La lettre juridique n°220 du 22 juin 2006 : Délégation de service public

[Le point sur...] La soumission à la concurrence des conventions de délégation du service public de distribution du gaz

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N9660AKY

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le 07 Octobre 2010

La passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz échappe toujours, en vertu du régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT (N° Lexbase : L8325AAL), à toute procédure de publicité et de mise en concurrence. Cette situation apparaît, cependant, tout à la fois contraire au droit communautaire (tant primaire que dérivé) et à la jurisprudence (tant communautaire que nationale). I. Le droit français, à la différence du droit communautaire, continue à exempter la passation de ces conventions d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

1) Rappel de l'organisation du service public de la distribution de gaz

En France, le service public de la distribution de gaz est concédé par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération (1) à des gestionnaires de réseaux publics qui ont été expressément désignés pour assurer cette fonction par les dispositions de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (N° Lexbase : L9920HIA).

Cette loi a confié la gestion du réseau public de gaz à Gaz De France (GDF) tout en laissant subsister des distributeurs locaux dit "non nationalisés" (DNN) qui sont organisés en régie ou en sociétés d'économie mixte dans lesquelles les collectivités territoriales possèdent la majorité du capital.

Actuellement, l'activité de transport de gaz est distincte de l'activité de distribution et de fourniture en raison de la séparation juridique et comptable imposée par les dispositions de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie (N° Lexbase : L7950BB3). La gestion du réseau de distribution de gaz est ainsi assurée, soit par GDF - réseau de distribution (GRD), soit par les DNN. La gestion du réseau de transport de gaz est, quant à elle, assurée par GDF - réseau de transport (GRT) qui est une filiale de GDF.

2) Les lois de 2003 et 2004 relatives au marché et au service public du gaz ne comportent aucune disposition relative à la mise en concurrence des conventions de délégation de service public de distribution de gaz

La loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie a transposé la Directive 98/30 du 22 juin 1998 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (N° Lexbase : L9970AUS). Rappelons, à cet égard, que la première tentative de transposition de la Directive "gaz" en mai 2000 s'était heurtée au problème du statut de GDF que l'on avait voulu lier à la libéralisation du secteur. C'est pourquoi la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 n'aborde pas la question du statut de GDF. En fait, cette question a été réglée, nous le verrons, par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (N° Lexbase : L0813GTB). En résumé, la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 traite de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz, de l'intervention des autorités publiques, du service public du gaz et des spécificités techniques et économiques du secteur gazier (2).

En matière d'ouverture à la concurrence, la loi organise en particulier la substitution d'un grand nombre d'opérateurs à l'oligopole que constituait GDF (suppression des monopoles d'importation et d'exportation), l'accès des tiers aux réseaux, la séparation des activités de fourniture et des activités de gestion des infrastructures, le décroisement des subventions (interdiction de financer l'activité concurrentielle à l'aide de prix élevés pratiqués sur le secteur monopolistique) et, enfin, la prescription de garanties techniques et concurrentielles applicables, d'une part, entre opérateurs et, d'autre part, entre opérateurs et autorités publiques. En matière d'ouverture à la concurrence, la loi de 2003 reprend le calendrier d'ouverture défini à l'article 18 de la Directive "gaz" de 1998, selon lequel la part minimale libéralisée devait être de 20 % en 2000, de 28 % en 2003 et de 33 % en 2008. Par ailleurs, la loi rend désormais possible l'éligibilité des collectivités locales, c'est-à-dire la liberté d'acheter du gaz au fournisseur de leur choix, pour leur propre consommation, cette situation nouvelle créant "les conditions d'une obligation de mise en concurrence de leurs contrats d'achat de gaz" (S. Nicinski et P. Pintat). Cette possibilité fait ainsi entrer les contrats en cause dans le droit des marchés publics.

En matière de service public du gaz, la loi de 2003 définit des obligations de service public touchant à la sécurité (sécurité ou continuité d'approvisionnement et sécurité des personnes et des installations), à la qualité et au prix des fournitures, ainsi qu'à la protection de l'environnement.

