La lettre juridique n°238 du 30 novembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les limites à l'obligation de reclassement du salarié inapte

Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.408, M. Christian Laurent, FS-P+B (N° Lexbase : A3440DS9)

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N2438A98

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Lorsqu'un salarié est frappé d'une inaptitude physique, le législateur prévoit que l'employeur doit tenter de le reclasser dans l'entreprise. Au fil des années, le champ de cette obligation de reclassement s'est progressivement étendu : poste de niveau inférieur, voire de niveau supérieur par le biais d'une phase d'adaptation ; reclassement au sein des différents établissements de l'entreprise, voire au sein des différentes entreprises du groupe. N'y a-t-il donc pas de limite à cette extension ? La Chambre sociale de la Cour de cassation vient, semble-t-il, d'en poser une. Par un arrêt du 15 novembre 2006, elle décide que l'employeur n'est tenu de proposer au salarié que des postes disponibles dans l'entreprise (1). Cette solution, qui aurait pu s'avérer aussi logique que claire, est pourtant perturbée par l'utilisation faite par les juges de la théorie de la modification du contrat de travail (2).

Résumé

Lorsqu'un salarié est déclaré médicalement inapte à un poste de travail, l'employeur doit chercher à le reclasser dans l'entreprise. Pour autant, il n'est pas tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail aux fins de libérer un poste pour le salarié qu'il cherche à reclasser.

Décision

Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.408, M. Christian Laurent, FS-P+B (N° Lexbase : A3440DS9)

Cassation (CA Douai, ch. soc., 26 novembre 2004).

Texte visé : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R)

Mots-clés : licenciement ; inaptitude physique ; obligation de reclassement ; limites ; modification du contrat de travail d'un autre salarié.

Lien bases :

Faits

1. M. Laurent, chargé de préparer les commandes de produits pharmaceutiques et de les livrer pour le compte de l'association Santelys, est déclaré inapte au poste de chauffeur-livreur par deux examens médicaux en juillet 1997. En revanche, le salarié est considéré comme étant apte à un poste sédentaire type commis d'économat ou magasinier. Il est pourtant licencié le 13 août 1997 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

2. Le salarié saisit la juridiction prud'homale, contestant le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement et réclamant en conséquence des dommages-intérêts. Il est débouté par les juges de première instance, décision confirmée par la cour d'appel de Douai le 26 novembre 2004. Estimant que l'employeur devait rechercher son reclassement dans un poste libéré par la mutation d'un autre salarié de l'entreprise, M. Laurent se pourvoit en cassation.

Solution

1. Rejet.

2. "Le reclassement par mutation du salarié déclaré inapte par le médecin du travail auquel l'employeur est tenu de procéder en application des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise ; que l'employeur ne peut être tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail à l'effet de libérer son poste pour le proposer en reclassement à un salarié".

Commentaire

1. La disponibilité du poste de reclassement proposé

  • La nature des postes habituellement proposés au salarié

Les postes que l'employeur est censé proposer lorsqu'il a l'obligation de reclasser un salarié dans l'entreprise forment un panel de plus en plus conséquent. C'est ainsi que l'article L. 122-24-4 du Code du travail prévoit que l'employeur doit proposer au salarié inapte un reclassement dans un emploi "approprié à ses capacités, [...] aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail".

La jurisprudence a ainsi pu considérer qu'il était nécessaire que l'employeur recherche les différentes possibilités de mutation du salarié tant au niveau l'entreprise (v. Cass. soc., 12 mai 1993, n° 89-42.961, Société Mory TNTE, société anonyme c/ M. Eugène Philbert, inédit N° Lexbase : A1686AAP et, plus récemment, Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, FS-P+B N° Lexbase : A3090DRU) qu'à celui du groupe (v. Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.265, M. Richard c/ Société Turboméca, publié N° Lexbase : A3147AB8).

On sait, en outre, qu'à défaut de poste comparable, l'employeur peut proposer au salarié son reclassement dans un poste de qualification d'un niveau inférieur voire, par le biais d'une obligation d'adaptation et dans la mesure du possible, à un poste de qualification supérieure (v. Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, Société Expovit c/ Mme Dehaynain, publié N° Lexbase : A9415AAX), cela, tout de même, dans certaines limites énoncées par l'arrêt (Cass. soc., 23 septembre 2003, n° 01-43.599, F-D N° Lexbase : A9400C9Z ; voir Les limites du devoir d'adaptation dans le cadre de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9280AAX).

