La lettre juridique n°222 du 6 juillet 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] Interprétation stricte des règles encadrant les modalités de reprise des engagements souscrits au nom d'une société en formation

Réf. : Cass. com., 23 mai 2006, n° 03-15.486, Mme Evelyne Bayle, épouse Debosse c/ M. Bruno Henckes, F-P+B (N° Lexbase : A7316DPN)

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Par un nouvel arrêt de cassation du 23 mai 2006, la Haute juridiction coupe court à tout écart des juges du fond concernant l'interprétation des textes encadrant les modalités de reprise des engagements souscrits au nom d'une société en formation et maintient fermement sa position. En l'espèce, un droit au bail avait été cédé à une société en formation représentée par ses trois associés. Ladite cession avait été contractée moyennant un prix partiellement payé. Le cédant avait donc assigné la société, ainsi que les trois associés, en paiement du solde du prix et obtenu leur condamnation solidaire. Toutefois, la société a été soumise à une liquidation judiciaire. L'un des associés a donc payé le solde du droit au bail et s'est, ensuite, retourné contre les deux autres associés, afin qu'ils supportent leur part de condamnation. Les deux associés ont donc été condamnés. Puis, l'un de ces deux associés a assigné le cédant du droit au bail, les deux autres associés, ainsi que le liquidateur de la société en liquidation pour faire juger que les associés de la société n'étaient pas tenus solidairement au paiement du solde du prix de la cession, en raison d'une reprise par la société de l'engagement souscrit au nom de la société en formation. C'est dans ces circonstances que la Cour de cassation a été saisie d'un pourvoi formé par le cédant du droit au bail à l'encontre de l'arrêt d'appel qui avait fait droit aux prétentions des associés. Les premiers juges, procédant à une interprétation souple des textes régissant la matière, avaient admis la reprise des engagements souscrits pour le compte de la société en formation, même en l'absence d'accomplissement de l'une des trois formalités de reprises prévues par les décrets de 1978 (décret n° 78-704, 3 juillet 1978, décret d'application de la loi n° 78-9 N° Lexbase : L1376AIS) et de 1967 (décret n° 67-236, 23 mars 1967, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L0729AYN).

La solution adoptée par la Haute juridiction, dans son arrêt de cassation, s'inscrit dans la droite ligne des derniers arrêts rendus, confirmant, ainsi, sa volonté de faire respecter une interprétation stricte des textes, et refermant une porte qu'elle avait semblé ouvrir, dans un arrêt que nous avions commenté (voir nos obs., La reprise des actes conclus pour le compte d'une société en formation et ses incidences en matière de droit au renouvellement d'un bail commercial, Lexbase Hebdo du 3 mars 2005 - édition affaires N° Lexbase : N4860ABM, note sous Cass. civ. 3, 2 février 2005, n° 03-18.575, FS-P+B N° Lexbase : A6320DG8).

Il sera rappelé que les personnes, qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale, sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société (C. civ., art. 1843 N° Lexbase : L2014AB9 et C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE).

La reprise des engagements souscrits pour le compte d'une société en formation peut être effectuée selon trois modalités (décret n° 78-704, du 3 juillet 1978, art. 6 N° Lexbase : L5172A4C) dont deux sont automatiques, l'immatriculation entraînant, ipso facto, la reprise de certains engagements :

1 - pour la période précédent la signature des statuts : l'annexion aux statuts, avant leur signature, d'un état des actes accomplis avec, pour chacun d'eux, l'engagement qui en résulterait pour la société. Les juges veillent au respect de cette dernière condition dont le but est de protéger les associés qui doivent pouvoir engager la société en connaissance de cause. L'immatriculation entraînera la reprise de ces actes ;
2 - pour la période courant entre la signature des statuts et l'immatriculation de la société : le mandat donné dans les statuts ou par acte séparé par les associés à l'un d'eux ou au gérant non associé. L'acte devra être déterminé et ses modalités précisées dans le mandat sous peine de n'être pas repris automatiquement lors de l'immatriculation ;
3 - pour la période postérieure à l'immatriculation : la décision prise, une fois la société immatriculée, à la majorité des associés. La Cour de cassation exige une véritable décision de l'assemblée, prise en pleine connaissance de cause, et refuse la possibilité d'une reprise tacite qui résulterait d'une exécution spontanée par la société de ces engagements.

En l'espèce, l'acte de cession du droit au bail avait, vraisemblablement, été conclu après la signature des statuts et préalablement à l'immatriculation de la société. Les associés étaient donc tenus de donner mandat à l'un ou plusieurs d'entre eux ou, le cas échéant, au gérant non associé, pour que cet acte soit valablement et automatiquement repris par la société lors de son immatriculation (sous réserve, toutefois, que cet acte soit déterminé par le mandat et que ces modalités soient également précisées).

