Réf. : Cass. com., 31 octobre 2006, n° 05-10.541, Société Thiers distribution, F-P+B (N° Lexbase : A2026DST)
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N2559A9N
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le 07 Octobre 2010
Se fondant principalement sur le caractère illicite de la publicité, la société LIDL a assigné la société Thiers Distribution, qui exploite le supermarché à l'enseigne "Leclerc". Déboutée en première instance au motif que la comparaison pouvait porter exclusivement sur des prix, la société LIDL a fait appel. La Cour de cassation, par un arrêt confirmatif du 31 octobre 2006, fait droit à la société LIDL sur le fondement de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme qu'une publicité comparative portant exclusivement sur les prix doit être objective tant au niveau des produits sélectionnés, que de la différence de prix annoncée. Avant de réaliser une telle publicité comparative, un annonceur doit procéder à une analyse objective des produits afin de pouvoir justifier d'une différence objective des prix.
Après un rappel du contexte législatif et réglementaire dans lequel a été rendu cet arrêt (I), nous reviendrons sur sa portée (II).
I - Cadre de la publicité comparative du prix des produits
Longtemps considérée comme déloyale, la comparaison des prix pratiqués par les concurrents a, d'abord, été admise par la jurisprudence (A), avant d'être consacrée par le législateur (B).
A - Evolution jurisprudentielle de la publicité comparative du prix des produits
1 - Avant 1986
Pendant longtemps, aucune disposition législative française ne régissait expressément la publicité comparative. Pour pallier cette absence, les juges ont fait une application extensive de la théorie de la concurrence déloyale, en condamnant systématiquement toute comparaison susceptible de porter préjudice à un concurrent. La publicité comparative réalisée par un concurrent était, en effet, systématiquement condamnée sur le fondement du droit des marques, de la concurrence déloyale (dénigrement et parasitisme) ou de la publicité trompeuse.
Pour les juges, la comparaison était subjective et orientée dans l'intérêt de l'annonceur auteur de la publicité comparative. Seule une comparaison, ne permettant pas d'identifier directement ou indirectement un concurrent déterminé, était jugée licite.
Cette conception a été maintenue jusqu'au 22 juillet 1986.
2 - Après 1986
Le 22 juillet 1986, la Cour de cassation a précisé que "n'est pas illicite une publicité qui, se borne à la comparaison des prix auxquels des produits identiques sont vendus, dans les mêmes conditions, par des commerçants différents, contribuant ainsi à assurer la transparence d'un marché soumis à la concurrence" (1).
Cette décision, qui a permis de libérer la publicité comparative, a, toutefois, maintenu des conditions strictes à sa licéité : pour être licite, une publicité comparative devait porter sur les prix de produits identiques vendus dans les mêmes conditions et par des commerçants différents.
Par la suite, plusieurs décisions ont sanctionné des publicités comparatives, au motif qu'elles ne comparaient pas des produits strictement identiques. Ainsi, la cour d'appel de Paris a condamné, le 8 décembre 1999, le magazine "Voici" pour avoir procédé à des comparaisons de vêtements de marque de luxe avec des vêtements de même genre mais vendus par des sociétés de grande diffusion (2).
B - Evolution législative de la publicité comparative du prix des produits
1 - Avant l'ordonnance du 23 août 2001
La loi du 18 janvier 1992, reprenant la portée de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 juillet 1986, limitait la comparaison de prix à des produits strictement identiques vendus dans les mêmes conditions. En pratique, étaient concernés les produits ayant le même code barre. Une publicité comparative sur les prix était donc licite sous réserve de respecter les trois conditions suivantes :
- la publicité comparative devait porter sur des produits identiques ;
- ces produits devaient être vendus dans les mêmes conditions ;
- la publicité devait indiquer la durée des prix publiés par l'annonceur comme étant les siens.
Sous l'influence européenne, la législation française sur la publicité comparative a été profondément modifiée par la Directive européenne du 6 octobre 1997 (3), transposée en France par l'ordonnance du 23 août 2001 (4).
