La lettre juridique n°222 du 6 juillet 2006 : Fonction publique

[Evénement] Vers un déroulement de carrière des agents en CDI ? Entre perspectives et limites

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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public

le 07 Octobre 2010

La loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA) est venue lever les restrictions au principe d'interdiction de recrutement sous forme de contrat à durée indéterminée dans la fonction publique. Le CDI est donc, aujourd'hui, le contrat de droit commun pour le recrutement des agents contractuels. Mais une fois l'agent recruté sous forme de CDI, celui-ci a, par définition, vocation à perdurer au sein de la collectivité publique qui l'emploie. Quelles sont, alors, les perspectives qui s'offrent à lui ? Inversement, du point de vue de la collectivité, de quels moyens dispose-t-elle pour faire évoluer la carrière d'un agent ? Pour répondre à ces questions, il convient de revenir sur l'intervention de M. Ludovic Deshayes, Directeur des Ressources Humaines de la Ville d'Argenteuil, sur ce thème, à l'occasion de la conférence organisée par Comundi les 1er et 2 juin derniers, intitulée "Toute l'actualité RH de la fonction publique". Sur le plan réglementaire, rien n'est encore fixé aujourd'hui. Parmi les textes attendus, un décret ouvrirait à un rythme régulier, tous les trois ans, une négociation salariale pour les agents en CDI. En attendant, il y a lieu d'observer la jurisprudence. Après analyse, Ludovic Deshayes nous expose les modalités pratiques de déroulement de carrière pour un agent non titulaire, qu'il soit en CDD ou en CDI. I. Les éléments majeurs de la problématique

Il s'agit ici de comprendre pourquoi, aujourd'hui, il existe des limites quant au déroulement de carrière d'un agent public non titulaire.

1. Quel est le système de fonction publique qui permet de gérer les agents contractuels ?

  • Un système de fonction publique fondateur d'un "statut" des agents non titulaires

Les fonctionnaires se situent dans un système de fonction publique de carrière (garantie d'emploi, mobilité possible, vocation à un déroulement de carrière) qui met l'accent sur l'individu dès lors qu'il leur garantit un certain nombre de droits.

Dans le cas des agents non titulaires, le système est totalement différent puisqu'il n'est pas focalisé sur l'agent, mais sur l'emploi. En effet, il suffit d'évoquer le cas de la suppression d'emploi : le fonctionnaire dont le poste est supprimé est nécessairement reclassé ; pour l'agent non titulaire, la seule issue possible est le licenciement. De même, si l'on se réfère au mode de recrutement : par la voie du concours, mode de recrutement de principe dans la fonction publique, il est reconnu au fonctionnaire un certain nombre d'aptitudes à remplir une fonction dévolue au sein du cadre d'emploi ou du corps. En revanche, lors du recrutement d'un agent non titulaire, la collectivité publique recherche l'aptitude à remplir directement la fonction, le poste qu'elle lui propose.

Il y a donc bien un système statutaire pour les agents non titulaires, qui découle d'un mécanisme connu (répandu, notamment, dans tous les pays anglo-saxons), celui d'un système statutaire d'emploi.

  • L'absence de déroulement automatique de carrière

Contrairement au système de carrière, le système statutaire d'emploi n'organise pas un déroulement automatique de la carrière. En effet, à cet égard, le ministre de la Fonction publique indiquait, récemment, que "la possibilité ouverte par la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, de reconduire le contrat pour une durée indéterminée au-delà d'une période d'emploi en CDD de six ans n'implique pas la mise en oeuvre à l'adresse des agents en CDI d'un déroulement automatique de carrière à l'instar de celle existant pour les fonctionnaires" (Rép. Min. n° 84109, JOANQ, 28 mars 2006 p. 3423 [LXB=]). Dans sa réponse, il rappelle également que "l'avis du Conseil d'Etat du 30 janvier 1997 aux termes duquel 'aucun principe général du droit imposant de faire bénéficier les agents non titulaires de règles équivalentes à celles applicables aux fonctionnaires' reste pertinent. Au surplus, dans ce même avis, la Haute Assemblée rappelait 'qu'aucun principe n'impose au Gouvernement de fixer, par voie réglementaire, toutes les conditions de rémunération d'agents contractuels ainsi que les règles d'évolution de ces rémunérations'".

