La lettre juridique n°220 du 22 juin 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Conditions de licéité d'un système de vidéo surveillance des salariés

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard c/ Société Continent France groupe Carrefour et autre, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7)

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le 07 Octobre 2010

Titulaire du pouvoir de direction, l'employeur dispose du droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail. Toutefois, et ici comme ailleurs, la fin poursuivie ne justifie pas le recours à tous les moyens. D'autant plus que, le progrès technique aidant, ces moyens de contrôle et de surveillance ont connu, ces dernières années, un raffinement certain. Aussi, la jurisprudence et, après elle, le législateur se sont-ils assez tôt préoccupés de venir encadrer le pouvoir de contrôle de l'employeur. Parmi les différentes exigences qui pèsent sur celui-ci en la matière, il en est une qui ne suscite, a priori, guère de difficultés et qui réside dans l'obligation, préalablement à la mise en oeuvre d'un dispositif de contrôle, d'informer et de consulter le comité d'entreprise. Cette obligation était pourtant au coeur de la décision rendue par la Chambre sociale le 7 juin 2006, qui sonne comme un rappel à l'attention des employeurs oublieux de l'obligation précitée. Toute preuve recueillie au moyen d'un dispositif de contrôle qui n'a pas été soumis au comité d'entreprise est illicite et donc irrecevable.


Résumé

Si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise. Constitue, en conséquence, un moyen de preuve illicite, l'enregistrement d'un salarié au moyen d'un système de vidéo surveillance de la clientèle également utilisé pour contrôler ses salariés, mis en place par l'employeur sans information et consultation préalable du comité d'entreprise.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard c/ Société Continent France groupe Carrefour et autre, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7)

Cassation (CA Bourges, ch. soc., 24 octobre 2004)

Texte visé : C. trav., art. L. 432-2-1 (N° Lexbase : L6403AC7)

Mots-clés : licenciement ; faute grave ; preuve ; dispositif de contrôle ; information et consultation du comité d'entreprise (non) ; illicéité (oui).

Lien bases :

Faits

M. Girouard, engagé le 3 août 1970 en qualité d'employé de commerce, a été licencié pour faute grave le 1er juin 2000 par son employeur, la société Continent France groupe Carrefour.

Pour décider que le licenciement était fondé sur une faute grave, l'arrêt attaqué a déclaré recevable la production d'un enregistrement du salarié effectué par l'employeur à l'aide d'une caméra de vidéo surveillance. Les juges du fond ont estimé qu'il ne pouvait être sérieusement prétendu que le salarié ignorait l'existence de caméras vidéo, destinées à détecter les vols perpétrés dans l'entreprise et utilisées depuis 1996, ainsi qu'il ressort de la consultation du CHSCT produite par l'employeur, et annoncées par des affichettes dans le magasin.

Solution

Cassation pour violation de l'article L. 432-2-1 du Code du travail.

"Attendu que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise".

"Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le système de vidéo surveillance de la clientèle mis en place par l'employeur était également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés sans information et consultation préalables du comité d'entreprise, en sorte que les enregistrements du salarié constituaient un moyen de preuve illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Observations

En matière civile, l'exigence de loyauté constitue une condition générale d'admissibilité des preuves. Par suite, le plaideur qui produit une preuve obtenue selon un procédé clandestin s'expose à la voir rejetée des débats. Cette exigence de loyauté trouve une traduction originale en droit du travail, qui soumet l'introduction de moyens de surveillance et de contrôle dans l'entreprise à une double obligation d'information à la charge de l'employeur (v., sur la question, M.-P. Coupillaud, La preuve en droit du travail, Thèse Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2005, spéc., §§ 712 et s.).

1. L'information et la consultation des représentants du personnel

Ainsi que l'affirme de manière on ne peut plus claire l'alinéa 3 de l'article L. 432-2-1 du Code du travail, "le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés". C'est cette règle fondamentale que la Cour de cassation vient, en l'espèce, rappeler, en affirmant que l'employeur "ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise".

Le respect de l'obligation mise à la charge de l'employeur par le texte précité est moins dicté par les modalités techniques du dispositif de contrôle mis en place que par sa finalité. Celui-ci doit permettre un contrôle "de l'activité des salariés". Par suite, et ainsi que la Chambre sociale l'a affirmé à plusieurs reprises, l'employeur peut librement procéder à la vidéosurveillance d'entrepôts ou d'autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas et produire, ensuite, en justice, les preuves ainsi collectées (v., par ex., Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290, M. Alaimo c/ Société Italexpress, publié N° Lexbase : A2317AIN (1) ; Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, publié N° Lexbase : A9552DHA (2)).

En résumé, dès lors que le système de contrôle est destiné à surveiller l'activité des salariés, l'employeur est tenu d'en référer au comité d'entreprise. Peu importe que telle ne soit pas sa finalité première ou exclusive. C'est ce que souligne la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, en retenant que "le système de vidéo surveillance de la clientèle mis en place par l'employeur était également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés" (3).