Au total, la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 ne comporte donc aucune disposition et aucune innovation en ce qui concerne la distribution publique de gaz et, plus précisément, en ce qui concerne la procédure applicable en matière de délégation du service public de la distribution de gaz. En bref, elle ne prévoit nullement que l'attribution d'une telle délégation doit être précédée de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Il faut, à cet égard, distinguer les obligations imposées par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL), codifiée aux articles L. 1411-1 à L. 1411-18 du CGCT (N° Lexbase : L2050G9S), des obligations imposées par le Code des marchés publics : en effet, et selon la loi de 2003, seules ces dernières sont susceptibles de s'appliquer aux collectivités locales lorsque, faisant usage de leur éligibilité, elles passent un marché pour subvenir à leurs propres besoins en gaz.

Avançons quelque peu dans le temps pour aborder les changements intervenus au cours de l'année 2004. Par un avis d'Assemblée du 8 juillet 2004 (avis relatif aux conditions d'exercice de l'éligibilité par les personnes publiques pour leurs achats d'électricité, n° 370135 N° Lexbase : L9922HIC, BJCP 2004 n° 37 p. 462), le Conseil d'Etat a considéré qu'à compter du 1er juillet 2004, toutes les personnes, qu'elles soient publiques ou privées, achetant de l'électricité non destinée à un usage domestique devenaient éligibles, c'est-à-dire libres d'acheter leur électricité au fournisseur de leur choix. S'agissant des personnes publiques, le Conseil d'Etat a précisé que l'exercice des droits attachés à l'éligibilité n'était qu'une faculté. Ainsi, tant que coexistent "un secteur réglementé et un marché libre" dans le domaine de l'électricité, les personnes publiques déjà titulaires d'un contrat avec les opérateurs historiques et qui le souhaitent peuvent, même à l'expiration de ce contrat, se dispenser d'appliquer le droit de la commande publique aux achats d'énergie concernés (cf. rép. min. n° 16025, JO Sénat du 17 novembre 2005, p. 2984, commentant cet avis et l'appliquant au marché du gaz). Faisant suite à cet avis, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, a transposé les Directives 2003/54/CE (N° Lexbase : L0088BI4) et 2003/55/CE (N° Lexbase : L0089BI7) du 26 juin 2003 concernant respectivement les règles communes pour les marchés intérieurs de l'électricité et du gaz et abrogeant les précédentes Directives "électricité" et "gaz" de 1996 et 1998.

La loi n° 2004-803 du 9 août 2004 a, en particulier, modifié le statut des établissements publics EDF et GDF qui ont été transformés en sociétés anonymes dont l'Etat détient plus de 70 % du capital (article 24). Cette loi a donc pour principal objet de redéfinir le statut et l'organisation des opérateurs et de mettre, ainsi, en place "les conditions institutionnelles de la poursuite de l'évolution dans le sens de la fragmentation des activités pour y introduire la concurrence" (cf. L. Richer, Une nouvelle conception du service public de l'électricité et du gaz, AJDA 2004 p. 2094).

Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 30 de cette loi, "les dispositions du Code des marchés publics n'imposent pas à l'Etat, à ses établissements publics, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics d'exercer les droits accordés au III de l'article 22 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 [N° Lexbase : L4327A3N] [...] et au dernier alinéa de l'article 3 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003" (c'est-à-dire les droits attachés à leur éligibilité). L'article 30 précité a, donc, aligné le régime d'éligibilité des personnes publiques sur celui des personnes privées en prévoyant que les dispositions du Code des marchés publics n'imposent pas aux personnes qui y sont soumises d'exercer leur éligibilité.

Aussi, de même que la loi du 3 janvier 2003, la loi du 9 août 2004 ne comporte aucune disposition et aucune innovation en ce qui concerne la distribution publique de gaz et, plus précisément, en ce qui concerne la procédure applicable en matière de délégation du service public de la distribution de gaz.

