La lettre juridique n°241 du 21 décembre 2006 : Collectivités territoriales

[Questions à...] Le pouvoir stratégique des collectivités locales : le choix du mode de gestion des services publics locaux

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le 07 Octobre 2010

Pour optimiser la gestion de leurs services publics, les collectivités locales doivent opérer le bon choix entre différents modes de gestion -gestion directe avec ses propres services ou avec des tiers, gestion déléguée confiée à des entités dans lesquelles elle est ou non partie prenante- choix à travers lequel apparaît clairement la stratégie politique d'une collectivité. A l'initiative du Conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables, un groupe de travail a rédigé un ouvrage intitulé "Le pouvoir stratégique des collectivités locales : le choix du mode de gestion des services publics locaux", dont la publication est prévue pour la fin du premier semestre 2007, conjointement au Moniteur et chez Experts Comptables Media (société d'édition de l'Ordre) (1). Pour comprendre les différents éléments de cette problématique, nous avons choisi d'interroger Jean-Michel Moreau, vice-président du club "secteur public" de l'Ordre des experts-comptables, co-auteur de l'ouvrage. Lexbase : Pourquoi l'Ordre des experts comptables a-t-il décidé de travailler sur le choix du mode de gestion des services publics ?

J.-M. Moreau : L'Ordre des experts comptables met à la disposition de la profession de nombreux outils techniques. Les membres du "comité collectivités locales" et du club "secteur public" de l'Ordre "produisent" depuis plus de dix ans des ouvrages sur des thèmes intéressant le secteur public tels que le patrimoine des collectivités territoriales, le contenu du rapport du délégataire de service public, le contrôle interne dans les collectivités territoriales.

Les experts comptables qui interviennent dans le secteur public se trouvent, souvent, confronté aux interrogations des élus locaux et de leurs collaborateurs de direction sur les choix à effectuer pour optimiser la gestion des services publics.

Au-delà des choix idéologiques, les professionnels, généralement dans le cadre de la réunion de compétences pluridisciplinaires, rencontrent eux-mêmes des difficultés pour obtenir une synthèse de l'ensemble des problématiques posées. Aucun ouvrage, sauf à tendance encyclopédique, ne balaye l'ensemble des problèmes liés au choix du mode de gestion d'un service public.

Aussi, il nous est apparu nécessaire de mettre en chantier un document de synthèse permettant aux différents acteurs, élus, fonctionnaires territoriaux, experts comptables..., de balayer l'ensemble des sujets et de disposer des moyens de hiérarchiser les problématiques afin d'en approfondir les principales.

Lexbase : Cet ouvrage n'est donc pas destiné qu'aux experts comptables ?

J.-M. Moreau : Non, il s'adresse à tous les acteurs du choix.

Lexbase : Pour rédiger cet ouvrage, quelle équipe avez-vous réunie autour de vous ?

J.-M. Moreau : La complexité et la multitude des éléments à prendre en compte ont rendu nécessaire la constitution d'une équipe à géométrie variable qui s'est d'abord attelée à la tâche en considérant que moins d'une année suffirait à réaliser notre ambition. En fait, il aura fallu plus de deux ans et les travaux de nombreuses personnes, toutes, à un moment ou à un autre de leur vie professionnelle, ayant été confrontées à ce choix. Ainsi, autour d'un noyau formé par des experts comptables, ont participé à ces travaux non seulement des avocats et des fonctionnaires territoriaux, mais aussi des élus, des représentants du ministère des Finances, des magistrats de Chambres régionales des comptes et un conseiller d'Etat.

Je voudrais en profiter pour leur rendre hommage ici. La finalisation de nos travaux est en cours, nos discussions ont été souvent animées, mais toujours empreintes du respect de l'autre, non seulement pour sa compétence mais aussi pour son apport sans langue de bois.

Ce fut enrichissant pour tous, j'espère que nos lecteurs y trouveront cette vision générale qui leur permettra de mieux aborder l'ensemble des problèmes posés. Notre ouvrage se veut, en effet, un simple outil généraliste d'assistance à la décision. Il ne peut remplacer les études spécifiques et complexes qui apparaîtront éventuellement nécessaires.

Lexbase : Pratiquement, quelles sont les premières questions que doit se poser une collectivité territoriale ?

