La lettre juridique n°228 du 21 septembre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Précisions sur le champ d'application de la législation communautaire en matière de licenciement pour motif économique

Réf. : CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-187/05 à C-190/05, Georgios Agorastoudis e.a. c/ Goodyear Hellas ABEE (N° Lexbase : A9483DQB)

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N2938ALE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

L'importance des dispositions consacrées au licenciement pour motif économique dans le Code du travail français pourrait occulter le rôle du droit communautaire en la matière. Or non seulement le législateur français doit modifier régulièrement son droit national pour tenir compte des évolutions du cadre juridique de l'Union, mais le juge doit également interpréter son droit national à la lumière des arrêts de la Cour de justice, ce qui justifie pleinement que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg soit suivie de près. Dans un arrêt en date du 7 septembre 2006, qui concernait la conformité de la législation grecque en matière de licenciement économique (I), la Cour de justice nous livre une parfaite illustration de sa volonté d'élargir autant que possible le champ d'application des Directives relatives au licenciement pour motif économique (II).
Résumé

La Directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, est applicable en cas de licenciements collectifs résultant de la cessation définitive du fonctionnement d'une entreprise ou d'une exploitation, décidée à la seule initiative de l'employeur, en l'absence d'une décision de justice préalable.

Décision

CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-187/05 à C-190/05, Georgios Agorastoudis e.a. c/ Goodyear Hellas ABEE (N° Lexbase : A9483DQB)

Question préjudicielle

Textes concernés : article 1er, paragraphe 2, sous d), de la Directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L8301HNR, JO L 48, p. 29) ; Directive 92/56/CEE du Conseil, du 24 juin 1992 (N° Lexbase : L3818HP4, JO L 245, p. 3)

Mots clef : licenciement pour motif économique ; champ d'application de la Directive 75/129 ; exclusion des cessations d'activités déclarées judiciairement ; portée ; application de la Directive à la cessation volontaire d'activité

Liens base :

Solution

1° La notion de "licenciement" doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement (§ 28).

La liste des dérogations communautaire à l'application de la Directive doit être interprétée strictement (§ 29).

La quatrième dérogation concernant l'hypothèse où la cessation des activités de l'établissement "résulte d'une décision de justice" doit être interprétée en ce sens que la non application de ladite Directive est permise uniquement lorsque la cessation des activités de l'établissement résulte d'une décision de justice, par exemple, de jugements prononçant la faillite ou la dissolution d'une entreprise (§ 31).

Dans tous les autres cas, notamment lorsque la cessation définitive des activités de l'entreprise concernée résulte de la seule volonté de l'employeur et qu'elle repose sur des appréciations de nature économique ou autres, les obligations de celui-ci, découlant de la Directive 75/129, restent entières (§ 32)

2° La Directive 75/129 doit être interprétée en ce sens qu'elle est applicable en cas de licenciements collectifs résultant de la cessation définitive du fonctionnement d'une entreprise ou d'une exploitation, décidée à la seule initiative de l'employeur, en l'absence d'une décision de justice préalable, sans que la dérogation prévue à l'article 1er, paragraphe 2, sous d), de cette Directive puisse en écarter l'application.

Commentaire

I - L'objet de la question préjudicielle

  • Teneur du droit communautaire en matière de licenciement pour motif économique

Le droit communautaire s'est très tôt intéressé au licenciement économique pour imposer le principe de l'information/consultation des représentants du personnel et de l'autorité administrative (Directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs, modifiée par la Directive 92/56/CEE du Conseil, du 24 juin 1992, et remplacée par la Directive n° 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 N° Lexbase : L9997AUS).

La Directive 75/129 définissait de manière très large le motif économique comme celui qui est "non-inhérent" à la personne des travailleurs, de manière à appliquer le plus possible les procédures d'information et de consultation des représentants des salariés.

