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N4254A9G
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le 07 Octobre 2010
I - En quelles circonstances le lien entre un candidat et un parti est-il établi ?
Ce lien, qui affleure discrètement en termes de procédure, peut apparaître à plusieurs titres successifs. On prendra de préférence, par convention, l'exemple des élections législatives, de loin le plus complet en la matière.
L'investiture définit la procédure interne par laquelle un parti, le cas échéant au terme d'une présélection entre plusieurs personnes, choisit un candidat (ou une candidate) ou une liste de candidats et le, la ou les propose aux suffrages des électeurs. L'investiture peut, bien évidemment, être accordée dans le cadre d'une coalition de partis. D'une manière générale, le droit électoral ignore cette phase préliminaire. Elle est considérée comme relevant du fonctionnement interne des "partis et groupements politiques" et donc du principe de liberté d'activité des formations politiques consacré par l'article 4 de la Constitution (N° Lexbase : L1300A9Z).
De cette procédure peut être rapproché le choix de l'emblème dont la présence sur les bulletins de vote est expressément autorisée par la loi (2). Bien que ce qu'on doit entendre par emblème ne soit pas défini, il s'agit ordinairement du symbole graphique de la formation ou de la coalition qui soutient le candidat.
Aucune des dispositions du Code électoral (3) relatives aux modalités de dépôt des candidatures ne fait référence à l'existence d'un parti. On peut donc se porter candidat sans être présenté par une formation politique ou revendiquer son patronage.
Toutefois, à cette occasion, deux procédures différentes interviennent en parallèle :
1°) L'attribution au candidat d'une "étiquette politique"
Le "fichier des élus et des candidats" est un traitement informatisé des données nominatives faisant apparaître les appartenances politiques des personnes détentrices d'un mandat électif ou candidates à une élection politique. Ce fichier, géré par le ministère de l'Intérieur, est autorisé et défini dans son contenu et le droit d'accès à ses données (4).
L'appartenance politique des candidats y apparaît sous trois mentions possibles :
- le cas échéant, le sigle ou le titre de la liste sur laquelle les candidats se présentent ou ont été élus ;
- l'étiquette politique choisie par le candidat et, le cas échéant, par le remplaçant éventuel ;
- la nuance politique, attribuée par l'administration au vu, soit des indications qui précèdent, soit des éléments de notoriété locale du candidat.
2°) La souscription du candidat en faveur d'une formation politique pour l'attribution et le calcul de l'aide publique aux partis
Les candidats aux élections législatives sont invités à souscrire une déclaration spécifique, au demeurant facultative, au moment du dépôt des candidatures (5). La mention qui figure sur cette déclaration s'impose à l'administration mais n'a aucune portée en dehors de cette procédure (6).
II - La jurisprudence contribue-t-elle à éclaircir les relations entre partis et candidats ?
Le juge est fréquemment conduit à connaître, non pas tant de l'investiture accordée par un parti à un candidat, que de celle revendiquée, à plus ou moins bon escient, par le candidat et accordée ou non, parfois de façon ambiguë, par une formation politique. Le droit positif, on vient de le voir, n'est pas alors d'un grand secours.
Dans un grand nombre de cas, le juge se borne à établir l'existence de faits dépourvus d'influence sur l'issue du scrutin. Ne peuvent ainsi nullement être assimilés à une investiture par un parti :
- l'indication qu'un candidat soutient l'action du Président de la République et les partis de sa majorité (7) ;
- le fait pour un candidat de se réclamer du programme politique d'un parti, quand bien même ce parti aurait investi un candidat concurrent (8) ;
- le soutien apporté à un candidat à titre individuel par des adhérents d'un parti n'ayant pas accordé d'investiture à ce candidat (9) ;
De même, ne peuvent être incriminés, en dépit de l'existence d'une investiture :
- le choix opéré par un parti qui a investi certains candidats au détriment d'autres, notamment les requérants, qui auraient pu l'être (10) ;
- le fait pour des candidats de ne pas faire état d'une investiture, pourtant effective, par une formation politique pendant la campagne électorale (11).
Le juge cherche à déterminer dans quelle mesure le contexte peut induire l'électeur en erreur, constituer une manoeuvre ou introduire une confusion de nature à altérer la sincérité du scrutin. Il tient compte de plusieurs indices, constituant souvent le reflet d'une vie politique locale agitée, entre autres le positionnement revendiqué par les candidats en lice, la thématique générale de la campagne et les déclarations qui l'ont émaillée, la notoriété, voire la violence, du débat politique, ainsi que l'écart, plus ou moins grand, des suffrages recueillis.