J.-M. Moreau : La première étape consiste à définir de manière précise le service public concerné. Cela peut sembler évident mais la démarche n'est pas toujours complète. Il m'est arrivé d'entendre les questions suivantes :

"Comment gérer l'eau ?". Cela porte-t-il sur l'adduction, la potabilisation, la distribution, l'assainissement, sur l'ensemble de ces éléments, sur certains d'entre eux ? "Comment externaliser la station de ski ?". Cela comprend-il les investissements, la simple exploitation, les éléments annexes tels qu'un restaurant d'altitude, le ski alpin et/ou le ski de fonds ?

Je ne ferai l'affront à personne de poser la question de savoir si l'exploitation du service public concerné ne laisse pas place au choix, tel l'état civil ou les transports ferroviaires régionaux.

La deuxième étape, si le service public existe déjà, est de bien connaître comment il est exploité aujourd'hui.

La troisième étape est de s'interroger sur les contraintes politiques locales. En effet, certains modes de gestion sont, parfois, écartés préalablement par des élus, voire par une grande majorité des électeurs. Or, le choix doit être éclairé, sans idéologie, par des scénarios incontestables permettant de peser, de manière réfléchie, avantages et inconvénients, d'une part, risques et opportunités, d'autre part.

La quatrième étape est de se préoccuper de choisir qui réalisera l'étude permettant d'éclairer les élus. Les services de la collectivité disposent-ils des compétences et de l'expérience nécessaires, peuvent-ils être considérés comme indépendant, un "oeil extérieur" peut-il apporter un éclairage nouveau, une assistance aux services est-elle pertinente ?

Enfin, il s'agit d'étudier ou de faire étudier les différents modes de gestion possible.

Lexbase : Existe-t-il un mode d'emploi concernant le choix du mode de gestion d'un service public ? Quels sont les différents paramètres qui doivent être pris en compte ?

J.-M. Moreau : Mode d'emploi ? Non, je n'aime pas cette expression qui donne l'impression qu'il suffit de prendre une grille d'analyse et de mettre des croix dans les cases pour déterminer un mode de gestion. C'est toujours beaucoup plus complexe. En fait, il est nécessaire d'analyser plusieurs paramètres :

  • le niveau de satisfaction du mode de gestion actuel ;
  • les conséquences d'une modification du mode de gestion actuel principalement en termes de :

    - transfert des biens ;
    - transfert des contrats ;
    - gestion des ressources humaines ;
    - conséquences fiscales (tant en ressource pour la collectivité territoriale, qu'en charge pour l'exploitant) ;
    - image auprès des usagers ;
    - conflit politique potentiel.

  • les particularités des différents modes de gestion envisagés, voire envisageables dans les domaines :

    - du juridique ;
    - du social ;
    - du fiscal ;
    - du financier ;
    - des composantes budgétaires ;
    - de la comptabilité ;
    - du niveau de maîtrise du service ;
    - des responsabilités liées à l'organisation et à l'exploitation du service ;
    - de la capacité de la collectivité territoriale à contrôler un exploitant extérieur.

Lexbase : Le choix final doit-il systématiquement résulter d'une analyse comparative entre les différents modes de gestion ?

J.-M. Moreau : Assurément, sans comparaison le choix n'est pas éclairé, aucune stratégie n'est lisible, l'électeur ne peut qu'avoir l'impression d'une décision idéologique ou résultant d'un effet de mode.

Les élus doivent se poser la question du niveau souhaité de la maîtrise du service public, pour cela, ils doivent être en mesure de comparer les différentes possibilités ouvertes :

- totale avec la régie pure et simple (par exemple : ramassage des ordures ménagères par le matériel et les agents de la commune ou du syndicat -voire de la communauté- auquel la commune a transféré sa compétence, la distribution de l'eau potable effectuée avec les seuls moyens de la commune) ;
- quasi-totale avec la régie mais pour laquelle certains travaux ou certaines prestations sont externalisées dans le cadre d'un marché public (par exemple : une entreprise à qui est confiée le ramassage des ordures ménagères ou l'entretien des compteurs d'eau potable) ;
- plus ou moins partielle avec une délégation de service publique (par exemple la distribution de l'eau confiée à une entreprise, l'autorité délégante conservant ou non la maîtrise des travaux, quitte à les externaliser dans le cadre de marchés publics).

