Réf. : CE référé, 5 janvier 2007, n° 300311, Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire c/ Association "Solidarité des français" (N° Lexbase : A3701DTA)
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N0518BAG
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le 07 Octobre 2010
La solution rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat, qui, tout en validant l'arrêté du préfet en raison des risques de "contre-manifestations", se réfère indirectement à la notion de dignité de la personne humaine, n'est cependant pas dépourvue d'ambiguïté et ne préjuge pas de la solution que rendra la Haute Assemblée au fond.
I. Le juge des référés du Conseil d'Etat se réfère indirectement à la notion de dignité de la personne humaine
A. La contradiction entre le caractère discriminatoire d'une manifestation et la liberté de manifestation
1) La liberté de manifestation constitue une liberté fondamentale
La manifestation peut se définir comme un groupe de personnes utilisant la voie publique pour exprimer une volonté collective : si elle est mobile, c'est un cortège ; si elle est immobile, c'est un rassemblement. La manifestation se distingue, ainsi, de l'attroupement qui est spontané et non prémédité et de la réunion qui est organisée dans des lieux privés et non sur des voies publiques. Elle s'en distingue, également, en ce que son régime est plus libéral que celui du premier, mais moins que celui de la seconde. Les manifestations sont régies par le décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre et modifié en dernier lieu par la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 (1).
De même que la liberté de réunion (2), la liberté de manifestation constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative relatif au référé-liberté : le juge des référés du tribunal administratif de Paris l'a indiqué de manière explicite tandis que le juge des référés du Conseil d'Etat, en statuant sur le fond de la requête, l'a confirmé de manière implicite.
2) La contradiction de motifs relevée par le juge des référés du Conseil d'Etat
Pour annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris (JRTA), le juge des référés du Conseil d'Etat (JRCE) a relevé que celui-ci "ne pouvait, sans entacher son ordonnance de contradiction de motifs, d'une part retenir le caractère discriminatoire de l'organisation sur la voie publique [...] des distributions d'aliments contenant du porc et d'autre part estimer que l'arrêté portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de manifester".
Ce faisant, le JRCE a donc implicitement considéré que l'organisation d'une manifestation à caractère discriminatoire était illégale et que cette illégalité était plus grave et plus manifeste que l'interdiction de la manifestation en cause et l'atteinte ainsi portée à la liberté de manifestation. En outre, en confrontant la liberté de manifestation à la protection des citoyens contre la discrimination, le JRCE nous semble avoir implicitement admis que la protection des citoyens contre la discrimination constitue, également, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, ce dans la mesure où elle peut précisément faire échec à la liberté de manifestation qui est elle-même une liberté fondamentale au sens de ces dispositions. Rappelons, à cet égard, que la discrimination est pénalement répréhensible (3) et que le juge administratif prend en compte le droit pénal pour déterminer si un acte administratif a respecté les prescriptions établies par ce droit (4). Dès lors qu'une volonté délictueuse est proclamée et assumée comme mobile à une manifestation, pourquoi dire qu'il est illégal et disproportionné de l'interdire ? Dans une délibération en date du 6 février 2006 (cas n° 30), la Haute Autorité de Lutte contre la Discrimination et pour l'Egalité (HALDE), saisie par un député au Parlement européen, des distributions de "soupe au cochon" organisée à Strasbourg et interdites à plusieurs reprises, a considéré que dans la mesure où le service du dessert, du café ou de friandises était subordonné au fait de manger du "cochon", le choix du cochon comme aliment principal de la soupe n'était pas neutre mais avait "manifestement pour fondement et pour but l'exclusion des personnes appartenant à des confessions qui prescrivent ou recommandent de ne pas consommer de porc". Rappelant à cet égard que "l'acte discriminatoire au sens de l'article 225-2 4° du Code pénal peut être explicite ou simplement implicite, la répression s'appliquant aussi aux comportements qui, sans être explicitement discriminatoires, expriment une préférence procédant du même esprit" (ce qui signifie que la HALDE envisage l'hypothèse d'une discrimination potentielle et non uniquement effective), la Haute Autorité a décidé d'informer le procureur de la République des faits portés à sa connaissance et susceptibles de constituer un délit. Relevons, cependant, qu'à la différence du JRTA, le JRCE n'a fait aucune référence à cet avis et ne s'est donc pas prononcé sur le caractère illégal d'une discrimination potentielle ou indirecte : il faut, en effet, souligner que la soupe distribuée par l'association Solidarité des Français n'est pas refusée en principe aux personnes de confession juive ou musulmane ; or, la discrimination ne serait effective que si ces personnes, à la suite de leur demande, se voyaient refuser cet aliment au seul motif de leur confession.
