Réf. : Directive 2006/68 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (N° Lexbase : L2062HS8)
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N2614A9P
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le 07 Octobre 2010
Maintien des principes et réorganisation du premier paragraphe de l'article 19. La possibilité pour les Etats membres d'autoriser les sociétés à acheter leurs propres actions est maintenue par la Directive de 2006. Cependant, le premier paragraphe de l'article 19 est réorganisé pour distinguer deux séries de conditions auxquelles sont soumises les sociétés qui désirent procéder à cette opération.
Les conditions appartenant à la première série sont devenues impératives mais restent limitées au nombre de trois (2) : (i) l'organe d'administration ou de direction effectue l'achat des actions selon les modalités fixées par l'autorisation de l'assemblée générale ; (ii) le montant des actions détenues en propre ne doit pas excéder le montant des réserves distribuables (3) ; et (iii) les actions rachetées ont été entièrement libérées (4).
La limite imposée à l'acquisition de ses propres actions est plus précisément fixée de telle sorte que l'actif net ne devienne pas inférieur au montant du "capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer" (5). Les réserves légales étant fixées par chaque Etat membre (6), il n'existe pas une harmonisation parfaite sur ce point.
Les conditions appartenant à la deuxième série sont laissées à la libre appréciation des Etats membres. Elles concernent : (i) le plafonnement du montant des actions rachetées en proportion du capital souscrit ; (ii) la publicité faite dans les statuts de la société des modalités relatives à l'autorisation accordée par l'assemblée générale de racheter des actions ; (iii) les obligations d'information et de notification ; (iv) les conditions d'annulation des actions rachetées ; et (v) le fait de ne pas compromettre le désintéressement des créanciers.
Des principes plus strictement encadrés. Les principes étant maintenus, la Directive de 2006 se contente de jouer sur les termes de l'économie actuelle du rachat d'actions : d'une part, elle accorde plus de flexibilité aux sociétés mais, d'autre part, elle impose le respect de l'égalité des actionnaires et des dispositions de la Directive "Abus de Marché" (7).
Le respect "de l'égalité de traitement de tous les actionnaires se trouvant dans la même situation". La mention par la Directive de 2006 de l'obligation de respecter le principe d'égalité des actionnaires lors de l'achat par une société de ses actions engendrera-t-elle des modifications des dispositions françaises ? Le respect de ce principe n'est actuellement pas absolu : plusieurs cas de rupture ont été identifiés (8). Deux illustrations de cette rupture méritent ici d'être rappelées. En premier lieu, les sociétés cotées avaient, tout d'abord, la possibilité d'acheter des actions hors marché à des conditions financières plus favorables que celles dont bénéficie tout actionnaire qui vend ses titres sur le marché. Ainsi, les actionnaires qui cédaient leurs actions à la société pouvaient obtenir un prix plus élevé que sur le marché. Cependant, l'application par l'Autorité des marchés financiers (9) ("l'AMF") de l'encadrement du prix de rachat prévu par le Règlement d'application de la Directive "Abus de Marché" écarte désormais cette rupture d'égalité entre actionnaires. Alors que cette Directive ne vise pas directement ce principe d'égalité, l'AMF a, en effet, adopté une interprétation qui anticipe les exigences posées par la Directive de 2006 (10). En second lieu, lorsque les actions rachetées étaient ensuite annulées, le respect des règles protectrices de réduction du capital, notamment l'article L. 225-204 du Code de commerce (N° Lexbase : L8295GQB), n'allait pas de soi (11). Pourtant, l'égalité n'était pas maintenue entre les actionnaires, dans la mesure où seuls ceux qui bénéficient du rachat sont dispensés de contribuer aux pertes futures. Ainsi, l'insertion du principe d'égalité des actionnaires, lors de l'achat par une société de ses propres actions, précise une contrainte qui n'était jusqu'alors ni explicite ni absolue.
