Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY)
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N2412A99
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie. Le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant. |
Décision
Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY) Rejet (CA Grenoble, ch. soc., 28 juin 2004) Texte concerné : C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI) Mots-clés : clause de non-concurrence ; conditions de validité ; contrepartie pécuniaire ; caractère dérisoire. Lien bases : |
Faits
M. Dittmar, engagé le 2 juillet 1989 par la société Monier, aux droits de laquelle vient la société Comasud, a démissionné le 30 novembre 2002. Son contrat de travail contenait une clause de non-concurrence lui interdisant d'exercer, directement ou indirectement, une activité susceptible de concurrencer la société, pendant 2 ans, dans le département ainsi que dans trois départements limitrophes. La clause prévoyait la perception d'une indemnité spéciale à la fin de la durée de non-concurrence, "égale à un dixième du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société, durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence". Contestant la validité de cette clause, le salarié a saisi la juridiction prud'homale. La cour d'appel a fait droit à cette demande en décidant que la contrepartie financière prévue au contrat, qui ne s'élevait qu'à l'équivalent de 2,4 mois de salaire pour une durée d'exécution de la clause de non-concurrence de 24 mois, était dérisoire, eu égard aux importantes restrictions auxquelles était soumis le salarié, disproportionnées par rapport à l'indemnité mensuelle qui devait en être la contrepartie. |
Solution
Rejet du pourvoi "Mais attendu qu'une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie". "Et attendu, d'abord, que la cour d'appel qui a constaté que la contrepartie financière prévue au contrat de travail était dérisoire, a légalement justifié sa décision". "Attendu, ensuite, que le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant". |
Observations
1. L'exigence d'une contrepartie financière à la charge de l'employeur
Voilà maintenant plus de 4 ans, la Cour de cassation décidait de subordonner la validité des clauses de non-concurrence au versement d'une contrepartie pécuniaire (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1227AZH ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0769AZI, lire Ch. Radé, Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4139AAK). Cette exigence, qui trouve son fondement dans l'atteinte portée par l'obligation de non-concurrence à la liberté du travail du salarié, a suscité, par la suite, un abondant contentieux qu'explique, dans une très large mesure, le caractère rétroactif du revirement de jurisprudence opéré par les arrêts du 10 juillet 2002 (1). L'exigence d'une contrepartie pécuniaire étant acquise dans son principe, la question de son montant devait immanquablement se poser. A ce titre, on pouvait raisonnablement avancer que le juge serait amené à décider qu'une contrepartie dérisoire équivaut à une absence de contrepartie, entraînant en conséquence la nullité de la clause de non-concurrence (v., en ce sens, P.-H. Antonmattéi, Les clauses du contrat de travail, Ed. Liaisons, 2005, p. 94). C'est donc sans grande surprise que la Cour de cassation vient, dans l'arrêt commenté, reprendre à son compte cette assertion. Attendue, la solution est, en outre, parfaitement justifiée : compte tenu du caractère essentiel des valeurs que l'exigence de contrepartie pécuniaire entend sauvegarder, on ne peut tolérer que celle-ci soit réduite à une somme symbolique. Cela étant, et le problème n'est pas mince, il reste, désormais, à se demander où se situe le seuil de la contrepartie dérisoire (2). Il convient, à ce propos, de relever que de nombreuses conventions collectives fixent un montant minimum à la contrepartie financière. Les parties au contrat de travail, et spécialement l'employeur, doivent cependant se garder de considérer que le respect de ces planchers conventionnels suffit à assurer la validité de la clause de non-concurrence. Dans la mesure où ces derniers sont parfois très bas (3), ils peuvent être considérés comme dérisoires. On l'aura donc compris, il appartient dans tous les cas aux parties de veiller à ce que le montant de la contrepartie pécuniaire soit conséquent afin d'éviter l'annulation de la clause de non-concurrence par le juge en raison de son caractère dérisoire. Dans l'espèce considérée, la contrepartie pécuniaire était "égale à un dixième du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société, durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence". En d'autres termes, et compte tenu du fait que l'obligation de non-concurrence avait une durée de 2 ans, la contrepartie correspondait à l'équivalent de 2,4 mois de salaire. Un montant que les juges d'appel, approuvés en cela par la Cour de cassation, ont jugé dérisoire. Si l'on est bien obligé de prendre acte de cette solution (4), on peut, en revanche, trouver contestable la motivation retenue par les juges du fond, en ce qu'elle semble témoigner d'un certain contrôle de proportionnalité.