Elle autorisait, toutefois, un certain nombre de dérogations (art. 1-2) qui concernait les "licenciements collectifs effectués dans le cadre de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, sauf si ces licenciements interviennent avant le terme ou l'accomplissement de ces contrats" (a), les "travailleurs des administrations publiques ou des établissements de droit public (ou, dans les Etats membres qui ne connaissent pas cette notion, des entités équivalentes)" (b), les "équipages de navires de mer" (c) ainsi que "les travailleurs touchés par la cessation des activités de l'établissement lorsque celle-ci résulte d'une décision de justice" (d).

Cette dernière faculté générale de dérogation, qui concerne l'hypothèse d'une cessation d'activité résultant d'une décision de justice, a été modifiée par la Directive 92/56 du 24 juin 1992, cette faculté n'existant plus pour la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel et n'étant maintenue que pour l'obligation faite à l'employeur d'informer l'autorité administrative compétente.

C'est pourtant sur la portée de cette exclusion des "travailleurs touchés par la cessation des activités de l'établissement lorsque celle-ci résulte d'une décision de justice" que portait la question préjudicielle émanant d'une juridiction grecque.

Dans cette affaire, la Grèce avait transposé la Directive en 1983 (loi n° 1387/1983) en usant de la dérogation prévue par l'article 1-2 d), mais n'avait pas modifié sa législation nationale après l'adoption de la Directive 92/56 comme elle aurait dû le faire avant le 24 juin 1994.

  • L'affaire

Le 19 juillet 1996, l'assemblée générale des actionnaires de la société mère Goodyear, établie aux Etats-Unis, a décidé l'interruption de l'activité industrielle et la cessation définitive de l'activité de l'usine de Thessalonique à compter du 22 juillet 1996, entraînant la perte d'emploi de 340 personnes. Se fondant sur les termes de la loi Grecque qui dispensait l'employeur de toutes les procédures d'information lorsque la cessation d'activité résultait d'une décision de justice, l'entreprise n'avait pas mis en oeuvre les procédures légales. Saisie en cassation des actions engagées par les salariés, la Haute juridiction grecque avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Luxembourg une question préjudicielle visant à déterminer si la dérogation prévue à l'article 1-2 d) pouvait être invoquée lorsque l'employeur décide, de sa propre volonté et sans décision de justice, de cesser toute activité.

  • La solution

Faisant une application stricte de la Directive, la Cour apporte une réponse négative à la question posée et limite la faculté de dérogation à la seule hypothèse d'une cessation d'activité décidée judiciairement et impose le respect des procédures du licenciement économique en cas de cessation volontaire d'activité, au terme d'un raisonnement incontestable et riche d'enseignements.

II - Une conception large du champ d'application de la Directive

  • Une législation grecque non conforme

Le premier argument qui justifiait la réponse apportée à la question, et qui aurait d'ailleurs pu être suffisant, est que le point d) litigieux a été supprimé par la Directive 92/56, applicable à compter du 24 juin 1994. La cessation d'activité en cause ayant été décidée en 1996, les juridictions grecques auraient dû d'elle-même écarter toute possibilité d'envisager l'application de la faculté de dérogation encore permise dans leur droit national pour assurer le respect de la Directive (en ce sens, CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01, Bernhard Pfeiffer et a. N° Lexbase : A5431DDI, Rec. p. I-8835, point 113).

  • Une interprétation littérale de la faculté de dérogation

Le deuxième argument, tout aussi décisif, est que la faculté de dérogation présente dans la loi grecque, reprenant en cela les propres termes de la Directive, ne mentionnait que l'hypothèse d'une cessation judiciaire de l'activité, et nullement d'une cessation volontaire (§ 25). Or compte tenu de l'objectif de la Directive, qui est de "renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs", (voir CJCE, 7 décembre 1995, aff. C-449/93, Rockfon N° Lexbase : A0067AWE, Rec. p. I-4291, point 29, et CJCE, 17 décembre 1998, aff. C-250/97, Lauge e.a. N° Lexbase : A0509AWR, point 19), et de la méthode d'interprétation téléologique mise en oeuvre classiquement par la Cour, aucune extension de cette hypothèse par voie d'interprétation amplifiante n'était possible.