Le principe d'égalité des actionnaires a cependant une portée plus réduite que celle envisagée par la proposition de Directive de 2006 dont l'article 19 § 1 d) mentionne tant l'acquisition que la vente par une société de ses propres actions. Or, l'article 19 de la Directive de 2006 ne vise que les acquisitions, excluant ainsi de son champ d'application les éventuelles ruptures d'égalité lors de la cession, notamment hors marché, des actions auto-détenues (12).
Qui plus est, la présomption de conformité au principe d'égalité accordée aux acquisitions et cessions effectuées sur un marché réglementé au sens de la Directive "MIF" n'est pas reprise par la Directive de 2006. Les règles européennes ne donnent donc, sur ce point, aucune préférence à la réalisation de la cession des actions auto-détenues sur un tel marché.
Enfin, l'égalité entre les actionnaires était assurée par la réalisation des opérations d'achats sur un marché réglementé. Il était en effet admis que si les actionnaires ont la possibilité d'acheter et de vendre à des conditions identiques (sous réserve d'exceptions notables (13)) sur ce même marché en raison de l'obligation de concentration (14), l'achat par un émetteur de ses propres titres sur un tel marché ne contrevient pas au principe d'égalité. L'hypothèse, fondamentale pour le raisonnement, de l'obligation de concentration ayant vocation à disparaître à la suite de la transposition de la Directive MIF, on peut se demander si la théorie du marché écran reste suffisante pour garantir à l'avenir le respect du principe d'égalité des actionnaires lors de l'exécution des programmes de rachat d'actions.
Le respect de la Directive "Abus de Marché". L'article 19 de la Directive rappelle aussi l'obligation de respecter la Directive "Abus de Marché". Les programmes de rachat d'actions mis en oeuvre par les sociétés cotées ont, en effet, fortement évolué sous son influence : ils sont maintenant soumis à des conditions strictes et à des finalités précises que ces sociétés doivent respecter pour bénéficier d'une présomption de légitimité au regard de l'infraction de manipulation de cours. Le régime de liberté introduit en France en 1998 (15) est ainsi sérieusement remis en cause (16).
L'assouplissement facultatif des modalités de mise en oeuvre. En contrepartie de l'obligation de respecter ces nouvelles règles, la Directive de 2006 apporte un certain nombre d'assouplissements facultatifs, notamment sur la durée de la délégation et sur le plafonnement du montant des actions rachetées.
La durée de la délégation. La durée de l'autorisation relative au programme de rachat d'actions était fixée par l'assemblée générale dans la limite de 18 mois (17). Les assemblées étant réunies, le plus fréquemment, une seule fois par an, l'autorisation devait, en pratique, être renouvelée annuellement. Pour remédier à ce formalisme jugé trop lourd, la Directive de 2006 prévoit un assouplissement partiel de l'encadrement de la durée de l'autorisation. L'assouplissement provient du relèvement de la durée maximale de 18 mois à 5 ans. En revanche, chaque Etat membre devient libre de fixer une durée inférieure au maximum européen.
L'allongement de la durée de la délégation accordée par l'assemblée générale était souhaité par les praticiens (18). En revanche, sa durée doit aussi prendre en compte l'information nécessaire des actionnaires (19). C'est pourquoi la Directive de 2006 mentionne cette contrepartie dans la liste des conditions facultatives.
Le plafond. L'assouplissement le plus remarquable opéré par la Directive de 2006 a trait au montant des actions qu'une société est autorisée à acheter. Alors que ce montant était plus fréquemment limité par le seuil arbitrairement fixé à 10 % du capital souscrit que par le montant des réserves distribuables, les Etats membres ont maintenant la faculté de poser une limite en terme de pourcentage du capital souscrit allant au-delà, mais pas en deçà, du plafond des 10 %. Si les Etats membres usent de cet assouplissement, la nouvelle limite pourrait à l'extrême être uniquement constituée par le montant des réserves distribuables, ce qui suffit à garantir l'intangibilité du capital social (20). La société doit, en effet, disposer de réserves, autres que la réserve légale, d'un montant au moins égal à la valeur de l'ensemble des actions qu'elle possède. Toutefois, le législateur français fait montre d'une très grande prudence sur cette question (21).
