Réf. : Cass. soc., 21 juin 2006, n° 04-30.664, Société l'Hygiène médicale c/ M. Frédéric Boutot, FS-P+B (N° Lexbase : A9867DP7)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace
le 07 Octobre 2010
Résumé
La victime d'une contamination du VIH peut rapporter par d'autres moyens que ceux prévus par le décret n° 93-74 du 18 janvier 1993 (N° Lexbase : L3140AI7), la preuve de ce que l'accident dont il a été victime est la cause de sa contamination. |
Décision
Cass. soc., 21 juin 2006, n° 04-30.664, Société l'Hygiène médicale c/ M. Frédéric Boutot, FS-P+B (N° Lexbase : A9867DP7) Rejet (CA Bordeaux, 2 juillet 2004, chambre sociale, section C) Texte visé : Décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, portant modification du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail (N° Lexbase : L3140AI7) Liens base : |
Faits
1. M. Boutot, salarié de la société l'Hygiène médicale Actiface, en qualité de chauffeur collecteur, a déclaré avoir été contaminé accidentellement par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), à l'occasion d'un contact avec une seringue demeurée dans un broyeur à ordure qu'il était chargé de nettoyer ; 2. la caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge sa contamination au titre des accidents du travail, en faisant valoir que n'avait pas été pratiqué, dans le délai de sept jours prévu par le décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, un test visant à déterminer son statut sérologique au regard de la contamination par le VIH ; 3. M. Boutot a saisi la juridiction de sécurité sociale d'un recours. Par un arrêt rendu le 2 juillet 2004 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section C) reconnaît que la contamination du VIH a joué un rôle causal dans la maladie dont la qualification de maladie professionnelle doit dès lors être reconnue ; 4. Rejet du pourvoi formé par l'employeur. |
Solution
L'inobservation des dispositions du décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, portant modification du barème indicatif d'invalidité en matière d'accident du travail, qui ne sont pas prescrites à peine d'irrecevabilité de la demande en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, ne fait pas obstacle à ce que la victime puisse rapporter par d'autres moyens la preuve de ce que l'accident dont il a été victime est la cause de sa contamination. |
Commentaire
I - Le régime général de la contamination d'une maladie par seringue, au regard de la qualification de maladie professionnelle La loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 (art. 98 N° Lexbase : L5043A8B) a mis en place un Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Il a été créé par un décret du 29 avril 2002, pris en application de l'article L. 1142-22 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8857GT9) créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (décret n° 2002-638 du 29 avril 2002 N° Lexbase : L5061AZH).
L'ONIAM est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale (dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1 N° Lexbase : L8853GT3, à l'article L. 1142-1-1 N° Lexbase : L4435DLT et à l'article L. 1142-17 N° Lexbase : L4429DLM du Code de la santé publique) : L'offre d'indemnisation adressée à la victime ou, en cas de décès, à ses ayants droit est présentée par le directeur de l'ONIAM, sur avis conforme d'une commission d'indemnisation. L'offre indique l'évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, nonobstant l'absence de consolidation ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime ou à ses ayants droit, et plus généralement des prestations et indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice. L'acceptation de l'offre de l'ONIAM par la victime vaut transaction au sens de l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE). Jusqu'à concurrence de l'indemnité qu'il a payée, l'ONIAM est subrogé dans les droits et actions de la victime contre les responsables du dommage (C. santé pub., art. L. 3111-9 N° Lexbase : L8298GTI). II - Règles spécifiques de la contamination du VIH : décret n° 93-74 du 18 janvier 1993 La présomption d'imputabilité signifie que tout accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé bénéficier de la qualification juridique d'accident du travail (et aussi de maladie professionnelle), sans que la victime, contrairement au droit commun de la responsabilité civile, ne supporte la charge de la preuve. En contrepartie, la réparation est forfaitaire, et non intégrale (principe dit du 'compromis de 1898'). La transmission du virus du SIDA met à mal le bénéfice de cette présomption d'imputabilité, car elle peut être aussi bien due aux conditions de travail qu'à la vie personnelle menée par la victime. Pour régler cette difficulté, le pouvoir réglementaire a posé des règles simples destinées à contourner de telles difficultés (A). Mais la Cour de cassation autorise la victime à se prévaloir du principe de l'imputabilité, alors même que les conditions posées par le décret du 18 janvier 1993 ne sont pas respectées. La solution est bien sûr favorable aux victimes, mais la solution s'impose : par principe, la contamination est réputée être due aux conditions de travail, non aux accidents de la vie personnelle du salarié.
