La lettre juridique n°223 du 13 juillet 2006 : Fonction publique

[Evénement] Reprise d'une activité privée par une collectivité publique et transfert de personnel

Réf. : Loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA)

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[Evénement] Reprise d'une activité privée par une collectivité publique et transfert de personnel. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208463-evenement-reprise-dune-activite-privee-par-une-collectivite-publique-et-transfert-de-personnel
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le 07 Octobre 2010

La question n'est pas nouvelle, pas plus que les réponses apportées : l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), les Directives de 1977 (1) et 2001 (2), admettent de concert le maintien de plein droit des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise. Cependant, le principe, confirmé à maintes reprises par la jurisprudence, tant de la CJCE, que de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat, a été intégré plus récemment par le législateur en droit public par la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), consacrant, ainsi, l'application de l'article L. 122-12 aux hypothèses de reprise d'une activité privée (3) par une collectivité publique. L'occasion, pour Maître Jacques Bazin, avocat, Cabinet Molas et associés, de rappeler, à l'occasion de la conférence "Toute l'actualité RH de la fonction publique", organisée par Comundi les 1er et 2 juin derniers, quelles évolutions, tant législatives que jurisprudentielles (I) ont permis d'aboutir à l'article 20 de la loi du 26 juillet 2005, assurant aux personnels de droit privé concernés par le transfert de l'entité le maintien des droits qu'ils tenaient de leur contrat (II). I. Rappel du droit antérieur à la loi du 26 juillet 2005

Jusqu'en 2000, il était impossible, pour une collectivité, de reprendre le personnel provenant des structures de droit privé. Il fallait, donc, d'une part, que l'association licencie, avec indemnités, et, d'autre part, que la collectivité recrute. Cette pratique engendrait logiquement un coût élevé de la procédure. Si certains parvenaient à négocier avec les autorités de tutelle, afin d'alléger les coûts de ces procédures de transfert, d'autres ont préféré attendre l'intervention du législateur qui, progressivement, a été conduit à organiser ces procédures. Ainsi, la loi "Chevènement", concernant le secteur des collectivités locales, a-t-elle permis de proposer aux agents recrutés à la suite d'un transfert, des CDD de droit public (loi n° 99-586, 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale [LXB=L1827ASH ]). L'évolution se trouvait, ainsi, amorcée.

La remise en cause de l'impossibilité de transférer des personnels de droit privé dans une collectivité publique est, par la suite, intervenue en deux temps :

- un arrêt de la CJCE, du 26 septembre 2000 (CJCE, du 26 septembre 2000, aff. C-175/99, Didier Mayeur c/ Association Promotion de l'information messine (APIM) N° Lexbase : A7227AH7), va, dans un premier temps, reconnaître que les droits des travailleurs sont protégés par le droit communautaire en cas de transfert d'une association privée vers une commune. Ainsi, le transfert de l'activité d'information et de publicité d'une association de droit privé vers une commune ne peut pas être la cause du licenciement d'un salarié. En l'espèce, le requérant, salarié d'une association privée à but non lucratif, a été licencié, à la suite de la dissolution de l'association et de la reprise de ses activités par la ville de Metz, pour cessation d'activité. Il saisit, alors, le conseil des prud'hommes afin de faire constater le caractère abusif de son licenciement. Après avoir noté que la jurisprudence de la Cour de cassation française n'appliquait pas la Directive communautaire relative au maintien des droits des travailleurs (Directive (CE) 77/187 du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements N° Lexbase : L4352GUQ), lorsque les transferts d'activité ont lieu vers des établissements publics administratifs, il interroge la CJCE afin de préciser si la Directive s'applique lors d'un transfert d'activité réalisé par une personne morale de droit privé, vers une personne morale de droit public. La Cour de justice considère, en l'espèce, qu'un transfert d'activité vers un organisme de droit public -même si l'activité en cause est de nature administrative- n'exclut pas l'application du droit communautaire concerné.