En tout état de cause, en relevant une contradiction de motifs dans l'ordonnance du JRTA, le JRCE a considéré que le juge des référés ne pouvait sanctionner deux illégalités à la fois (une première illégalité tenant au caractère discriminatoire de la distribution, une deuxième illégalité tenant à l'atteinte portée à la liberté de manifestation) : pour fonder une solution juridictionnelle, l'une de ces deux illégalités doit, en effet, prendre le pas sur l'autre. Enfin, il faut souligner qu'à la différence du JRTA, le JRCE n'a pas fondé sa solution sur le caractère discriminatoire de la distribution de soupe au porc.
B. La solution rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat est fondée sur une référence indirecte à la notion de dignité de la personne humaine
1) Le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l'ordre public
Ce principe, affirmé avec force par la décision "Commune de Morsang-sur-Orge" (5), mais issu de solutions bien établies en droit positif (6), signifie que la dignité humaine n'a pas seulement à être respectée par les autorités, mais qu'elle doit l'être aussi par les individus dans leurs rapports entre eux et par chacun pour soi-même. Le Conseil d'Etat a ainsi considéré que l'absence de mesures au niveau national pour une atteinte à l'ordre public qui peut se produire sur tout le territoire ne prive pas les autorités locales de police du pouvoir de prendre celles qui sont nécessaires pour assurer le respect de la dignité de la personne humaine. Autrement dit, la protection de la dignité de la personne humaine permet à l'autorité de police d'interdire une réunion ou une manifestation, même en l'absence de circonstances locales, alors qu'en général, en matière de protection de l'ordre public (sûreté ou tranquillité, sécurité publique, salubrité publiques voire moralité publique (7)), l'existence de circonstances locales est nécessaire pour que l'interdiction d'une réunion, d'une manifestation ou encore d'une projection cinématographique soit légale.
Face au risque ou à l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne humaine, l'autorité investie du pouvoir a, donc, le devoir (8) (et non pas seulement la faculté) de prendre toute mesure destinée à prévenir ou à faire cesser cette atteinte. Ainsi que le relèvent les commentateurs des "Grands arrêts de la jurisprudence administrative" à propos de la décision "Commune de Morsang-sur-Orge", l'interdiction "paraît s'imposer particulièrement en cas d'atteinte à la dignité de la personne humaine".
2) La solution rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat n'est cependant pas fondée sur le constat d'une atteinte à la dignité de la personne humaine
Dans son ordonnance, le JRCE relève que l'arrêté d'interdiction pris par le préfet de police de Paris "prend en considération les risques de réactions à ce qui est conçu comme une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé". Ce faisant, le JRCE note que l'arrêté ne se réfère donc pas à l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne humaine mais au constat de l'intention, de la part de l'association organisatrice de la distribution de soupe au porc, d'y porter atteinte. En d'autres termes, l'atteinte à la dignité de la personne humaine est subjective (à la fois de la part de l'association, qui est l'auteur et le coupable de cette atteinte, et de la part des personnes de confession juive ou musulmane, qui en sont les victimes potentielles) et non objective. En d'autres termes encore, cette atteinte existe plus dans les consciences que dans les faits ou "la réalité" (si tant est que celle-ci n'inclue pas ces consciences). Le JRCE ne se prononce pas sur le caractère de la manifestation mais sur la conception que peut s'en faire autrui. Il s'agit, d'ailleurs, moins de la conception des promoteurs de la manifestation que de celle de ses éventuels adversaires. L'administration peut ainsi fonder une interdiction sur la représentation que se fait autrui d'un acte (en l'espèce une manifestation), et non pas sur l'acte lui-même.