La reprise automatique des actes accomplis pour le compte de la société en formation par l'immatriculation de la société est prévue par quatre articles :

  • l'article 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 est applicable aux sociétés en général, sauf disposition contraire ;
  • les articles 26 (N° Lexbase : L2619AHH), 67 (N° Lexbase : L2731AHM) et 74 (N° Lexbase : L2739AHW) du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sont applicables, respectivement, aux sociétés à responsabilité limitée, aux sociétés anonymes constituées avec appel public à l'épargne et aux sociétés anonymes constituées sans appel public à l'épargne.

Quelques différences sont à noter entre ces différents articles :

article société visée personnes susceptibles de donner un mandat personnes susceptibles de recevoir un mandat forme du mandat
article 6 du décret du 3 juillet 1978 toutes les sociétés, sauf disposition spéciale dérogatoire les associés un ou plusieurs associés ou un gérant non associé dans les statuts ou par acte séparé
article 26 du décret du 23 mars 1967 SARL les associés un ou plusieurs associés ou un gérant non associé dans les statuts ou par acte séparé
article 67 du décret du 23 mars 1967 SA constituées avec appel public à l'épargne l'assemblée générale constitutive une ou plusieurs des personnes désignées en qualité de premiers membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance non précisé
article 74 du décret du 23 mars 1967 SA constituées sans appel public à l'épargne les actionnaires un ou plusieurs actionnaires dans les statuts ou par acte séparé

Les questions posées à la Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté, étaient les suivantes :

  • peut-il être dérogé à la formalité prévue par l'article 26 du décret du 23 mars 1967, consistant, notamment, en un mandat donné par certains associés à d'autres afin d'accomplissement d'actes pour le compte de la société en formation, dès lors que l'acte passé au nom de la société en formation, dans l'intérêt exclusif de ladite société, a été signé par l'ensemble des associés, ces derniers ayant donc accepté la prise en charge par la personne morale des obligations en résultant ?
  • l'immatriculation de la société au Registre du commerce et des sociétés vaut-elle reprise automatique des actes accomplis pour son compte par l'ensemble des associés, dès lors que la personne morale a entrepris de les exécuter effectivement ?

A ces deux interrogations, la Cour de cassation a répondu par la négative.

Rappelant une nouvelle fois les trois modalités de reprise des engagements souscrits pour le compte d'une société en formation et au visa des articles L. 210-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE), 26, alinéa 3, du décret de 1967 et 6 du décret de 1978, la Haute juridiction indique que statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes précités.

Cette position n'est pas nouvelle.

Ainsi, dans un précédent arrêt du 6 décembre 2005, il avait été précisé que viole les dispositions légales et réglementaires précitées l'arrêt qui, pour décider que l'immatriculation de la société avait entraîné valablement la reprise du bail, pris en son nom avant son immatriculation, retient d'un côté, que tous les associés ayant concouru à la conclusion du bail, cet engagement doit être réputé pris en vertu d'un mandat donné par les futurs associés, même si un acte constatant un tel mandat n'a pas été dressé et, de l'autre, que l'accomplissement d'une telle formalité n'était pas nécessaire, dès lors que tous les futurs associés avaient expressément donné leur accord à l'engagement souscrit en le ratifiant (Cass. com., 6 décembre 2005, n° 03-16.853, Société civile immobilière (SCI) du 34, place Cormontaigne c/ Société LFR, F-P+B N° Lexbase : A9812DLY).

En revanche, dès lors que le mandat est établi et qu'il précise la nature des engagements à accomplir et leurs modalités, l'acte est réputé avoir été dès l'origine contracté par la société (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-12.528, Société civile immobilière (SCI) La Bastide c/ Société Mobi-Dock international, F-P+B N° Lexbase : A9970DLT).

Par cet arrêt, la Cour de cassation met donc fin à toute interrogation née d'un précédent arrêt du 2 février 2005 à propos duquel nous nous interrogions sur l'admission d'une reprise tacite des actes accomplis pour le compte de la société en formation lorsque tous les associés ont concouru à l'acte et lorsque la société a spontanément exécuté les engagements en résultant (arrêt et note précités).

Il est donc important d'appeler l'attention des praticiens sur cette série d'arrêts très sévères pour ceux qui ne se conformeraient pas à une application très stricte des modalités de reprise telles que prévues par les textes précités.

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