Réf. : Cass. soc., 21 septembre 2006, n° 05-41.155, M. Patrick Mader c/ Société Dekra Veritas automobiles (DVA), FP P+B+R+I (N° Lexbase : A2921DRM)
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N3452ALG
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Le seul risque d'un conflit d'intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. |
Décision
Cass. soc., 21 septembre 2006, n° 05-41.155, M. Patrick Mader c/ Société Dekra Veritas automobiles (DVA), FP P+B+R+I (N° Lexbase : A2921DRM) Cassation partielle partiellement sans renvoi (cour d'appel de Versailles, 6ème ch., 16 novembre 2004) Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) Mots clef : licenciement ; motif personnel ; cause réelle et sérieuse ; obligation contractuelle de bonne foi du salarié ; risque de conflit d'intérêts ; motif insuffisant Liens base : |
Faits
1. M. Mader, salarié en qualité de délégué régional de la région Ile de France Est ainsi que des DOM TOM de la société Dekra Veritas automobiles et chargé à ce titre de l'intégration au réseau de ladite société des centres de contrôle technique des véhicules, a été licencié pour faute grave le 31 juillet 2002. La lettre de licenciement lui fait grief d'avoir manqué à l'exécution de bonne foi du contrat de travail ainsi qu'à son obligation de loyauté en s'abstenant d'informer sa hiérarchie de ce que son épouse détiendrait une participation dans un centre nouvellement intégré au réseau, puis d'avoir omis de confirmer que la co-associée dudit centre était son épouse en sorte que "votre implication personnelle et familiale dans un centre de contrôle technique laisse supposer que vous avez favorisé ou que vous favoriserez ce partenaire au détriment des autres membres du réseau" et que "force est de constater que les obligations de discrétion et d'indépendance auxquelles vous devez impérativement souscrire ne sont plus assurées" et que la suspicion qui en résulte chez les partenaires de la société nuit gravement à celle ci. 2. La cour d'appel de Versailles a décidé que la rupture du contrat de travail de M. Mader était justifiée par la faute de celui ci constitutive d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. La Cour a relevé, d'une part, que le fait d'épouser une personne qui détient une participation financière dans une société commerciale ne peut être assimilé à la prise d'une telle participation et, d'autre part, qu'il n'était pas établi que le salarié aurait joué un rôle actif dans la société de son épouse. Mais la Cour a considéré que, même s'il n'est pas établi qu'il ait favorisé cette société au détriment des autres partenaires du réseau ni qu'il ait eu l'intention de le faire, au plus tard à compter du 2 octobre 2001, date de son mariage avec Mme Maréchal, il savait que cette dernière détenait la moitié du capital d'une société affiliée au réseau de son employeur qui devait ouvrir un centre de contrôle technique automobile dans le secteur géographique dont il avait la charge et dont il devait réaliser l'audit d'ouverture et que, compte tenu du risque évident de conflit d'intérêts que cette situation engendrait, il lui appartenait d'en aviser spontanément sa hiérarchie et de solliciter des instructions sur la conduite à tenir, de sorte qu'en s'abstenant de le faire il a failli à son obligation de loyauté. |
Solution
1. "Vu l'article L. 122-14-3 du Code du travail ; Attendu que le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs imputables à ce salarié" ; 2. "le seul risque d'un conflit d'intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement" ; "aucun manquement du salarié à l'obligation contractuelle de bonne foi n'était caractérisé" ; 3. la cour d'appel a violé le texte susvisé ; cassation sans renvoi. |
Commentaire
I - Le refus de consacrer un licenciement déguisé pour perte de confiance
L'article L. 122-14-3 du Code du travail dispose que le juge doit "apprécier [...] le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur". De cette formule désormais classique, la Cour de cassation a dégagé le principe selon lequel "la perte de confiance alléguée par l'employeur ne constitue pas en soi un motif de licenciement" (1). Par la suite, la formule s'est précisée. La Haute juridiction a ainsi indiqué que la "seule" perte de confiance ne pouvait être admise (2), avant d'affirmer que "la perte de confiance ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement même quand elle repose sur des éléments objectifs" et que "seuls ces éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l'employeur" (3).
