Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 28 avril 2006, n° 280197, Commune de Toulouse (N° Lexbase : A2007DPZ)
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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale
le 07 Octobre 2010
Le Conseil d'Etat a lui aussi annulé la procédure lancée par la collectivité et le rejet de l'offre de la société Jean-Claude Decaux. Le juge sanctionne le manquement de la collectivité aux obligations de mise en concurrence, sur la base, toutefois, d'un motif différent de celui retenu à l'origine par le tribunal administratif.
Dans la procédure attaquée, la commune de Toulouse avait défini trois critères d'attribution du marché :
- les qualités esthétiques du mobilier ;
- la qualité de l'entretien (maintenance et nettoyage) du mobilier ;
- les qualités techniques du mobilier.
Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse avait, alors, sanctionné ce dispositif pour méconnaissance de l'article 53 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L8486G7G). Le magistrat avait, en effet, retenu l'irrégularité de l'absence du critère de prix. Ce raisonnement n'a pas été suivi par la Haute juridiction administrative.
La décision du Conseil d'Etat rappelle, tout d'abord, le dispositif réglementaire applicable prévu par le Code des marchés publics (décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 N° Lexbase : L0537DN9 - dispositions de l'article 53.II) :
"Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, la personne publique se fonde sur divers critères variables selon l'objet du marché, notamment le coût d'utilisation, la valeur technique de l'offre, son caractère innovant, ses performances en matière de protection de l'environnement, ses performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le délai d'exécution, les qualités esthétiques et fonctionnelles, le service après-vente et l'assistance technique, la date et le délai de livraison, le prix des prestations.
D'autres critères peuvent être pris en compte, s'ils sont justifiés par l'objet du marché.
Si, compte tenu de l'objet du marché, la personne publique ne retient qu'un seul critère, ce critère doit être le prix"
Les personnes publiques choisissent, ainsi, librement les critères d'attribution des marchés, sous réserve du respect de deux conditions :
- les critères doivent permettre d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse ;
- les critères doivent être justifiés par l'objet du marché.
Ne sont ainsi obligatoires que les critères qui répondent à ces deux conditions ; aucun critère n'est obligatoire dans l'absolu, pas même le prix, dès lors que les critères retenus répondent aux objectifs fixés par le code.
Dans l'espèce, le Conseil d'Etat relève que le cahier des charges de la consultation prévoyait que le prestataire serait rémunéré par les recettes provenant de l'exploitation publicitaire issue des mobiliers urbains. Ainsi, l'exécution du marché ne se traduisait par aucune dépense effective pour la collectivité, qui avait d'ailleurs fixé, elle-même, le montant de la redevance d'occupation du domaine public. Les aspects financiers de cette opération avaient donc été préalablement fixés par la collectivité, sans aucune intervention possible des candidats. Le prix des prestations n'avait ainsi aucun sens dans cette consultation, les candidats ne devant d'ailleurs vraisemblablement pas en formuler.
Ce contexte est très particulier. Rares, en effet, sont les marchés qui ne donnent pas lieu au versement d'un prix par la personne publique. L'absence du prix dans les critères d'attribution devrait vraisemblablement rester marginale en pratique.
Faut-il voir, par ailleurs, dans cette décision une nouvelle manifestation du "déclin du critère prix", à la suite de diverses dispositions qui semblent avoir pour objet ou effet de réduire l'importance des considérations financières dans les procédures ?
- disparition de la procédure d'adjudication ;
- possibilité d'éliminer les offres anormalement basses ;
- place du critère prix dans l'article 53 du code, en fin de liste.
Il nous semble qu'il faille répondre à cette question par la négative, en raison, précisément, du champ d'application limité de la décision rendue.
Le Conseil d'Etat apporte, ensuite, dans cette décision une précision importante relative à la formulation des critères d'attribution des marchés. C'est d'ailleurs sur cette base qu'il a annulé la procédure lancée par la commune de Toulouse et le rejet de l'offre de la société Jean-Claude Decaux.