C'est ainsi que l'ouvrage organise la mise en oeuvre du choix, selon trois grands cercles, dans la galaxie du pouvoir, allant du centre, la collectivité, jusqu'aux contrats avec des entreprises privées en passant par ceux avec des entreprises ou des groupements aux capitaux mixtes.

En tout état de cause la délégation, au sens large, ne doit pas correspondre à une manière de se débarrasser des éventuels problèmes liés au service, ce qui a été parfois le cas par le passé.

La loi oblige à effectuer une évaluation préalable et une comparaison avec les autres modes de gestion possibles, lors de la mise place d'un contrat de partenariat. Pourquoi ne pas étendre cette obligation aux autres modes de gestion, y compris lorsque la régie est choisie ?

Lexbase : Est-il possible de décrire, pour chaque mode de gestion d'un service public, une situation-type dans laquelle le choix d'un mode de gestion s'impose ?

J.-M. Moreau : Pour certains, en particulier, lorsque la loi l'impose. On peut donner quelques exemples :

- la régie lorsque la compétence n'est pas délégable : essentiellement des services publics administratifs tels que l'état civil, les élections, la gestion des concessions funéraires ou la police municipale ;
- une forme de délégation lorsque la contractualisation pour l'exploitation d'un service est obligatoire, tel est le cas de l'exploitation du service de transport ferroviaire régional des voyageurs.

Voire, lorsque la loi ne laisse pas de choix, s'il y a externalisation tels les contrats de partenariat en milieu hospitalier ou les concessions d'aménagement.

Dans d'autres cas, des raisons économiques ou fiscales laissent un espace de liberté restreint :

- certaines activités liées à la culture, lorsque des subventions ne sont versées qu'à des associations, la délégation à une entité créée dans le cadre de la loi de 1901, sans être obligatoire, devient un impératif au niveau du financement ;
- un service saisonnier pour lequel la gestion de l'exploitation est inutilement compliquée par l'obligation de la gérer par année civile, tel une station de ski alpin (clôturer un exercice comptable le 31 décembre alors que l'activité a pu commencer trois semaines ou deux jours avant ne permet pas une gestion optimale ;
- les conséquences des règles liées à l'assujettissement ou non de la TVA (par exemple : eau potable, ski de fonds, traitement des déchets ménagers)

Mais, dans la majorité des cas, aucun mode de gestion ne s'impose a priori.

Lexbase : Est-il possible de dresser pour chaque mode de gestion, un tableau avantages/inconvénients ?

J.-M. Moreau : Non dans l'absolu. Tel mode de gestion qui s'imposera de lui-même en fonction de circonstances et de contraintes locales, apparaîtra comme peu approprié dans un autre lieu.

C'est au cas par cas, en fonction d'analyses objectives et indépendantes, sans parti pris, que les élus doivent exercer leur choix dans le souci de l'intérêt général et de la satisfaction des usagers.

Il me paraît indispensable de faire apparaître pour chaque mode de gestion possible d'un service public :

- ses avantages et ses inconvénients ;
- ses forces et ses faiblesses ;
- les risques et les opportunités qui peuvent en résulter.

Encore une fois, ce qui apparaîtra comme un avantage en un lieu pourra être considéré comme un inconvénient ailleurs.

Lexbase : Pouvons-nous reprendre les éléments évoqués ci-dessus à travers un exemple ?

J.-M. Moreau : Puisque la saison de ski commence, on peut donner quelques pistes en ce domaine.

Pour une commune qui souhaite mettre en place une station de ski, certains éléments locaux, tant matériels que psychologiques, auront des incidences :

- les terrains sur lesquels les pistes seront installées appartiennent-ils au domaine public, au domaine privé communal ou à des personnes privées (dans bien des cas il y aura mixité) : qui va gérer cet espace et les relations entre ces divers acteurs ?
- l'investissement est lourd : qui va porter l'investissement, comment peut-il être financé ?
- une partie du personnel est saisonnier : quel mode de gestion apporte le plus de souplesse quant à la date de départ des contrats en fonction de l'ouverture de la station ? Dans quel mode de gestion y-a-t-il le plus de risque que les contrats saisonniers se transforment un jour en contrats à durée indéterminée ? Quel sera le meilleur employeur si une grande partie de ce personnel est local ?