L'ordonnance a toutefois le mérite de tenter de définir cette atteinte à la dignité de la personne humaine. Alors que le JRTA avait considéré que la distribution de soupe au porc était, de par la discrimination qu'elle imposait, "constitutive d'une forme de dégradation de la dignité humaine", le JRCE estime que certaines personnes ont été "privées du secours proposé". L'ordonnance rappelant que l'association proposait sans discrimination la soupe à qui la réclamait, la seule façon de considérer que certains étaient "privés du secours" est d'admettre que la présence de viande de porc rendait en pratique impossible aux personnes juives ou musulmanes le bénéfice du secours. Notons que cette considération ne sert pas à motiver pas l'ordonnance du JRCE qui aurait donc pu juridiquement s'en dispenser (9). Celui-ci indique, cependant, que proposer un service ou un droit en imposant aux bénéficiaires de renoncer à l'exercice de leur liberté religieuse conduit à priver ces personnes de ce droit. L'analyse est intéressante en ce que, si elle était reprise ou confirmée, elle ne manquerait pas de modifier substantiellement l'équilibre de la laïcité à la française puisque le prestataire d'un secours ou d'une aide -voire plus- devrait s'assurer que les bénéficiaires ne seraient pas discriminés à raison de leur pratique religieuse. Une telle solution aurait ainsi vocation à être transposée aux repas servis par les cantines scolaires et à la détermination des jours de repos.
Soulignons, cependant, pour terminer, que selon le JRCE, la manifestation est seulement susceptible de porter atteinte à la dignité, ce qui signifie que l'existence d'une atteinte n'est pas véritablement constatée et qualifiée. Au total, la référence à la notion de dignité de la personne humaine est donc à la fois subjective et implicite : si elle sous-tend l'analyse du JRCE, elle n'est pas un motif de son ordonnance.
II. Fondée sur les risques de réactions à la manifestation en cause et sur la nature de cette manifestation, l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat ne peut cependant préjuger de l'analyse du juge du fond
A. La solution rendue par le juge des référés du Conseil d'Etat est ambiguë
1) Une solution fondée sur les risques de réactions à la manifestation en cause
Nous l'avons vu, ce sont les risques de réactions qui sont pris en compte par l'arrêté et non pas la manifestation elle-même. Ainsi, les troubles à l'ordre public ne résultent pas, selon l'arrêté préfectoral, du caractère discriminatoire de la manifestation mais de l'éventualité de réactions hostiles. Cette analyse nous paraît contestable. En effet, selon la jurisprudence relative à la liberté de réunion, mais qui nous semble transposable à la liberté de manifestation, la menace d'une contre-manifestation ne légitime pas une interdiction. Le Conseil d'Etat a, ainsi, annulé un jugement qui se fondait en partie sur l'annonce d'une contre-manifestation pour retirer l'autorisation de disposer d'une salle municipale (10). Comme l'écrit G. Vedel, "l'autorité de police ne peut interdire la réunion que dans la mesure où elle n'aurait pas les moyens nécessaires pour assurer l'ordre, sinon ce serait une prime à la contre-manifestation ; on pourrait empêcher toutes les réunions simplement en menaçant d'y manifester" (11). Il faut, à cet égard, relever que, dans l'ordonnance rendue le 5 janvier 2007, les contre-manifestations ou réactions ne sont qu'éventuelles.