Jusqu'où doit aller l'employeur pour tenter de reclasser le salarié ? L'employeur doit-il proposer au salarié un poste déjà pourvu en procédant à la mutation du salarié occupant ce poste ?

  • La nécessité du caractère disponible du poste proposé

La question n'est pas directement traitée par l'article L. 122-24-4 du Code du travail concernant la mutation du salarié inapte. Il n'est, en effet, pas précisé si les postes dans lesquels l'employeur doit rechercher un éventuel reclassement doivent ou non être disponibles. On ne peut pas, d'ailleurs, tenter de raisonner par analogie avec les articles L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK) et L. 321-1, alinéa 3, (N° Lexbase : L8921G7K) du Code du travail, concernant respectivement l'obligation de reclassement du salarié inapte à la suite de la survenance d'un risque professionnel et le reclassement du salarié dont l'employeur projette le licenciement pour un motif économique, puisque ces textes ne se prononcent pas non plus sur une telle condition de disponibilité du poste de reclassement.

Le seul véritable indice que les textes nous donnent, et que le requérant avait d'ailleurs relevé, réside dans l'utilisation du pluriel lorsque le législateur vise les "mutations" et les "transformations de postes de travail". Il semblerait donc que le législateur ait envisagé que le reclassement d'un salarié puisse impliquer plusieurs mutations, c'est-à-dire non seulement la mutation du salarié que l'on souhaite reclasser, mais encore la mutation d'autres salariés dans l'entreprise.

La Chambre sociale de la Cour de cassation refuse cette interprétation et estime que le poste de reclassement doit être "recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise". Ce n'est pas véritablement la première fois qu'elle statue de la sorte puisqu'elle avait déjà rendu une décision similaire concernant l'obligation de reclassement du salarié licencié pour motif économique (Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-46.140, Association Gestion Musée de Pompelle c/ M. Amor Karki, inédit N° Lexbase : A9777ATB). Mais cette condition, posée à l'ère où cette obligation de reclassement n'était que jurisprudentielle, n'avait pas été reprise par la loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9). En outre, jamais une telle question ne s'était posée concernant le reclassement du salarié inapte.

Il s'agit probablement là d'une solution raisonnable. L'obligation de reclassement du salarié inapte est une contrainte légitime imposée à l'entreprise : les difficultés pour un salarié inapte de retour sur le marché de l'emploi seraient, en effet, telles qu'il est impératif d'éviter à tout prix une telle situation. Pour autant, imposer à l'employeur de rechercher le reclassement, y compris sur des postes occupés par des salariés de l'entreprise, aurait pour conséquence de faire peser une partie des conséquences de l'inaptitude sur les épaules d'autres salariés de l'entreprise.

En revanche, il faut reconnaître que la solution est juridiquement moins évidente, tant les fondements paraissent instables et même, parfois, contradictoires.

2. Les relations entre disponibilité du poste et théorie de la modification du contrat de travail

La Cour de cassation semble fonder son raisonnement sur deux arguments qui, à l'analyse, se révèlent ne pas recouvrir tout à fait la même réalité, au point d'en devenir parfois contradictoires.

  • L'impossibilité affirmée de rendre un poste disponible

La Chambre sociale refuse donc que l'employeur soit contraint de rechercher le reclassement du salarié dans un poste de l'entreprise déjà pourvu : l'emploi proposé doit être disponible. Pourtant, elle poursuit son argumentation en estimant que l'employeur "ne peut être tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail".

L'argument paraît parfaitement logique : qu'il souhaite le faire dans le but de reclasser un autre salarié ou pour quelque autre raison que ce soit, l'employeur ne peut plus, depuis l'arrêt "Raquin" (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand N° Lexbase : A1981ABY), imposer une modification de son contrat de travail à un salarié. Depuis 1996 (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (GAN), publié N° Lexbase : A2054AAC), on estime que l'employeur, s'il peut librement imposer au salarié un changement de ses conditions de travail, ne peut plus imposer une modification unilatérale du contrat.