Sous réserve que la contrepartie financière ne soit dérisoire, exigence que l'on ne peut qu'approuver, les parties au contrat de travail disposent a priori d'une bonne marge de manoeuvre pour fixer le montant de celle-ci. Ainsi que le souligne cependant à juste titre M. Antonmatéi, cette liberté pourrait être singulièrement bridée si "le juge s'en mêle par un contrôle de proportionnalité". Or, en l'espèce, il apparaît que la cour d'appel saisie du litige s'est livrée à un tel contrôle, sans pour autant émouvoir la Cour de cassation. Rappelons, en effet, que pour annuler la clause de non-concurrence, les juges d'appel ont décidé que "la contrepartie financière prévue au contrat qui ne s'élevait qu'à l'équivalent de 2,4 mois de salaire pour une durée d'exécution de la clause de non-concurrence de 24 mois était dérisoire, eu égard aux importantes restrictions auxquelles était soumis le salarié, disproportionnées par rapport à l'indemnité mensuelle qui devait en être la contrepartie". Sans doute un tel contrôle de proportionnalité peut-il trouver un fondement juridique dans l'article L. 120-2 du Code du travail. Certains ne manqueront pas, toutefois, de relever le caractère extrêmement contestable de cette immixtion judiciaire, susceptible de fragiliser de nombreuses clauses de non-concurrence (5). Il est vrai que si un tel contrôle de proportionnalité venait à être établi, ce que la décision commentée ne permet évidemment pas d'affirmer, il pourrait en résulter une grande insécurité juridique. Comment, en effet, être certain que le montant de la contrepartie financière, sans être dérisoire, est cependant proportionné à l'obligation de non-concurrence ? 2. Le respect d'une clause de non-concurrence illicite par le salarié
Dans un important arrêt rendu le 11 janvier 2006, commenté dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation a solennellement affirmé que "le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice" (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-46.933, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3385DMC ; et notre chron. éponyme, Le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3518AKI). Il existe donc en la matière une véritable présomption de dommage. Par suite, et contrairement à ce qu'avançait la partie requérante dans l'espèce sous examen, le salarié n'a pas à établir l'existence d'un préjudice direct et certain causé par l'illicéité d'une clause de non-concurrence pour défaut de contrepartie financière. Ainsi que le rappelle la Chambre sociale, dans la mesure où le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice, il appartient au juge d'en apprécier le montant.
L'appréciation du montant des dommages-intérêts étant abandonnée à l'appréciation souveraine des juges du fond, il va de soi qu'elle variera en fonction de la juridiction saisie. On peut souligner à ce propos que, dans un arrêt un peu curieux, la Cour de cassation n'a rien trouvé à redire à une décision des juges du fond fixant le montant des dommages-intérêts à la somme prévue au profit de l'employeur en cas de violation de la clause par le salarié (c'est-à-dire au montant de la clause pénale), soit, en l'espèce, 327 691,42 francs (49 956,23 euros) (Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.026, Société Scopie c/ Mme Nadège Faure, publié N° Lexbase : A0274B7B ; Dr. soc. 2003, p. 772, obs. crit. Ch. Radé) (6) ! Au total, on doit avouer que l'arrêt rendu le 15 novembre 2006 laisse un sentiment mitigé. Pour être parfaitement justifiée sur le plan juridique, la solution retenue laisse planer de grandes incertitudes, principalement quant au fait de savoir quel doit être le juste montant d'une contrepartie financière. Incertitudes dont on ne saurait, cependant, faire reproche à la Cour de cassation, juge du droit et non du fait.
Gilles Auzero (1) Cela étant, nombre de conventions collectives de branche avaient pris les devants, en imposant, bien avant cette date, le versement d'une contrepartie financière à la charge de l'employeur. Tel était, semble-t-il, le cas dans l'espèce commentée, la convention collective du négoce de matériaux de construction prévoyant le principe d'une contrepartie, mais en l'abandonnant à la libre négociation des parties au contrat de travail. Respectant les stipulations conventionnelles, les parties avaient donc assorti la clause de non-concurrence d'une contrepartie pécuniaire. (2) Ainsi que le relève le Professeur Antonmattéi, la question d'une contrepartie excessive n'est pas non plus à exclure (op. cit., pp. 94-95 et la jp. citée). (3) En raison, notamment, du fait que beaucoup de ces conventions ont été conclues à une époque où le versement d'une contrepartie pécuniaire n'était pas exigé par la Cour de cassation. (4) On pourra, évidemment, toujours discuter du caractère dérisoire de ce montant qui, à notre sens, ne relevait pas ici de l'évidence... (5) P.-H. Antonmattéi, op. cit., p. 95. (6) A la différence de la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence, assimilée à un salaire, ces dommages-intérêts ont une nature indemnitaire. V., sur cette question, Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 03-46.592, Société Bureau moderne informatique et négoce interprofessionnel (BMINI) c/ M. Michel Bouchaud, F-P (N° Lexbase : A0249DLS) et les obs. de Ch. Radé, Précisions sur la nature de la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N9995AIZ). |
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