Le seul point d'accroche pour organiser, alors, un éventuel déroulement de carrière, se situe au niveau du lien existant entre l'agent et son employeur, le lien contractuel (par opposition au lien unilatéral). C'est sur cet acte d'engagement que l'on va pouvoir trouver les éléments d'un éventuel déroulement de carrière.

2. La question des clauses contractuelles substantielles

  • Les éléments de définition

Les éléments de définition découlent de la jurisprudence. Il en ressort que la clause substantielle est une clause qui ne peut être imposée unilatéralement à l'agent. Du moins, si elle l'est, le refus de l'agent sera considéré comme un licenciement.

  • Quels sont les éléments qui peuvent faire l'objet d'une clause substantielle ?

Le décret n° 88-145 du 15 février 1988, relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale N° Lexbase : L1035G8T), en son article 3, dispose que "l'agent non titulaire est recruté, soit par contrat, soit par décision administrative. L'acte d'engagement est écrit. Il précise l'article et, éventuellement, l'alinéa de l'article de la loi du 26 janvier 1984 précitée en vertu duquel il est établi [fondement juridique]. Il fixe la date à laquelle le recrutement prend effet et, le cas échéant, prend fin [durée d'engagement] et définit le poste occupé et ses conditions d'emploi. Il indique les droits et obligations de l'agent".

Les dispositions sont similaires dans la fonction publique d'Etat (décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, article 4 N° Lexbase : L1030G8N), et dans la fonction publique hospitalière (décret n° 91-155 du 6 février 1991, article 4 N° Lexbase : L1061G8S).

Sans dresser une liste des éléments qui feront nécessairement l'objet d'une clause substantielle, on peut évoquer ceux qui, de par la jurisprudence, revêtent une importance substantielle.

Il s'agit, donc, du fondement juridique du contrat (article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX ; article 4 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 pour la fonction publique d'Etat N° Lexbase : L7077AG9 ; ou article 9 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 pour la fonction publique hospitalière N° Lexbase : L8100AG4), de la durée d'engagement, de la définition du poste et des conditions d'emploi (taux d'emploi, rémunération, lieu géographique...).

Au regard de ce type de clauses, il conviendra de s'interroger sur l'existence d'un éventuel bouleversement économique du contrat.

3. Le bouleversement économique du contrat

A partir de quel moment la modification en cours de contrat est telle qu'elle rend impossible la poursuite du contrat initial ? Autrement dit, quand faut-il constater un bouleversement économique du contrat ? Le juge administratif considère que si la modification bouleverse l'économie de l'acte d'engagement initial, il convient de requalifier l'acte initial et sa modification, en nouvel acte d'engagement : il constate la rupture du contrat initial et l'obligation de recontractualiser.

Exemples de changements significatifs :

- hausse de la rémunération de plus de 50 % (CE Contentieux, 25 novembre 1998, n ° 151067, Préfet de Corse c/ M. Cianfarani N° Lexbase : A8996ASY). Dans cette affaire, Monsieur C. avait été recruté par contrat comme agent administratif par l'Etablissement public régional Corse. Sa rémunération, résultant d'un avenant, était fixée à l'indice brut 597, assortie d'une indemnité forfaitaire mensuelle représentative de frais d'un montant de 3 000 F (soit environ 450 euros). Elle avait été portée, par un avenant contesté, à la somme annuelle de 203 503 F (soit 30 000 euros), assortie d'une prime indemnitaire annuelle brute de 49 960 F (près de 7 500 euros), cette rémunération équivalant à l'indice brut 837 correspondant à des fonctions d'administrateur territorial. Le Conseil d'Etat considère, alors, "qu'eu égard à l'importance de l'augmentation de rémunération prévue par l'avenant contesté au contrat d'engagement de M. C. dont les fonctions étaient alors celles de chef du service des affaires financières de la région, une telle modification doit être regardée comme un nouveau contrat dont la conclusion était soumise aux dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 combinées à celles de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'ensemble des conditions requises par ces dispositions aient été respectées lors de la conclusion de l'avenant litigieux" ;

- changement d'emploi (au sens de poste de travail : exemple d'un chef de cabinet qui passe directeur des affaires sociales ou culturelles, cf. infra) ;

- passage d'un temps partiel à temps complet...

