W), Bull. civ. IV, n° 52 ; Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-12.415, M. Michel Donsimoni c/ Société d'expertise comptable BPERC, F-P+B (N° Lexbase : A8415DDZ), Bull. civ. I, n° 256.
(7) Voir not. Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, préc..

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