2 - Après l'ordonnance du 23 août 2001
Dans sa version actuelle (5), l'article L. 121-8 du Code de la consommation n'autorise un annonceur à faire une publicité comparative que si elle n'est pas trompeuse et de nature à induire en erreur, si elle porte sur des biens ou des services de même nature, disponibles sur le marché. La comparaison doit être objective et porter sur des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives du bien ou du service et ne peut avoir pour objet principal de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque. Lorsque la publicité mentionne une offre spéciale, elle doit indiquer la durée pendant laquelle l'offre est maintenue ainsi que les conditions spécifiques éventuelles.
Le critère lié à l'identité entre les produits a été remplacé par la condition relative à une comparaison des produits portant "sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif".
Se situant dans le prolongement de cette évolution, l'arrêt commenté tente, une nouvelle fois, de concilier concurrence entre les différents opérateurs économiques et information des consommateurs afin que ces derniers puissent faire un choix éclairé, non pas seulement en raison des prix des produits comparés mais, également, en raison des spécificités et des caractéristiques des produits concernés.
II - Portée de l'arrêt : l'objectivité comme principal critère
A une comparaison objective des produits sélectionnés (A) doit correspondre une différence objective de prix (B). Pour la Cour de cassation, une comparaison ne peut s'appuyer sur des opinions ou des appréciations individuelles ou collectives. La comparaison subjective est interdite que celle-ci résulte de celui qui l'énonce ou des critères choisis par l'annonceur.
A - Comparaison objective des produits
1 - Des produits répondant strictement aux mêmes besoins
La Cour de cassation, reprenant le raisonnement de la cour d'appel, a vérifié si les produits comparés par le supermarché à l'enseigne "Leclerc" répondaient de manière objective aux attentes d'un consommateur. Aussi, la Cour de cassation apprécie le degré d'information du consommateur lorsqu'il est confronté à une publicité comparative. Avant de faire son choix entre tel ou tel supermarché, l'annonceur doit permettre aux consommateurs de connaître les produits concernés par la comparaison. La seule référence au prix d'un produit, appréhendé de manière générale par famille de produits, est manifestement insuffisante au regard de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.
La Cour de cassation reproche, en effet, à la société Leclerc d'avoir fait une comparaison entre différents produits (à savoir "l'huile d'olive, le maïs, le thon listao, le café déca moulu, les croquettes de viande, la bière blonde, le cassoulet, la pâte à tartiner, le camembert, le champagne") "sans autre précision" alors que "la comestibilité de chacun de ces produits, en tout cas le plaisir qu'on a à les consommer, varie du tout au tout selon les conditions et les lieux de leur fabrication, selon les ingrédients mis en oeuvre, selon l'expérience du fabricant [...]". En d'autres termes, la comparaison des produits ne doit pas se limiter à des familles de produits mais doit, au contraire, s'attacher, comme le fait un consommateur moyen, aux spécificités d'un produit.
En l'espèce, les indices ou éléments servant de base à la comparaison des produits n'étaient pas suffisamment exhaustifs pour permettre à un consommateur de faire un choix éclairé. Par exemple, un consommateur qui souhaite acheter une bouteille de champagne ne prend pas seulement en considération le prix auquel cette bouteille est vendue mais s'intéresse à l'année de sa récolte, à sa méthode de vinification, à la région géographique concernée, à son terroir, aux particularités de son élaboration...
La Cour de cassation reproche donc au supermarché à enseigne "Leclerc" d'avoir agi de manière subjective en procédant à une comparaison des prix à partir d'un échantillon non significatif de produits. Pour la Cour de cassation, la concurrence entre les distributeurs ne doit pas se faire au détriment de l'information du consommateur. Un annonceur ne doit pas faire croire aux consommateurs qu'il trouvera chez lui le meilleur prix pour tel ou tel produit ou famille de produit, alors que le produit comparé n'est pas représentatif de la diversité des goûts des consommateurs.