- un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 01-43.467, AGS de Paris c/ M. Yves Hamon N° Lexbase : A0029AZ4) va, dans un second temps, opérer un revirement de jurisprudence et s'aligner sur la jurisprudence communautaire en considérant que "la seule circonstance que le cessionnaire soit un établissement public à caractère administratif lié à son personnel par des rapports de droit public ne peut suffire à caractériser une modification dans l'identité de l'entité économique transférée". Désormais, donc, l'article L. 122-12 du Code du travail, qui prévoit que, s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise (N° Lexbase : L5562ACY), s'applique à toutes les personnes publiques, qu'elles gèrent un service public industriel et commercial (SPIC) (4) ou un service public administratif (SPA).

Les collectivités publiques se sont, ainsi, retrouvées face à une nouvelle difficulté, celle du personnel à réintégrer. Le rapport Pochard, rendu par le Conseil d'Etat en 2002, apporte certains éléments de réflexion et pose une question essentielle : que doit-il se passer lorsque la collectivité publique est dans l'impossibilité de recruter ? Si elle ne peut pas proposer de contrat de droit public, peut-elle licencier ?

La réponse a été apportée par le Conseil d'Etat. Les juges du Palais-Royal décident, en effet, dans un arrêt du 22 novembre 2004, que "lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise par une personne publique gérant un service public administratif, il appartient à cette dernière, en l'absence de dispositions législatives spécifiques, et réserve faite du cas où le transfert entraînerait un changement d'identité de l'entité transférée, soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat dans la mesure, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt n° C-175/99 du 26 septembre 2000, où des dispositions législatives ou réglementaires n'y font pas obstacle ; que, dans cette dernière hypothèse, le refus des salariés d'accepter les modifications qui résulteraient de cette proposition implique leur licenciement par la personne publique, aux conditions prévues par le droit du travail et leur ancien contrat" (CE Contentieux, 22 octobre 2004, n° 245154, M. Lamblin N° Lexbase : A6266DDG). Désormais, donc, les personnels de droit privé transférés vers des entités publiques conservent leur contrat de droit privé. Cependant, est reconnu aux personnes publiques un droit d'option : celles-ci peuvent, en effet, proposer aux agents transférés des contrats de droit public. L'acception soulève, cependant, une nouvelle difficulté pratique : comment transformer ces contrats de droit privé en contrats de droit public ? En effet, il semble difficile d'imposer aux agents la transformation de leur contrat en contrat de droit public. Finalement, l'arrêt "Lamblin" semble poser plus de questions qu'il n'apporte de réponses.

Ce sont toutes ces difficultés qui ont justifié l'introduction de l'article 20 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA).

II. Apport de l'article 20 de la loi du 26 juillet 2005

Désormais, conformément à l'article 20 de la loi du 26 juillet dernier, lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. Le même article précise, par ailleurs, que sauf disposition législative ou réglementaire ou conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu'elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération.

En cas de refus des salariés d'accepter les modifications de leur contrat, la personne publique procède à leur licenciement, dans les conditions prévues par le droit du travail et par leur contrat.

Ainsi, alors que, dans un premier temps, les personnes transférées conservent leur contrat de droit privé, dans un second temps, les collectivités ont l'obligation de leur proposer un contrat de droit public à durée indéterminée, cette obligation devant être mise en oeuvre dans un délai raisonnable.

En revanche, le législateur est resté beaucoup plus discret sur les conditions de fond que doit respecter ce contrat de droit public. A peine évoque-t-il les "conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique". Une chose semble, cependant, acquise : si l'agent refuse la proposition, la collectivité peut le licencier, l'affaire pouvant aller jusque devant les prud'hommes en cas de contestation, le contrat étant initialement de droit privé.