Un contexte, parfois compliqué mais connu des électeurs appelés dès lors à trancher un différend, n'est pas analysé comme tendant à les tromper. N'ont ainsi pas été assimilés à des manoeuvres :
- la mention d'une investiture, annoncée par la presse mais non confirmée et, en définitive, accordée tardivement à un candidat concurrent (12) ;
- le retrait d'une investiture au détriment du candidat requérant juste avant le premier tour de scrutin (13) ;
- la circonstance que plusieurs membres d'une liste de candidats à une élection municipale, adhérents de plusieurs partis constituant la "majorité présidentielle" se réclament de cette étiquette, alors qu'une liste concurrente a été investie par un des partis de cette même majorité (14) ;
- le fait de se réclamer d'une coalition de partis regroupant plusieurs formations politiques dont l'une aurait aussi investi un autre candidat (15) ;
- l'invocation du soutien d'une coalition de deux partis, dont un seul a investi le candidat élu, l'autre se bornant à s'abstenir d'en présenter concurremment (16) ;
- l'investiture d'un candidat par une coalition de partis au premier tour, alors que l'un des partis de cette coalition investit un autre candidat au second tour (17) ;
- des circonstances, pourtant complexes, où une fédération départementale soutient un candidat au premier tour d'une élection locale, puis lui retire son soutien avant d'investir un candidat concurrent au second tour (18).
Les proximités politiques, les ressemblances de thèmes de campagne parfois recherchées délibérément par les candidats, notamment en cas de dissidence d'une formation politique, n'ont pas davantage porté atteinte à la sincérité du scrutin dans les cas suivants :
- l'intitulé d'une liste proche de celle concurrente présentée par un parti, en dépit même de la ressemblance des emblèmes de deux listes, dès lors que la campagne a permis de dissiper toute confusion possible dans l'esprit des électeurs (19) ;
- la présence, dans une liste de candidats, de membres d'un parti et l'usage de l'emblème de ce parti, qui pourtant n'a pas accordé l'investiture à la liste de candidats (20) ;
- la promotion par une même formation politique de la campagne de deux listes concurrentes, les candidats ayant eu pendant la campagne la possibilité de faire une mise au point à destination des électeurs, en particulier par le biais des documents de propagande qui leur sont destinés (21).
Le juge électoral ne se reconnaît pas compétent pour porter une appréciation sur la régularité de la décision d'investiture d'un candidat par une formation politique au regard de ses propres statuts ou de ses règles internes de fonctionnement (22). Il ne se reconnaît compétent que si, au vu des indications fournies par les requérants et confirmées par l'instruction, l'investiture alléguée a pour effet de vicier les opérations électorales ou si les allégations invoquées par les requérants sont entachées d'erreur de nature à tromper les électeurs. Tout au plus, si l'on reprend les termes utilisés par le Conseil constitutionnel (23), appartient-il au juge de l'élection de vérifier si des manoeuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l'investiture des candidats par les partis politiques.
Le juge tend à considérer que les manoeuvres "frauduleuses" invoquées par les requérants sont loin d'avoir la nature et les conséquences que ces derniers leur prêtent volontiers. Dès lors, on peut même se demander si ces questions d'investiture ont quelques chances de prospérer au contentieux.
III - Toutefois, par contraste, deux décisions récentes méritent d'être signalées
Le Conseil constitutionnel a annulé une élection en 2003 (24), en partie (car ce n'est pas la seule cause d'annulation invoquée) sur un motif d'investiture incertaine. Le contexte s'y prêtait particulièrement puisqu'il n'avait manqué que deux suffrages au requérant pour atteindre le seuil légal de 12,5 % des électeurs inscrits, condition nécessaire pour pouvoir se présenter au second tour (25). L'investiture qu'un parti avait tardivement accordée au candidat requérant, après l'avoir consentie à un concurrent, avait été présentée comme maintenue à ce concurrent par la presse locale. Le juge a considéré que, compte tenu de l'infime écart de voix en cause, ce contexte avait pu influencer un nombre suffisant d'électeurs et peser sur la portée des résultats en empêchant le candidat de se présenter au second tour.
Devant le tribunal de grande instance de Paris (26), a été récemment contestée par le député sortant d'une circonscription la décision prise par les instances locales d'une formation politique d'investir un autre candidat pour les prochaines élections législatives. Bien que le contexte de cette affaire soit loin d'être définitif, ce jugement présente d'ores et déjà un double intérêt. L'incompétence de la juridiction, soulevée par les défenseurs de la formation politique, n'a pas été admise par le juge. Il y a là complémentarité avec les décisions d'incompétence rendues à plusieurs reprises, tant par le Conseil d'Etat que le Conseil constitutionnel statuant au contentieux en matière électorale.