2 - Encadrement strict de la liberté des annonceurs
L'arrêt du 31 octobre 2006 donne aux annonceurs la marche à suivre lorsqu'ils procèdent à une publicité comparative portant sur les prix des produits.
En effet, certains annonceurs sont, parfois, tentés de partir du prix des produits avant de sélectionner, souvent à leur avantage, un échantillon de produits. Une telle méthode est subjective et trompe le consommateur. Au contraire, un annonceur doit d'abord sélectionner un panel de produits représentatifs des attentes des consommateurs et y appliquer les prix habituellement pratiqués.
Ce raisonnement s'inscrit dans le droit fil d'une jurisprudence européenne qui a récemment précisé que "l'article 3 bis, paragraphe 1, sous b), de la directive doit être interprété en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à ce qu'une publicité comparative porte collectivement sur des assortiments de produits de consommation courante commercialisés par deux chaînes de grands magasins concurrentes pour autant que lesdits assortiments soient constitués, de part et d'autre, de produits individuels qui, envisagés par paires, satisfont individuellement à l'exigence de comparabilité que pose cette disposition" (6).
B - Différence objective de prix
1 - De l'écart moyen entre les prix des produits comparés...
Pour la Cour de cassation, une publicité comparative, qui met en avant, notamment par des tableaux de prix, un écart même insignifiant de prix pouvant exister entre un produit A et un produit B, peut tromper le consommateur. Une telle comparaison peut, en effet, conduire un consommateur à penser qu'à produit équivalent, les prix appliqués par les distributeurs sont différents.
Pourtant, la différence de prix peut, notamment, s'expliquer par le fait que les produits, en apparence identiques, sont différents en raison de la qualité des ingrédients utilisés, du savoir-faire mis en oeuvre pour la réalisation du produit ou des conditions de fabrication. Autant de spécificités et de particularités qu'un annonceur doit prendre en considération lorsqu'il fait une publicité comparative.
L'écart moyen de prix, sans aucune autre information, ne reflète donc pas, selon la Cour de cassation, les différences réelles de prix entre deux produits.
2 - ...à la différence réelle de prix
La Cour de cassation fait une distinction fondamentale entre écart moyen du prix des produits comparés et différence réelle de prix.
En ce sens, elle confirme l'appréciation de la Cour de justice des Communautés européennes qui avait précisé, le 8 avril 2003, que l'objectivité d'une publicité comparative "implique que les personnes auxquelles s'adresse la publicité puissent avoir connaissance des différences réelles de prix des produits comparés et pas seulement de l'écart moyen entre les prix pratiqués par l'annonceur et ceux pratiqués par le concurrent" (7).
Si cette distinction est nécessaire à une information complète des consommateurs, les conséquences qui en découlent risquent de compliquer la tâche des annonceurs souhaitant procéder à une publicité comparative. En effet, comment savoir précisément ce que recoupe la différence "réelle" de prix ? Quels éléments conditionneront, aux yeux de la Cour de cassation, la licéité d'une publicité comparative ?
Même si la Cour de cassation donne quelques indices sur la réalité de la différence de prix qui existe entre des produits, tels que les conditions et les lieux de fabrication, les ingrédients utilisés et l'expérience du fabricant, cela pourrait s'avérer insuffisant. La Cour de cassation réinsuffle, bien malgré elle, de la subjectivité dans sa décision. En effet, les particularités et les spécificités d'un produit comparé pourront varier en fonction de l'annonceur : un annonceur doit-il privilégier l'origine géographique d'un produit ou le savoir-faire d'un fabricant ?
En réalité, la Cour de cassation impose, désormais, aux annonceurs, désireux de faire une publicité comparative, d'être le plus exhaustif possible en indiquant toutes les raisons, spécificités et particularités justifiant que les biens comparés répondent aux mêmes besoins ou ont le même objectif.
Reste à savoir si les annonceurs auront bien compris le message...
Romain Bourgade
Avocat à la cour
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