Dans toutes ces hypothèses, dès lors que le juge relève un bouleversement économique du contrat, il estime que les parties ne se trouvent plus dans le cadre de la poursuite du contrat initial ; il faut donc constater la rupture du contrat, c'est-à-dire le licenciement. Il y a alors obligation de recontractualiser dans le respect de toutes les règles de recrutement d'un agent non titulaire (conditions et motifs très restrictifs : nature des fonctions qui le justifient et absence de cadre d'emplois ou de corps). A défaut, la collectivité publique déroge à toutes les règles générales de recrutement dans la fonction publique.

En effet, rappelons que, contrairement à un fonctionnaire qui est recruté dans un corps ou un cadre d'emplois, l'agent contractuel est recruté sur des fonctions précises.

A partir de ces éléments de réflexion, on peut exposer les axes du déroulement de carrière d'un agent public non titulaire.

II. Les axes du déroulement de carrière

Par déroulement de carrière, on entend modalités d'avancement, de promotion, de changement de rémunération, etc. Nous nous cantonnerons, ici, à évoquer l'évolution des fonctions et de la rémunération.

1. L'évolution des fonctions

Comme indiqué précédemment, tant qu'il n'y a pas de "bouleversement économique du contrat", une évolution des fonctions reste possible. Par exemple, il ressort d'un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy qu'une modification des fonctions peut avoir lieu en cours de contrat, à partir du moment où ces modifications découlent d'une exécution logique du contrat initial (en l'espèce, le contrat confiait à un agent les fonctions de coordonnateur de la sécurité ; le maire de Colmar, par une note de service, avait précisé que l'intéressé était chargé de la gestion administrative du service de la police municipale) (CAA Nancy, 3 mars 2005, n° 01NC00859, Union syndicale professionnelle des policiers municipaux N° Lexbase : A8765DPC).

Autrement dit, sans devoir signer un nouveau contrat, de nouvelles fonctions peuvent être confiées à l'agent si celles-ci découlent ipso facto du poste.

La cour administrative d'appel de Bordeaux fournit un autre exemple d'évolution de fonctions non significative. Elle considère que si les fonctions comptables confiées à l'intéressé entraînaient une nouvelle répartition de ses tâches, elles n'avaient pas eu pour effet de lui ôter ses attributions de spécialiste du financement du logement social ni de le mettre dans l'impossibilité d'assurer correctement les obligations liées à sa qualification. Il n'était donc pas fondé à invoquer une modification substantielle et unilatérale de son contrat de recrutement à l'initiative de l'office, qui l'aurait empêché d'exercer ses fonctions dans des conditions satisfaisantes (CAA Bordeaux, 2ème ch., 3 février 1997, n° 95BX00835, M. Alain Bend N° Lexbase : A9313BDB).

De même, dans une affaire où un agent avait été recruté comme programmeur informatique par la Région d'Ile de France, et s'était vu confier des fonctions d'analyste par un avenant qu'il contestait, la cour administrative d'appel de Paris a considéré qu'eu égard, notamment, à la faible ampleur de ce changement de fonction induite par l'avenant contesté au contrat d'engagement, de telles modifications ne pouvaient être regardées comme nécessitant la passation d'un nouveau contrat (CAA Paris, 4ème ch, 18 janvier 2005, n° 02PA01686, Région Ile de France N° Lexbase : A0304DHQ).

En revanche, une modification des fonctions telle qu'elle entraîne un bouleversement économique du contrat fera l'objet d'une requalification en nouveau contrat (CAA Lyon, 3ème ch., 8 février 1999, n° 95LY02421, Département des Alpes-maritimes N° Lexbase : A9736BEC). Dans cette affaire, il s'agissait d'un agent occupant d'abord les fonctions de chef de cabinet du directeur des services départementaux, puis qui avait été nommé adjoint au directeur de l'éducation, de la culture et des sports, et, enfin, qui avait été nommé sur un emploi de directeur des relations publiques, lui accordant, alors, le bénéfice du régime indemnitaire des administrateurs territoriaux. Eu égard à l'augmentation de rémunération résultant du bénéfice de ce régime indemnitaire, ajouté au fait que l'emploi de directeur des relations publiques correspond à un niveau hiérarchique supérieur à celui des emplois jusqu'alors occupés par l'agent en cause, la cour administrative d'appel considère que l'avenant litigieux devait être regardé non comme une simple modification du contrat initial mais comme un nouveau contrat, lequel était soumis aux dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 combinées avec celles de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984. Le contrat, qui n'a pas été conclu pour une durée déterminée, méconnaît ces dispositions. L'avenant est annulé.