L'approche récente de la législation française du programme de rachat d'actions ne laisse pas présager une transposition libérale de cet assouplissement. Par une loi du 26 juillet 2005, le législateur a souhaité encadrer la réaffectation des actions auto-détenues entre les différentes finalités bénéficiant de présomptions de légitimité et surtout limiter à 5 % les actions auto-détenues pouvant servir à financer des opérations de croissance externe (22). Le plafond des 10 % est ainsi compartimenté, c'est-à-dire rigidifié, signe d'une tendance opposée à celle d'une flexibilité accrue (23).
Le seuil de 10 % est, toutefois, maintenu pour les acquisitions d'actions dans le cadre des dérogations à l'article 19 de la Directive (24).
L'encadrement facultatif des modalités de mise en oeuvre. Si la Directive de 2006 offre aux Etats membres la possibilité d'assouplir la condition impérative relative à la durée de la délégation ainsi que celle devenue facultative relative à l'ancienne limite de 10 % du capital souscrit, elle propose des contreparties, toutes optionnelles, pour les actionnaires ou les créanciers. En particulier, le rachat des actions ne doit pas compromettre le désintéressement de ces derniers. Les Etats membres peuvent aussi prévoir que les modalités de l'autorisation donnée par l'assemblée générale soient divulguées dans les statuts ou dans l'acte constitutif de la société. Ils peuvent enfin exiger le respect d'obligations d'information ou de notification comme le requiert déjà le droit français (25).
Création d'une réserve indisponible. L'obligation faite à une société d'annuler les actions acquises ne peut être imposée par les Etats membres qu'à la condition de créer une réserve indisponible d'un montant égal à celui des actions annulées. Cette réserve est destinée à augmenter le capital souscrit par capitalisation. La seule exception à l'indisponibilité consiste en une réduction du capital souscrit.
Cette condition n'a d'optionnelle que sa forme dans la mesure où l'annulation des actions rachetées est l'un des objectifs principaux du rachat d'actions. Cette technique est, en effet, vue comme une alternative financièrement avantageuse à la distribution de dividendes. Les Etats membres devraient donc se conformer à cette exigence.
L'effet des modifications apportées aux aspects du droit des sociétés en matière de rachat d'actions dépend fortement de l'interprétation qu'en fera le législateur national. Si une flexibilité supplémentaire, notamment sur la durée des délégations ou le montant du programme de rachat d'actions, peut s'avérer bénéfique pour les sociétés, l'inscription du principe d'égalité de traitement des actionnaires est source de réformes potentiellement plus profondes.
Pour la troisième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N2609A9I).
Nicolas Spitz
Avocat au Barreau de Paris
Jean-Baptiste Poulle
Avocat au Barreau de Paris
(1) Directive 2006/68/CE, publiée au JOCE du 25 septembre 2006.
(2) Le premier alinéa ne mentionne plus l'expression "au moins" qui figurait dans la Directive de 1977.
(3) Voir C. com., art. L. 225-210, al. 2 (N° Lexbase : L8268GQB) et les commentaires : F. Lefebvre, Memento Sociétés Commerciales, 2007, n° 18587, p. 1059. La Directive de 2006 précise également que le calcul des actions détenues en propres inclut les actions acquises par une personne agissant en son propre nom mais pour le compte de la société ce qui correspond, notamment, à la situation d'un prestataire de service d'investissement avec lequel la société a conclu un contrat de liquidité.
(4) Cette exigence figure déjà, en droit français, à l'article L. 225-210, alinéa 1, du Code de commerce.
(5) Article 15 a. de la Directive.