Notons que l'article L. 432-2-1, alinéa 3, exige bien l'information et la consultation du comité d'entreprise. L'employeur ne saurait donc se borner à informer le comité, il doit solliciter son avis exprès sur le dispositif en cause. Enfin, seul le comité d'entreprise est visé par la disposition en cause, à l'exclusion de toute autre institution représentative du personnel. L'employeur ne saurait, par conséquent, prétendre avoir respecté ses obligations légales, en avançant qu'il a consulté le CHSCT ou les délégués du personnel, sauf évidemment à réserver l'hypothèse où ces derniers se substituent au comité (C. trav., art. L. 422-3 N° Lexbase : L6358ACH).

Il convient, pour conclure, de souligner que le moyen de preuve, obtenu grâce à l'utilisation d'un moyen de contrôle mis en place sans consultation préalable du comité d'entreprise, est irrecevable. Il s'agit là d'une solution constante que la Cour de cassation vient rappeler dans la présente espèce (v., par ex., antérieurement, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié N° Lexbase : A5741AGQ).

2. L'information préalable des salariés

Selon l'article L. 121-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), "aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collecté par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à l'emploi". Le champ d'application de cette disposition est relativement large puisqu'il ne concerne pas uniquement les dispositifs de surveillance et de contrôle mais, plus largement, tous ceux qui permettent la collecte d'informations concernant personnellement les salariés. Il n'en demeure pas moins qu'en vertu de ce texte, l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés.

Comme précédemment, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à l'insu des salariés, constitue un mode de preuve illicite. Là encore, c'est l'exigence de loyauté et de transparence qui prédomine. Notons qu'il n'a pas fallu attendre la loi du 31 décembre 1992 (loi n° 92-1446 relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS), dont est issu l'article L. 121-8 du Code du travail, pour que la Cour de cassation vienne condamner de tels procédés (v., en effet, en ce sens le fameux arrêt "Néocel" : Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié N° Lexbase : A9301AAQ).

Bien que le texte soit silencieux sur la question, on ne saurait trop recommander à l'employeur de procéder à une information individuelle des salariés. Sans doute, le recours à l'affichage n'est-il pas à exclure, mais il est évidemment de nature à susciter un inutile contentieux. En l'espèce, la cour d'appel avait relevé que le dispositif de vidéo surveillance avait été annoncé par des affichettes dans le magasin. Gageons que si la Cour de cassation avait été saisie de la question, elle aurait sans doute déclaré le procédé insuffisant au regard des exigences posées par l'article L. 121-8. En effet, ce texte exige une information spécifique des salariés, à laquelle ne peut se substituer, selon nous, une information à destination de la clientèle.

Encore que la question n'était nullement au coeur de l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté, il convient de rappeler que le respect par l'employeur des obligations qui viennent d'être décrites ne garantit nullement la validité du dispositif de surveillance mis en place (4). Il faut, en outre, que celui-ci, conformément aux prescriptions de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des salariés (v., en ce sens, TGI Paris, 19 avril 2005, n° RG 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail N° Lexbase : A0577DI9, lire notre chronique, De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4025AIW).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) "Mais attendu, d'abord que si, aux termes de l'article L. 432-2-1 du Code du travail, le comité d'entreprise est informé et consulté préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, ce qui interdit à l'employeur de se servir de moyens de preuve obtenus à l'aide de procédés de surveillance qui n'auraient pas été portés préalablement à la connaissance des salariés, l'employeur est libre de mettre en place des procédés de surveillance des entrepôts ou autres locaux de rangement dans lesquels les salariés ne travaillent pas".
(2) "Mais attendu que si l'employeur ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle de l'activité professionnelle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, il peut leur opposer les preuves recueillies par les systèmes de surveillance des locaux auxquels ils n'ont pas accès, et n'est pas tenu de divulguer l'existence des procédés installés par les clients de l'entreprise ; qu'ayant constaté que la mise en place de la caméra avait été décidée par un client et n'avait pas pour but de contrôler le travail des salariés mais uniquement de surveiller la porte d'accès d'un local dans lequel ils ne devaient avoir aucune activité, la cour d'appel a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que les enregistrements vidéo litigieux constituaient un moyen de preuve licite ; que le moyen n'est pas fondé".
(3) Souligné par nous.
(4) Il convient, en outre, de ne pas oublier que, dans un certain nombre d'hypothèses, l'employeur est également tenu d'une obligation de déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (pour un exemple récent, voir TGI Paris, 4 avril 2006, n° RG 05/18400, Syndicat Sud Télécom Paris c/ SA France Télécom N° Lexbase : A6828DPL, lire notre chronique, Obligations de l'employeur en cas de mise en place d'un dispositif d'écoutes téléphoniques, Lexbase Hebdo n° 218 du 8 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9155AKB).

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