Par ailleurs, bien que le cadre juridique de l'affaire relève entièrement du droit privé, la circonstance que la décision locale d'investiture ait été précédée d'un vote à bulletins secrets, à l'encontre duquel diverses irrégularités de procédure étaient invoquées, a permis au juge de tenir un raisonnement très comparable à celui que tient volontiers le juge électoral (irrégularité sans influence déterminante sur l'issue du scrutin, fort écart de voix).
La jurisprudence électorale sur la question des investitures conduit à distinguer, d'une part, les positions d'une coalition de partis opposées à celles de chacune de ses composantes, d'autre part, les démarches au niveau national des initiatives locales. Outre l'absence de cadre légal contraignant, le caractère fluctuant des relations entre candidatures et investitures, reflet de la vie interne à plusieurs dimensions que connaissent les formations politiques, empêche de grandes avancées jurisprudentielles en la matière.
Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel
(1) Par exemple, pour les élections législatives, C. élect., art. L. 167-1 (N° Lexbase : L9642DNG).
(2) C. élect., art. L. 52-3 (N° Lexbase : L2762AAK).
(3) En particulier, pour les élections législatives, C. élect. art. L. 154 (N° Lexbase : L0423DPD), L. 155 (N° Lexbase : L0422DPC) et R. 99 (N° Lexbase : L3723HT3).
(4) Cf. décret modifié n° 2001-777 du 30 août 2001.
(5) Loi n° 88-227 du 11 mars 1988, en particulier son article 9 (N° Lexbase : L8358AGN).
(6) CE, cont., 22 mars 1999, n° 196807, Groupement des élus de l'UDF (N° Lexbase : A4239AXB).
(7) Cons. const., décision 2002-3654, 21 janvier 2003, A.N., Hauts-de-Seine (5ème circ.)
(8) Cons. const., décision 2002-2657/2841, 19 décembre 2002, A.N., Paris (15ème circ.) (N° Lexbase : A5286DLD).
(9) Cons. const., décision 97-2251, 29 janvier 1998, A.N., Rhône (2ème circ.) (N° Lexbase : A8476ACW).
(10) CE, 3° et 5° s-s-r., 13 décembre 1996, n° 177147, Elections municipales de Marseille (5ème secteur) (N° Lexbase : A1210AIN) et CE, 1° et 6° s-s-r., 20 octobre 2004, n° 266304, Elections régionales de Picardie (N° Lexbase : A6324DDL).
(11) CE, 3° et 8° s-s-r., 21 décembre 2001, n° 235800, Elections municipales du Perray-en Yvelines (N° Lexbase : A1379AYQ).
(12) Cons. const., décision 93-1327/1360, 25 novembre 1993, A.N., Yvelines (5ème circ.) (N° Lexbase : A9762AHZ).
(13) Cons. const., décision 2002-2731, 24 octobre 2002, A.N., Moselle (8ème circ.) (N° Lexbase : A5329DLX).
(14) CE, cont., 10 mai 1996, n° 174082, Elections municipales de Mesnil-le-Roi (N° Lexbase : A9443AN3).
(15) CE, 10° s-s., 6 mars 2002, n° 239365, Election cantonale de Genlis (N° Lexbase : A4178B7U).
(16) Cons. const., décision 97-2200, 16 décembre 1997, A.N., Alpes-maritimes (1ère circ.) (N° Lexbase : A8391ACR).
(17) Cons. const., décision 93-1174, 20 octobre 1993, A.N., Mayotte (N° Lexbase : A7057AHT).
(18) CE, cont., 25 septembre 1995, n° 162658, Election cantonale d'Aramon (Gard) (N° Lexbase : A5576ANT).
(19) CE, cont., 6 novembre 1998, n° 195225, Elections régionales Pays de la Loire (Mayenne) (N° Lexbase : A9223ASE).
(20) CE, cont., 30 novembre 1998, n° 195128, Elections régionales Languedoc-Roussillon (Aude) (N° Lexbase : A1223AI7).
(21) CE, 3° et 8 s-s-r., 16 février 2004, n° 258343, M. Poinsot et autres (N° Lexbase : A3487DBR).
(22) Cons. const., décision 2004-3398, 25 novembre 2004, Sénat, Yonne (N° Lexbase : A0385DI4).
(23) Cons. const., décision 2004-3398, 25 novembre 2004, Sénat, Yonne précitée.
(24) Cons. const., décision 2002-2651, 30 janvier 2003, A.N., Seine-Saint-Denis (7ème circ.) (N° Lexbase : A1886DIP).
(25) C. élect., art. L. 162 (N° Lexbase : L9643DNH).
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