3) La passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz relève des dispositions de l'article 1411-12 du Code général collectivités territoriales (N° Lexbase : L8325AAL) qui permettent à ces conventions de déroger à la procédure habituelle de publicité et de mise en concurrence

Aux termes de l'article L. 1411-1 du CGCT : "Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service". En rattachant, ainsi, la délégation de service public à la notion de contrat, le législateur semble avoir entendu écarter les délégations de service public dont la dévolution s'opèrerait par voie unilatérale. Ainsi que le notent G. Bouquet et E. Buttery (3), "bien que l'examen des débats parlementaires ne révèle pas une intention aussi claire, le Conseil d'Etat confirme cette interprétation en refusant d'appliquer le régime de la loi Sapin à une délégation dévolue par voie réglementaire" (CE, 3 mai 2004, n° 249832, Fondation assistance aux animaux N° Lexbase : A0650DC3).

Or, dans la mesure où les conventions de délégation de service public de distribution de gaz sont dévolues par voie législative (c'est-à-dire par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, toujours en vigueur), la solution rendue par le Conseil d'Etat semble transposable à ces conventions.

En tout état de cause, les dispositions applicables aux conventions de délégation de service public de distribution de gaz sont issues de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite "loi Sapin", codifiée aux articles L. 1411-1 et suivants du CGCT. Aux termes en particulier de l'article L. 1411-12 CGCT : "les dispositions des articles L. 1411-1 à L. 1411-11 ne s'appliquent pas aux délégations de service public : a) Lorsque la loi institue un monopole au profit d'une entreprise ; b) Lorsque ce service est confié à un établissement public et à condition que l'activité déléguée figure expressément dans les statuts de l'établissement".

Or, jusqu'en 2004, GDF était encore un établissement public à caractère industriel et commercial et la distribution du gaz figurait bien dans ses statuts en application des dispositions des articles 1er et 3 § 2 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l'électricité et du gaz précitée. Par suite, les contrats de délégation de service public qu'il passait n'avaient pas à être soumis, préalablement à leur signature, à une procédure de publicité et de mise en concurrence, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 1411-12.

Par ailleurs, si la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 a modifié le statut de GDF en le transformant en société anonyme dont l'Etat détient plus de 70 % du capital, le droit interne n'en continue pas moins d'exempter les conventions de délégation de service public de distribution de gaz conclues par cette entreprise de toute procédure de publicité et de mise en concurrence. L'entreprise GDF peut, en effet, se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1411-12 du CGCT, puisque c'est bien la loi du 8 avril 1946 qui a institué à son profit le monopole de la distribution publique du gaz. Or, nous l'avons vu, ce monopole n'a nullement été remis en cause par la loi du 3 janvier 2003, laquelle n'a ouvert (partiellement) à la concurrence que la passation des marchés publics de fourniture de gaz. Une distinction essentielle doit, donc, être faite ici entre marchés publics d'achat de gaz et délégations de service public de distribution de gaz.

Au total, le droit national permet toujours à GDF et aux DNN de passer des conventions de délégation de service public de distribution de gaz sans mettre en oeuvre une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence.

4) Le droit communautaire issu de la Directive 2003/55/CE est plus exigeant que le droit national en ce qui concerne la procédure de passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz

Si les articles 7 et 11 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (N° Lexbase : L0089BI7) prévoient la possibilité, pour les Etats membres, de désigner eux-mêmes les gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution d'électricité et de gaz, ils ne prévoient nullement que la désignation des gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution de gaz doive intervenir sans qu'aient été mises en oeuvre des mesures assurant la transparence de la procédure de passation. Au contraire, elles doivent être interprétées à la lumière des objectifs prévus au paragraphe 2 des Directives, en termes de réduction des prix, d'accroissement de la compétitivité et de conditions de concurrence équitables (4).

En outre, et surtout, aux termes de l'article 4 de la Directive : "1. Dans les cas où la construction ou l'exploitation d'installations de gaz naturel nécessite une autorisation (par exemple une licence, un permis, une concession, un accord ou une approbation), les Etats membres ou toute autorité compétente qu'ils désignent accordent des autorisations de construction et/ou d'exploitation de ces installations, gazoducs et équipements connexes sur leur territoire, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4. 2. Lorsque les Etats membres ont un système d'autorisations, ils fixent des critères objectifs et non discriminatoires que doit respecter l'entreprise qui sollicite une autorisation pour construire et/ou exploiter des installations de gaz naturel ou qui sollicite une autorisation pour fournir du gaz naturel. Les critères et les procédures non discriminatoires d'octroi d'autorisations sont rendus publics" (nous soulignons).