Des éléments budgétaires et financiers sont à prendre en compte :

- en cas d'ouverture précoce de la station, la régie risque de ne pas permettre de déclencher de nouvelles dépenses de fonctionnement à quelques jours de la fin de l'année sauf à avoir prévu un budget très large, source d'éventuels gaspillages ;
- en cas d'enneigement insuffisant quel est le mode de gestion le mieux adapté pour faire face à un déficit élevé ? La trésorerie de l'entreprise délégataire, voire sa capacité d'emprunt pour assurer son besoin en fonds de roulement à court et moyen terme, est-elle suffisante pour assurer la continuité de l'exploitation du service ?

Des éléments fiscaux sont à prendre en compte :

En supposant que l'exploitation soit déléguée, le montant de la taxe professionnelle correspondante est assis sur les immobilisations utilisées, il est donc généralement très élevé, mais la valeur ajoutée dégagée par l'entreprise qui exploite le service est souvent assez faible, aussi le plafonnement de la taxe trouve à s'appliquer et l'autorité délégante perçoit une taxe payée pour partie (et une petite partie !) seulement par l'exploitant. C'est l'Etat qui paiera le solde, on peut donc considérer qu'un tel mode de gestion peut, dans le cadre de la fiscalité actuelle, générer une sorte de subvention indirecte. Encore faut-il que l'autorité délégante perçoive la taxe professionnelle, en effet pourrait-on considérer que, l'autorité délégante étant un syndicat intercommunal, la taxe professionnelle étant perçue par une communauté de communes (dont la composition serait, bien sûr, différente de celle du syndicat) cette dernière puisse transférer une partie de l'impôt perçu au premier ?

En supposant que l'exploitation soit effectuée en régie, l'exercice fiscal sera clos le 31 décembre. Ainsi, toutes les opérations de césure d'exercice seront effectuées en pleine activité, de même pour la déclaration à déposer en pleine saison, c'est-à-dire à un moment où les disponibilités humaines seront tournées vers l'exploitation et non l'administratif. Au contraire, une clôture d'exercice à fin septembre permettrait d'arrêter les comptes en toute sérénité, en période creuse, à la fois plus simplement et plus rapidement.

On pourrait, ainsi, continuer pendant longtemps. Avant de finir : et si une partie de la station concerne l'activité de ski de fond ? Certains des éléments ci-dessus seront analysés différemment car les investissements sont moins importants, les risques financiers sont beaucoup plus faibles et surtout le régime de la TVA sur les versements effectués par les usagers est totalement différent : ces versements pouvant passer d'une absence de taxation à une taxation au taux de 19,6 % tandis que ceux effectués pour du ski alpin (donc pour l'utilisation de remontées mécaniques assimilée à une activité de transport de personnes) seront taxés au taux de 5,5 % !

Lexbase : En conclusion ?

J.-M. Moreau : Seule une analyse effectuée au cas par cas a un sens. Sans avoir pour objectif de répondre à toutes les questions et à tous les cas, notre ouvrage a pour vocation d'aider à la réflexion et de permettre de lister les problématiques à approfondir afin de permettre aux élus de faire un choix éclairé dans le cadre d'une stratégie lisible par les citoyens.

J'espère que nos lecteurs trouveront que notre ambition était justifiée et que nos objectifs ont été atteints.

Propos recueillis par Anne-Lise Lonné
Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public


(1) Le pouvoir stratégique des collectivités locales : le choix du mode de gestion des services publics locaux, publication prévue pour la fin du premier semestre 2007 conjointement au Moniteur et chez Experts Comptables Media (société d'édition de l'Ordre des experts-comptables). La parution sera annoncée de manière plus précise et indiquée sur le site www.secteurpublic.asso.fr, site de l'Ordre des experts-comptables pour le secteur public.
Les grandes parties de l'ouvrage :
1. Les principes fondamentaux
2. Le choix éclairé
3. La diversité du cadre juridique
4. Les règles fondamentales en matière de ressources humaines, recettes et financement, budgétaire et comptable, fiscale, contrôle et responsabilité
5. La mise en oeuvre dans les différentes sphères de la galaxie publique
6. Les particularités liées à l'objet du service.

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