Rapidement, les employeurs ont compris que la cause était perdue et ont modifié leur motivation en visant soit le trouble occasionné au bon fonctionnement de l'entreprise (4), soit la déloyauté du salarié (5). Depuis 2003, la Cour de cassation a manifesté, à plusieurs reprises, son désir de rendre moins étanche la frontière entre la vie personnelle du salarié et sa vie professionnelle, tout d'abord en considérant comme relevant également de la vie professionnelle des éléments issus de la vie personnelle, comme le retrait du permis de conduire, pour cause d'alcoolémie, d'un chauffeur de bus scolaire, justifiant un licenciement pour faute grave (6), ou la condamnation pour vol d'un cadre de banque et licencié pour faute grave et manquement à la probité (7).
C'est dans ce contexte qu'intervenait l'affaire soumise à l'examen de la Cour de cassation. Un salarié avait, en effet, été licencié pour n'avoir pas informé son employeur de son mariage avec une femme appartenant au réseau d'entreprise dont il avait la responsabilité, créant ainsi un risque de favoritisme. Tout en reconnaissant qu'on ne pouvait reprocher à un salarié le fait de se marier, la cour d'appel de Versailles avait admis la légitimité du licenciement, prononcé pour faute grave, après avoir relevé que "compte tenu du risque évident de conflit d'intérêts que cette situation engendrait, il lui appartenait d'en aviser spontanément sa hiérarchie et de solliciter des instructions sur la conduite à tenir, de sorte qu'en s'abstenant de le faire il a failli à son obligation de loyauté". C'est cet argument qui se trouve dans cette affaire balayé par la cassation de l'arrêt. Après avoir rappelé, au visa de "l'article L. 122 14 3 du Code du travail", que "le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs imputables à ce salarié", la Chambre sociale de la Cour de cassation a, en effet, considéré que "le seul risque d'un conflit d'intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement" et qu'"aucun manquement du salarié à l'obligation contractuelle de bonne foi n'était caractérisé". II - Une solution parfaitement justifiée
La première affirmation de la Cour concernant la nécessité de caractériser l'existence d'"éléments objectifs imputables à ce salarié" pour justifier le licenciement n'est, en soi, pas une nouveauté et avait déjà servi pour écarter le motif tiré de la perte de confiance (8). Cette exigence s'oppose logiquement à ce que l'employeur justifie le licenciement par de simples sentiments ou impressions personnels et lui impose d'établir l'existence de faits, matériellement vérifiables par le juge. Ainsi, "si l'énonciation dans la lettre de licenciement d'une incompatibilité d'humeur, sans autre précision, ne constitue pas un motif de licenciement, la mention de la perturbation du personnel et de la clientèle constitue un grief matériellement vérifiable qui peut être précisé et discuté devant les juges du fond, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (9). La référence à la "cause inhérente à la personne du salarié", pour définir ce que l'on entend habituellement par "motif personnel" de licenciement, n'est pas non plus une nouveauté, même si on la retrouve plus rarement dans les arrêts rendus ces dernières années (10). Si le principe posé de nouveau par l'arrêt est classique, les deux autres affirmations présentes dans l'arrêt sont, en revanche, inédites.
La Cour de cassation affirme, en premier lieu, de manière péremptoire, que "le seul risque d'un conflit d'intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement". Cette affirmation, totalement inédite, n'est pas sans rappeler d'autres formules tout aussi définitives, singulièrement lorsqu'il s'est agi d'éliminer le motif tiré de la perte de confiance (cf. supra), mais également dans d'autres hypothèses où la Haute juridiction entend poser une véritable norme interprétative sanctionnée, le cas échéant, comme c'était le cas en l'espèce, par une cassation pour violation de la loi, qu'il s'agisse d'affirmer que "la seule réorganisation de l'entreprise ne peut suffire à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement" (11) ; que "ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus par le salarié du poste de reclassement proposé par l'employeur en application de l'article L. 122-24-4 du Code du travail lorsque la proposition de reclassement emporte modification du contrat de travail" (12) ; que "le refus d'une modification [du contrat de travail] ne peut constituer à lui seul une cause réelle et sérieuse de licenciement" (13) ; "qu'une modification du contrat de travail, prononcée à titre de sanction disciplinaire, ne peut être imposée au salarié et qu'en conséquence son refus d'accepter cette modification, qui n'est pas fautif, ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement" (14) ; ou que "ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus par le salarié du poste de reclassement proposé par l'employeur en application de l'article L. 122-32-5 du Code du travail lorsque la proposition de reclassement emporte modification du contrat de travail" (15).