Par ailleurs, il y a lieu de s'interroger sur la notion de "risques de réactions". En effet, il ne semble pas que ces risques se confondent avec les circonstances locales qui sont en général au fondement de toute décision de police. Dans son ordonnance, le JRTA avait, ainsi, considéré que le préfet de police n'établissait pas que "les circonstances particulières de lieu et de temps de la manifestation" comportaient "un risque de trouble plus grand que dans les précédentes occasions" : autrement dit, le JRTA avait estimé que les circonstances locales ne justifiaient pas l'interdiction de la manifestation. Le JRCE n'infirme ni ne confirme cette analyse : il paraît, donc, faire abstraction des circonstances locales, et, plus précisément, de la nécessité pour l'autorité de police de justifier de l'existence de telles circonstances, se plaçant ainsi dans le cadre de la jurisprudence "Commune de Morsang-sur-Orge".
2) Une solution fondée également sur la nature de la manifestation en cause
Selon le JRCE, l'interdiction de la manifestation ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation "eu égard au fondement et au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site internet [12] de l'association".
C'est donc la nature et la motivation de cette manifestation ainsi que son caractère ostentatoire qui justifient la décision d'interdiction prise par le préfet de police ou plutôt qui expliquent l'absence d'atteinte à la liberté de manifester. L'ordonnance du JRCE est donc ambiguë en ce qu'elle semble à la fois se fonder sur la "réception" de la manifestation (la manière dont elle est perçue et les réactions qu'elle peut entraîner) et sur sa nature même. Il semble, toutefois, que le JRCE ait souhaité mettre en avant la nature de cette manifestation. Il faut, en effet, rappeler que si l'ordonnance mentionne les "risques de réactions" à cette manifestation, c'est en faisant référence à l'arrêté attaqué : à strictement parler, l'ordonnance et le raisonnement du JRCE ne sont donc pas fondés sur ces risques de réactions. Cette analyse nous conduit à nouveau à rapprocher l'ordonnance du 5 janvier 2007 de la décision "Commune de Morsang-sur-Orge" dans laquelle le Conseil d'Etat a également été confronté à une "manifestation" (au sens de spectacle cette fois) qui était contestable en elle-même et non pas seulement à raison des réactions qu'elle risquait d'entraîner. Ce rapprochement est d'ailleurs cohérent avec le fait que le dernier considérant de l'ordonnance ne fait nullement référence à l'existence de circonstances locales de nature à justifier l'interdiction.
Le JRCE se fonde, donc, implicitement mais nécessairement, sur cette décision selon laquelle : "il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; [...] le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; [...] l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine". Dans cette décision, le Conseil d'Etat semble, en effet, vouloir privilégier l'étude de la nature de l'opération interdite sur celle du résultat auquel aurait conduit sa tenue. Il s'agit d'étudier la raison d'être, la motivation, la nature au sens large du rassemblement en question et non pas seulement de se borner à envisager l'insécurité susceptible d'en découler. Or, l'ordonnance du 5 janvier 2007 est fondée sur le "fondement" et le "but", plutôt que sur les "troubles" et les "effets" de la manifestation. Au total, il y a donc tout lieu de croire que l'organisation d'une distribution de soupe au porc, lorsqu'elle est motivée par une volonté de discrimination, constitue en elle-même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
B. L'ordonnance du 5 janvier 2007 ne peut préjuger de l'approche du juge du fond
1) Le juge du fond pourrait fonder sa solution sur la jurisprudence habituelle en matière de pouvoir de police
Au fond, il appartiendra au Conseil d'Etat de se demander si l'interdiction était la seule mesure appropriée : notons, en effet, que le juge des référés saisi en application des dispositions de l'article L 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) n'est pas compétent pour répondre à cette question. Dans ce cadre, le juge du fond pourra se fonder sur la jurisprudence habituelle en matière de pouvoir de police et vérifier si des circonstances locales imposaient que la manifestation fût interdite et si les effectifs de police dont disposait le préfet de police étaient insuffisants pour que d'éventuels troubles à l'ordre public résultant de cette manifestation eussent pu être contenus.