Il nous semble résulter de ces dispositions que les Etats membres sont tenus d'organiser, en ce qui concerne l'exploitation des installations de transport et de distribution de gaz naturel, les conditions d'attribution des conventions de délégation de service public selon des critères et des procédures non discriminatoires et transparents.

Aussi, le droit communautaire issu de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 paraît-il faire obligation aux collectivités territoriales souhaitant conclure une convention de délégation de service public de distribution du gaz sur leur territoire de mettre en oeuvre, préalablement à la conclusion de cette convention, une procédure de publicité (au minimum), afin que plusieurs entreprises distributrices de gaz naturel soient en mesure de présenter leur candidature. Contrairement au droit national issu des dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT, le droit communautaire ne permet donc pas à une collectivité locale de choisir systématiquement GDF comme délégataire.

Cette divergence entre le droit communautaire et le droit national vient notamment du fait que les institutions communautaires ne distinguent pas, comme le fait implicitement la loi "Sapin", entre dévolution par voie contractuelle et dévolution par voie unilatérale. Dans une communication interprétative relative aux concessions en droit communautaire (5), la Commission européenne a, ainsi, privilégié un critère matériel et fait abstraction du mode de dévolution choisi. Selon la Commission, "qu'il soit contractuel ou unilatéral, tout acte étatique fixant les conditions auxquelles une prestation d'activités économiques est subordonnée est à apprécier au regard des principes du Traité et spécialement des articles 43 à 55 du Traité".

II. La jurisprudence nationale et communautaire exige désormais la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

1) La jurisprudence communautaire, pour l'instant fondée sur le droit primaire, exige la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité

Sur le terrain du droit primaire, la CJCE a récemment jugé que les articles 43 CE et 49 CE (N° Lexbase : L5359BCH) s'opposaient à ce qu'une concession relative à la gestion du service public de distribution de gaz fût attribuée par une commune sans publicité préalable dès lors que cette attribution ne répondait pas à des exigences de transparence qui, sans nécessairement impliquer une obligation de procéder à un appel d'offres, étaient notamment de nature à permettre qu'une entreprise située sur le territoire d'un Etat membre autre que celui de la commune concernée pût avoir accès aux informations adéquates (afin de pouvoir manifester son intérêt pour obtenir le contrat) relatives à une telle concession avant qu'elle ne fût attribuée (6).

Cette décision, prise sur renvoi préjudiciel du juge italien, est une application de l'exigence de transparence pour les concessions de service telle qu'elle avait été fixée par la jurisprudence "Telaustria". Dans cette dernière décision, la CJCE avait, en effet, considéré que "cette obligation de transparence qu incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication" (7).

Selon la Cour, dès lors qu'une concession de service public de distribution de gaz peut intéresser également une entreprise située dans un autre Etat membre, son attribution par une commune, sans transparence, à une entreprise située dans son Etat membre constitue une différence de traitement qui, à moins qu'elle ne soit justifiée par des circonstances objectives (8), constitue une discrimination indirecte selon la nationalité contraire aux articles 43 et 49 du Traité. Il appartient, ainsi, au juge national de vérifier si l'attribution d'une concession répond à des exigences de transparence qui sont de nature à permettre à une entreprise située sur le territoire d'un autre Etat membre d'avoir accès à des informations afin de manifester son intérêt pour obtenir la concession.

Au total, le principe est, donc, désormais, qu'une procédure de publicité préalable est nécessaire pour la raison que le meilleur moyen de savoir si d'autres entreprises communautaires sont intéressées est de respecter une telle procédure.

Si la décision "Coname" a été rendue à la suite d'une question préjudicielle relative à la compatibilité de l'attribution "directe" d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz avec les stipulations des articles 43 et 49 du Traité, il est permis de supposer que la CJCE, lorsqu'elle sera saisie de la compatibilité de l'attribution "directe" d'une telle convention avec la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 (notamment, l'article 4), adoptera la même solution, voire exigera la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et non plus seulement la mise en oeuvre d'une procédure de publicité. Cette solution serait d'ailleurs conforme avec la position actuelle du juge administratif français (cf. infra).