La solution est plus que nécessaire car permettre à l'employeur d'échapper à l'application du droit du licenciement pour motif économique en cessant volontairement son activité lui permettrait trop facilement de contourner la loi en anticipant sur une éventuelle procédure judiciaire, et favoriserait ainsi les délocalisations massives, en cause dans cette affaire comme dans d'autres.

  • Une conception large de la notion de licenciement pour motif économique

Le troisième argument qui justifie la solution retenue tient à la définition même du licenciement pour motif économique qui s'entend de manière très large comme "toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement" (CJCE, 12 octobre 2004, aff. C-55/02, Commission c/ Portugal N° Lexbase : A5657DDU, Rec. p. I-9387, points 49 et 50).

Cette définition large désigne alors le licenciement économique moins comme la qualification applicable à la résiliation unilatérale du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, que comme le régime juridique applicable à la rupture du contrat de travail ne résultant pas d'une démission, comme cela a été montré depuis longtemps en droit français (notre thèse Droit du travail et responsabilité civile, Bibl. dr. privé n° 282, LGDJ, 1997, sp. n° 188). C'est d'ailleurs en ce sens qu'a été modifié l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3227DCI) en 1992 (loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 N° Lexbase : L7461AI8) pour imposer très largement l'application du livre III "à toute rupture du contrat de travaillant résultant" d'une cause économique, qu'elle que soit la forme prise par cette rupture.

On pourrait d'ailleurs se demander ici si une modification de ce texte, pour exclure les ruptures négociées du champ du livre III, comme cela avait été proposé au moment des débats qui ont accompagné le vote de la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 N° Lexbase : L6384G49), ne serait pas contraire au droit communautaire. Que vaudrait en effet le "consentement" des salariés sommés de choisir entre un licenciement et un départ "volontaire" de l'entreprise, au regard des objectifs du droit communautaire ?

La Cour a par ailleurs rappelé ici, comme elle avait eu l'occasion de le faire à de nombreuses reprises, que l'objectif de la législation européenne n'est pas d'interdire à l'employeur de licencier, et de porter ainsi atteinte au principe de la liberté d'entreprendre, mais seulement de procéder à l'information des représentants du personnel et de l'autorité administrative (CJCE, 12 février 1985, aff. C-284/83, Nielsen & Søn N° Lexbase : A7965AUK, Rec. p. 553, point 10), ce qui justifie pleinement une application très large des procédures d'information et de consultation des représentants du personnel.

  • Questions de conformité du droit français

Reste à déterminer si la législation française est conforme à la jurisprudence de la Cour.

La réponse à cette question est assurément positive.

En premier lieu, la France a limité l'exclusion du droit commun du licenciement pour motif économique aux seules hypothèses de redressement ou de liquidation judiciaire (C. trav., art. L. 321-9 s. N° Lexbase : L0043HDX), et encore en garantissant aux salariés et aux représentants du personnel le respect d'un certain nombre de garanties, ainsi qu'aux fins de chantier (C. trav., art. L. 321-12 N° Lexbase : L6125ACT).

En dehors de ces hypothèses, au demeurant très limitées, la Cour de cassation a naturellement fait application du livre III toutes les fois que la rupture de contrats de travail résultaient de causes non-inhérentes à la personne du salarié, peu important les conditions dans lesquelles ces ruptures avaient pu avoir lieu. C'est, en effet, la présence de l'adverbe "notamment" dans la définition des causes économiques des suppressions ou transformations d'emploi, ou des modifications du contrat de travail, qui permet d'élargir le champ d'application de la législation en matière de licenciement pour motif économique (sauvegarde de la compétitivité, non renouvellement du bail commercial, décès de l'employeur), seul comptant, finalement, et comme le souligne la Cour de justice dans cet arrêt, le fait que la rupture du contrat de travail résulte d'un motif étranger à la personne du salarié.

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