En résumé, la personne publique peut modifier par voie d'avenant les fonctions d'un agent en CDI, si ses nouvelles attributions rentrent dans la logique de la poursuite du contrat initial (la justification pouvant être liée à une évolution réglementaire, technique du métier). En revanche, si les modifications bouleversent l'économie du contrat, il ne s'agit plus d'un déroulement de carrière, mais d'une rupture du contrat initial, faisant naître l'obligation de renouveler les procédures de recrutement sur un nouveau contrat.

2. L'évolution de la rémunération

Rappelons que dans le système d'emploi des agents non titulaires, il ne peut pas y avoir de mécanisme automatique de déroulement de carrière.

Un arrêt du Conseil d'Etat, en date du 30 juin 1993, en donne une illustration au regard de la rémunération. Dans cette affaire, une commune avait institué, par délibération du conseil municipal, la possibilité de faire évoluer la carrière des agents non titulaires en répartissant les emplois occupés par ces agents dans six catégories, qualifiées d'échelles ou de groupes. Chacune de ces catégories comportait un nombre variable d'échelons, de dix à quatorze, affectés d'indices de rémunération. La commune instaurait, de ce fait, un système de quasi-avancement d'échelon, quasi-avancement de grade. Cette délibération a été annulée par la Haute juridiction administrative (CE Contentieux, 30 juin 1993, n° 120658, Préfet de la région Martinique c/ commune du Robert N° Lexbase : A9881AMW).

Il n'est donc pas possible de mettre en place un système de déroulement de carrière équivalent à celui des fonctionnaires (cf. réponse ministérielle du 28 mars 2006 précitée).

En revanche, la clause contractuelle d'évolution de salaire paraît s'imposer à l'administration.

En effet, dans un arrêt du 10 juillet 1992, le Conseil d'Etat reconnaît que la clause d'évolution de salaire incluse dans le contrat s'impose à l'administration (CE Contentieux, 10 juillet 1992, n° 86640, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ Mme Ducasse N° Lexbase : A7398ARG). En l'espèce, les contrats d'engagement conclus entre l'administration pénitentiaire et les médecins qu'elle recrutait comprenaient des conditions particulières fixant les horaires et la rémunération de chaque médecin et des "clauses et conditions générales", identiques pour tous les contrats et relatives au déroulement de la carrière. La Haute juridiction administrative considère, alors, que ces clauses constituent un élément du contrat dans lequel elles sont insérées et s'imposent à l'administration pénitentiaire dans l'exécution de ce contrat.

Donc, aujourd'hui, en termes de revalorisation de salaire, il est conseillé de prévoir une clause d'évolution de salaire. L. Deshayes invite les rédacteurs d'une telle clause à adopter une formulation hypothétique ("cette rémunération pourra évoluer en fonction de l'ancienneté, du mérite..."), et non affirmative ("évolue"), afin de contourner le caractère automatique interdit.

Enfin, il convient de signaler qu'en l'absence de bouleversement économique du contrat et alors que le contrat ne prévoit aucune clause d'évolution de salaire, le juge administratif admet la validité d'un avenant qui prévoit une légère augmentation de la rémunération de l'agent (CAA Paris, 4ème ch., 18 janvier 2005, n° 02PA01686 précité). En l'espèce, par un avenant contesté, la rémunération de l'agent, fixée à l'indice majoré 546, était portée à l'indice majoré 576. La cour estime qu'eu égard, notamment, à la modicité de cette augmentation de rémunération induite par l'avenant contesté au contrat d'engagement, de telles modifications ne pouvaient être regardées comme nécessitant la passation d'un nouveau contrat.

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