(6) En France, ces réserves sont constituées par un prélèvement d'au moins 5 % des bénéfices de l'exercice jusqu'à atteindre 10 % du capital social (C. com., art. L. 232-10 N° Lexbase : L6290AIS). En Espagne, ces pourcentages sont respectivement de 10 % et 20 % ; v. Dossiers internationaux, Espagne, Ed. Francis Lefebvre, janvier 2005, n° 705. Au Royaume-Uni, il n'existe pas d'équivalent aux réserves légales ; v. Dossiers internationaux, Royaume-Uni, Ed. Francis Lefebvre, avril 2003, n° 2891.
(7) Voir aussi le Règlement n° 2273/2003/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d'application de la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation d'instruments financiers (N° Lexbase : L0410DNI).
(8) A. Pietrancosta, Actions : souscription, achat et prise en gage de ses actions par la société, Dictionnaire Joly des Sociétés, 2002, spéc. n° 41 ; S. Torck, Le rachat par les sociétés cotées de leurs propres actions et le principe d'égalité des actionnaires, Bull. Joly Bourse 2002, p. 509 ; S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, Bull. Joly Bourse, février 2005, p. 112, spéc. n° 22.
(9) La mise en oeuvre du nouveau régime de rachat d'actions propres, Revue mensuelle de l'AMF, n° 12, mars 2005, p. 86.
(10) B.-O. Becker, Programmes de rachat d'actions et prévention des abus de marché: une réglementation sous influence communautaire (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 198, du 19 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N3192AKG).
(11) A. Couret, Les dispositions de la loi n° 98-546, Bull. Joly Sociétés, juillet 1998, p. 709, n° 52 ; A. Pietrancosta, Actions : souscription, achat et prise en gage de ses actions par la société, op. cit., spéc. n° 41 ; A. Viandier, OPA-OPE, éd. Francis Lefebvre, 2ème éd., 2003, n° 547; contra, ANSA, n° 2978, décembre 1998, p. 34.
(12) L'encadrement du prix dans les programmes de rachat d'actions prévu par l'article 5 du Règlement n° 2273/2003 de la Commission du 22 décembre 2003 ne couvre pas cette hypothèse ; voir S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, op. cit..
(13) S. Torck, Le rachat par les sociétés cotées de leurs propres actions et le principe d'égalité des actionnaires, op. cit., spéc. n° 15 et s..
(14) C. mon. fin., art. L. 421-12 (N° Lexbase : L2756G9X).
(15) Loi n° 98-546, du 2 juillet 1998, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1474AIG).
(16) De nombreuses études ont été consacrées à la réglementation française résultant de ces réformes. Voir notamment : S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, précité ; H. Le Nabasque, Programmes de rachat d'actions, Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2005, p. 38 ; R. Mortier, Le rachat d'actions en mouvement, Droit des sociétés, avril 2006, p. 5. Colloque, Le rachat d'actions, Actes pratiques - Ingénierie sociétaire, n° 83, septembre 2005.
(17) C. com., art. L. 225-209, alinéa 1er (N° Lexbase : L3762HBX).
(18) D. Kling, op. cit..
(19) Rapport de la délégation du Parlement français, n° E2762, mis à jour le 16 juin 2006.
(20) R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, thèse, Dalloz, 2003, n° 621 et s..
(21) Rapport de la délégation du parlement français, op. cit..
(22) C. com., art. L. 225-209, alinéa 6.
(23) S. Torck, La loi Breton et le rachat d'actions, Bull. Joly Bourse, n° 1, janvier 2006, p. 18.
(24) Article 20, § 2, de la Directive.
(25) La note d'information préalable visée par l'AMF a été supprimée et remplacée par un descriptif du programme dans le prospectus . Des rapports spéciaux relatifs au programme de rachat d'actions sont exigés, voir notamment les articles L. 225-209, alinéa 2, et L. 225-211, alinéa 2, (N° Lexbase : L8269GQC) du Code de commerce.
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