Réf. : Décret n° 2006-966, 1er août 2006, relatif au conjoint collaborateur (N° Lexbase : L4523HKQ)
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le 07 Octobre 2010
La définition des conjoints salarié et associé ne faisant guère de difficultés, au moins d'un point de vue théorique, restait à préciser celle de conjoint collaborateur. Tel est l'objet de l'article 1er du décret qui dispose qu'"est considéré comme conjoint collaborateur le conjoint d'un chef d'une entreprise commerciale, artisanale ou libérale, qui exerce une activité professionnelle régulière dans l'entreprise sans percevoir de rémunération et sans avoir la qualité d'associé au sens de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ)". Il ne peut ainsi être opté pour le statut de conjoint collaborateur qu'à la double condition d'exercer une activité professionnelle régulière dans l'entreprise et de ne pas percevoir de rémunération.
S'agissant de la première condition, l'article 2 du texte sous examen souligne qu'"en vue de l'application de l'article L. 121-4 du Code de commerce, les conjoints qui exercent à l'extérieur de l'entreprise une activité salariée d'une durée au moins égale à la moitié de la durée légale du travail, ou une activité non salariée, sont présumés ne pas exercer dans l'entreprise une activité professionnelle de manière régulière". Il faut, ici, rappeler que l'article L. 121-4 du Code de commerce n'impose au conjoint le choix de l'un des statuts prévus que s'il exerce dans l'entreprise familiale une activité professionnelle de manière régulière.
Toute la difficulté est de déterminer ce qu'est une activité professionnelle régulière ou, plus exactement, à partir de quel moment une activité professionnelle devient régulière. Ainsi, et pour ne prendre qu'un seul exemple, le conjoint qui, chaque semaine, porte à la banque les chèques reçus par le chef d'entreprise exerce-t-il une activité professionnelle régulière au sein de cette dernière ? Sans doute peut-on apporter à cette question une réponse négative, mais il reste que, au-delà de ce cas, nombres de situations prêteront à discussion. De même, si l'exercice d'une activité salariée à mi-temps ou d'une activité non-salariée à l'extérieur de l'entreprise familiale fait présumer, en application du texte précité, l'absence d'activité professionnelle régulière au sein de celle-ci, il ne s'agit que d'une présomption simple.
En d'autres termes, il y a tout lieu de penser que c'est au juge que reviendra le soin de déterminer si le conjoint exerçait (4) une activité professionnelle régulière au sein de l'entreprise. En admettant que tel ait été le cas, et faute pour le conjoint d'avoir perçu une rémunération, le juge sera alors conduit a priori à décider que celui-ci aurait dû avoir le statut de conjoint collaborateur. Une telle issue n'a cependant rien d'inéluctable. Il faut, en effet, souligner que la Chambre criminelle n'a pas hésité à retenir la dissimulation d'emploi salarié dans l'hypothèse où un conjoint avait participé à l'entreprise de son époux à titre professionnel et habituel, en l'absence de toute rémunération (Cass. crim., 22 octobre 2002, n° 02-81.859, F-P+F N° Lexbase : A0440A43, Bull. crim., n° 192 ; JCP éd. E, 2004, p. 330, note C. Pomart ; Rev. sc. Crim. 2003, p. 804, obs. G. Giudicelli-Delage). Il faut donc comprendre que le fait de ne pas percevoir une rémunération n'est nullement exclusif de la qualification de conjoint salarié.
En définitive, si on doit savoir gré au législateur d'avoir voulu conforter la situation du conjoint participant de manière régulière à l'activité de son époux, le dispositif mis en place présente de nombreuses lacunes. Outre les questions précédemment évoquées, il faut encore souligner que si un choix doit être nécessairement opéré entre les trois statuts, aucune sanction n'a été prévue en l'absence de choix. C'est donc le juge qui devra, là encore, procéder à la qualification de la situation, au risque pour le chef d'entreprise de se voir condamné pour travail dissimulé...
Ainsi qu'il l'avait été affirmé lors des débats parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 2 août 2005, "l'objectif du gouvernement est de réserver le statut du conjoint collaborateur aux petites sociétés n'ayant pas les moyens financiers de donner au conjoint du chef d'entreprise un statut de salarié, compte tenu du coût en résultant, en terme de charges sociales notamment" (G. Cornu, Rapport au nom des Affaires économiques du Sénat, p. 71). A cela, on ajoutera prosaïquement qu'il en va également de l'intérêt du conjoint, qui est légitimement en droit de prétendre à une rémunération pour le travail fourni, dès lors que celle-ci est possible.