Précisons, toutefois, que la jurisprudence "Coname" ne semble pas transposable aux DNN organisés en régie puisqu'ils sont dépourvus de personnalité morale propre. Ces DNN devraient donc continuer à bénéficier du régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT.

2) La jurisprudence nationale, fondée sur la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003, exige la mise en oeuvre d'une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence

Par un jugement récent (9), le tribunal administratif de Caen a annulé une délibération attribuant une concession de distribution publique de gaz à GDF en jugeant que les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT ne pouvaient fonder l'octroi, sans mise en concurrence, d'une concession de distribution de gaz, dès lors que ces dispositions étaient devenues incompatibles avec les objectifs de non-discrimination fixés par la Directive du 26 juin 2003. Le tribunal a d'abord relevé que la poursuite des objectifs "définis notamment dans l'article 4 de la Directive" n'avait pas pour effet de compromettre l'accomplissement par GDF des obligations imposées aux entreprises de gaz naturel dans l'intérêt économique général, ces obligations pouvant permettre, le cas échéant, de déroger aux objectifs de la Directive (10).

Le tribunal a ensuite considéré que, "alors même que la convention n'a[vait] été signée qu'aux termes de 'discussions' entre la commune et la société Gaz de France", la convention est intervenue "en méconnaissance des obligations et des règles de mise en concurrence fixées par les articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales".

Autrement dit, le tribunal a estimé que le régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT n'était pas compatible avec les objectifs de non-discrimination fixés par la Directive du 26 juin 2003 et que, en conséquence, c'est le régime "de droit commun" des articles L. 1411-1 et suivants du même code qui devait s'appliquer. Le juge administratif français est donc allé plus loin que le juge communautaire puisqu'il a exigé la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence et non plus seulement la mise en oeuvre d'une procédure de publicité. Toutefois, rappelons qu'à la différence du juge français, la CJCE ne s'était pas fondée sur la Directive du 26 juin 2003, mais sur les articles 43 (liberté d'établissement) et 49 (liberté de prestation de service) du Traité CE.

En résumé, en l'état actuel de la jurisprudence, la passation d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz doit être précédée de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité pour être compatible avec le droit communautaire "primaire" (c'est-à-dire avec le Traité CE) et de la mise en oeuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence pour être compatible avec le droit communautaire "dérivé" (c'est-à-dire avec la Directive du 26 juin 2003).

Précisons cependant que cette Directive, qui a été transposée par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au service public de l'électricité et du gaz, ne peut être invoquée à l'encontre d'une convention de délégation de service public de distribution de gaz que si cette convention a été signée après le 1er juillet 2004. En effet, selon l'article 33 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003, la transposition de cette Directive dans le droit des Etats membres devait intervenir, au plus tard, le 1er juillet 2004. En l'absence de transposition en droit français à la date de son jugement, le tribunal administratif de Caen a, ainsi, confronté les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT aux objectifs de la Directive. Toutefois, il n'a pu effectuer une telle démarche que parce qu'à la date à laquelle avait été signée la convention qui lui était soumise (15 novembre 2004), le délai de transposition de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 était expiré. En effet, selon la jurisprudence "Tête" (CE Assemblée, 6 février 1998, n° 138777, Tête et Association de sauvegarde de l'Ouest lyonnais N° Lexbase : A6251ASC, Rec., AJDA 1998 p. 458), le juge administratif ne peut vérifier la conformité des dispositions nationales aux objectifs d'une Directive non transposée que si le délai de transposition de cette Directive en droit interne est expiré, étant précisé que ce moyen, même non invoqué par les parties, nous semble pouvoir être soulevé d'office par le juge (11).

Quoiqu'il en soit, si le jugement du tribunal administratif de Caen venait à être confirmé par le Conseil d'Etat, il y aurait lieu d'introduire dans la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz, qui a transposé la Directive du 26 juin 2003, des dispositions subordonnant le renouvellement des concessions de distribution (et de transport) à des formalités de publicité et de mise en concurrence, les décisions des collectivités locales attribuant unilatéralement des délégations de service public de distribution de gaz s'exposant à la censure du juge administratif sur le fondement des dispositions de l'article 4 de la Directive du 26 juin 2003.