En l'espèce, les trois critères d'attribution retenus par la commune de Toulouse étaient pondérés comme suit :
- qualités esthétiques du mobilier : 50 % de la note ;
- qualité de l'entretien du mobilier : 30 % de la note ;
- qualités techniques du mobilier : 20 % de la note.
Sur la prestation objet du marché (mise à disposition, pose, entretien et exploitation de mobiliers urbains publicitaires), le juge reconnaît la pertinence du critère esthétique. Il sanctionne toutefois la procédure en raison de l'absence d'indication de la part de la collectivité sur ses attentes relatives à ce critère, défini comme prépondérant par le cahier des charges.
Le Conseil d'Etat affirme, ainsi, le principe selon lequel les critères d'attribution doivent être définis avec précision par les personnes publiques afin que l'examen des offres ne leur confère pas une liberté de choix discrétionnaire, en violation des principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Ce principe est simple et logique. Il ne surprendra pas les acheteurs publics. Il relève de la capacité de définir précisément le besoin, question récurrente en marchés publics. On ne peut évaluer que ce que l'on connaît : en d'autres termes, on ne peut vérifier si un critère est rempli par telle ou telle offre que si l'on est capable de définir ce que recouvre ce critère. Un critère insuffisamment précis pose en effet deux difficultés :
- l'appréciation des offres est difficile, voire impossible ;
- les offres ne peuvent être comparées sur une base égale.
Dans ces conditions, le choix de la personne publique n'est pas contrôlable ; il est donc irrégulier.
Si la décision du conseil sur ce point est logique, deux autres éléments de la décision sont, en revanche, un peu plus surprenants.
Le premier élément est la référence à la place prépondérante du critère esthétique dans la consultation en cause. Cette indication du juge signifie-t-elle que la solution du litige aurait été différente si le critère imprécis avait été affecté d'une pondération moindre ? Une telle position peut surprendre car, potentiellement, chaque critère influence la note finale obtenue par les offres, leur classement et donc la décision d'attribution. Un critère affecté d'un faible coefficient pourra, par exemple, permettre de départager deux offres proches au regard des critères jugés plus importants. Une jurisprudence prochaine permettra peut-être de lever cette incertitude.
Le deuxième élément surprenant est le moment auquel le sens d'un critère peut être formulé par la personne publique. En effet, le Conseil d'Etat précise qu'en l'espèce, aucune indication n'était fournie par la collectivité "ni dans les documents contractuels, ni dans sa réponse [...] à la demande de renseignements de la société Jean-Claude Decaux".
Le fait que le juge envisage que le sens d'un critère d'attribution puisse figurer dans les réponses apportées par les collectivités publiques en cours de procédure aux questions des candidats est étonnant au regard de l'importance de cette information. Ces réponses sont, en effet, courantes mais elles posent plusieurs difficultés. Elles peuvent, tout d'abord, être le signe d'une imprécision du cahier des charges et de la définition du besoin. Elles posent, ensuite, la question de leur impact sur le délai de remise des offres : doit-il être prolongé ? de quelle durée ? Le Conseil d'Etat a peut-être, ainsi, souhaité introduire une souplesse sur le modèle de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 24 novembre 2005 (CJCE, 24 novembre 2005, aff. C-331/04, ATI EAC Srl e Viaggi di Maio Snc c/ ACTV Venezia SpA N° Lexbase : A6822DLA). Dans cette affaire, la cour avait reconnu aux commissions d'appel d'offres la possibilité de répartir les points attribués à un critère d'attribution entre les sous-éléments de ce critère, à la condition, notamment, que cette répartition ne contienne pas d'éléments qui, s'ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu l'influencer. Dans la décision "Commune de Toulouse", le Conseil d'Etat ne sanctionne un manquement que s'il a pu avoir un effet sur la notation des offres et leur classement.
Afin d'éviter toute contestation sur ce point, on ne peut qu'encourager les acheteurs publics à définir précisément, avant le lancement de leurs consultations, leur besoin. Les critères d'attribution du marché seront alors une conséquence naturelle et logique, permettant d'apprécier la pertinence et la qualité des propositions formulées en vue de le satisfaire. Cette démarche permet d'éviter de recourir à des précisions ultérieures pouvant faire l'objet de critiques.
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