En l'espèce, la caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge sa contamination au titre des accidents du travail, en faisant valoir que n'avait pas été pratiqué, dans le délai de sept jours prévu par le décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, un test visant à déterminer son statut sérologique au regard de la contamination par le VIH. L'employeur, qui se pourvoyait en cassation, invoquait qu'aux termes du décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, si l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine est prise en charge au titre de la législation des accidents du travail comme conséquence d'un fait accidentel se produisant aux temps et lieu de travail et contaminant eu égard aux circonstances dans lesquelles il survient, il est nécessaire, pour que la séroconversion puisse être rattachée à l'accident, qu'avant le huitième jour qui a suivi celui-ci une sérologie négative ait été constatée et qu'à intervalle et dans un délai fixé par arrêté de même date, un suivi sérologique de la victime ait été réalisé. Aussi, pour l'employeur, il résulte a contrario de ces prescriptions impératives qu'à défaut, la séroconversion ne peut être rattachée à l'accident ni, partant, être prise en charge au titre de la législation des accidents du travail. Il faut rappeler que le décret du 18 janvier 1993 (art. 1er) a ajouté au barème indicatif d'invalidité (mentionné à l'article R. 434-35 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L0811HHI et à l'art. 29 § I du décret du 29 juin 1973 N° Lexbase : L7636G9P) des dispositions spécifiques liées à l'apparition du virus du SIDA dans les années 1980, influençant nécessairement la législation sur les accidents du travail. Le pouvoir réglementaire a retenu comme principe qu'en cas d'infection par le virus de l'immunodéficience humaine, la prise en charge au titre de la législation des accidents du travail n'est envisagée uniquement comme conséquence d'un fait accidentel se produisant aux temps et lieu de travail et contaminant eu égard aux circonstances dans lesquelles il survient (par exemple, piqûre avec une aiguille souillée, projection inopinée de sang ou de liquides biologiques contaminés sur une muqueuse ou sur une plaie). Le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité (CSS, art. L. 434-2, alinéa 1er N° Lexbase : L5264ADC). En outre, le décret du 18 janvier 1993 précise que l'évaluation de l'incapacité permanente tient compte des conséquences cliniques et psychologiques de la séroconversion et du taux sanguin de lymphocytes CD4 du patient. La date de séroconversion peut être retenue comme date de consolidation initiale. Lorsque la sérologie VIH est positive, c'est-à-dire comprise entre 20 à 40 %, pour que la séroconversion puisse être rattachée à l'accident, il est nécessaire qu'avant le huitième jour qui a suivi celui-ci une sérologie négative ait été constatée et qu'à intervalle, et dans un délai fixé par arrêté signé des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale, un suivi sérologique de la victime ait été réalisé. C'est exactement la situation rencontrée par la victime dans l'arrêt rapporté. Enfin, lorsque le déficit immunitaire associé à l'infection par le VIH se traduisant par un taux de lymphocytes CD 4 compris entre 200 et 350 par millimètre cube (de 40 à 60 %) ou un taux de lymphocytes CD 4 inférieur à 200 par millimètre cube (de 60 à 100 %), ce déficit immunitaire doit être affirmé par deux examens successifs pratiqués à un mois d'intervalle.
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi formé par l'employeur, reconnaît bien à la maladie contractée par un salarié (VIH) le caractère de maladie professionnelle, laquelle s'était bien produit au temps et au lieu de travail. En effet, le régime probatoire propre à la contamination du VIH, tel que défini par le décret du 18 janvier 1993, n'exclut pas du tout que le salarié victime d'une telle maladie dans de telles conditions, puisse supporter lui-même la charge de la preuve des conditions de la contamination, alors même qu'un décret paraissait faire obstacle à un tel renversement de la charge de la preuve. Pour la Cour de cassation, l'inobservation des dispositions du décret n° 93-74 du 18 janvier 1993, qui ne sont pas prescrites à peine d'irrecevabilité de la demande en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, ne fait pas obstacle à ce que la victime puisse rapporter par d'autres moyens la preuve de ce que l'accident dont il a été victime est la cause de sa contamination. La victime pourra utilement se prévaloir d'une jurisprudence civile récente, très proche de l'espèce rapportée. L'employé d'un service de ramassage des ordures, imputant sa contamination par le virus d'immunodéficience humaine à la piqûre d'une aiguille de seringue déposée dans un sac poubelle provenant d'un immeuble, il a été déduit l'existence d'un lien de causalité certain entre cette contamination et les fautes commises par le syndicat des copropriétaires et un médecin exerçant dans l'immeuble. La Cour de cassation a relevé que, selon les experts médicaux, rien ne permettait d'exclure que la contamination soit due à la piqûre subie ; les circonstances de l'accident et l'évolution de la contamination établissaient des présomptions suffisamment graves précises et concordantes pour imputer la contamination à la piqûre ; si les seringues provenaient bien des déchets médicaux du médecin incorporés aux ordures ménagères des autres copropriétaires, l'accident ne se serait pas produit si les ordures ménagères de l'immeuble avaient été laissées dans le bac prévu à cet effet, pour être enlevées dans des conditions excluant toute manipulation autre que le bac lui-même (Cass. civ. 2, 2 juin 2005, n° 03-20.011, FS-P+B N° Lexbase : A5118DIE, Bull. civ. II n° 146 p. 131). En tout état de cause, même si la charge de la preuve peut être supportée par la victime, parce que les conditions d'application du décret du 18 janvier 1993 ne sont pas remplies, le juge pourra solliciter l'avis d'un expert, permettant de confirmer l'imputabilité. Là encore dans une affaire très proche, la Cour de cassation a relevé que la victime d'un accident du travail à la suite duquel il a subi une transfusion sanguine, consolidé en octobre 1985, avait demandé que soit prise en charge, au titre de la législation professionnelle, la séropositivité VIH avec thrombopénie découverte chez lui en février 1988. Le juge du fond avait conclu que l'avis de l'expert, selon lequel la pathologie considérée est la conséquence directe et indiscutable de l'accident du travail, ne s'impose pas. Mais, selon la Cour de cassation, s'agissant d'une difficulté d'ordre médical dont dépendait la solution du litige, et si le juge du fond estimait que les conclusions de l'expert technique n'étaient pas claires et précises, il lui appartenait d'ordonner un complément d'expertise, à défaut de quoi l'avis de l'expert s'imposait aux parties qui n'avaient formé aucune demande de nouvelle expertise (Cass. soc., 18 janvier 1996, n° 93-19.017, M. Antoine Romero c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône, service contentieux et autres, inédit au bulletin N° Lexbase : A2191CW3). |
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