Conclusion
Au total, il est donc possible d'affirmer que toute convention de délégation de service public de distribution de gaz signée après le 1er juillet 2004 doit, au minimum, avoir fait l'objet d'une procédure préalable de publicité pour être compatible avec le droit communautaire.

L'incertitude actuelle réside dans la question de savoir si la passation de ces conventions doit être précédée d'une procédure de mise en concurrence au sens des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT. En effet, les exigences de la loi "Sapin" (publicité, mise en concurrence, réunion d'une commission pour la sélection des candidatures selon des critères objectifs) sont plus grandes que les exigences actuelles de la CJCE dans sa décision "Coname" (organisation d'une publicité adéquate"). Sans mesures d'uniformisation, deux régimes juridiques seront applicables, l'un issu du droit interne et l'autre issu de la jurisprudence communautaire.

En tout état de cause, il est probable que le régime dérogatoire prévu par les dispositions de l'article L. 1411-12 du CGCT ne pourra bientôt plus s'appliquer à la passation des conventions de délégation de service public de distribution de gaz. Il est également probable que cette passation ne devrait plus longtemps échapper à une véritable procédure de mise en concurrence préalable.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Cf. articles L. 2224-31 à L. 2224-34 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1925HBW).
(2) Cf. à ce sujet, S. Nicinski et P. Pintat, La libéralisation du secteur gazier, AJDA 2003, p. 223.
(3) G. Bouquet, E. Buttery, Vers la fin du droit de préférence accordé aux concessionnaires de transport et de distribution d'électricité et de gaz, AJDA 2006, p. 964.
(4) "L'expérience acquise avec la mise en oeuvre de cette directive montre les avantages considérables qui peuvent découler du marché intérieur du gaz, en ce qui concerne les gains d'efficacité les réductions de prix, l'amélioration de la qualité du service et l'accroissement de la compétitivité. Cependant, d'importantes lacunes subsistent et il est encore possible d'améliorer le fonctionnement de ce marché, il faut notamment prendre des dispositions concrètes pour assurer des conditions de concurrence équitables et pour réduire le risque de domination du marché et de comportement prédateur" (nous soulignons).
(5) Communication 2000/C 121/02, en date du 29 avril 2000.
(6) CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano c./ Comune di Cingia de Botti (N° Lexbase : A1664DKT), AJDA 2005, p. 1541. Cf. à ce sujet : Distribution du gaz : le droit communautaire peut-il autoriser à déroger au principe de publicité ?, L. Richer, Actualité des Contrats et de la Commande Publique (ACCP), novembre 2005, p. 65.
(7) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c./ Telekom Austria AG (N° Lexbase : A1916AWU), Rec. 2000, p. I-10745, § 62.
(8) Notamment, l'impossibilité pour l'entreprise distributrice d'accomplir sa mission d'intérêt général dans des conditions économiquement acceptables. Cf., à cet égard, les conclusions de l'Avocat général Stix-Hackl (12 avril 2005) sous CJCE du 21 juillet 2005, précité et L. Richer, Distribution du gaz : le droit communautaire peut-il autoriser à déroger au principe de publicité ?, ACCP, novembre 2005, p. 65.
(9) TA Caen, 15 novembre 2005, Préfet de l'Orne, n° 0500196, AJDA 2006 p. 267.
(10) Cf. point 5 de l'article 3 de la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003.
(11) Signalons, en effet, que dans un arrêt récent, la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'il incombait au juge national de soulever d'office le moyen tiré de la non-conformité de dispositions législatives ou réglementaires internes à une Directive communautaire qui définit de manière exhaustive et précise un régime juridique (CAA Paris, 1er juin 2005, n° 00PA03825, Julien N° Lexbase : A5537DKB, RJF 2006 n° 1252, DF 27 avril 2006 n° 17-18 comm. n° 368). Or, il nous semble que la Directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 définit de manière exhaustive et précise le régime juridique applicable au marché intérieur du gaz.

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