On pourrait estimer que l'impératif de reclassement du salarié inapte rend légitime le fait de forcer la volonté du salarié afin de le contraindre à accepter la modification. Ce serait là oublier l'extrême rigueur dont fait preuve la Chambre sociale de la Cour de cassation lorsqu'il s'agit de protéger ce droit au refus de la modification, l'arrêt "Hôtel Le Berry" ayant marqué les esprits en la matière (pour mémoire, rappelons qu'il s'agissait de permettre au salarié de refuser une sanction disciplinaire, celle-ci procédant à une modification du contrat de travail, v. Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, Société Hôtel Le Berry c/ Mme Khouhli, publié N° Lexbase : A5390ACM).

Deux questions se posent, néanmoins, lorsque l'on analyse plus avant l'argumentation de la Chambre sociale.

Tout d'abord, il est permis de se demander si le fait que l'employeur ne soit pas "tenu d'imposer" une modification du contrat de travail ne signifie pas que l'employeur soit pour le moins contraint de proposer à un autre salarié une modification de son contrat afin de libérer un poste de travail. Quoiqu'une lecture stricte de l'arrêt puisse permettre d'envisager une telle solution, il ne s'agirait alors que d'introduire une condition de forme supplémentaire. Or, il nous semble que ce serait là instiller un degré de complication supplémentaire dans le mécanisme de l'obligation de reclassement qui, convenons-en, n'en a véritablement pas besoin. En réalité, il vaudrait peut-être mieux laisser cette hypothèse "hors du droit" et simplement espérer que, dans certains cas, des employeurs proposent ce type de modifications sans que cela ne leur soit imposé.

Ensuite, et surtout, on peut se demander si la précision relative à la modification du contrat de travail n'implique pas qu'une solution différente eut été apportée s'il s'était agi d'une mutation ne nécessitant qu'un simple changement dans les conditions de travail du salarié. Interprétée a contrario, l'exclusion des hypothèses dans lesquelles une modification du contrat de travail est nécessaire semble permettre celles dans lesquelles un simple changement des conditions de travail suffit. L'employeur pouvant imposer ce changement à ses salariés, il n'y aurait alors plus d'obstacle à la mutation du salarié dont on souhaite libérer le poste pour un reclassement.

On pourrait alors tout à fait imaginer, par exemple, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité pour "déplacer" un salarié afin de libérer son poste de travail pour le salarié inapte. Préciser que l'employeur ne peut imposer la modification paraît donc porteur de conséquences bien lourdes, tant pour l'employeur que pour le salarié dont le poste conviendrait à celui que l'on doit reclasser. N'aurait-il pas fallu se contenter du caractère disponible ou non du poste ?

  • L'impossibilité nuancée de rendre un poste disponible

La précision que l'employeur ne peut être tenu d'imposer une modification du contrat de travail d'un salarié vient, en réalité, restreindre le champ de la première condition posée par la Cour, à savoir que l'employeur ne doit chercher des reclassements que dans des emplois disponibles.

Cette condition, seule, aurait été restrictive. Elle n'aurait jamais impliqué que la relation entre l'employeur et le salarié inapte vienne perturber la relation de travail d'un autre salarié de l'entreprise. La Chambre sociale réduit le champ de cette limite en estimant que l'employeur ne peut être tenu d'imposer une modification du contrat de travail puisque, par une interprétation a contrario, on peut penser que l'emploi pourra être rendu disponible lorsqu'il suffira de mettre en oeuvre un changement des conditions de travail d'un autre salarié. Avec une telle lecture, les deux conditions paraissent donc, dans une certaine mesure, contradictoires.

Il aurait mieux valu, à notre sens, se contenter du caractère disponible ou non du poste, même si cette condition n'est pas prévue par un texte. Cela aurait permis d'éviter de nombreux chamboulements dans l'entreprise et, surtout, dans la vie du salarié que l'on pourrait déplacer.

Enfin, et pour conclure, il est probable que cette solution soit confirmée concernant le reclassement du salarié menacé d'un licenciement pour motif économique, tant la nature des deux obligations de reclassement est proche. Espérons que ce soit alors l'occasion pour la Cour de choisir son fondement : le refus de la modification du contrat de travail ou la disponibilité du poste de reclassement.

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