Dans ce cadre, il nous semble peu vraisemblable que la même solution que celle rendue par le juge des référés s'imposerait. En effet, il paraît difficile d'envisager que le préfet de police ne disposait pas de suffisamment de policiers pour éviter d'éventuels troubles à l'ordre public, ce au regard à la fois du caractère assez restreint de la manifestation et de l'importance des effectifs de police de la capitale.
2) Le juge du fond pourrait fonder sa solution sur l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne humaine, atteinte devant être prévenue quelle que soient les circonstances locales
Nous l'avons vu, le constat de l'existence d'une atteinte à la dignité de la personne humaine permet d'interdire une manifestation, même en l'absence de circonstances locales particulières. Il faut cependant rappeler qu'en l'espèce, l'atteinte n'est que potentielle alors que dans la décision "Commune de Morsang-sur-Orge", cette atteinte était bien effective même si elle était accompagnée du consentement des personnes visées.
En tout état de cause, il appartiendra, alors, au Conseil d'Etat de définir véritablement l'atteinte portée à la dignité humaine, alors que le JRCE, loin de constater l'existence d'une telle atteinte, s'est borné à relever sa possibilité. Cette atteinte, si elle devait être définie comme le fait de priver une personne du secours proposé, obligerait le Conseil d'Etat à tenir compte des prescriptions religieuses interdisant aux juifs et aux musulmans de consommer de la viande de porc et démontrerait ainsi la volonté, de la part du juge administratif, de promouvoir une laïcité de reconnaissance plutôt qu'une stricte laïcité d'abstention.
Conclusion
La solution rendue par le JRCE, bien qu'elle repose sur de solides précédents jurisprudentiels (qui ont d'ailleurs quelque peu de mal à se combiner), est également justifiée par des considérations d'opportunité : il ne fait pas de doute que le juge des référés a cherché à mettre fin à des manifestations qui n'avaient d'autre but que d'exclure un certain type de population et qui étaient essentiellement animées par une volonté de discrimination.
Ce faisant, cette solution, reposant à la fois sur la jurisprudence traditionnelle en matière de prévention des troubles à l'ordre public et sur la jurisprudence plus récente en matière d'atteinte à la dignité de la personne humaine, paraît davantage être une solution d'espèce, du moins une solution d'opportunité, qu'une solution de principe. C'est donc au juge du fond qu'il appartiendra d'apporter cette solution de principe, en précisant si la distribution de soupe contenant du porc doit toujours être interdite (du fait de son caractère attentatoire à la dignité de la personne humaine) ou si elle peut être interdite en fonction des circonstances locales (violences lors des précédentes distributions, menaces de contre-manifestations, effectifs de police insuffisants pour contenir les débordements...).
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
(1) L'article 1er du décret-loi soumet à l'obligation d'une déclaration préalable "tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique".
(2) CE, référé, 19 août 2002, n° 249666, Front national et autres (N° Lexbase : A2256AZL), AJDA 2002, p. 665 et p. 1017 note Braud ; DA 2002 actu. 56 ; Gazette du Palais 2003 somm. p. 1168 ; Dalloz 2002 inf. rap. P. 2452.
(3) Selon l'article 225-1, alinéa 1, du Code pénal (N° Lexbase : L3332HIA), "constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, [...] de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". L'article 225-2, 4°, du Code pénal (N° Lexbase : L0449DZN), dispose que la discrimination est punissable lorsqu'elle consiste à "subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1" étant précisé que le caractère discriminatoire d'une telle l'offre ne nécessite pas que les cocontractants virtuels soient entrés en relation, la simple émission de l'offre discriminatoire suffisant à déclencher l'application des dispositions ci-dessus visées.
(4) CE Assemblée, 6 décembre 1996, n° 167502, Société Lambda (N° Lexbase : A4681B7I), au Recueil p. 466 : RFDA 1997 p. 173 conclusions Piveteau ; AJDA 1997 p. 152 chronique Chauvaux et Girardot ; Dalloz 1997 p. 57 note Dobkine ; JCP 1997 II.22752 note Hérisson ; RA 1997 p. 27 note Lemoyne de Forges et p. 155 note Degoffe ; RDP 1997 p. 567 note J.-M. Auby.