A ce titre l'article L. 121-4, II du Code de commerce réserve le statut de conjoint collaborateur au conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d'une société à responsabilité limitée ou d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée répondant à des conditions de seuils. Tel est le sens de l'article 3 du décret du 1er août 2006 qui dispose que "le statut de conjoint collaborateur est ouvert au conjoint du chef d'une entreprise dont l'effectif n'excède pas vingt salariés" et que "l'appréciation de l'effectif est effectuée conformément aux articles L. 117-11-1 (N° Lexbase : L5421ACR) et L. 620-10 (N° Lexbase : L3112HI4) du Code du travail". On peut se demander s'il n'aurait pas été plus logique de fixer un seuil en terme de chiffre d'affaires, en lieu et place d'un simple seuil d'effectif. Il n'est en effet guère besoin de souligner qu'une société de moins de vingt salariés peut faire des bénéfices bien plus substantiels qu'une société d'une taille plus conséquente.
Toujours est-il que l'article 4 du décret prévoit que lorsque, sur une période de vingt-quatre mois consécutifs, l'effectif salarié dépasse le seuil précité, le chef d'entreprise doit, dans les deux mois, demander la radiation de la mention du conjoint collaborateur (5). A quoi on ajoutera que le chef d'entreprise doit alors conclure avec son époux un contrat de travail en bonne et due forme, pour peu que ce dernier continue d'exercer une activité professionnelle régulière dans la société. N'oublions pas, en effet, que le conjoint reste alors tenu d'opter pour l'un des statuts prévus. Celui de conjoint collaborateur étant exclu, et sauf à faire entrer le conjoint dans la communauté des associés, seul reste ouvert le statut de conjoint salarié.
2 - Publicité de l'option
Afin qu'il n'y ait aucun doute quant au choix du statut choisi par le conjoint du chef d'entreprise, celui-ci doit faire l'objet d'une publicité que le décret du 1er août 2006 décline de la façon suivante.
Tout d'abord, et en application de l'article 5 du décret, le centre de formalités des entreprises reçoit, dans les conditions prévues par le décret du 19 juillet 1996 :
- dans le dossier unique de déclaration de création de l'entreprise, la déclaration de l'option choisie, le cas échéant, par le conjoint du chef d'entreprise en application du I de l'article L. 121-4 du Code de commerce ;
- la déclaration modificative portant mention que le conjoint exerce une activité professionnelle régulière dans l'entreprise sans percevoir de rémunération et sans avoir la qualité d'associé au sens de l'article 1832 du Code civil dans les deux mois à compter du respect de ces conditions ;
- la déclaration de radiation du conjoint collaborateur lorsque celui-ci cesse de remplir les conditions permettant le choix de ce statut, dans les deux mois à compter de la cessation du respect de ces conditions.
Le centre de formalités des entreprises notifie au conjoint collaborateur la réception de la déclaration d'option du statut de conjoint collaborateur et des déclarations de modification ou de radiation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (art. 5 du décret). Enfin, l'article 9 du décret précise que pour les conjoints collaborateurs de chefs d'entreprise non déclarés à la date de publication du décret, la déclaration de l'option choisie ou la déclaration modificative doit être faite au plus tard le premier jour du quatrième trimestre civil suivant cette date.
L'article 6 du décret du 1er août 2006 vient modifier l'article 14 du décret n° 98-247 du 2 avril 1998 (N° Lexbase : L1473AIE), qui dispose désormais que "le conjoint collaborateur d'une personne physique, du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d'une société à responsabilité limitée immatriculée au répertoire des métiers qui remplit les conditions fixées par les articles 1er et 2 du décret n° 2006-966 du 1er août 2006 relatif au conjoint collaborateur fait l'objet d'une mention à ce répertoire".
Désormais, dans la demande d'immatriculation des sociétés, devra être déclaré le conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d'une société à responsabilité limitée ou d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée dans les conditions définies par le décret du 1er août 2006 relatif au conjoint collaborateur (art. 7 du décret, modifiant l'article 15 du décret n° 84-406 du 30 mai 1984 N° Lexbase : L6533BHG).
Enfin, le 1° de l'article 27 du décret du 30 mai 1984 est modifié afin de réserver la demande d'inscription comme conjoint collaborateur au seul assujetti.
Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
(1) Le législateur a, en outre, précisé les droits sociaux du conjoint travaillant dans l'entreprise familiale (Pour plus de détails sur cette question, v. notre art., Les dispositions à caractère social de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, Bull. Joly Sociétés 2005, § 242).
(2) Décret n° 2006-966 du 1er août 2006 relatif au conjoint collaborateur (JO du 3 août 2006, p. 11580).
(3) L'option pour l'un des trois statuts n'est donc pas ouverte au concubin ou au partenaire de Pacs. A supposer qu'il s'agisse d'un oubli du législateur, celui-ci ne peut qu'être regretté.
(4) L'emploi du passé est ici de rigueur dans le mesure où, bien souvent, le litige surgira postérieurement à la dissolution du lien matrimonial ou à la disparition de l'entreprise.
(5) Conformément aux prescriptions de l'article L. 121-4, II du Code de commerce, le choix effectué par le conjoint du gérant associé majoritaire de bénéficier du statut de conjoint collaborateur est porté à la connaissance des associés lors de la première assemblée générale suivant la mention de ce statut auprès des organismes habilités à enregistrer l'immatriculation de l'entreprise.
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