Cette affirmation mérite d'être totalement approuvée. Un salarié ne peut, en effet, être licencié qu'en raison d'une faute ou d'une cause avérée, et non en raison d'un risque de faute, ce qui équivaudrait à un licenciement "préventif", ou de précaution, qui ruinerait l'exigence même d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Toutes choses étant égales par ailleurs, la jurisprudence refuse également de mettre en cause la responsabilité civile en cas de simple exposition à un risque, et ce tant qu'aucun dommage n'a été causé (16). De ce point de vue, cet arrêt devrait être de nature à rassurer tous ceux qui craignaient un retour insidieux de la perte de confiance (17).
La Cour de cassation a enfin précisé qu'"aucun manquement du salarié à l'obligation contractuelle de bonne foi n'était caractérisé". Sur le fond, la solution n'est guère surprenante et s'évince d'ailleurs de l'affirmation précédente. Le salarié qui se marie ne manque pas à l'obligation de bonne foi en s'abstenant d'en informer son employeur, et ce même si ce mariage est de nature à poser problème dans l'entreprise compte tenu des relations professionnelles entretenues entre les époux. La solution est parfaitement logique, et ce pour au moins deux raisons. En premier lieu, le fait que ces deux personnes se soient mariées est sans signification particulière, le risque d'une confusion des genres existant bien avant le mariage, dès lors qu'elles vivaient ensemble ; le mariage n'y change strictement rien. En second lieu, les salariés eux-mêmes sont parfaitement en mesure de séparer leur vie personnelle et leur vie professionnelle sans que l'une n'interfère dans l'autre. Admettre que le salarié puisse être licencié, en l'absence de toute preuve tangible de favoritisme, serait porter gravement atteinte à la présomption de bonne foi dont doivent bénéficier tous les salariés et, plus largement encore, toute personne. C'est, en revanche, la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation fait formellement référence à l'existence d'une "obligation contractuelle de bonne foi". L'exigence de bonne foi n'est pas, en elle même, nouvelle. Elle figure dans l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), et s'applique au contrat par le jeu du renvoi de l'article L. 121-1, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL), et figure, depuis la loi du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), à l'article L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8). Si la bonne foi a souvent été opposée à l'employeur (18), c'est, en revanche, l'une des toutes premières fois que la Cour de cassation y fait référence s'agissant du salarié, la Haute juridiction préférant habituellement viser "l'obligation de loyauté auquel le salarié est tenu envers son employeur" (19). La référence à "l'obligation contractuelle de bonne foi" est très certainement à rattacher à un mouvement plus vaste de rappropriation par la Chambre sociale du vocabulaire civiliste afin de marquer son attachement à la figure du contrat de travail (20). Reste à déterminer si la Cour de cassation entendra désormais se référer exclusivement à l'obligation contractuelle de bonne foi du salarié, en lieu et place de l'obligation de loyauté, ou si elle continuera à viser ces deux obligations que l'on tient habituellement pour synonymes, la référence à la déloyauté étant alors réservée à des hypothèses où le salarié fait à son employeur une concurrence déloyale en cours de contrat (21). L'avenir nous le dira certainement.
Christophe Radé
(1) Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 87-40.184, Mme Fertray c/ Etablissements R Wagner et compagnie (N° Lexbase : A9039AAZ), D. 1991, p. 190, note J. Pélissier. |
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