(5) CE Assemblée, 27 octobre 1995, n° 136727, Commune de Morsang-sur-Orge (N° Lexbase : A6382ANP), au Recueil p. 372 : RFDA 1995, conclusions Frydman ; RFDD 1996 n° 3 conclusions Frydman et observations Vigouroux ; RTDH 1996 p. 657 conclusions Frydman et note Deffains ; AJDA 1995 p. 878 chronique Stahl et Chauvaux ; Dalloz 1996 p. 177 note Lebreton ; JCP 1996 II.22630 note Hamon ; RDP 1996 p. 536 notes Gros et Froment.
(6) Article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4764AQI), l'essence même de la convention étant, selon la CEDH, "le respect de la dignité et de la liberté humaines" (CEDH, 22 novembre 1995, req. 47/1994/494/576, SW c/ Royaume-Uni, Série A 335 B § 44 N° Lexbase : A8378AW9). Article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En droit interne, cf. Cons. const., 27 juillet 1994, n° 94-343/344 DC (N° Lexbase : A8305ACL), au Recueil p. 100 : Dalloz 1995 J p. 237 note Mathieu et SC p. 299 observations Favoreu ; RDP 1994 p. 1647 commentaire Luchaire ; RFDA 1994 p. 1019 commentaire Mathieu, RFDC 1994 p. 799 commentaire Favoreu). Selon cette décision, "la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnel". Cf. aussi CE Assemblée, 2 juillet 1993, n° 124960, Milhaud (N° Lexbase : A0325AND), au Recueil p. 1994 : RDSS 1994 p. 52 conclusions Kessler ; RFDA 1993 p. 1002 conclusions Kessler ; AJDA 1993 p. 530 chronique Maugüe et Touvet ; Dalloz 1994 p. 74 note Peyrical ; JCP 1993 II.22133 note Gonod. Selon cet arrêt, "les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent de s'appliquer avec la mort de celui-ci". Cf. aussi Cass. civ. 1, 20 décembre 2000, n° 98-13.875, Société Cogedipresse et autre c/ consorts Xet autre (N° Lexbase : A2096AIH) : Bull. civ. I n° 341 p. 220 ; Dalloz 2001 p. 1990 observations Lepage ; à propos de la publication de la photographie du corps de la victime d'un assassinat.
(7) Cf. CE Section 18 décembre1959, n° 36385, Société "Les films Lutétia" et Syndicat français des producteurs et exportateurs de films (N° Lexbase : A2581B84) : au Recueil p. 693 ; AJDA 1960 I p. 21 chronique Combarnous et Galabert ; Dalloz 1960 p. 171 note Weil ; JCP 1961 II.11898 note Mimin ; RA 1960 p. 31 note Juret.
(8) Aux termes de la décision "Commune de Morsang-sur-Orge", "il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public".
(9) Il pourrait donc s'agir d'un simple obiter dictum.
(10) CE 29 décembre 1997, n° 164299, Maugendre (N° Lexbase : A5639ASN).
(11) Vedel et Delvolvé, Droit administratif, tome II, 1990, p. 684.
(12) On pouvait ainsi lire, dans la "fiche pratique" figurant sur le site de l'association : "Pas de file d'attente, ni d'ordre de passage : ambiance gauloise oblige ! Seule condition requise pour manger avec nous : manger du cochon. En cas de doute, demander la carte d'adhérent à l'association Solidarité Des Français. Si la personne n'est pas en possession de sa carte, prendre ses coordonnées et lui signifier que son adhésion sera accordée lorsqu'elle fournira ses 2 parrainages d'adhérents à cours de cotisation. Bien faire comprendre que nous n'avons déjà pas assez pour les nôtres. Attention, fromage, dessert, café, vêtements, friandises, vont avec la soupe au cochon : pas de soupe, pas de dessert... Le seul mot d'ordre de notre action : les nôtres avant les autres".
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