De nouvelles interrogations sont, cependant, soulevées par le dispositif mis en place par l'article 20 de la loi du 20 juillet 2005. Ainsi, concernant le contenu du contrat de droit public que les collectivités doivent proposer, est-on en droit de se demander si la même rémunération, sous réserve des conditions générales applicables au sein des collectivités, doit être maintenue dans le nouveau contrat. Pour répondre à cette question, il convient de se référer à la jurisprudence administrative relative à la rémunération des agents non titulaires, jurisprudence qui prévoit, notamment, que celle-ci ne peut être "manifestement excessive" par rapport à celle d'un fonctionnaire titulaire occupant des fonctions équivalentes. A contrario, les baisses de rémunération doivent être justifiées de la même façon.

Une autre question qui peut se poser est celle des conditions générales d'emploi, à savoir, le maintien des RTT, mais, surtout, celui de la convention collective. S'il n'y a pas de contradiction de principe entre convention collective et statut de contractuel de droit public, le problème peut, en revanche, se poser lorsque les dispositions de la convention collective sont contradictoires avec le statut d'agent public. Il semblerait que l'on puisse, selon l'intervenant, maintenir ces dispositions contractuelles. Mais, subsistent, encore une fois, certaines incertitudes. Ainsi, peut-on se poser la question de savoir quelles sont les règles applicables au salarié dont certaines dispositions seraient contraires à son statut de contractuel de droit public ? Une autre difficulté peut, également, apparaître : si le salarié accepte le contrat de droit public, quelles dispositions réglementaires sont applicables ? Aucun texte réglementaire ne prévoit cette hypothèse. Il est, donc, important de ne pas oublier de prévoir, dans le contrat, les règles du décret qui les concernent et, surtout, de proposer le nouveau contrat au plus vite, au mieux immédiatement après le transfert, afin d'éviter toutes discordances, le contrat de droit public devant maintenir les anciennes clauses, sauf, logiquement, celles contraires aux conditions générales d'emploi qui lui sont applicables.

A noter, enfin, que, depuis le 27 juillet 2005, date de publication de la loi n° 2005-843, l'article 20 est applicable à tout transfert d'activité entrant dans son champ d'application.


Compte-rendu réalisé par Fany Lalanne
SGR-Droit public


(1) Directive (CE) 77/187 du Conseil du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (N° Lexbase : L4352GUQ).
(2) Directive (CE) 2001/23 du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (N° Lexbase : L8084AUX).
(3) On parle ici d'activités assurées par des personnes privées, dans un cadre organisé -généralement, sous la forme associative- lorsque la collectivité publique décide de rapatrier dans ses effectifs l'activité gérée par cette personne. Ces transferts, qui se font régulièrement dans la pratique, sont le plus souvent mis en place pour éviter de se trouver exposer à la procédure de gestion de fait. En effet, il est courant que les associations régies par la loi du 1er juillet 1901, relative au contrat d'association (N° Lexbase : L3076AIR), soient utilisées par les collectivités locales pour gérer plus souplement certaines activités, le plus souvent socioculturelles. Mais le recours à cette formule associative n'est pas sans risque pour les collectivités et pour les élus. C'est, d'ailleurs, pour faire face à cette insécurité juridique, qu'a été créé, par la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002, relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle (N° Lexbase : L9073HHI), l'établissement public de coopération culturelle, établissement public local doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, permettant aux collectivités territoriales de s'associer, soit entre elles, soit avec l'Etat pour gérer en partenariat des services publics culturels d'intérêt à la fois local et national.
(4) Le principe selon lequel l'article L. 122-12 du Code du travail s'applique en cas de reprise d'une activité privée par un SPIC est admis, par la Cour de cassation, depuis 1998 (Cass. soc., 7 avril 1998, n° 96-43.063, ASSEDIC Toulouse Midi-Pyrénées et autre c/ Monsieur Salvetat et autre N° Lexbase : A2901ACG), l'identité de l'entité transférée n'étant, en cas de reprise par un SPA, pas conservée (Cass. soc., 10 juillet 1995, n° 94-40.608, M. Jean Lazareff c/ Commune de Soulac, prise en la personne de son maire en exercice {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1043255, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 10-07-1995, n\u00b0 94-40.608, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A2694AGU"}}).

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